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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 18 novembre 2025, n° 24/00361

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/00361

18 novembre 2025

ARRET



[R]

Société SPFPL [S] [R] HOLDING

S..E.L.A.R.L. [V] [F] - [S] [R]

S.E.L.A.R.L. [S] [R]

C/

[T]

[T]

AF/SB/DPC

COUR D'APPEL D'AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU DIX HUIT NOVEMBRE

DEUX MILLE VINGT CINQ

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 24/00361 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I7DX

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SENLIS DU QUATORZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

PARTIES EN CAUSE :

Maître [S] [R]

né le 10 Février 1974 à [Localité 14] (59)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 8]

Société SPFPL [S] [R] HOLDING agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

S..E.L.A.R.L. [V] [F] - [S] [R] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

S.E.L.A.R.L. [S] [R] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentés par Me Xavier PERES de la SELARL MAESTRO AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me Pierre-Edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS

ET

Madame [P] [T]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Monsieur [E] [T]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentés par Me Sandra DE BAILLIENCOURT subsituant Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AVOCATS, avocats au barreau d'AMIENS

Plaidant par Me Basile ADER de la SCP August Debouzy, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

DEBATS :

A l'audience publique du 09 septembre 2025, l'affaire est venue devant Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre et Mme Anne BEAUVAIS, conseillère, magistrats rapporteurs siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. La Présidente a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 18 novembre 2025.

La Cour était assistée lors des débats de Mme Sarah BOURDEAUDUCQ, greffière placée.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Les magistrats rapporteurs en ont rendu compte à la Cour composée de Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre, Présidente Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Anne BEAUVAIS, Conseillères, qui en ont délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE DE L'ARRET :

Le 18 novembre 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Agnès FALLENOT, Présidente de chambre, et Mme Charlotte RODRIGUES, Cadre-Greffier.

*

* *

DECISION :

M. [S] [R] exerçait la profession de notaire sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée dénommée « [S] [R] notaire », au capital social de 1000 euros, immatriculée le 4 juillet 2011 au RCS de [Localité 11] sous le numéro 533 359 626, ayant son siège à [Localité 11].

M. [E] [T] exerçait la profession de notaire sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée dénommée « Office notarial [T] », au capital social de 56 000 euros, immatriculée le 6 janvier 2011 au RCS de [Localité 11] sous le numéro 529 425 944, ayant son siège à [Localité 13], puis au Plessis-[Localité 9].

A la fin de l'année 2016, M. [R] et M. [T] ont envisagé la cession de 50% des parts sociales de la Selarl Office notarial [T] à la Selarl [S] [R] notaire.

Le 13 octobre 2017, M. [T] a déposé une requête aux fins de désignation d'un suppléant en raison de son état de santé.

Par acte notarié du 24 octobre 2017, M. [T] et son épouse, Mme [P] [Y], ont signé une promesse de cession des 27 999 parts sociales numérotées 28 002 à 56 000 de la Selarl Office notarial [T] à la Selarl [S] [R] notaire.

Par acte notarié du même jour, M. et Mme [T] ont signé une promesse de cession des 28 001 parts sociales numérotées 1 à 28 001 de la Selarl Office notarial [T] à la Selarl [S] [R] notaire.

Par jugement du 14 novembre 2017, le tribunal judiciaire de Senlis a désigné « Maître [S] [R] notaire représentant de la Selarl [S] [R] notaire, notaire à la résidence de [12], notaire suppléant de Maître [E] [T], notaire associé de l'Office notarial [T] à la résidence du [15] ». Cette suppléance a été prolongée par jugement du 13 novembre 2018.

Par acte authentique du 28 décembre 2017, la cession des 27 999 parts sociales numérotées de 28 002 à 56 000 de la Selarl Office notarial [T] à la Selarl [S] [R] notaire a été réalisée.

Par acte d'avocat du 23 octobre 2018, M. et Mme [T] ont également cédé à la SPFPL à forme de SAS dénommée « [S] [R] holding », immatriculée le 11 octobre 2019 au RCS de [Localité 11] sous le numéro 878 013 549, les parts sociales numérotées 1 à 28 000 du capital social de la Selarl Office notarial [T], et la dernière part sociale numérotée 28 001 à M. [R].

Par arrêté du ministre de la justice du 20 septembre 2019, M. [R] a été nommé notaire associé, membre de la Selarl Office notarial [T], le retrait de M. [T] étant accepté. La Selarl « Office notarial [T] » (RCS n°529 425 944) a par suite été renommée « [S] [R], notaires associé ».

