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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 18 novembre 2025, n° 23/02304

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Generale d'Entreprise Moderne Construction (SAS)

Défendeur :

Stellantis & You France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Norguet

Conseillers :

Mme Moulayes, Mme Penavayre

Avocats :

Me Renier, Me Marty-Davies, Me Mayol

T. com. Toulouse, du 9 mai 2023, n° 2022…

9 mai 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant facture du 16 septembre 2019, la SAS CGEM CONSTRUCTION s'est portée acquéreur d'un véhicule utilitaire de démonstration e-Partner Peugeot auprès de la société PSA RETAIL PEUGEOT moyennant un prix de 18 990 € TTC déduction faite d'un bonus écologique de 6000 €.

La SAS CGEM CONSTRUCTION ayant signalé en février 2020 que l'autonomie du véhicule était bien plus faible que celle annoncée dans la documentation technique (« jusqu'à 170 km »), les parties n'ont pu se mettre d'accord sur une solution de reprise et de remplacement.

L'expertise amiable réalisée à la demande de l'assureur de protection juridique de l'acquéreur, la société CIVIS, a relevé que le véhicule est amputé d'environ 30 % de la capacité d'utilisation indiquée,ce qui est anormal et ne correspond pas à l'usage attendu en raison d'une autonomie réduite de la batterie de traction.

Le constructeur ayant décliné sa garantie, une expertise technique a été ordonnée par le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse les 15 avril 2021 et 8 juillet 2021 et confiée à Monsieur [M].

Après avoir effectué un essai routier qui a révélé une autonomie réelle du véhicule de 131 km à 44 km/h de moyenne, l'expert judiciaire a conclu qu'elle était inférieure d'environ 23 % à l'autonomie annoncée par le constructeur mais que le véhicule ne présentait pas de problèmes de fonctionnement.

Par acte d'huissier de justice du 7 septembre 2022, la SAS CGEM CONSTRUCTION a assigné la société PSA RETAIL PEUGEOT ETATS UNIS à comparaître devant le tribunal de commerce pour obtenir , à titre principal sur le fondement des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l' article 1112-1 du Code civil, la résolution de la vente et le remboursement du prix d'acquisition outre l'indemnisation de son préjudice et les accessoires.

Par jugement du 9 mai 2023, le tribunal de Commerce de Toulouse a :

- débouté la SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION de toutes ses demandes, fins et conclusions

- condamné la SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION à payer à la SAS PSA RETAIL [Localité 5] ETATS UNIS la somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration enregistrée au greffe le 27 juin 2023, la SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION « CGEM CONSTRUCTION » a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de Commerce de Toulouse du 9 mai 2023 qu'elle critique en toutes ses dispositions ci-dessus indiquées.

La SAS CGEM CONSTRUCTION a notifié ses conclusions le 18 mars 2024. Elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel

Statuant à nouveau :

À titre principal, sur le fondement des articles 1641 et 1603 et suivants du Code civil

- de juger que le véhicule e-Partner acquis le 16 septembre 2019 est atteint d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil

- de prononcer la résolution de la vente et le remboursement du prix d'acquisition à hauteur de 18 990 €

- de condamner la société PSA RETAIL devenue STELLANTIS & YOU FRANCE à lui régler la somme de 18, 99 € par jour à compter du 23 septembre 2020 jusqu'au jour de l'exécution de la décision à intervenir (au titre de préjudice de jouissance)

- de la condamner à lui rembourser les frais d'expertise amiable à hauteur de 258 €

- de la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire

- de la condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

À titre subsidiaire , vu l'article 1112-1 du Code civil

- de juger que le vendeur a manqué à son obligation de conseil

- de prononcer la résolution de la vente et le remboursement du prix d'acquisition à hauteur de 18 990 €

- de condamner la société PSA RETAIL PEUGEOT ETATS UNIS devenue STELLANTIS & YOU FRANCE à lui régler la somme de 18, 99 € par jour à compter du 23 septembre 2020 jusqu'au jour de l'exécution de la décision à intervenir

- de la condamner à lui rembourser les frais d'expertise amiable à hauteur de 258 €

- de la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire

- de la condamner à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société appelante se plaint d'une autonomie réelle du véhicule électrique qui est bien plus faible que celle qui est annoncée dans la documentation technique puisqu'il ne peut effectuer que 110 km au lieu de 170 km alors qu'il est destiné à un salarié parcourant quotidiennement 140 km.

