CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 18 novembre 2025, n° 25/02458
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Jdeform (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Lacheze, M. Varichon
Avocats :
Me Lesenechal, Me Gallo, SELAS Dénovo
FAITS ET PROCÉDURE
La société à responsabilité limitée à associé unique JDEFORM a été constituée en 2011 par M. [D] pour l'exercice d'une activité de centre de remise en forme.
La société JDEFORME exerçait son activité dans un local situé à [Localité 12] (93) appartenant à la société [L] [Localité 13].
La société JDEFORM ayant constitué un arriéré locatif, le bailleur, par acte du 17 décembre 2021, lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail portant sur la somme de 187.943,15 euros, puis l'a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, d'expulsion et de condamnation au paiement provisionnel de l'arriéré locatif.
Par ordonnance du 30 mai 2022, le juge a dit n'y avoir lieu à référé au regard de l'existence d'une contestation sérieuse portant sur l'exigibilité des loyers appelés pendant la période de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. La société [L] [Localité 13] a relevé appel de cette décision.
Parallèlement, le 14 octobre 2022, M. [D] a démissionné de ses fonctions de gérant. Puis, selon acte sous signature privée daté du 22 octobre 2022, il a cédé l'ensemble de ses parts sociales à la société de droit allemand [Adresse 14], dont le représentant légal est M. [B].
Par arrêt du 24 février 2023, la cour d'appel de Paris a infirmé l'ordonnance de référé du 30 mai 2022, et, statuant à nouveau, a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail à effet du 18 janvier 2022 et condamné la société JDEFORM à payer au bailleur la somme provisionnelle de 165.324,14 euros en principal au titre de l'arriéré de loyers et charges selon décompte arrêté au 18 janvier 2022. Cette décision n'a pas été frappée d'un pourvoi en cassation.
Par jugement du 21 mars 2023, le tribunal de commerce de Bobigny, statuant sur assignation de la société [L] [Localité 13], a ouvert une procédure de liquidation judiciaire immédiate sans maintien de l'activité à l'égard de la société JDEFORM, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 24 février 2023, date de l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris, et désigné Maître [C] en qualité de liquidateur judiciaire.
Selon les déclarations non contestées du liquidateur judiciaire, le passif déclaré s'élève à la somme de 733.450,30 euros et aucun actif n'a pu être réalisé.
Le 18 mars 2024, Maître [C] ès qualités a fait assigner devant le tribunal de commerce de Bobigny M. [D] et M. [B] aux fins de voir la date de la cessation des paiements reportée au 18 janvier 2022 ou, subsidiairement, au 1er août 2022.
Par jugement du 18 décembre 2024, le tribunal a:
- débouté M. [B] de sa demande de mise hors de cause;
- dit recevable la requête de Maître [C] ès qualités;
- reporté la date de cessation des paiements au 18 janvier 2022;
- ordonné la publication du jugement;
- ordonné exécution provisoire;
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le 24 janvier 2025, M. [D] a relevé appel de cette décision en intimant Maître [C] ès qualités et M. [B].
Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 avril 2025, M. [D] demande à la cour de:
'A titre principal
ANNULER le jugement rendu le 18 décembre 2024 par le Tribunal de commerce de Bobigny pour défaut de motivation ;
Statuant à nouveau,
DEBOUTER Maître [U] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JDEFORM, de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire
INFIRMER le jugement rendu le 18 décembre 2024 par le Tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a :
- Déclaré la requête de Me [U] [C] ES/ Q Liquidateur judiciaire de la SARL JDEFORM [Adresse 1] recevable ;
- Reporté la date de cessation des paiements au 18 janvier 2022 ;
- Ordonné la publication et l'exécution provisoire du présent jugement ;
Statuant à nouveau,
DEBOUTER Maître [U] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JDEFORM, de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions ;
En tout état de cause
Condamner Maître [U] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JDEFORM, aux entiers dépens et à payer à Monsieur [H] [D] la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.'
Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 juin 2025, Maître [C] ès qualités demande à la cour de:
'DECLARER Monsieur [H] [D] en sa qualité d'ancien gérant de la société JDEFORM mal fondé en son appel ;
DEBOUTER Monsieur [H] [D] en sa qualité d'ancien gérant de la société JDEFORM de sa demande d'annulation du jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bobigny en date du 18 décembre 2024 ;
CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bobigny en date du 18 décembre 2024 en toutes ses dispositions;
En tout état de cause,
DECLARER Maître [U] [C] en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société JDEFORM, tant recevable que bien fondée en ses demandes ;
REPORTER la date de cessation des paiements de la Société JDEFORM au 18 janvier 2022 ;
Subsidiairement,
REPORTER la date de cessation des paiements de la Société JDEFORM au 1er aout 2022;
DEBOUTER Monsieur [H] [D] ès qualités de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNER Monsieur [H] [D] à payer à Maitre [U] [C] ès qualités la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
ORDONNER l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.'
