CA Bordeaux, ch. soc. A, 18 novembre 2025, n° 22/05115
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 18 NOVEMBRE 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/05115 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6Z7
Monsieur [C] [W]
c/
S.A.S. ZAMENHOF EXPLOITATION
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Me Caroline SALVIAT de la SELAS SALVIAT + JULIEN-PIGNEUX + PUGET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 octobre 2022 (R.G. n°F 21/00022) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULEME, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 novembre 2022,
APPELANT :
Monsieur [C] [W]
né le 15 Juin 1965 à [Localité 2]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
assisté et représenté par Me Caroline SALVIAT de la SELAS SALVIAT + Me JULIEN-PIGNEUX + PUGET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me LAROCHE
INTIMÉE :
S.A.S. ZAMENHOF EXPLOITATION prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 4]
N° SIRET : 522 97 1 9 28
assistée et représentée par Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS et Me GALLET, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 septembre 2025 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRISSET, présidente et Madame Laure Quinet, conseillère chargée d'instruire l'affaire
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Brisset, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Laure Quinet, conseillère
Greffière lors des débats : Sandrine Lachaise
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
1. M. [C] [W], né en 1965, a exercé les fonctions de dirigeant de la SAS [C] [W], société holding détenant la SAS Transports [W] et la SAS Transports Voiron.
Les sociétés Transports Voiron et [C] [W] ont été placées en redressement judiciaire par jugements du tribunal de commerce d'Angoulême en date des 7 septembre 2018 et 20 juin 2019.
Par jugements rendus le 11 juillet 2019, le tribunal de commerce a d'une part, autorisé la cession de l'activité de la société Transports Voiron à la SAS Zamenhof, qui fait partie du groupe Jackie [B], avec faculté de substitution au profit de la société Transports [B]-[W] pour l'activité cognac et au profit de la société [B]-Hersand pour l'activité grande distribution ou de toute autre filiale du groupe, et d'autre part, a autorisé la cession de la totalité des titres et participations détenus par la société [C] [W] dans la société Transports [W].
Les sociétés Transports Voiron et [C] [W] ont ensuite été placées en liquidation judiciaire, procédures clôturées pour insuffisance d'actif le 7 septembre 2021.
2. Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 2019, M. [C] [W] a été engagé par la SAS Zamenhof Exploitation en qualité de directeur de région, statut cadre, groupe 7, coefficient 330, moyennant une rémunération brute mensuelle de 8 000 euros.
La convention collective applicable est la convention collective nationale du personnel des prestataires de service du secteur tertiaire.
3. A la suite d'une réunion des directeurs de région qui s'est tenue le 3 février 2020, M. [W] a été placé en arrêt de travail.
Le 11 février 2020, il a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 3 février 2020, invoquant avoir subi un choc psychologique après avoir été agressé verbalement et humilié par M. [M], PDG du groupe [B], lors de la réunion.
Par décision du 11 mai 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente a refusé de prendre en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels et le 8 septembre 2020, la commission de recours amiable a rejeté le recours formé le 23 juin 2020 par M. [W].
4. Par lettre datée du 20 mai 2020 qui lui a été signifiée par huissier de justice le 25 mai 2020, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 juin 2020, et mis à pied à titre conservatoire.
Il a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 9 juin 2020 qui lui a été signifiée par huissier de justice le 12 juin 2020, et dispensé par l'employeur de l'exécution de son préavis de 3 mois.
À la date de son licenciement, M. [W] comptait une ancienneté de 1 an et 1 mois et l'entreprise employait habituellement plus de dix salariés.
5. Par requête reçue le 9 février 2021, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angoulême aux fins de voir juger nul son licenciement et à titre subsidiaire le voir juger sans cause réelle et sérieuse, sollicitant diverses sommes et indemnités au titre de la rupture du contrat de travail, ainsi que le paiement d'une indemnité de non-concurrence.
Par jugement rendu le 17 octobre 2022, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [W] n'est pas nul ;
- dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse ;
- fixé le salaire de référence à 8 000 euros ;
- condamné la société Zamenhof exploitation à payer à M. [W] les sommes suivantes :
* 24 000 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de trois
mois,
* 2 400 euros brut au titre des congés payés sur préavis,
* 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [W] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et pour licenciement brutal et vexatoire,
- débouté M. [W] de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12 juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés,
- débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite
médicale,
- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence,
- débouté M. [W] de sa demande de remboursement des allocations chômage par la société Zamenhof exploitation,
- rappelé que les condamnations relevant des rémunérations sont assorties de plein droit de l'exécution provisoire conformément à l'article R.1454-28 du code du travail,
- assorti lesdites sommes de l'intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme à compter du prononcé du jugement,
- ordonné à la société Zamenhof exploitation d'établir et de remettre à M. [W] l'ensemble des documents rectifiés et conformes aux décisions du présent jugement sous astreinte de 25 euros par jour de retard et à compter du 15e jour suivant la notification de la décision à intervenir et pendant trois mois,
- mis la totalité des dépens à la charge de la société Zamenhof exploitation,
- rappelé que sur présentation d'une copie exécutoire de la présente décision, les frais éventuels d'exécution forcée seront à la charge du débiteur dans la limite des dispositions de l'article L. 118 alinéa 1 du code des procédures civiles d'exécution,
- débouté la société Zamenhof exploitation de sa demande de remboursement de la somme de 11 248,93 euros,
- débouté la société Zamenhof exploitation de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
6. Par déclaration communiquée par voie électronique le 7 novembre 2022, M. [W] a relevé appel de cette décision.
7. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 25 janvier 2023, M. [W] demande à la cour de :
' - infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angoulême le 17 octobre 2022 en ce qu'il :
- a dit que son licenciement n'est pas nul,
- a dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts sur la nullité de son licenciement,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour le licenciement
brutal et vexatoire,
- l'a débouté de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12
juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite
médicale,
- l'a débouté de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause
de non-concurrence,
- l'a débouté de sa demande du remboursement des allocations chômage par la société Zamenhof exploitation,
Statuant de nouveau,
A titre principal,
- dire que son licenciement prononcé en cours de période de protection est nul ;
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 192 000 euros,
A titre subsidiaire,
- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 112 000 euros,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire que son licenciement est intervenu dans des circonstances vexatoires,
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 50 000 euros,
En tout état de cause,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser :
* Salaires pour la période du 25/05/2020 au 12/06/2020 : 5.066,66 euros bruts
* ICCP sur période correspondante : 506,66 euros bruts
* Indemnité de préavis : 24.000 euros bruts
* ICCP sur préavis : 2.400 euros bruts
* Dommages intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche : 8.000 euros
* Indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence : 120.000 euros brut
* Indemnité au titre de l'article 700 du CPC pour la procédure d'appel : 4.000 euros
* Entiers dépens de première instance et d'appel
- assortir lesdites sommes de l'Intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme,
- ordonner la remise de documents sociaux sous astreinte de 75 euros par jour suivant la notification de la décision à intervenir, le conseil se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,
- condamner la société Zamenhof exploitation au remboursement des allocations chômage,
- fixer le salaire de référence à 8 000 euros bruts ' .
8. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 30 mars 2023, la société Zamenhof exploitation demande à la cour de :
' Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- DIT que le licenciement de Monsieur [W] n'est pas nul ;
- DIT que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- DEBOUTÉ Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts sur la nullité de son licenciement ;
- DEBOUTÉ Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour le licenciement brutal et vexatoire ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12 juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés ; -
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale ; -
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande du remboursement des allocations chômages par la Société ZAMENHOF EXPLOITATION.
Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- CONDAMNÉ la société ZAMENHOF EXPLOITATION, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes :
* 24.000€ brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de 3 mois
* 2.400€ brut au titre des congés payés sur préavis
* 1.500€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- DEBOUTE la Société ZAMENHOF EXPLOITATION de sa demande de remboursement de la somme de 11 248,93 € ;
- DEBOUTE la Société ZAMENHOF EXPLOITATION de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
- MET la totalité des dépens à la charge de la Société ZAMENHOF EXPLOITATION prise en la personne de son représentant légal.
Statuant à nouveau :
- DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande d'indemnité au titre de l'indemnité
compensatrice de préavis de 3 mois ainsi que les congés payés afférents ;
- CONDAMNER Monsieur [R] [W] à verser à la société ZAMENHOF
EXPLOITATION la somme de 11.248,93€ au titre du remboursement de la régularisation des trop perçus majorée des intérêts à taux légal depuis le 11 septembre 2020 ;
- CONDAMNER Monsieur [C] [W] à payer à la société ZAMENHOF
EXPLOITATION la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Y ajoutant :
- Condamner Monsieur [C] [W] à payer à la société ZAMENHOF EXPLOITATION la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure d'appel.
- Condamner Monsieur [C] [W] aux dépens.'
9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 29 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de nullité du licenciement,
10. Au visa des articles L 1226-7 et L 1226-9 du code du travail, M. [W] soutient :
- que la société Zamenhof Exploitation ne pouvait le licencier que pour faute grave ou en raison d'une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie dès lors qu'étant en arrêt de travail, il avait saisi la CPAM d'une demande de reconnaissance d'accident du travail,
- que même si la CPAM avait rejeté sa demande, il devait bénéficier de la protection de l'article L 1226-9 du code du travail jusqu'à ce que la décision de l'organisme social présente un caractère définitif ; qu'à la date de son licenciement, la décision de la CPAM de rejet de prise en charge de l'accident n'était pas définitive dans la mesure où le délai de recours n'était pas expiré, et qu' il devait par conséquent bénéficier de la présomption d'imputabilité de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, l'accident du 3 février 2020 étant survenu sur le lieu et pendant le temps de travail ;
- qu'il ne pouvait être licencié pour insuffisance professionnelle, motif non visé par l'article L 1226-9 du code du travail contrairement à ce que soutient l'intimée.