La Selarl [S] [R] notaire (RCS n°533 359 626) est quant à elle devenue la Selarl [V] [F] - [S] [R], notaires associés (extrait Kbis du 11 janvier 2021), puis la Selarl [V] [F], notaire (extrait Kbis du 22 juillet 2024).

Se plaignant de l'inexécution par M. [R] de ses obligations portant sur le paiement des sommes dues à raison de sa période de suppléance, le remboursement du montant de son compte courant d'associé et la mainlevée du cautionnement consenti par eux, M. et Mme [T], après de vaines mises en demeure, ont attrait M. [R], la Selarl [S] [R] notaires associé, la Selarl [S] [R] ' [V] [F] notaires associés et la SPFPL [S] [R] holding (les sociétés [R]) devant le tribunal judiciaire de Senlis.

Par jugement rendu le 14 novembre 2023, le tribunal judiciaire de Senlis a :

- condamné in solidum la SPFPL [S] [R] holding, la Selarl [V] [F]-[S] [R] notaires associés et la Selarl [S] [R] notaires associé à payer à M. et Mme [T] la somme de 69 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du remboursement du compte courant d'associé ;

- rejeté la demande d'astreinte formée à ce titre ;

- débouté M. et Mme [T] de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts au titre de la mainlevée du cautionnement ;

- débouté M. et Mme [T] de leurs demandes au titre du dol invoqué ;

- condamné in solidum Me [R] et la Selarl [V] [F] [S] [R] notaires associés à payer à M. [T] la somme de 110 639,13 euros au titre de la quote-part prévue dans la convention de suppléance ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 44 000 euros au titre des rémunérations de gérance de la Selarl office notarial [T] ;

- débouté la Selarl [S] [R] notaires associé de sa demande en remboursement de la somme de 39 750 euros ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 8 067,67 euros au titre de chèques encaissés indûment ;

- ordonné, à hauteur de la somme la plus faible, la compensation entre cette créance de la Selarl [S] [R] notaires associé et la dette de remboursement du compte courant d'associé ;

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F]-[S] [R] notaires associés à payer à M. et Mme [T] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens et dit qu'il convenait de faire droit à la demande de distraction formée par la SCP de Baillencourt & associés.

Par déclaration du 22 décembre 2023, M. [N] et les sociétés [R] ont relevé appel de cette décision, et compte tenu de l'appel incident formé par M. et Mme [T], la cour est saisie des chefs de la décision querellée qui ont :

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F]- [S] [R] notaires associés à payer à M. [T] la somme de 110 639,13 euros au titre de la quote-part prévue dans la convention de suppléance ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 44 000 euros au titre des rémunérations de gérance de la Selarl office notarial [T] ;

- débouté la Selarl [S] [R] notaires associé de sa demande en remboursement de la somme de 39 750 euros ;

- ordonné, à hauteur de la somme la plus faible, la compensation entre cette créance de la Selarl [S] [R] notaires associé et la dette de remboursement du compte courant d'associé ;

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F]- [S] [R] notaires associés à payer à M. et Mme [T] la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 19 septembre 2024, M. [N] et les sociétés [R] demandent à la cour de :

Dire l'appel recevable et fondé ;

Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F] ' [S] [R] notaires associés à payer à M. [T] la somme de 110 639,13 euros au titre de la quote-part prévue dans la convention de suppléance.

- débouté la Selarl [S] [R] notaires associé de sa demande en remboursement de la somme de 39 750 euros.

- ordonné, à hauteur de la somme la plus faible, la compensation entre cette créance de la Selarl [S] [R] notaires associé et la dette de remboursement du compte courant d'associé.

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F]- [S] [R] notaires associés à payer à M. et Mme [T] la somme de 2 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

Dire les appelants, qui ont qualité et intérêt à agir, recevables en leurs demandes.

A titre principal :

Débouter M. et Mme [T] de leur demande de paiement de la somme de 110 639,13 euros.

Débouter M. et Mme [T] de toutes leurs autres demandes.

A titre reconventionnel :

Condamner M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 39 750 euros au titre des sommes indument perçues au regard de la convention de suppléance.