M. [B], auquel la déclaration d'appel et les conclusions de M. [D] ont été signifiées par actes des 24 février et 23 avril 2025, n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 septembre 2025.
SUR CE ,
Sur la demande de M. [D] d'annulation du jugement dont appel
A l'appui de sa demande fondée sur les articles 455 et 458 du code de procédure civile,
M. [D] soutient que le jugement doit être annulé pour cause d'absence de motivation.
Maître [C] ès qualités fait valoir que la décision querellée est motivée et sollicite en tout état de cause que la cour statue par l'effet dévolutif de l'appel.
Il résulte de la combinaison des article 455 et 458 du code de procédure civile que le jugement, à peine de nullité, doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
La motivation du jugement permet au justiciable de vérifier que le juge a bien examiné ses prétentions et les moyens qui la sous-tendent, et, le cas échéant, d'exercer un recours conduisant à un contrôle de la motivation des premiers juges par des juges différents.
En l'espèce, le jugement dont appel est motivé comme suit (cf. page 9): 'Compte tenu des éléments recueillis, il échet de reporter la date de cessation des paiements au 18 janvier 2022, date qui n'est pas antérieure de plus de DIX-HUIT MOIS de la date du jugement d'ouverture en statuant par jugement prononcé le 21 MARS 2023, dans les termes ci-après'.
Ce simple renvoi à des 'éléments', dont la nature n'est pas précisée, et que n'accompagne aucune analyse, même succincte, des moyens des parties, s'analyse en un défaut de motivation. Celle-ci fait nécessairement grief à M. [D], dont il apparaît que les moyens développés pour s'opposer à la demande de report de cessation des paiements n'ont pas été examinés par les premiers juges.
Le jugement sera donc annulé.
L'annulation du jugement n'étant pas fondée sur la nullité de l'acte introductif d'instance, la cour demeure saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, de l'examen de la demande de report de la date de cessation des paiements formée par le liquidateur.
Sur la demande du liquidateur de report de la date de la cessation des paiements
A l'appui de son appel, M. [D] expose:
- qu'à la date du 18 janvier 2022 invoquée par le liquidateur, la créance de la société [L] [Localité 13] n'était ni certaine, ni exigible puisque ce n'est que par arrêt du 24 février 2023 que la cour d'appel est venue condamner la société JDEFORM à payer au bailleur un arriéré locatif de 165.324,14 euros en principal; qu'il convient de replacer le contentieux locatif dans son contexte, marqué par la crise sanitaire et l'incertitude juridique concernant l'exigibilité des 'loyers Covid'; qu'ainsi, à la date du 18 janvier 2022, cette créance était litigieuse, ce qui explique qu'aucune somme n'ait été versée au bailleur, et elle devait de ce fait être exclue de l'appréciation de l'état de cessation des paiements;
- que Maître [C] ès qualités ne démontre pas que la société JDEFORM se soit trouvée en état de cessation des paiements à tout autre date; que le compte bancaire de l'entreprise est redevenu créditeur à compter du mois d'avril 2022; qu'en dehors du loyer litigieux, aucun impayé n'a été constaté pour les mois de juillet, septembre et octobre 2022; qu'au 30 septembre 2022, tous les salariés étaient à jour dans le versement de leur salaire; que la trésorerie de l'entreprise a nécessairement été positive puisque le cessionnaire a pu effectuer les virements mentionnés dans l'assignation du liquidateur d'un montant de 23.490 euros et 12.000 euros.
Maître [C] ès qualités réplique:
- qu'à la date du 18 janvier 2022, date de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, la société JDEFORM s'est révélée dans l'incapacité de payer l'arriéré locatif visé dans le commandement de payer du 17 décembre 2021, soit 165.324,14 euros en principal hors clause pénale; qu'en effet, elle ne disposait pas de trésorerie équivalente;
- que le fait que cette dette locative ait été contestée par la société JDEFORM à la date du 18 janvier 2022, de manière infondée ainsi que l'a jugé la cour d'appel dans son arrêt du 24 février 2023, ne saurait remettre en cause l'obligation de paiement du preneur, donc l'exigibilité de la créance du bailleur; que c'est donc bien cette date du 18 janvier 2022 qui doit être retenue comme celle de la cessation des paiements;
- qu'en outre, à cette date du 18 janvier 2022, la société JDEFORM était également redevable d'autres dettes, à l'égard de l'administration fiscale et de l'URSSAF, qu'elle n'a jamais été en mesure d'apurer au vu du solde de son compte bancaire, qui a été alternativement en position débitrice et créditrice jusqu'au 20 juillet 2022, date à compter de laquelle le compte a présenté de façon constante un solde débiteur;
- qu'elle a de surcroît été dans l'incapacité de régler l'échéance du prêt professionnel du 1er août 2022, d'un montant de 137,09 euros; que subsidiairement, la date de cessation des paiements doit être fixée à cette date du 1er août 2022.