11. La société Zamenhof Exploitation soutient que M. [W] ne peut prétendre au bénéfice de la protection de l'article L 1226-9 du code du travail aux motifs :
- que la réalité de l'accident du travail dont il prétend avoir été victime n'est pas démontrée. Elle fait valoir que huit participants à la réunion du 3 février 2020 témoignent de façon concordante que M. [W] s'est trouvé en difficulté en raison de son absence de préparation de la réunion et pris en défaut, a quitté subitement et sans explication la réunion. Elle ajoute que l'arrêt de travail initial qui lui a été délivré du 3 au 10 février 2020 était un arrêt de travail pour maladie ordinaire, son médecin traitant ne lui ayant délivré un arrêt de travail pour accident du travail qu'à compter du 11 février 2020,
- que la CPAM a refusé de prendre en charge l'accident au titre des risques professionnels par décision du 11 mai 2020, de sorte qu'à la date du licenciement, le salarié n'était plus en arrêt de travail pour accident du travail mais pour maladie ordinaire,
- que M. [W] a formé un recours contre la décision de la CPAM postérieurement à son licenciement, recours dont elle n'avait pas connaissance lors de la notification de la rupture du contrat de travail.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a licencié le salarié du fait de l'impossibilité de maintenir son contrat de travail en raison de sa déloyauté, de son manque d'exemplarité et de rigueur, motif de rupture qui selon elle entre dans le cadre de l'article L 1226-9 du code du travail.
Réponse de la cour
12. Selon les articles L1226-7 et L1226-9 du code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie. Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.
En application de l'article L1226-13 du code du travail, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l' article L1226-9 est nulle.
Les règles protectrices édictées par l'article L 1226-9 s'appliquent dès lors que la suspension du contrat de travail a pour origine, au moins partiellement, un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il appartient au juge prud'homal de rechercher si l'arrêt de travail du salarié avait pour origine, au moins partiellement, un accident du travail, et en cas de contestation de l'existence de cet accident, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties, la seule demande du salarié faite à l'organisme social de reconnaître l'accident du travail étant insuffisante.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Si la survenance de l'accident aux temps et lieu de travail est de nature à faire présumer que l'accident est imputable au travail, il n'en reste pas moins que la matérialité du fait accidentel invoqué par le salarié doit être établie préalablement à la mise en jeu de cette présomption.
13. En l'espèce, l'appelant prétend que lors de la réunion des directeurs régionaux qui s'est tenue le 3 février 2020, il a été publiquement pris à partie par M. [M] qui aurait remis en cause ses résultats et ses qualités de gestionnaire, et lui aurait indiqué qu'il allait « dégager ».
Il produit le questionnaire qu'il a rempli dans le cadre de l'instruction par la CPAM de sa demande de prise en charge de l'accident et son courrier de recours contre la décision de la CPAM de refus de prise en charge ( pièce 10) dans lesquels il déclare avoir été victime d'une agression verbale de la part de M. [M] qui l'aurait humilié et agressé devant ses collaborateurs, qu'heurté par la violence de ses propos, il a eu subitement un malaise constaté le jour même par le docteur [V], et que l'agression verbale dont il a été victime lui a occasionné un choc psychologique.
Toutefois, la cour constate que l'appelant ne produit aucune pièce corroborant ses affirmations selon laquelle M. [M] aurait eu à son égard des propos inadaptés, humiliants ou agressifs.
De son côté, la société intimée produit les attestations de huit directeurs régionaux ayant participé à la réunion du 3 février 2020, qui expliquent que le but des réunions des directeurs de région est de présenter et d'analyser les résultats de chaque région et si nécessaire de présenter un plan d'action pour remédier aux situations déficitaires. Ils déclarent tous que lors de son intervention pour présenter ses résultats et le plan d'action mis en place pour remédier à ses mauvais chiffres, M. [W] s'est trouvé en difficulté dans la mesure où il n'avait visiblement pas préparé son intervention, et a quitté la salle. Aucun de ses témoins ne fait mention de propos agressifs ou humiliants qu'aurait tenus M. [M], ni d'un malaise de M. [W].
M. [U] précise que le salarié a quitté la salle en claquant la porte 'malgré l'insistance du président à rester à la réunion' ; M. [Y] que le salarié a quitté la séance 'abandonnant ainsi la réunion à la stupéfaction de tous' ; M. [J] que M. [W] 'a préféré quitter la salle sans aucune explication, très certainement mal à l'aise de cette situation non assumée' ; M. [G], précisant que lors des réunions, chacun a l'occasion de s'exprimer librement et de faire part des difficultés qu'il rencontre et que les échanges y sont cordiaux et courtois, indique que M. [W] ' s'est emporté et a quitté la réunion de façon subite et inadaptée aux circonstances, à la grande stupeur générale'.
Au cours de l'enquête menée par la CPAM dans le cadre de la saisine par le salarié de la commission de recours amiable (pièce 9 de l'appelant), MM. [E] et [T], présents à la réunion et cités comme témoins par M. [W], ont confirmé qu'il n'y avait pas eu de propos insultants ou dégradants à l'égard du salarié, que la discussion est restée dans le cadre d'un échange normal entre un directeur de région et sa hiérarchie
Enfin, il y a lieu de relever que l'arrêt de travail initial qui a été délivré au salarié par le docteur [V] pour maladie ordinaire pour la période du 3 au 10 février 2020 ne fait pas mention d'un malaise ou d'un choc psychologique, ni d'ailleurs d'un quelconque trouble psychologique.
14. En considération de ces éléments, la matérialité du fait accidentel allégué par le salarié, à savoir une agression verbale de la part de son supérieur hiérarchique, n'est pas établie, et partant, l'existence d'un accident du travail n'est pas démontrée, alors en outre qu'à la date de la rupture, l'employeur était uniquement informé du rejet de prise en charge au titre des risques professionnels par la CPAM.
L'arrêt de travail de M. [W] n'ayant pas, même partiellement, pour origine un accident du travail, il ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article
L 1226-9 du code du travail.
Le jugement déféré qui a rejeté sa demande de nullité du licenciement sera confirmé.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement,
15. La lettre de licenciement adressée le 9 juin 2020, M. [W] est ainsi rédigée :
« [...]
Pour rappel, la société ZAMENHOF a racheté votre entreprise de transports en 2019 et vous êtes salarié de la société ZAMENHOF EXPLOITATION depuis le 1er Août 2019.
À ce titre, et en votre qualité de Directeur de Région, vous avez la charge, pleine et entière, de la direction de la société [B] [W].
Vous bénéficiez à ce titre du soutien et de la dynamique des sociétés ZAMENHOF EXPLOITATION et de l'enseigne JACKY [B].
Nous constatons de votre part des comportements qui ne sont pas ce que nous sommes en droit d'attendre d'un Cadre de votre niveau et de votre expérience professionnelle.
Ces comportements anormaux ne correspondent pas à des pratiques normales et ont pour but de dissimuler des manquements professionnels ou éthiques inacceptables et graves.
De ce fait, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au mercredi 03 juin 2020 à 15h00, dans les locaux de [Localité 5] (26) auquel vous vous êtes présenté seul.
Au cours de cet entretien, les faits reprochés vous ont été exposés.
En premier lieu, nous vous reprochons d'avoir demandé au client GDV SERVICES de modifier de façon substantielle une facture afin de masquer votre propre carence en remplaçant le libellé, et donc l'objet de la facture.
En effet, la facture visait initialement à couvrir un arriéré de palettes Europe à restituer et, pour ne pas avoir à vous justifier à l'égard de votre hiérarchie sur ce manquement à votre obligation, vous lui avez demandé à ce que la facture corresponde à un litige et, de façon factice, de mentionner « carrelage cassé ».
De toute évidence, le client a accepté votre sollicitation face à votre insistance tout en émettant des réserves sur la nature de cette demande.
Ce comportement parfaitement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables était destiné à masquer votre carence managériale.
Puis, vous avez sollicité des salariés pour qu'ils acceptent de dire avoir participé à des repas avec vous, repas que vous avez déclaré comme étant professionnels alors qu'en fait vous aviez invité des tiers pour des raisons purement personnelles, en en faisant supporter le coût l'entreprise.
Il s'agit d'un abus de confiance de votre part.
De plus, vous avez fait mentionner des prises de congés payés sur les bulletins de paie de décembre 2019 pour un certain nombre de salariés, congés payés qui n'ont été ni sollicités ni pris par les personnes en question.
Ces dernières se sont manifestées et ont demandé des explications et des rectifications.
Le but de la man'uvre était d'une part de modifier le compte de résultat de la société en diminuant artificiellement la provision pour congés payés, et d'autre part de masquer les carences du service exploitation.
Cette man'uvre, qui constitue une manipulation des comptes, a provoqué le mécontentement justifié des personnes victimes de vos agissements et a surtout montré que la sincérité des comptes que vous devez présenter n'existe pas.
Bien entendu, des réclamations nous ont été adressées ainsi qu'à l'inspection du travail, et ont dû être régularisées, et notamment celle de M. [O].
En outre, l'analyse du compte d'exploitation d'août 2019 à janvier 2020 fait apparaître une très forte détérioration des résultats d'exploitation.
Ainsi, le résultat courant du 1er août au 31 décembre fait apparaître une perte de 226 851 €.
Et s'agissant de 2020, les seuls mois de janvier et février ont généré une perte de 141 839 €.
S'il existe des raisons externes à la dégradation de l'activité, il apparaît en revanche que vous avez été dans l'incapacité d'envisager la moindre action corrective pour limiter les effets, demeurant ainsi sans aucune réaction ni même volonté d'agir, subissant complètement la situation.
Or, vos fonctions vous conduisaient au contraire à analyser la situation, proposer des solutions, les évoquer avec vos supérieurs hiérarchiques.