En tout état de cause :

Condamner M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 24 juin 2024, M. et Mme [T] demandent à la cour de :

A titre principal,

Infirmer le jugement du tribunal de Senlis du 14 novembre 2023 en ce qu'il a :

- condamné M. [T] à régler la somme de 44 000 euros à la Selarl [S] [R] notaires associé au titre des rémunération de gérance de la Selarl Office notarial [T] ;

- condamné M. et Mme [T] à régler la somme de 1 500 euros à la Selarl [S] [R] notaires associé au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirmer le jugement du tribunal de Senlis du 14 novembre 2023 en ce qu'il a :

- condamné in solidum la SPFPL [S] [R] holding, la Selarl [V] [F] - [S] [R] notaires associés et la Selarl [S] [R] notaires associé à payer aux époux [T] la somme de 69 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du remboursement du compte courant d'associé ;

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F] ' [S] [R] notaires associés à payer à M. [E] [T] la somme de 110 639,13 euros au titre de la quote-part prévue dans la convention de suppléance ;

- débouté la Selarl [S] [R] notaires associé de sa demande de remboursement de la somme de 39 750 euros.

- ordonné, à hauteur de la somme la plus faible, la compensation entre cette créance de la Selarl [S] [R] notaires associé et la dette de remboursement du compte courant d'associé ;

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F] - [S] [R] notaires associés à payer à M. et Mme [T] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

Juger valide et dument perçu le versement de la somme de 44 000 euros à M. [T] au titre de sa rémunération de la gérance de l'Office notarial [T] ;

En conséquence,

Débouter les appelants de leur demande du remboursement à la Selarl [S] [R] notaires associé (anciennement Office notarial [T]) de la somme de 44 000 euros versé à M. [T] au titre de la rémunération de la gérance de l'Office notarial [T] ;

Débouter les appelants de leur demande de versement de la somme de 39 750 euros par M. [T] à la Selarl [S] [R] notaires associé au titre de la convention de suppléance

Débouter les appelants de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

Débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles ;

Condamner les appelants au paiement de la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2025.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient d'indiquer qu'il ne sera pas répondu aux formules de style figurant dans le dispositif des écritures des appelants portant sur la recevabilité de leur appel et de leurs prétentions, alors qu'aucune irrecevabilité n'a été soulevée et qu'il n'existe aucun moyen d'ordre public devant être relevé par la cour.

Il ne sera pas davantage répondu à la prétention des intimés de voir confirmer le chef de la décision entreprise ayant condamné in solidum la SPFPL [S] [R] holding, la Selarl [V] [F] - [S] [R] notaires associés et la Selarl [S] [R] notaires associé à leur payer la somme de 69 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du remboursement du compte courant d'associé, qui n'a pas été dévolu à la cour.

1. Sur l'exécution de la convention de suppléance

1.1. Sur l'identité du suppléé

M. [R] et les sociétés [R] soutiennent que M. [T] était notaire associé de la Selarl Office notarial [T], titulaire de l'office notarial. A ce titre, ce ne peut qu'être la Selarl qui a été suppléée. La convention de suppléance du 20 novembre 2017, rédigée par M. [T] et signée par les deux parties, a bien été conclue entre la Selarl [E] [T] et la Selarl [S] [R]. Il était parfaitement clair entre les parties, ainsi que pour le conseil régional des notaires et la commission de discipline, que le suppléé était la Selarl Office notarial [T], titulaire de l'office. L'imprécision du jugement ne doit pas effacer la réalité de la loi : seul le titulaire de l'office est suppléé.

M. et Mme [T] répondent que le jugement a justement retenu que le suppléé était M. [T], personne physique, et non l'Office notarial [T]. Ils affirment que la convention de suppléance est affectée d'une erreur matérielle sur la personne du cocontractant et doit être interprétée. Ils soutiennent que le décret n°56-221 du 29 février 1956 vise uniquement la suppléance des notaires personnes physiques, et que le tribunal judiciaire de Senlis a accepté la suppléance entre les requérants, M. [T] et M. [R], et non entre leurs sociétés respectives, par son jugement du 14 novembre 2017. Ils se prévalent des termes de l'acte de cession final.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1er, alinéas 1er et 3, de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, il peut être constitué, pour l'exercice d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés en commandite par actions régies par les dispositions du livre II du code de commerce, sous réserve des dispositions du titre Ier de la présente loi.

Elles ne peuvent accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession.

