CA Montpellier, ch. com., 18 novembre 2025, n° 24/02302
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme DEMONT
Conseillers :
M. GRAFFIN, M. VETU
FAITS ET PROCEDURE :
Par jugement du 8 décembre 2021, le tribunal de commerce de Perpignan a placé la SAS [12] en liquidation judiciaire, et désigné Mme [I] [O] en qualité de liquidateur.
Par requête du 24 mai 2023, le procureur de la République a saisi le tribunal de commerce de Perpignan d'une demande d'obligation aux dettes sociales de la liquidation judiciaire de la société [12] à l'égard de M. [U] [N], son dirigeant, pour la somme de 153 880,26 euros, soit la totalité de l'insuffisance d'actif.
Par jugement contradictoire du 17 avril 2024, le tribunal de commerce de Perpignan a :
condamné M. [U] [N], dirigeant de la société [12], à payer à Mme [I] [O], ès qualités, la somme de 113 880,26 euros au titre de sa participation au comblement du passif de ladite société ;
ordonné l'exécution provisoire ;
et ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 25 avril 2024, M. [U] [N] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 13 octobre 2025, il demande à la cour, au visa de l'article L. 651-2 du code de commerce, de :
- ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture du 23 septembre 2025 et admettre ses écritures,
infirmer le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
À titre principal,
débouter le procureur général et Mme [I] [O], ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes ;
À titre subsidiaire,
le dispenser de toute condamnation ;
À titre très subsidiaire,
- le condamner à une somme symbolique ;
En tout état de cause,
- et statuer ce que de droit sur les dépens.
Par exploit remis à personne habilitée, daté du 3 juillet 2024, la déclaration d'appel, les conclusions et les pièces ont été signifiées à Me [I] [O], ès qualités de liquidateur de la SAS [12], laquelle n'a pas constitué avocat.
Le ministère public, par avis RPVA du 13 octobre 2025, a sollicité la confirmation de la décision de première instance de condamnation de M. [N] [U] au titre du comblement de passif au sens de l'article L. 651-2 du code du commerce et s'est rapporté à la décision de la cour en ce qui concerne le montant de l'insuffisance d'actif mis à sa charge.
L'ordonnance de clôture du 23 septembre 2025 a été révoquée à l'audience des plaidoiries avec l'accord des parties, et une nouvelle clôture a été prononcée.
MOTIFS
1. Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, en sa version en vigueur du 11 décembre 2016 au 3 juillet 2021, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
2. À la différence des sanctions civiles et pénales pour lesquelles la loi énumère dans le détail les faits susceptibles d'être retenus, toutes les fautes de gestion peuvent être prises en considération, sous la réserve, s'agissant d'une action en responsabilité civile délictuelle ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, que soient prouvés, outre l'existence au moins d'une telle faute, celle d'un préjudice consistant en une insuffisance d'actif en lien avec la faute du dirigeant.
3. L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif déroge cependant au droit commun de la responsabilité en ce que, même si les conditions de fond de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif sont réunies, les juges du fond apprécient souverainement le montant et la nécessité de la sanction, et peuvent même, en cas de faute établie, décider de ne prononcer aucune condamnation à ce titre.
4. En outre, le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif, même si sa ou ses fautes ne sont à l'origine que d'une partie de celle-ci.
5. Les fautes ou les abstentions, exclusives de fautes de simple négligence, doivent avoir été commises antérieurement à l'ouverture de la procédure et en application de ce texte, il appartient au liquidateur de démontrer que le dirigeant de droit ou de fait a personnellement commis celles-ci.
Sur le préjudice
6. Il résulte du rapport initial du juge-commissaire de la procédure, du jugement déféré et des productions que l'insuffisance d'actif de la SAS [12], entendue comme la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l'actif réalisé de la personne morale débitrice, s'élève à 153 880,26 euros, la somme de 55 273 euros ne correspondant pas à un actif réalisé, comme le soutient l'appelant.
7. Cette dernière somme sera retenue comme étant celle susceptible d'être mise à la charge de M. [U] [N] au jour où il a cessé ses fonctions.