Là encore, vous avez fait preuve d'une passivité fautive qui a entraîné une perte d'exploitation extrêmement importante, et qui se ressentira dans les années à venir (perte de 365 000 €).
Enfin, vous tenez à certains clients d'entreprise, notamment auprès de Madame [A] [X], l'un des clients principaux de l'entreprise, des propos dénigrants vis-à-vis de celle-ci par rapport à votre situation personnelle.
Naturellement, cela a dégradé l'appréciation de ce client sur l'entreprise.
En votre qualité de salarié (mais aussi de cessionnaires de l'entreprise), vous devez observer un devoir de réserve pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise (que vous avez vendue) ainsi que son développement.
Vous occupez un emploi de cadre et vous devez respecter au minimum une obligation de discrétion, étant bien précisé qu'il vous appartient également de valoriser l'entreprise en permanence auprès de ses partenaires et clients afin de faciliter son développement.
Ces comportements sont totalement incompatibles avec un emploi de cadres de haut niveau comme le vôtre, qui suppose compétence, rigueur, loyauté et exemplarité.
Or, vous avez manqué à toutes ces obligations et vous démontrez une insuffisance professionnelle grave dont les conséquences que vous ne semblez pas envisager, seront importantes pour l'entreprise et le personnel qu'elle emploie.
Il nous est impossible de vous maintenir dans l'entreprise.
Dès lors, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour une cause réelle et sérieuse.
[...] ».
16. Pour voir infirmer le jugement déféré qui a considéré que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, l'appelant fait valoir en premier lieu qu'alors qu'il avait été mis à pied à titre conservatoire, il a finalement été licencié pour insuffisance professionnelle grave, qu'il est manifeste que l'employeur a cherché à contourner la difficulté liée à la prescription des faits invoqués à l'appui du licenciement, antérieurs de plusieurs mois à la convocation à l'entretien préalable et donc prescrits, et que par cet ajustement de cause, l'employeur démontre qu'il voulait se séparer de lui, sa décision de le licencier ayant été prise avant même d'avoir entendu ses explications.
En second lieu, il conteste les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, estimant que les pièces produites par l'employeur n'en font pas la démonstration.
17. La société Zamenhof Exploitation rétorque en substance que les faits reprochés au salarié son démontrés par les pièces qu'elle produit et justifiaient son licenciement.
Réponse de la cour
18. En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Selon l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Par aileurs, l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de direction, l'insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur. Pour justifier le licenciement, les griefs formulés doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciable aux intérêts de celle-ci.
19. La cour constate que la lettre de licenciement mentionne que M. [W] est licencié pour cause réelle et sérieuse, et vise les griefs suivants :
- un comportement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables en ayant demandé à un client de modifier l'objet de sa facture,
- un abus de confiance pour avoir déclaré des repas personnels comme étant professionnels et en en faisant supporter le coût à l'entreprise,
- une man'uvre constitutive d'une manipulation des comptes, en ayant fait mentionner des prises de congés payés sur les bulletins de paie du mois de décembre 2019, congés non sollicités par les salariés,
- avoir tenu des propos dénigrants à l'égard de l'entreprise, alors qu'il était tenu d' un devoir de réserve et d'une obligation de discrétion,
- avoir fait preuve d'une passivité fautive qui a entraîné une perte d'exploitation extrêmement importante.
20. Il en résulte que le licenciement de M. [W] a été prononcé d'une part, pour motif disciplinaire en raison de ses comportements fautifs - comportement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables, abus de confiance, manipulation des comptes et propos dénigrants - et d'autre part, pour motif d'insuffisance professionnelle en raison de la dégradation des résultats d'exploitation.
Les quatre premiers griefs sont en conséquence soumis aux dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail.
21. S'agissant de la modification de l'objet de la facture du client GDV Services, la cour constate que l'employeur avait été informé de ce fait dès le 13 février 2020 par un mail de Mme [L], directrice d'exploitation (pièce 1-3 de l'intimée), soit plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement le 25 mai 2020.
Ce fait est en conséquence prescrit.
22. S'agissant de la mention de prise de congés payés sur les bulletins de salaire du mois de décembre 2019, il ressort de la pièce 22 de l'intimée que des échanges de mails ont eu lieu sur ce sujet le 22 janvier 2020 entre M. [W] et M. [H], responsable des ressources humaines, après qu'un salarié se soit plaint le 21 janvier d'avoir été mis d'office en congés payés au mois de décembre 2019, M. [H] reconnaissant que la prise de congés ne pouvait être imposée aux salariés sans leur accord express ou sans respect du délai de prévenance.
Il en résulte que l'employeur était informé de ces faits plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, faits qui sont en conséquence prescrits.
23. Concernant le dénigrement de la gestion de la société devant l'un de ses principaux clients la société Hennessy, la société intimée produit un mail en date du 18 février 2020 adressée par Mme [L] à M. [H], dans lequel elle relate son entretien avec la responsable de la société Hennessy (pièce 3).
Il en résulte, à supposer que M. [W] ait tenu des propos dénigrants à l'égard de l'entreprise comme le suggère Mme [L], que l'employeur en était informé depuis plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Ce grief est en conséquence prescrit.
24. S'agissant de la fausse déclaration de repas professionnels, la société Zamenhof Exploitation produit un mail en date du 7 avril 2020 adressé à M. [H] par Mme [L] (pièce 2 de l'intimée) dans lequel cette dernière relate que [N] [Z] lui a dit 'un jour' que M. [W] était venu la voir pour lui dire qu'il mettait son nom sur une note de repas bien qu'elle n'ait pas déjeuné avec lui. Mme [L] ajoute : 'C'était le Père [W] qui allait déjeuner avec son fils ou d'autres personnes'.
Les seuls propos de Mme [L], qui ne sont corroborés par aucune autre pièce, ne permettent pas d'établir la matérialité des faits reprochés au salarié, que ce dernier conteste.
Ce grief, qui serait le seul non atteint par la prescription disciplinaire, ne peut être retenu de sorte qu'il ne permet pas à l'employeur de reprendre les griefs analysés ci-dessus dont la prescription a été retenue.
25.Sur la détérioration des résultats d'exploitation,
La société Zamenhof Exploitation invoque les pertes d'exploitation de la société [B] [W] (anciennement société Transports [W]) dont M. [W] devait assurer la gestion, reprochant au salarié d'être resté passif, de ne pas avoir su réagir, analyser la situation, réfléchir à des décisions de réorganisation et proposer un plan d'action pour remédier à la dégradation de la situation, sa carence ayant été constatée lors de la réunion du 3 février 2020.
Toutefois, il convient de constater :
- que la pièce 24 de l'intimée mentionne un résultat d'exploitation positif de 83 924 euros au mois de septembre 2019 et de 33 808 euros au mois d'octobre 2019, alors qu'au mois d'août 2019 au moment de la reprise de la société Transports [W], le résultat d'exploitation était négatif de 62 450 euros, de sorte que les résultats se sont améliorés par rapport à la situation déficitaire antérieure de la société,
- que l'intimée indique elle-même dans ses écritures que la société Transports [W] connaissait de graves difficultés financières au moment de sa reprise, que le secteur du transport est un secteur soumis à une très forte concurrence internationale avec une pression sur les coûts, que les conditions économiques ont changé en fin d'année 2019 et début de l'année 2020 en raison de la politique protectionniste des États-Unis qui ont relevé fortement les taxes sur l'importation des vins et spiritueux, et également en raison de la crise du covid apparue fin 2019 début 2020 en Chine, ces deux principaux marchés d'exportation ayant ainsi été impactés et la société [B] [W], qui avait une forte activité sur le transport des vins et spiritueux vers le port du [Localité 3] pour l'exportation en ayant énormément souffert. Il en résulte que les résultats déficitaires des mois de novembre 2019 à janvier 2020 peuvent s'expliquer par un contexte économique défavorable, non imputable au salarié ;
- que la société Zamenhof Exploitation reproche au salarié son attitude passive face à la situation, sans pour autant expliciter la nature des mesures concrètes qui auraient pu et auraient dû être mises en oeuvre par ce dernier ;
- que M. [W] n'a jamais été alerté ni mis en garde par l'employeur sur l'insuffisance de ses actions,
- qu'au moment de l'engagement de la procédure de licenciement, il n'avait travaillé que 6 mois, ayant été placé en arrêt de travail à compter du 3 février 2020.
26. En considération de ces éléments, la cour considère que l'incapacité objective et durable de M. [W] d'exécuter ses fonctions n'est pas démontrée, et que dès lors l'insuffisance professionnelle alléguée par l'employeur n'est pas caractérisée.
27. Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de dire le licenciement de M. [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la demande en paiement du salaire dû pendant la mise à pied conservatoire
28. M. [W] fait valoir que la période de mise à pied conservatoire du 25 mai au 12 juin 2020 doit être annulée et rémunérée, et sollicite en conséquence un rappel de salaire pour cette période de 19 jours.
29. Toutefois, comme le fait valoir à juste titre la société intimée, M. [W] étant en arrêt de travail pour maladie au cours de la période du 25 mai au 12 juin 2020, il ne peut prétendre au paiement de son salaire.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.
Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
30. Selon l'article L 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
31. Contrairement à ce que soutient la société intimée, dès lors que le salarié a été dispensé d'exécuter le préavis par l'employeur, ce dernier est tenu lui de verser l'indemnité compensatrice de préavis, peu important que le salarié ait été en arrêt de travail pour maladie lors de la dispense d'exécution et ait perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale qui n'ont pas à être déduites.
32. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Zamenhof Exploitation au paiement de la somme de 24 000 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 400 euros brut d'indemnité de congés payés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
33. M. [W] réclame, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, une indemnité égale à 14 mois de salaire, sur la base d' une ancienneté de 17 années.
Il affirme que son ancienneté remonte au 1er octobre 1992 comme le démontrerait le relevé de carrière qu'il produit.