Aux termes de l'article 2, alinéa 1er, du décret n°93-78 du 13 janvier 1993 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, la société d'exercice libéral est titulaire d'un ou plusieurs offices notariaux. Son siège est celui de l'office ou de l'un des offices

Aux termes de l'article 5 du chapitre II du décret n°55-604 du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels et à certains auxiliaires de justice, la gestion des offices publics et ministériels dépourvus de titulaire, notamment en raison du décès ou de la démission, volontaire ou d'office, de celui-ci, de la survenance de la limite d'âge ou, le cas échéant, de l'expiration de l'autorisation de prolongation d'activité délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice, est provisoirement assurée par un ou plusieurs suppléants. Il en est de même lorsque le titulaire est temporairement empêché, par cas de force majeure, d'exercer ses fonctions.

Aux termes de l'article 1er du décret n°56-221 du 29 février 1956 portant règlement d'administration publique pour l'application du décret n° 55-604 du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels et à certains auxiliaires de justice en ce qui concerne la suppléance des officiers publics et ministériels, le suppléant visé au chapitre 2 du décret n° 55-604 du 20 mai 1955 est désigné par le tribunal judiciaire.

La juridiction compétente est saisie par requête soit du procureur général ou du procureur de la République, soit du titulaire ou de ses ayants droit ; dans ce dernier cas, la décision ne peut être rendue que sur réquisition conforme du ministère public.

Sauf en ce qui concerne les greffiers de tribunal de commerce, la juridiction saisie statue après avoir recueilli l'avis du président de la chambre de discipline.

Les débats se déroulent et la décision est rendue en chambre du conseil.

Aux termes de l'article 2 du même texte, le suppléant est choisi parmi les personnes ci-après :

- officiers publics ou ministériels de la même catégorie exerçant à titre individuel ou en qualité d'associé d'une société titulaire d'un office ;

- sociétés titulaires d'un office public ou ministériel de la même catégorie ;

- anciens officiers publics ou ministériels de la même catégorie qu'ils aient exercé à titre individuel ou en qualité d'associé d'une société titulaire d'un office ;

- clercs et anciens clercs d'officiers publics ou ministériels de la même catégorie répondant aux conditions d'aptitude exigées pour être nommé officier public ou ministériel de cette catégorie.

Le clerc qui a été désigné comme suppléant conserve sa qualité de salarié.

Ces textes indiquent sans ambiguïté que la Selarl est la titulaire de l'office notarial dont elle assure la gestion et qu'elle ne peut exercer la profession de notaire que par l'intermédiaire de ses membres ayant qualité pour l'exercer.

Il doit être rappelé à cet égard que le 14 novembre 2017, M. [R] n'avait pas encore acquis les parts de la Selarl Office notarial [T] qui, du fait de l'empêchement de son unique associé, M. [T], devenait dépourvue de titulaire et ne pouvait plus accomplir les actes de la profession.

C'est dans ce contexte que M. [T] a demandé au procureur de la République de Senlis, par requête du 13 octobre 2017, de « requérir du tribunal de grande instance de Senlis la désignation d'un notaire suppléant de Me [E] [T], notaire associé de l'Office notarial [T] dont la résidence est au [16] », et que cette juridiction a nommé « Maître [S] [R] notaire représentant de la Selarl [S] [R] notaire, notaire à la résidence de [12], notaire suppléant de Maître [E] [T], notaire associé de l'Office notarial [T] à la résidence du [15] ».

L'imprécision de cette formule, conforme aux termes de la requête du 26 octobre 2017 de M. le procureur de la République de [Localité 17], justifie son interprétation.

Or il résulte du courriel adressé par le conseil régional des notaires à M. [T] le 20 octobre 2017 que ce dernier a demandé au procureur de la République « la mise sous suppléance de l'office dont [sa] SELARL est titulaire » et du courrier adressé par M. [R] au conseil régional des notaires le 23 octobre 2017 qu'il acceptait « la mission de notaire suppléant de la Selarl Office notarial [T] », la [Adresse 10] ayant consécutivement donné un avis favorable à la nomination de M. [R] « en qualité de suppléant de l'office de Maître [E] [T] ». Le président de la chambre interdépartementale des notaires de Picardie s'est d'ailleurs prononcé en ce sens, par un courrier du 6 juin 2024 à M. [R], dans lequel il conclut : « Selon la réglementation en vigueur, c'est bien la Selarl qui est visée et non l'associé, même si, pour accomplir les actes professionnels, la Selarl a évidemment recours à une personne physique qui est associée. En l'espèce, le suppléé est donc la Selarl [E] [T] et le suppléant la Selarl [S] [R] ».