Sur les fautes de gestion
8. M. [U] [N], qui rappelle que la déconfiture de son entreprise est intervenue dans un contexte économique très peu favorable marquée par l'intervention des « gilets jaunes » et de l'épidémie de la [9] sur l'île de la Réunion, fait valoir
- que la vente du matériel, objet d'un crédit-bail, est intervenue après une suspension des échéances accordées à la SAS [12], laquelle lui a fermé les portes d'un éventuel PGE de sorte que ce matériel, a continué à se dégrader (dégradation majorée par le climat de l'île de la Réunion) et qu'il avait pris la décision, dans l'urgence, de vendre le matériel qui n'appartenait pas à la société afin de tenter sa chance en France hexagonale ; qu'en tout état de cause, la vente du matériel objet du crédit-bail n'a pas causé d'insuffisance d'actif de sorte que s'il reconnait l'irrégularité de son acte, ses conséquences doivent être réglées dans le cadre de l'action entreprise par la société [8] à l'encontre des cautions solidaires toujours pendante ;
- que l'octroi d'une rémunération qui lui a été reproché, alors que la société ne pouvait plus générer de chiffre d'affaires en raison de la vente du matériel d'impression n'est fondé qu'à hauteur de 5 000 euros, et non, 20 000 euros ; qu'en outre ces fonds ont été prélevés sur le compte de la société holding [11] et non pas sur ceux de la SAS [12] ; qu'aucun lien entre ces opérations et l'insuffisance d'actif n'est en outre rapporté, ce d'autant que ces opérations ne procédaient pas de l'intention de s'attribuer une quelconque rémunération irrégulière, mais avaient été réalisées dans l'objectif d'organiser le déménagement et la poursuite de l'activité de la SAS [12] en métropole.
9. De l'ensemble de ces éléments, M. [U] [N] soutient qu'il était de bonne foi et n'a eu de cesse de vouloir sauver son entreprise, nonobstant l'existence de négligences de sa part.
Sur ce, la cour,
10. La cession du matériel affecté à l'activité de la société qu'il dirigeait, alors qu'il n'en était pas propriétaire, ne peut se justifier au regard du contexte de crise qui en réalité existait dans l'ensemble de la France et de ses [10]. Elle est en lien de causalité avec l'insuffisance d'actif constaté dès lors que l'appelant reconnaît que ce qu'il qualifie "d'erreur" a eu pour conséquence :
- la création d'une créance au profit de la [8] correspondant aux deux tiers du passif de la société dans le cadre de la liquidation judiciaire ;
- que cette vente du principal outil de travail de la SAS [12] condamnait cette société à ne plus générer le moindre chiffre d'affaires, rendant ainsi illusoire tout supposé déménagement en France Hexagonale dans l'espoir de trouver de meilleures conditions.
11. En outre, aucune production ne vient confirmer l'existence d'une société holding [11] qui aurait avancé des fonds à M. [U] [N] afin qu'il finance l'installation de la SAS [12] en France hexagonale, ce dernier élément n'étant pas davantage prouvé.
12. Ainsi, au regard de la gravité de ces fautes, au regard de l'insuffisance d'actif précédemment arrêté, le jugement sera confirmé sur le bien-fondé d'une condamnation de M. [U] [N] à supporter la somme de 113 880,26 euros qui n'équivaut pas, pour rappel, au montant de l'insuffisance d'actif.
Sur le montant de la contribution mis à la charge de M. [U] [N] au regard de sa situation personnelle
13. M. [U] [N] plaide que les décisions prises pendant la période de la [9] (comme celle de vendre le matériel sous crédit-bail, ou de revenir en métropole) n'avaient d'autre but que de sauvegarder son entreprise et de satisfaire ses créanciers.
14. Il fait valoir qu'il n'a pas de patrimoine immobilier ou mobilier et que les bénéfices de la SAS [15], qu'il a créée à son retour de [Localité 13] sont très insuffisants, puisque son bénéfice pour l'année 2022 s'est élevé à 1 827 euros.
15. A la suite, salarié de cette société, il n'aurait perçu que la somme de 1 067,07 euros par mois jusqu'à ce que la société soit déclarée en cessation d'activité à compter du 26 novembre 2023.
16. Désormais, il se dit inscrit à « [16] » et ne percevoir, aucun revenu, ni aide.
Sur ce, la cour,
17. Le montant des sommes au versement desquelles les dirigeants sont condamnés doit être proportionné au nombre et à la gravité des fautes de gestion qu'ils ont commises, et l'état du patrimoine du dirigeant.
18. Compte tenu de la gravité des fautes sus-décrites, et en l'absence de quelque document, et même de toute précision sur l'existence ou non d'un patrimoine mobilier ou immobilier, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions, étant relevé que M. [U] [N] pouvant être difficilement suivi lorsqu'il affirme que ses actes n'avaient d'autre but que de sauver son entreprise.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne M. [U] [N] aux dépens d'appel.