34. La société Zamenhof Exploitation réplique que le salarié ne démontre pas avoir été titulaire d'un contrat de travail antérieur qui lui aurait été transféré en application de l'article L 1224-1 du code du travail, et que son ancienneté étant de moins d'une année, il ne saurait prétendre à une indemnité supérieure à un mois de salaire, en application du barême fixé à l'article L 1235-3 du code du travail.
Réponse de la cour
35.Pour justifier de l'ancienneté de 17 années qu'il revendique, l'appelant produit un relevé de l'Agirc-Arrco relatif aux points de retraite complémentaire qu'il a acquis depuis 1982 (pièce 21) et des procès-verbaux d'assemblée générale de la société Transports [W] le nommant directeur général puis président de la société (pièces 22 et 23).
Ces pièces ne démontrent pas qu'il était titulaire d'un contrat de travail depuis le 1er octobre 1992 qui aurait été transféré à la société Zamenhof Exploitation le 1er août 2019, date de son embauche.
36. L'ancienneté de M. [W] s'élève en conséquence à une année complète ( du 1er août 2019 au 11 septembre 2020), et il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un et deux mois de salaire brut.
Au regard de son âge (55 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, son préjudice sera évalué à la somme de 16 000 euros que la société Zamenhof Exploitation sera condamnée à lui payer, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
Sur la demande indemnitaire pour absence de visite médicale d'embauche
37. S'il n'est pas justifié par l'employeur que M. [W] ait bénéficié d'une visite médicale préalablement à son embauche, l'appelant n'invoque ni ne démontre le préjudice qui en serait résulté.
Sa demande indemnitaire n'est pas fondée et le jugement déféré qui l'a rejetée sera confirmé.
Sur la demande d'indemnité de non-concurrence
38. A l'appui de sa demande, l'appelant rappelle la jurisprudence selon laquelle la clause de non concurrence contenue dans une convention de cession de droits sociaux doit être assortie d'une contrepartie financière lorsque le cédant a la qualité de salarié au moment de son engagement de non-concurrence.
Il fait valoir que l'acte de cession de titres en date du 30 septembre 2019 par lequel il a cédé une action qu'il détenait dans le capital de société [B] [W] lui a imposé une obligation de non-concurrence envers la société Zamenhof Exploitation sans prévoir de contrepartie financière à cette obligation, alors qu'il avait la qualité de salarié de la société Zamenhof Exploitation depuis le 1er août 2019.
Il réclame en conséquence le paiement de l'indemnité de non concurrence prévue à l'article 3 de l'avenant du 17 décembre 2003 à la convention collective nationale du personnel des prestataires de service dans le domaine du secteur tertiaire.
39. L'intimée conclut au rejet de la demande, soutenant en substance :
- que l'engagement de non-concurrence de M. [W] serait antérieur à son recrutement par la société Zamenhof Exploitation, dans la mesure où cet engagement était une des conditions de l'offre de reprise faite le 22 mai 2019 par la société Zamhenof dans le cadre du redressement judiciaire de la société [C] [W], offre entérinée par le tribunal de commerce le 11 juillet 2019,
- que l'engagement de non concurrence de M. [W] n'est pas pris au titre de son contrat de travail avec la société Zamenhof Exploitation, mais au titre de la cession d'une action à la société Zamenhof, société dont il n'est pas le salarié,
- que l'extension du périmètre de l'obligation de non concurrence à la société Zamenhof Exploitation n'entraine pas pour cette dernière l'obligation de verser une contrepartie financière puisque la jurisprudence s'attache à la situation de salarié de la société avec qui la transaction est réalisée.
Réponse de la cour
40. La validité d'une clause de non-concurrence prévue à l'occasion de la cession de droits sociaux est subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière dans le cas où les actionnaires qui la souscrivent avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu'ils se sont engagés à ne pas concurrencer.
41. En l'espèce, par acte en date du 30 septembre 2019, conclu entre M. [W] et Mme [K] [W], d'une part, et les sociétés Zamenhof et Zamenhof Exploitation d'autre part, M. [W] a cédé à la société Zamenhof une action qu'il détenait dans la société [B] [W], et Mme [K] [W] a cédé à la société Zamenhof Exploitation les 60 actions qu'elle détenait dans la société [B] [W].
L'article 10 de l'acte de cession contient une clause de non-concurrence ainsi rédigée :
' Monsieur [C] [W] et Madame [K] [W] s'interdisent de faire concurrence à la société [B] [W] ainsi qu'aux sociétés ZAMENHOF et ZAMENHOF EXPLOITATION et les sociétés dont elles ont le contrôle au sens des articles L 233-1 et L 233-3 du code de commerce, par sollicitation de leurs clients respectifs dont la liste est annexée aux présentes, pour toutes prestations de transport et de logistique, de location de véhicules avec ou sans chauffeurs, et toutes autres prestations connexes réalisées sur le territoire national français, pendant une durée de CINQ ANS à compter du jour de la cession, sous peine de dommages-intérêts envers la société [B] [W] ou envers les sociétés ZAMENHOF EXPLOITATION et ZAMENHOF, outre le droit qu'elles auraient de faire cesser la contravention.
La présente clause ne s'appliquera pour Monsieur [C] [W] qu'à compter de la date de son éventuel départ de la société'.
42. Il ressort des termes de cette clause que M. [W] s'est engagé à ne pas concurrencer la société Zamenhof Exploitation, société dont il était le salarié depuis le 1er août 2019.
Contrairement à ce qu'argue l'intimée, M. [W] n'avait souscrit aucun engagement de non concurrence à son égard avant le 30 septembre 2019, date de la cession de l'unique part qu'il détenait dans la société [B] [W] (anciennement Transports [W]). Ni l'offre d'acquisition des titres détenus par la société [C] [W] dans la société Transports [W] formulée par la société Zamenhof le 22 mai 2019 dans le cadre du redressement judiciaire de la société [C] [W], ni le plan de cession de ladite société arrêté le 11 juillet 2019 par le tribunal de commerce ne sauraient valoir engagement de M. [W] de ne pas concurrencer la société Zamenhof Exploitation.
43. Il en résulte que l'obligation de non concurrence souscrite par M. [W] à l'égard de la société Zamenhof Exploitation alors qu'il avait la qualité de salarié de cette dernière devait faire l'objet d'une contrepartie financière.
M. [W] est fondé à obtenir le paiement de l'indemnité de non concurrence prévue par l'article 3 de l'avenant du 17 décembre 2003 à la convention collective applicable, dès lors que ces dispositions conventionnelles, qui sont plus favorables que la clause de non-concurrence qui ne prévoit aucune contrepartie financière, doivent recevoir application en vertu de l'article L 2254-1 du code du travail.
44. Ces dispositions conventionnelles prévoient que l'indemnité mensuelle de non concurrence est égale au minimum à 25 % du salaire mensuel moyen perçu par le salarié au cours des 12 derniers mois de présence dans l'établissement.
Par infirmation du jugement déféré, la société Zamenhof Exploitation sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 120 000 euros brut (2 000 euros x 60 mois) à titre de contrepartie à l'obligation de non concurrence à laquelle il a été soumis pendant 5 ans.
Sur la demande de la société Zamenhof Exploitation en remboursement d'un trop perçu par le salarié pendant son arrêt maladie
45. A l'appui de sa demande, la société Zamenhof Exploitation affirme qu'au cours de son arrêt de travail, M. [W] aurait perçu une rémunération supérieure à ce qui lui était dû, notamment en raison du rejet de sa déclaration d'accident du travail par la CPAM, qu'une régularisation a été effectuée sur le bulletin de paie du mois de mai 2020, et que le salarié resterait lui devoir la somme de 11 248,93 euros net.
46. M. [W] n'a pas conclu sur ce point.
Réponse de la cour
47. Il ressort des bulletins de paie produits par la société Zamenhof Exploitation (pièce 20) qu'elle a versé à M. [W] pendant son arrêt de travail, pour la période 3 février au 30 avril 2020, une somme totale de 15 558,67 euros net correspondant à des indemnités journalières de sécurité sociale.
L'employeur ne justifie par aucune pièce qu'il aurait versé indûment ces indemnités au salarié, la régularisation qu'il a opérée sur le bulletin de paie du mois de mai 2020 ne pouvant valoir preuve de ce caractère indu.
C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande de remboursement et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
48. Il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié, l'article L 1235-5 du code du travail excluant l'application des dispositions de l'article L 1235-4 lorsque le salarié a moins de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise, ce qui est le cas de M. [W].
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
49. Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et à la demande de M. [W].
50. La société Zamenhof Exploitation devra délivrer à M. [W] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail (anciennement Pôle Emploi) rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il n'y ait lieu au prononcé d'une astreinte qui n'est pas en l'état justifiée.
51. La société Zamenhof Exploitation, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [W] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [W] reposait sur une cause réelle et sérieuse, a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande au titre de l'indemnité de non-concurrence, et a assorti d'une astreinte la remise par l'employeur des documents sociaux rectifiés,
L'infirme de ces chefs,
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Zamenhof Exploitation à payer à M. [W] les sommes suivantes :
- 16 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 120 000 euros brut au titre de l'indemnité de non-concurrence,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Zamenhof Exploitation de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
Dit que la société Zamenhof Exploitation devra délivrer à M. [W] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Condamne la société Zamenhof Exploitation aux dépens ainsi qu'à verser à M. [W] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de la somme allouée à ce titre en première instance.