Par ailleurs, une convention de suppléance a été conclue le 20 novembre 2017 entre « la Selarl [E] [T] », « aussi dénommée le su[p]pléé », et « la Selarl [S] [R] », « aussi dénommée le sup[p]léant », les termes clairs et précis de cette convention ne permettant pas qu'il soit procédé à leur interprétation.

Il ne peut être tiré aucune conclusion contraire à ces éléments tous concordants des seules mentions purement déclaratives figurant à l'acte de cession des 28 000 parts numérotées de 1 à 28 000 de la Selarl Office notarial [T] du 23 octobre 2018, selon lesquelles « Maître [S] [R] a été nommé suppléant de Maître [E] [A] aux termes d'un jugement sur requête rendu par le Tribunal de grande instance de Senlis, le 14 novembre 2017 ».

Il doit donc être retenu que le suppléé est la Selarl Office notarial [T], et non M. [T].

1.2. Sur la part des résultats dues au suppléé

M. [R] et les sociétés [R] soutiennent qu'en application de la loi et de la convention conclue, le produit net de l'office, c'est-à-dire le résultat de la société titulaire de l'office, devait être ventilé entre la part revenant au suppléé (1/3 en l'espèce), et celle revenant au suppléant (2/3 en l'espèce), puis les bénéfices distribuables reversés aux associés conformément aux règles posées par les articles L 232-11 et L. 232-12 du code de commerce. La prétention de Me [T] de se voir rembourser la somme de 110 639,13 euros au titre de la période de suppléance n'est ainsi en aucun cas fondée. Les appelants plaident encore que la Selarl Office notarial [T], devenue Selarl [S] [R] notaires associé, a versé par erreur 39 750 euros à M. [T] à sa demande au titre de sa part dans le résultat pendant la suppléance. Ils en demandent le remboursement.

M. et Mme [T] répondent qu'il n'existe aucun doute sur le fait que la commune intention des parties était de partager les produits nets entre M. [T] et M. [R]. Ils soutiennent que le versement de dividendes et le versement des produits de la suppléance ne relèvent pas du même régime : d'une part, la distribution volontaire de dividendes aux associés d'une société résulte d'un acte pris par l'assemblée générale des associés, d'autre part, le partage des produits nets de la suppléance résulte d'une disposition réglementaire ayant pour objet la rémunération du travail effectué par le suppléant et qui sont dus de plein droit sans intervention d'un quelconque organe social.

M. et Mme [T] se prévalent encore du rapport de l'inspecteur comptable du conseil régional des notaires de la cour d'appel d'Amiens, M. [M] [O], du 14 octobre 2019 et demandent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum la Selarl [S] [R] notaire et M. [R] à payer la somme de 110 639,13 euros à M. [T], dont celle de 39 750 euros est déjà déduite.

Sur ce,

Aux termes de l'article 9, alinéas 1er et 2, du décret n°56-221 du 29 février 1956, sous réserve des dispositions de la section II du présent décret, les produits nets de l'office sont partagés par moitié entre le suppléant et le suppléé ou les ayants droit de celui-ci.

Les parties peuvent toutefois stipuler une autre répartition, sans toutefois que la part de l'une d'elles dans les produits nets de l'office ne puisse excéder les deux tiers. Dans ce cas, leur convention ne prend effet qu'à partir de la date où un exemplaire en a été déposé au parquet.

En l'espèce, la convention de suppléance conclue entre la Selarl Office notarial [T] et la Selarl [S] [R] notaire stipule que les produits nets de l'office seront attribués pour deux tiers au suppléant et un tiers au suppléé. Il n'est contesté par aucune des parties que ce contrat a bien été déposé au parquet.

Cette convention, reprenant la lettre de l'article 9 du décret n°56-221 du 29 février 1956, retient donc non pas la notion de dividendes, mais celle de produits nets, étant observé que si la possibilité d'exercer en Selarl n'a été ouverte aux notaires que par la loi du 31 décembre 1990, ils peuvent exercer sous forme de société civile professionnelle (SCP) depuis la loi du 29 novembre 1966, soit antérieurement à la création dudit article par le décret n°73-1202 du 28 décembre 1973.

Or les produits nets d'une société représentent son bénéfice avant distribution, tandis que les dividendes constituent la part du bénéfice distribué aux associés et ne représentent qu'une partie des produits nets, lesquels sont diminués des pertes antérieures, d'éventuelles mises en réserves et autres affectations après un vote de l'assemblée générale.