L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme l'impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
Aux termes de l'article L. 631-8 du code de commerce, le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. A défaut de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d'ouverture de la procédure.
Elle peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l'article L. 611-8. L'ouverture d'une procédure mentionnée à l'article L. 628-1 ne fait pas obstacle à l'application de ces dispositions.
Il résulte de ces deux articles que la date de cessation des paiements ne peut être reportée qu'au jour où le débiteur était déjà dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le juge saisi d'une demande de report doit donc, pour apprécier cette situation, se placer, non au jour où il statue, mais à celui auquel est envisagé le report de la date de cessation des paiements. Par ailleurs, une dette incertaine comme faisant l'objet d'un recours ne peut être incluse dans le passif exigible.
En l'espèce, Maître [C] ès qualités se prévaut de l'existence d'une dette locative correspondant au montant de l'arriéré de loyer visé dans le commandement de payer signifié le 17 décembre 2021 à la société JDEFORM. Il est toutefois constant que cette dette a été contestée par la société preneuse à l'occasion de la procédure judiciaire introduite par le bailleur devant le juge des référés aux fins de constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail et de condamnation du preneur au paiement provisionnel de l'arriéré locatif. Cette contestation n'a été définitivement tranchée que par l'arrêt rendu le 27 février 2023 par la cour d'appel de Paris, qui, en infirmant la décision du président du tribunal de commerce de Bobigny, a accueilli les prétentions du bailleur. Il s'ensuit qu'à la date du 18 janvier 2022 à laquelle le liquidateur souhaite voir reporter la date de cessation des paiements, la créance locative était contestée et ne pouvait être incluse dans le passif exigible.
Maître [C] ès qualités soutient qu'à cette date du 18 janvier 2022, la société JDEFORM était également débitrice des sommes suivantes, d'un montant total de 27.290,59 euros:
- la CFE de l'année 2019 : 8.546 euros ;
- la TVA due pour la période du 01/06/2019 au 30/11/2019 : 12.589,59 euros ;
- les cotisations URSSAF pour la période de février 2020 à juillet 2021: 6.155 euros ;
L'existence de ces dettes est justifiée par les déclarations de créances correspondantes versées aux débats par le liquidateur.
Il n'est pas soutenu par M. [D] que la société JDEFORM a contesté ces créances, qu'il convient donc de considérer comme constituant des éléments de son passif exigible à la date du 18 janvier 2022.
Pour déterminer l'actif disponible de la société JDEFORM, il convient de se référer aux fonds disponibles sur son compte bancaire dès lors qu'il n'est pas fait état d'autres ressources susceptibles d'être assimilées à des éléments d'actif disponible.
La production lacunaire des relevés de banque par le liquidateur (ainsi, n'ont pas été communiqués, notamment, les relevés du 18 janvier 2022 au 4 mars 2022, du 25 mars 2022 au 18 mai 2022, du 27 septembre 2022 au 12 octobre 2022) ne permet pas de démontrer que la société JDEFORM n'a jamais disposé des fonds nécessaires au paiement des dettes précitées sur la période courant du 18 janvier 2022 jusqu'au 24 février 2023, date de cessation des paiements retenue par le tribunal de commerce de Bobigny dans son jugement du 21 mars 2023. La possibilité que la société JDEFORM ait disposé d'une trésorerie suffisante n'apparaît pas exclue dès lors qu'il ressort des relevés versés aux débats que son compte a présenté à plusieurs reprises un solde créditeur sur cette période, notamment le 17 juin 2022, date à laquelle le compte était créditeur d'une somme de 27.028,72 euros presque égale au montant de 27.290,59 euros correspondant aux créances précitées.
Maître [C] ès qualités sera donc déboutée de sa demande de fixation de la date de cessation des paiements au 18 janvier 2022 ou, subsidiairement, au 1er août 2022.
Sur les dépens
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de Maître [C] ès qualités.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les parties seront donc déboutées de leurs demandes de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
Annule le jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 18 décembre 2024,
Déboute Maître [C] ès qualités de sa demande de fixation de la date de cessation des paiements de la société JDEFORM au 18 janvier 2022 ou, subsidiairement, au 1er août 2022,
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Maître [C] ès qualités.