Signé par Madame Catherine brisset, présidente et par Sandrine Lachaise, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Sandrine Lachaise Catherine Brisset
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
--------------------------
ARRÊT DU : 18 NOVEMBRE 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 22/05115 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6Z7
Monsieur [C] [W]
c/
S.A.S. ZAMENHOF EXPLOITATION
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Me Caroline SALVIAT de la SELAS SALVIAT + JULIEN-PIGNEUX + PUGET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 octobre 2022 (R.G. n°F 21/00022) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGOULEME, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 novembre 2022,
APPELANT :
Monsieur [C] [W]
né le 15 Juin 1965 à [Localité 2]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
assisté et représenté par Me Caroline SALVIAT de la SELAS SALVIAT + Me JULIEN-PIGNEUX + PUGET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me LAROCHE
INTIMÉE :
S.A.S. ZAMENHOF EXPLOITATION prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 4]
N° SIRET : 522 97 1 9 28
assistée et représentée par Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS et Me GALLET, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 septembre 2025 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRISSET, présidente et Madame Laure Quinet, conseillère chargée d'instruire l'affaire
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Brisset, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Laure Quinet, conseillère
Greffière lors des débats : Sandrine Lachaise
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
1. M. [C] [W], né en 1965, a exercé les fonctions de dirigeant de la SAS [C] [W], société holding détenant la SAS Transports [W] et la SAS Transports Voiron.
Les sociétés Transports Voiron et [C] [W] ont été placées en redressement judiciaire par jugements du tribunal de commerce d'Angoulême en date des 7 septembre 2018 et 20 juin 2019.
Par jugements rendus le 11 juillet 2019, le tribunal de commerce a d'une part, autorisé la cession de l'activité de la société Transports Voiron à la SAS Zamenhof, qui fait partie du groupe Jackie [B], avec faculté de substitution au profit de la société Transports [B]-[W] pour l'activité cognac et au profit de la société [B]-Hersand pour l'activité grande distribution ou de toute autre filiale du groupe, et d'autre part, a autorisé la cession de la totalité des titres et participations détenus par la société [C] [W] dans la société Transports [W].
Les sociétés Transports Voiron et [C] [W] ont ensuite été placées en liquidation judiciaire, procédures clôturées pour insuffisance d'actif le 7 septembre 2021.
2. Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 2019, M. [C] [W] a été engagé par la SAS Zamenhof Exploitation en qualité de directeur de région, statut cadre, groupe 7, coefficient 330, moyennant une rémunération brute mensuelle de 8 000 euros.
La convention collective applicable est la convention collective nationale du personnel des prestataires de service du secteur tertiaire.
3. A la suite d'une réunion des directeurs de région qui s'est tenue le 3 février 2020, M. [W] a été placé en arrêt de travail.
Le 11 février 2020, il a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 3 février 2020, invoquant avoir subi un choc psychologique après avoir été agressé verbalement et humilié par M. [M], PDG du groupe [B], lors de la réunion.
Par décision du 11 mai 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente a refusé de prendre en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels et le 8 septembre 2020, la commission de recours amiable a rejeté le recours formé le 23 juin 2020 par M. [W].
4. Par lettre datée du 20 mai 2020 qui lui a été signifiée par huissier de justice le 25 mai 2020, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 juin 2020, et mis à pied à titre conservatoire.
Il a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 9 juin 2020 qui lui a été signifiée par huissier de justice le 12 juin 2020, et dispensé par l'employeur de l'exécution de son préavis de 3 mois.
À la date de son licenciement, M. [W] comptait une ancienneté de 1 an et 1 mois et l'entreprise employait habituellement plus de dix salariés.
5. Par requête reçue le 9 février 2021, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angoulême aux fins de voir juger nul son licenciement et à titre subsidiaire le voir juger sans cause réelle et sérieuse, sollicitant diverses sommes et indemnités au titre de la rupture du contrat de travail, ainsi que le paiement d'une indemnité de non-concurrence.
Par jugement rendu le 17 octobre 2022, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [W] n'est pas nul ;
- dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse ;
- fixé le salaire de référence à 8 000 euros ;
- condamné la société Zamenhof exploitation à payer à M. [W] les sommes suivantes :
* 24 000 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de trois
mois,
* 2 400 euros brut au titre des congés payés sur préavis,
* 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [W] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et pour licenciement brutal et vexatoire,
- débouté M. [W] de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12 juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés,
- débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite
médicale,
- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence,
- débouté M. [W] de sa demande de remboursement des allocations chômage par la société Zamenhof exploitation,
- rappelé que les condamnations relevant des rémunérations sont assorties de plein droit de l'exécution provisoire conformément à l'article R.1454-28 du code du travail,
- assorti lesdites sommes de l'intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme à compter du prononcé du jugement,
- ordonné à la société Zamenhof exploitation d'établir et de remettre à M. [W] l'ensemble des documents rectifiés et conformes aux décisions du présent jugement sous astreinte de 25 euros par jour de retard et à compter du 15e jour suivant la notification de la décision à intervenir et pendant trois mois,
- mis la totalité des dépens à la charge de la société Zamenhof exploitation,
- rappelé que sur présentation d'une copie exécutoire de la présente décision, les frais éventuels d'exécution forcée seront à la charge du débiteur dans la limite des dispositions de l'article L. 118 alinéa 1 du code des procédures civiles d'exécution,
- débouté la société Zamenhof exploitation de sa demande de remboursement de la somme de 11 248,93 euros,
- débouté la société Zamenhof exploitation de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
6. Par déclaration communiquée par voie électronique le 7 novembre 2022, M. [W] a relevé appel de cette décision.
7. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 25 janvier 2023, M. [W] demande à la cour de :
' - infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angoulême le 17 octobre 2022 en ce qu'il :
- a dit que son licenciement n'est pas nul,
- a dit que le licenciement a une cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts sur la nullité de son licenciement,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans
cause réelle et sérieuse,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour le licenciement
brutal et vexatoire,
- l'a débouté de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12
juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite
médicale,
- l'a débouté de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause
de non-concurrence,
- l'a débouté de sa demande du remboursement des allocations chômage par la société Zamenhof exploitation,
Statuant de nouveau,
A titre principal,
- dire que son licenciement prononcé en cours de période de protection est nul ;
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 192 000 euros,
A titre subsidiaire,
- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 112 000 euros,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire que son licenciement est intervenu dans des circonstances vexatoires,
En conséquence,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser, à titre de dommages et intérêts, la somme de 50 000 euros,
En tout état de cause,
- condamner la société Zamenhof exploitation à lui verser :
* Salaires pour la période du 25/05/2020 au 12/06/2020 : 5.066,66 euros bruts
* ICCP sur période correspondante : 506,66 euros bruts
* Indemnité de préavis : 24.000 euros bruts
* ICCP sur préavis : 2.400 euros bruts
* Dommages intérêts pour défaut de visite médicale d'embauche : 8.000 euros
* Indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence : 120.000 euros brut
* Indemnité au titre de l'article 700 du CPC pour la procédure d'appel : 4.000 euros
* Entiers dépens de première instance et d'appel
- assortir lesdites sommes de l'Intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme,
- ordonner la remise de documents sociaux sous astreinte de 75 euros par jour suivant la notification de la décision à intervenir, le conseil se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,
- condamner la société Zamenhof exploitation au remboursement des allocations chômage,
- fixer le salaire de référence à 8 000 euros bruts ' .
8. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 30 mars 2023, la société Zamenhof exploitation demande à la cour de :
' Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- DIT que le licenciement de Monsieur [W] n'est pas nul ;
- DIT que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- DEBOUTÉ Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts sur la nullité de son licenciement ;
- DEBOUTÉ Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour le licenciement brutal et vexatoire ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de salaire pour la période du 25 mai 2020 au 12 juin 2020 ainsi que des indemnités de congés payés ; -
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale ; -
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande d'indemnité compensatrice au titre de la clause de non-concurrence ;
- DEBOUTE Monsieur [W] de sa demande du remboursement des allocations chômages par la Société ZAMENHOF EXPLOITATION.
Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- CONDAMNÉ la société ZAMENHOF EXPLOITATION, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes :
* 24.000€ brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de 3 mois
* 2.400€ brut au titre des congés payés sur préavis
* 1.500€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- DEBOUTE la Société ZAMENHOF EXPLOITATION de sa demande de remboursement de la somme de 11 248,93 € ;
- DEBOUTE la Société ZAMENHOF EXPLOITATION de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
- MET la totalité des dépens à la charge de la Société ZAMENHOF EXPLOITATION prise en la personne de son représentant légal.
Statuant à nouveau :
- DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande d'indemnité au titre de l'indemnité
compensatrice de préavis de 3 mois ainsi que les congés payés afférents ;
- CONDAMNER Monsieur [R] [W] à verser à la société ZAMENHOF
EXPLOITATION la somme de 11.248,93€ au titre du remboursement de la régularisation des trop perçus majorée des intérêts à taux légal depuis le 11 septembre 2020 ;
- CONDAMNER Monsieur [C] [W] à payer à la société ZAMENHOF
EXPLOITATION la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Y ajoutant :
- Condamner Monsieur [C] [W] à payer à la société ZAMENHOF EXPLOITATION la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour la procédure d'appel.
- Condamner Monsieur [C] [W] aux dépens.'
9. L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 29 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de nullité du licenciement,
10. Au visa des articles L 1226-7 et L 1226-9 du code du travail, M. [W] soutient :
- que la société Zamenhof Exploitation ne pouvait le licencier que pour faute grave ou en raison d'une impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie dès lors qu'étant en arrêt de travail, il avait saisi la CPAM d'une demande de reconnaissance d'accident du travail,
- que même si la CPAM avait rejeté sa demande, il devait bénéficier de la protection de l'article L 1226-9 du code du travail jusqu'à ce que la décision de l'organisme social présente un caractère définitif ; qu'à la date de son licenciement, la décision de la CPAM de rejet de prise en charge de l'accident n'était pas définitive dans la mesure où le délai de recours n'était pas expiré, et qu' il devait par conséquent bénéficier de la présomption d'imputabilité de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, l'accident du 3 février 2020 étant survenu sur le lieu et pendant le temps de travail ;
- qu'il ne pouvait être licencié pour insuffisance professionnelle, motif non visé par l'article L 1226-9 du code du travail contrairement à ce que soutient l'intimée.