C'est donc bien les produits nets qui devaient être partagés entre le suppléé, à hauteur d'un tiers, et le suppléant, à hauteur de deux tiers, l'analyse proposée par M. [I] [Z], expert-comptable de la Selarl [S] [R] notaires associé, selon laquelle la quote-part du suppléé dans le résultat de la suppléance devait apurer en priorité le report à nouveau, étant manifestement contraire à la lettre de l'article 9 du décret n°56-221 du 29 février 1956, qui fait de la part du produit net revenant au suppléé une charge devant être supportée par l'office.

Or il ressort du rapport établi le 14 octobre 2019 par l'inspecteur comptable du conseil régional des notaires de la cour d'appel d'Amiens que le résultat total de la Selarl Office notarial [T] pour la période de suppléance a été de 683 975,09 euros. Après apurement du report à nouveau pour la somme de 232 807,68 euros, au jour de la cessation de la suppléance le 10 octobre 2019, le résultat net était de 451 167,41 euros. Compte tenu du règlement de la somme de 39 750 euros effectué par M. [R] au titre des années 2017 et 2018, le montant restant dû à M. [T] est bien de 110 639,13 euros (451 167,41 euros /3 -39 650 euros).

Le jugement entrepris est donc confirmé en ce qu'il a :

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F] [S] [R] notaires associés à payer à M. [T] la somme de 110 639,13 euros au titre de la quote-part prévue dans la convention de suppléance ;

- débouté la Selarl [S] [R] notaires associé de sa demande en remboursement de la somme de 39 750 euros.

1.3. Sur les rémunérations de gérance

M. [R] et les sociétés [R] demandent la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 44 000 euros au titre des rémunérations de gérance de la Selarl office notarial [T]. Ils exposent que M. [T] a tenté, lors de la période de suppléance, de récupérer sa quote-part du résultat via une rémunération, alors même que comptablement, le report à nouveau débiteur devait être apuré en priorité. Il a voté ces rémunérations illicites soit sans assemblée générale l'y autorisant, soit lors d'assemblée générale où il était le seul votant. Les appelants ajoutent que M. [R] n'a aucunement touché 452 000 euros de rémunération. Cette somme correspond au résultat généré pendant la période de suppléance.

M. et Mme [T] répondent que M. [T] pouvait exercer des fonctions de gérance. En effet, l'empêchement d'un notaire suppléé porte uniquement sur l'exercice de la fonction de notaire, la loi autorisant d'ailleurs que la gérance d'une Selarl soit assurée par un gérant n'exerçant pas la profession de notaire. Ils observent que M. [T] a été payé en sa qualité de gérant à hauteur de 750 euros en septembre 2017 et de 1500 euros par mois d'octobre à décembre 2017. La somme de 44 000 euros lui a ainsi été versée par M. [R], qui a donc accepté le principe de ces rémunérations.

Sur ce,

Les statuts de la Selarl Office notarial [T] prévoient, en leur article 123, que le gérant a droit, en rémunération de ses fonctions, à un traitement fixe ou proportionnel ou à la fois fixe et proportionnel, dont les modalités de fixation et de règlement sont déterminées par décision collective ordinaire des associés.

Or il s'impose de constater que M. [T] ne justifie aucunement des délibérations de l'assemblée générale de la Selarl Office notarial [T] ayant voté le principe du maintien de sa rémunération de gérant, ce reproche lui ayant d'ailleurs déjà été fait par les premiers juges.

La décision entreprise est confirmée en ce qu'elle a condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 44 000 euros en remboursement des rémunérations de gérance de la Selarl Office notarial [T].

Les appelants ne développant aucun moyen à l'appui de leur demande d'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné, à hauteur de la somme la plus faible, la compensation entre cette créance de la Selarl [S] [R] notaires associé et la dette de remboursement du compte courant d'associé, ce chef du jugement querellé est également confirmé.

2. Sur les demandes accessoires

En application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient de laisser à chacune des partie la charge de ses propres dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise du chef des dépens de première instance.

Compte tenu du sens de la présente décision quant aux dépens, et en application de l'article 700 du code de procédure civile, les parties sont déboutées de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, la décision querellée étant infirmée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, après débats publics, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 14 novembre 2023 par le tribunal judiciaire de Senlis, sauf en ce qu'il a :

- condamné in solidum M. [R] et la Selarl [V] [F]-[S] [R] notaires associés à payer à M. et Mme [T] [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [T] à payer à la Selarl [S] [R] notaires associé la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs prétentions respectives au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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