11. La société Zamenhof Exploitation soutient que M. [W] ne peut prétendre au bénéfice de la protection de l'article L 1226-9 du code du travail aux motifs :
- que la réalité de l'accident du travail dont il prétend avoir été victime n'est pas démontrée. Elle fait valoir que huit participants à la réunion du 3 février 2020 témoignent de façon concordante que M. [W] s'est trouvé en difficulté en raison de son absence de préparation de la réunion et pris en défaut, a quitté subitement et sans explication la réunion. Elle ajoute que l'arrêt de travail initial qui lui a été délivré du 3 au 10 février 2020 était un arrêt de travail pour maladie ordinaire, son médecin traitant ne lui ayant délivré un arrêt de travail pour accident du travail qu'à compter du 11 février 2020,
- que la CPAM a refusé de prendre en charge l'accident au titre des risques professionnels par décision du 11 mai 2020, de sorte qu'à la date du licenciement, le salarié n'était plus en arrêt de travail pour accident du travail mais pour maladie ordinaire,
- que M. [W] a formé un recours contre la décision de la CPAM postérieurement à son licenciement, recours dont elle n'avait pas connaissance lors de la notification de la rupture du contrat de travail.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a licencié le salarié du fait de l'impossibilité de maintenir son contrat de travail en raison de sa déloyauté, de son manque d'exemplarité et de rigueur, motif de rupture qui selon elle entre dans le cadre de l'article L 1226-9 du code du travail.
Réponse de la cour
12. Selon les articles L1226-7 et L1226-9 du code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie. Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.
En application de l'article L1226-13 du code du travail, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l' article L1226-9 est nulle.
Les règles protectrices édictées par l'article L 1226-9 s'appliquent dès lors que la suspension du contrat de travail a pour origine, au moins partiellement, un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il appartient au juge prud'homal de rechercher si l'arrêt de travail du salarié avait pour origine, au moins partiellement, un accident du travail, et en cas de contestation de l'existence de cet accident, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties, la seule demande du salarié faite à l'organisme social de reconnaître l'accident du travail étant insuffisante.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Si la survenance de l'accident aux temps et lieu de travail est de nature à faire présumer que l'accident est imputable au travail, il n'en reste pas moins que la matérialité du fait accidentel invoqué par le salarié doit être établie préalablement à la mise en jeu de cette présomption.
13. En l'espèce, l'appelant prétend que lors de la réunion des directeurs régionaux qui s'est tenue le 3 février 2020, il a été publiquement pris à partie par M. [M] qui aurait remis en cause ses résultats et ses qualités de gestionnaire, et lui aurait indiqué qu'il allait « dégager ».
Il produit le questionnaire qu'il a rempli dans le cadre de l'instruction par la CPAM de sa demande de prise en charge de l'accident et son courrier de recours contre la décision de la CPAM de refus de prise en charge ( pièce 10) dans lesquels il déclare avoir été victime d'une agression verbale de la part de M. [M] qui l'aurait humilié et agressé devant ses collaborateurs, qu'heurté par la violence de ses propos, il a eu subitement un malaise constaté le jour même par le docteur [V], et que l'agression verbale dont il a été victime lui a occasionné un choc psychologique.
Toutefois, la cour constate que l'appelant ne produit aucune pièce corroborant ses affirmations selon laquelle M. [M] aurait eu à son égard des propos inadaptés, humiliants ou agressifs.
De son côté, la société intimée produit les attestations de huit directeurs régionaux ayant participé à la réunion du 3 février 2020, qui expliquent que le but des réunions des directeurs de région est de présenter et d'analyser les résultats de chaque région et si nécessaire de présenter un plan d'action pour remédier aux situations déficitaires. Ils déclarent tous que lors de son intervention pour présenter ses résultats et le plan d'action mis en place pour remédier à ses mauvais chiffres, M. [W] s'est trouvé en difficulté dans la mesure où il n'avait visiblement pas préparé son intervention, et a quitté la salle. Aucun de ses témoins ne fait mention de propos agressifs ou humiliants qu'aurait tenus M. [M], ni d'un malaise de M. [W].
M. [U] précise que le salarié a quitté la salle en claquant la porte 'malgré l'insistance du président à rester à la réunion' ; M. [Y] que le salarié a quitté la séance 'abandonnant ainsi la réunion à la stupéfaction de tous' ; M. [J] que M. [W] 'a préféré quitter la salle sans aucune explication, très certainement mal à l'aise de cette situation non assumée' ; M. [G], précisant que lors des réunions, chacun a l'occasion de s'exprimer librement et de faire part des difficultés qu'il rencontre et que les échanges y sont cordiaux et courtois, indique que M. [W] ' s'est emporté et a quitté la réunion de façon subite et inadaptée aux circonstances, à la grande stupeur générale'.
Au cours de l'enquête menée par la CPAM dans le cadre de la saisine par le salarié de la commission de recours amiable (pièce 9 de l'appelant), MM. [E] et [T], présents à la réunion et cités comme témoins par M. [W], ont confirmé qu'il n'y avait pas eu de propos insultants ou dégradants à l'égard du salarié, que la discussion est restée dans le cadre d'un échange normal entre un directeur de région et sa hiérarchie
Enfin, il y a lieu de relever que l'arrêt de travail initial qui a été délivré au salarié par le docteur [V] pour maladie ordinaire pour la période du 3 au 10 février 2020 ne fait pas mention d'un malaise ou d'un choc psychologique, ni d'ailleurs d'un quelconque trouble psychologique.
14. En considération de ces éléments, la matérialité du fait accidentel allégué par le salarié, à savoir une agression verbale de la part de son supérieur hiérarchique, n'est pas établie, et partant, l'existence d'un accident du travail n'est pas démontrée, alors en outre qu'à la date de la rupture, l'employeur était uniquement informé du rejet de prise en charge au titre des risques professionnels par la CPAM.
L'arrêt de travail de M. [W] n'ayant pas, même partiellement, pour origine un accident du travail, il ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article
L 1226-9 du code du travail.
Le jugement déféré qui a rejeté sa demande de nullité du licenciement sera confirmé.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement,
15. La lettre de licenciement adressée le 9 juin 2020, M. [W] est ainsi rédigée :
« [...]
Pour rappel, la société ZAMENHOF a racheté votre entreprise de transports en 2019 et vous êtes salarié de la société ZAMENHOF EXPLOITATION depuis le 1er Août 2019.
À ce titre, et en votre qualité de Directeur de Région, vous avez la charge, pleine et entière, de la direction de la société [B] [W].
Vous bénéficiez à ce titre du soutien et de la dynamique des sociétés ZAMENHOF EXPLOITATION et de l'enseigne JACKY [B].
Nous constatons de votre part des comportements qui ne sont pas ce que nous sommes en droit d'attendre d'un Cadre de votre niveau et de votre expérience professionnelle.
Ces comportements anormaux ne correspondent pas à des pratiques normales et ont pour but de dissimuler des manquements professionnels ou éthiques inacceptables et graves.
De ce fait, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au mercredi 03 juin 2020 à 15h00, dans les locaux de [Localité 5] (26) auquel vous vous êtes présenté seul.
Au cours de cet entretien, les faits reprochés vous ont été exposés.
En premier lieu, nous vous reprochons d'avoir demandé au client GDV SERVICES de modifier de façon substantielle une facture afin de masquer votre propre carence en remplaçant le libellé, et donc l'objet de la facture.
En effet, la facture visait initialement à couvrir un arriéré de palettes Europe à restituer et, pour ne pas avoir à vous justifier à l'égard de votre hiérarchie sur ce manquement à votre obligation, vous lui avez demandé à ce que la facture corresponde à un litige et, de façon factice, de mentionner « carrelage cassé ».
De toute évidence, le client a accepté votre sollicitation face à votre insistance tout en émettant des réserves sur la nature de cette demande.
Ce comportement parfaitement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables était destiné à masquer votre carence managériale.
Puis, vous avez sollicité des salariés pour qu'ils acceptent de dire avoir participé à des repas avec vous, repas que vous avez déclaré comme étant professionnels alors qu'en fait vous aviez invité des tiers pour des raisons purement personnelles, en en faisant supporter le coût l'entreprise.
Il s'agit d'un abus de confiance de votre part.
De plus, vous avez fait mentionner des prises de congés payés sur les bulletins de paie de décembre 2019 pour un certain nombre de salariés, congés payés qui n'ont été ni sollicités ni pris par les personnes en question.
Ces dernières se sont manifestées et ont demandé des explications et des rectifications.
Le but de la man'uvre était d'une part de modifier le compte de résultat de la société en diminuant artificiellement la provision pour congés payés, et d'autre part de masquer les carences du service exploitation.
Cette man'uvre, qui constitue une manipulation des comptes, a provoqué le mécontentement justifié des personnes victimes de vos agissements et a surtout montré que la sincérité des comptes que vous devez présenter n'existe pas.
Bien entendu, des réclamations nous ont été adressées ainsi qu'à l'inspection du travail, et ont dû être régularisées, et notamment celle de M. [O].
En outre, l'analyse du compte d'exploitation d'août 2019 à janvier 2020 fait apparaître une très forte détérioration des résultats d'exploitation.
Ainsi, le résultat courant du 1er août au 31 décembre fait apparaître une perte de 226 851 €.
Et s'agissant de 2020, les seuls mois de janvier et février ont généré une perte de 141 839 €.
S'il existe des raisons externes à la dégradation de l'activité, il apparaît en revanche que vous avez été dans l'incapacité d'envisager la moindre action corrective pour limiter les effets, demeurant ainsi sans aucune réaction ni même volonté d'agir, subissant complètement la situation.
Or, vos fonctions vous conduisaient au contraire à analyser la situation, proposer des solutions, les évoquer avec vos supérieurs hiérarchiques.
Là encore, vous avez fait preuve d'une passivité fautive qui a entraîné une perte d'exploitation extrêmement importante, et qui se ressentira dans les années à venir (perte de 365 000 €).
Enfin, vous tenez à certains clients d'entreprise, notamment auprès de Madame [A] [X], l'un des clients principaux de l'entreprise, des propos dénigrants vis-à-vis de celle-ci par rapport à votre situation personnelle.
Naturellement, cela a dégradé l'appréciation de ce client sur l'entreprise.
En votre qualité de salarié (mais aussi de cessionnaires de l'entreprise), vous devez observer un devoir de réserve pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise (que vous avez vendue) ainsi que son développement.
Vous occupez un emploi de cadre et vous devez respecter au minimum une obligation de discrétion, étant bien précisé qu'il vous appartient également de valoriser l'entreprise en permanence auprès de ses partenaires et clients afin de faciliter son développement.
Ces comportements sont totalement incompatibles avec un emploi de cadres de haut niveau comme le vôtre, qui suppose compétence, rigueur, loyauté et exemplarité.
Or, vous avez manqué à toutes ces obligations et vous démontrez une insuffisance professionnelle grave dont les conséquences que vous ne semblez pas envisager, seront importantes pour l'entreprise et le personnel qu'elle emploie.
Il nous est impossible de vous maintenir dans l'entreprise.
Dès lors, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour une cause réelle et sérieuse.
[...] ».
16. Pour voir infirmer le jugement déféré qui a considéré que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, l'appelant fait valoir en premier lieu qu'alors qu'il avait été mis à pied à titre conservatoire, il a finalement été licencié pour insuffisance professionnelle grave, qu'il est manifeste que l'employeur a cherché à contourner la difficulté liée à la prescription des faits invoqués à l'appui du licenciement, antérieurs de plusieurs mois à la convocation à l'entretien préalable et donc prescrits, et que par cet ajustement de cause, l'employeur démontre qu'il voulait se séparer de lui, sa décision de le licencier ayant été prise avant même d'avoir entendu ses explications.
En second lieu, il conteste les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, estimant que les pièces produites par l'employeur n'en font pas la démonstration.
17. La société Zamenhof Exploitation rétorque en substance que les faits reprochés au salarié son démontrés par les pièces qu'elle produit et justifiaient son licenciement.
Réponse de la cour
18. En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Selon l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Par aileurs, l'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de direction, l'insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur. Pour justifier le licenciement, les griefs formulés doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciable aux intérêts de celle-ci.
19. La cour constate que la lettre de licenciement mentionne que M. [W] est licencié pour cause réelle et sérieuse, et vise les griefs suivants :
- un comportement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables en ayant demandé à un client de modifier l'objet de sa facture,
- un abus de confiance pour avoir déclaré des repas personnels comme étant professionnels et en en faisant supporter le coût à l'entreprise,
- une man'uvre constitutive d'une manipulation des comptes, en ayant fait mentionner des prises de congés payés sur les bulletins de paie du mois de décembre 2019, congés non sollicités par les salariés,
- avoir tenu des propos dénigrants à l'égard de l'entreprise, alors qu'il était tenu d' un devoir de réserve et d'une obligation de discrétion,
- avoir fait preuve d'une passivité fautive qui a entraîné une perte d'exploitation extrêmement importante.
20. Il en résulte que le licenciement de M. [W] a été prononcé d'une part, pour motif disciplinaire en raison de ses comportements fautifs - comportement déloyal et incitatif à la constitution de faux documents comptables, abus de confiance, manipulation des comptes et propos dénigrants - et d'autre part, pour motif d'insuffisance professionnelle en raison de la dégradation des résultats d'exploitation.
Les quatre premiers griefs sont en conséquence soumis aux dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail.
21. S'agissant de la modification de l'objet de la facture du client GDV Services, la cour constate que l'employeur avait été informé de ce fait dès le 13 février 2020 par un mail de Mme [L], directrice d'exploitation (pièce 1-3 de l'intimée), soit plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement le 25 mai 2020.
Ce fait est en conséquence prescrit.
22. S'agissant de la mention de prise de congés payés sur les bulletins de salaire du mois de décembre 2019, il ressort de la pièce 22 de l'intimée que des échanges de mails ont eu lieu sur ce sujet le 22 janvier 2020 entre M. [W] et M. [H], responsable des ressources humaines, après qu'un salarié se soit plaint le 21 janvier d'avoir été mis d'office en congés payés au mois de décembre 2019, M. [H] reconnaissant que la prise de congés ne pouvait être imposée aux salariés sans leur accord express ou sans respect du délai de prévenance.
Il en résulte que l'employeur était informé de ces faits plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, faits qui sont en conséquence prescrits.
23. Concernant le dénigrement de la gestion de la société devant l'un de ses principaux clients la société Hennessy, la société intimée produit un mail en date du 18 février 2020 adressée par Mme [L] à M. [H], dans lequel elle relate son entretien avec la responsable de la société Hennessy (pièce 3).
Il en résulte, à supposer que M. [W] ait tenu des propos dénigrants à l'égard de l'entreprise comme le suggère Mme [L], que l'employeur en était informé depuis plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Ce grief est en conséquence prescrit.
24. S'agissant de la fausse déclaration de repas professionnels, la société Zamenhof Exploitation produit un mail en date du 7 avril 2020 adressé à M. [H] par Mme [L] (pièce 2 de l'intimée) dans lequel cette dernière relate que [N] [Z] lui a dit 'un jour' que M. [W] était venu la voir pour lui dire qu'il mettait son nom sur une note de repas bien qu'elle n'ait pas déjeuné avec lui. Mme [L] ajoute : 'C'était le Père [W] qui allait déjeuner avec son fils ou d'autres personnes'.
Les seuls propos de Mme [L], qui ne sont corroborés par aucune autre pièce, ne permettent pas d'établir la matérialité des faits reprochés au salarié, que ce dernier conteste.
Ce grief, qui serait le seul non atteint par la prescription disciplinaire, ne peut être retenu de sorte qu'il ne permet pas à l'employeur de reprendre les griefs analysés ci-dessus dont la prescription a été retenue.
25.Sur la détérioration des résultats d'exploitation,
La société Zamenhof Exploitation invoque les pertes d'exploitation de la société [B] [W] (anciennement société Transports [W]) dont M. [W] devait assurer la gestion, reprochant au salarié d'être resté passif, de ne pas avoir su réagir, analyser la situation, réfléchir à des décisions de réorganisation et proposer un plan d'action pour remédier à la dégradation de la situation, sa carence ayant été constatée lors de la réunion du 3 février 2020.
Toutefois, il convient de constater :
- que la pièce 24 de l'intimée mentionne un résultat d'exploitation positif de 83 924 euros au mois de septembre 2019 et de 33 808 euros au mois d'octobre 2019, alors qu'au mois d'août 2019 au moment de la reprise de la société Transports [W], le résultat d'exploitation était négatif de 62 450 euros, de sorte que les résultats se sont améliorés par rapport à la situation déficitaire antérieure de la société,
- que l'intimée indique elle-même dans ses écritures que la société Transports [W] connaissait de graves difficultés financières au moment de sa reprise, que le secteur du transport est un secteur soumis à une très forte concurrence internationale avec une pression sur les coûts, que les conditions économiques ont changé en fin d'année 2019 et début de l'année 2020 en raison de la politique protectionniste des États-Unis qui ont relevé fortement les taxes sur l'importation des vins et spiritueux, et également en raison de la crise du covid apparue fin 2019 début 2020 en Chine, ces deux principaux marchés d'exportation ayant ainsi été impactés et la société [B] [W], qui avait une forte activité sur le transport des vins et spiritueux vers le port du [Localité 3] pour l'exportation en ayant énormément souffert. Il en résulte que les résultats déficitaires des mois de novembre 2019 à janvier 2020 peuvent s'expliquer par un contexte économique défavorable, non imputable au salarié ;
- que la société Zamenhof Exploitation reproche au salarié son attitude passive face à la situation, sans pour autant expliciter la nature des mesures concrètes qui auraient pu et auraient dû être mises en oeuvre par ce dernier ;
- que M. [W] n'a jamais été alerté ni mis en garde par l'employeur sur l'insuffisance de ses actions,
- qu'au moment de l'engagement de la procédure de licenciement, il n'avait travaillé que 6 mois, ayant été placé en arrêt de travail à compter du 3 février 2020.
26. En considération de ces éléments, la cour considère que l'incapacité objective et durable de M. [W] d'exécuter ses fonctions n'est pas démontrée, et que dès lors l'insuffisance professionnelle alléguée par l'employeur n'est pas caractérisée.
27. Par voie d'infirmation du jugement, il y a lieu de dire le licenciement de M. [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la demande en paiement du salaire dû pendant la mise à pied conservatoire
28. M. [W] fait valoir que la période de mise à pied conservatoire du 25 mai au 12 juin 2020 doit être annulée et rémunérée, et sollicite en conséquence un rappel de salaire pour cette période de 19 jours.
29. Toutefois, comme le fait valoir à juste titre la société intimée, M. [W] étant en arrêt de travail pour maladie au cours de la période du 25 mai au 12 juin 2020, il ne peut prétendre au paiement de son salaire.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande.
Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
30. Selon l'article L 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
31. Contrairement à ce que soutient la société intimée, dès lors que le salarié a été dispensé d'exécuter le préavis par l'employeur, ce dernier est tenu lui de verser l'indemnité compensatrice de préavis, peu important que le salarié ait été en arrêt de travail pour maladie lors de la dispense d'exécution et ait perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale qui n'ont pas à être déduites.
32. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Zamenhof Exploitation au paiement de la somme de 24 000 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis outre 2 400 euros brut d'indemnité de congés payés.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
33. M. [W] réclame, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, une indemnité égale à 14 mois de salaire, sur la base d' une ancienneté de 17 années.
Il affirme que son ancienneté remonte au 1er octobre 1992 comme le démontrerait le relevé de carrière qu'il produit.
34. La société Zamenhof Exploitation réplique que le salarié ne démontre pas avoir été titulaire d'un contrat de travail antérieur qui lui aurait été transféré en application de l'article L 1224-1 du code du travail, et que son ancienneté étant de moins d'une année, il ne saurait prétendre à une indemnité supérieure à un mois de salaire, en application du barême fixé à l'article L 1235-3 du code du travail.
Réponse de la cour
35.Pour justifier de l'ancienneté de 17 années qu'il revendique, l'appelant produit un relevé de l'Agirc-Arrco relatif aux points de retraite complémentaire qu'il a acquis depuis 1982 (pièce 21) et des procès-verbaux d'assemblée générale de la société Transports [W] le nommant directeur général puis président de la société (pièces 22 et 23).
Ces pièces ne démontrent pas qu'il était titulaire d'un contrat de travail depuis le 1er octobre 1992 qui aurait été transféré à la société Zamenhof Exploitation le 1er août 2019, date de son embauche.
36. L'ancienneté de M. [W] s'élève en conséquence à une année complète ( du 1er août 2019 au 11 septembre 2020), et il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un et deux mois de salaire brut.
Au regard de son âge (55 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, son préjudice sera évalué à la somme de 16 000 euros que la société Zamenhof Exploitation sera condamnée à lui payer, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
Sur la demande indemnitaire pour absence de visite médicale d'embauche
37. S'il n'est pas justifié par l'employeur que M. [W] ait bénéficié d'une visite médicale préalablement à son embauche, l'appelant n'invoque ni ne démontre le préjudice qui en serait résulté.
Sa demande indemnitaire n'est pas fondée et le jugement déféré qui l'a rejetée sera confirmé.
Sur la demande d'indemnité de non-concurrence
38. A l'appui de sa demande, l'appelant rappelle la jurisprudence selon laquelle la clause de non concurrence contenue dans une convention de cession de droits sociaux doit être assortie d'une contrepartie financière lorsque le cédant a la qualité de salarié au moment de son engagement de non-concurrence.
Il fait valoir que l'acte de cession de titres en date du 30 septembre 2019 par lequel il a cédé une action qu'il détenait dans le capital de société [B] [W] lui a imposé une obligation de non-concurrence envers la société Zamenhof Exploitation sans prévoir de contrepartie financière à cette obligation, alors qu'il avait la qualité de salarié de la société Zamenhof Exploitation depuis le 1er août 2019.
Il réclame en conséquence le paiement de l'indemnité de non concurrence prévue à l'article 3 de l'avenant du 17 décembre 2003 à la convention collective nationale du personnel des prestataires de service dans le domaine du secteur tertiaire.
39. L'intimée conclut au rejet de la demande, soutenant en substance :
- que l'engagement de non-concurrence de M. [W] serait antérieur à son recrutement par la société Zamenhof Exploitation, dans la mesure où cet engagement était une des conditions de l'offre de reprise faite le 22 mai 2019 par la société Zamhenof dans le cadre du redressement judiciaire de la société [C] [W], offre entérinée par le tribunal de commerce le 11 juillet 2019,
- que l'engagement de non concurrence de M. [W] n'est pas pris au titre de son contrat de travail avec la société Zamenhof Exploitation, mais au titre de la cession d'une action à la société Zamenhof, société dont il n'est pas le salarié,
- que l'extension du périmètre de l'obligation de non concurrence à la société Zamenhof Exploitation n'entraine pas pour cette dernière l'obligation de verser une contrepartie financière puisque la jurisprudence s'attache à la situation de salarié de la société avec qui la transaction est réalisée.
Réponse de la cour
40. La validité d'une clause de non-concurrence prévue à l'occasion de la cession de droits sociaux est subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière dans le cas où les actionnaires qui la souscrivent avaient, à la date de leur engagement, la qualité de salariés de la société qu'ils se sont engagés à ne pas concurrencer.
41. En l'espèce, par acte en date du 30 septembre 2019, conclu entre M. [W] et Mme [K] [W], d'une part, et les sociétés Zamenhof et Zamenhof Exploitation d'autre part, M. [W] a cédé à la société Zamenhof une action qu'il détenait dans la société [B] [W], et Mme [K] [W] a cédé à la société Zamenhof Exploitation les 60 actions qu'elle détenait dans la société [B] [W].
L'article 10 de l'acte de cession contient une clause de non-concurrence ainsi rédigée :
' Monsieur [C] [W] et Madame [K] [W] s'interdisent de faire concurrence à la société [B] [W] ainsi qu'aux sociétés ZAMENHOF et ZAMENHOF EXPLOITATION et les sociétés dont elles ont le contrôle au sens des articles L 233-1 et L 233-3 du code de commerce, par sollicitation de leurs clients respectifs dont la liste est annexée aux présentes, pour toutes prestations de transport et de logistique, de location de véhicules avec ou sans chauffeurs, et toutes autres prestations connexes réalisées sur le territoire national français, pendant une durée de CINQ ANS à compter du jour de la cession, sous peine de dommages-intérêts envers la société [B] [W] ou envers les sociétés ZAMENHOF EXPLOITATION et ZAMENHOF, outre le droit qu'elles auraient de faire cesser la contravention.
La présente clause ne s'appliquera pour Monsieur [C] [W] qu'à compter de la date de son éventuel départ de la société'.
42. Il ressort des termes de cette clause que M. [W] s'est engagé à ne pas concurrencer la société Zamenhof Exploitation, société dont il était le salarié depuis le 1er août 2019.
Contrairement à ce qu'argue l'intimée, M. [W] n'avait souscrit aucun engagement de non concurrence à son égard avant le 30 septembre 2019, date de la cession de l'unique part qu'il détenait dans la société [B] [W] (anciennement Transports [W]). Ni l'offre d'acquisition des titres détenus par la société [C] [W] dans la société Transports [W] formulée par la société Zamenhof le 22 mai 2019 dans le cadre du redressement judiciaire de la société [C] [W], ni le plan de cession de ladite société arrêté le 11 juillet 2019 par le tribunal de commerce ne sauraient valoir engagement de M. [W] de ne pas concurrencer la société Zamenhof Exploitation.
43. Il en résulte que l'obligation de non concurrence souscrite par M. [W] à l'égard de la société Zamenhof Exploitation alors qu'il avait la qualité de salarié de cette dernière devait faire l'objet d'une contrepartie financière.
M. [W] est fondé à obtenir le paiement de l'indemnité de non concurrence prévue par l'article 3 de l'avenant du 17 décembre 2003 à la convention collective applicable, dès lors que ces dispositions conventionnelles, qui sont plus favorables que la clause de non-concurrence qui ne prévoit aucune contrepartie financière, doivent recevoir application en vertu de l'article L 2254-1 du code du travail.
44. Ces dispositions conventionnelles prévoient que l'indemnité mensuelle de non concurrence est égale au minimum à 25 % du salaire mensuel moyen perçu par le salarié au cours des 12 derniers mois de présence dans l'établissement.
Par infirmation du jugement déféré, la société Zamenhof Exploitation sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 120 000 euros brut (2 000 euros x 60 mois) à titre de contrepartie à l'obligation de non concurrence à laquelle il a été soumis pendant 5 ans.
Sur la demande de la société Zamenhof Exploitation en remboursement d'un trop perçu par le salarié pendant son arrêt maladie
45. A l'appui de sa demande, la société Zamenhof Exploitation affirme qu'au cours de son arrêt de travail, M. [W] aurait perçu une rémunération supérieure à ce qui lui était dû, notamment en raison du rejet de sa déclaration d'accident du travail par la CPAM, qu'une régularisation a été effectuée sur le bulletin de paie du mois de mai 2020, et que le salarié resterait lui devoir la somme de 11 248,93 euros net.
46. M. [W] n'a pas conclu sur ce point.
Réponse de la cour
47. Il ressort des bulletins de paie produits par la société Zamenhof Exploitation (pièce 20) qu'elle a versé à M. [W] pendant son arrêt de travail, pour la période 3 février au 30 avril 2020, une somme totale de 15 558,67 euros net correspondant à des indemnités journalières de sécurité sociale.
L'employeur ne justifie par aucune pièce qu'il aurait versé indûment ces indemnités au salarié, la régularisation qu'il a opérée sur le bulletin de paie du mois de mai 2020 ne pouvant valoir preuve de ce caractère indu.
C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande de remboursement et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
48. Il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées au salarié, l'article L 1235-5 du code du travail excluant l'application des dispositions de l'article L 1235-4 lorsque le salarié a moins de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise, ce qui est le cas de M. [W].
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
49. Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et à la demande de M. [W].
50. La société Zamenhof Exploitation devra délivrer à M. [W] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail (anciennement Pôle Emploi) rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il n'y ait lieu au prononcé d'une astreinte qui n'est pas en l'état justifiée.
51. La société Zamenhof Exploitation, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [W] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [W] reposait sur une cause réelle et sérieuse, a débouté M. [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande au titre de l'indemnité de non-concurrence, et a assorti d'une astreinte la remise par l'employeur des documents sociaux rectifiés,
L'infirme de ces chefs,
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Zamenhof Exploitation à payer à M. [W] les sommes suivantes :
- 16 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 120 000 euros brut au titre de l'indemnité de non-concurrence,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Zamenhof Exploitation de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
Dit que la société Zamenhof Exploitation devra délivrer à M. [W] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation France Travail rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Condamne la société Zamenhof Exploitation aux dépens ainsi qu'à verser à M. [W] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de la somme allouée à ce titre en première instance.
Signé par Madame Catherine brisset, présidente et par Sandrine Lachaise, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Sandrine Lachaise Catherine Brisset