Elle fait valoir qu'un écart important entre l'usage attendu et annoncé contractuellement et la performance réelle est constitutif d'un vice caché qui doit entraîner l'annulation de la vente.

À défaut, elle engage la responsabilité du vendeur pour défaut de conseil car le gérant de la société CGEM avait clairement indiqué les besoins de son entreprise sur une autonomie de 140 km qui n'a jamais été atteinte.

La société STELLANTIS & YOU FRANCE (anciennement dénommée PSA RETAIL France) a notifié ses conclusions le 21 décembre 2023.

Elle demande à la cour, sur le fondement des articles 1112-1 et suivants, 1641 et suivants du Code civil :

- de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la SAS CGEM CONSTRUCTION de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à lui verser la somme de 1500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

En cas d'infirmation :

- de juger injustifiées les demandes indemnitaires de la société CGEM CONSTRUCTION

- de débouter la SAS CGEM CONSTRUCTION de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

En tout état de cause :

- de condamner la SAS CGEM CONSTRUCTION à lui payer la somme de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'appel.

La société intimée fait essentiellement valoir que les demandes de la société CGEM CONSTRUCTION sont infondées en l'absence de vice caché puisque le véhicule n'est pas impropre à son utilisation . L'acquéreur ne démontre pas non plus l'existence d'une quelconque faute contractuelle commise par la société STELLANTIS & YOU FRANCE à son préjudice.

Enfin elle prétend que les demandes indemnitaires sont également injustifiées

Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est en date du 22 avril 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les conclusions du rapport d'expertise :

L'expert judiciaire a procédé à des essais du véhicule litigieux sur route, dans un trafic généralement fluide, en n'utilisant ni climatisation ni chauffage ni autoradio ni feux de route, les essuie-glaces ayant été utilisés pendant un temps cumulé d'environ cinq minutes, en respectant autant que faire se peut les préconisations d'essai d'une accélération de 0 à 50 km/h modérée.

Il a noté que le voyant de réserve s'est allumé au bout de 115 km avec une autonomie restante de 18 km, que l'autonomie est tombée à zéro au bout de 131 km, la vitesse moyenne étant de 44 km/h avec une consommation moyenne de 14 kW / 100 km et une température extérieure comprise entre 21 et 25 degrés.

Il conclut que :

- l'essai a révélé une autonomie de 23 % inférieure à l'autonomie annoncée dans le document technique fourni à l'acquéreur (131 km au lieu de 170 km) et qu'un essai réalisé dans des conditions normales d'utilisation diminuerait encore significativement l'autonomie du véhicule.

- le véhicule ne permet pas de parcourir les 140 km attendus par l'acquéreur , encore moins en conditions d'utilisation normale avec accessoires (roue de secours, galerie) , charges et utilisation de la climatisation ou du chauffage

- les désordres invoqués touchent à l'autonomie du véhicule et la différence ne peut être décelée que par un essai prolongé du véhicule

- le véhicule ne présente par ailleurs aucun problème de fonctionnement ni défaut d'entretien, notamment en raison de sa faible utilisation.

Les parties ne contestant pas les conclusions de ce rapport qui confirment pour partie celles de l'expert amiable mandaté par la société CGEM CONSTRUCTION , il y a lieu de le retenir comme base de discussion.

Sur l'annulation de la vente pour vice caché :

Selon l'article 1641 du Code civil,le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.

L'autonomie réelle du véhicule acheté étant inférieure, dans des conditions optimales d'utilisation, de l'ordre de 23 % à l'autonomie annoncée dans la documentation technique du constructeur , il y a lieu de déterminer si cet écart constitue un vice caché au sens du texte précité.

Après avoir rappelé les 4 conditions cumulatives à remplir pour mettre en 'uvre la garantie des vices cachés, le tribunal de commerce a dit que l'acquéreur n'est pas fondé en son action car le véhicule fonctionne normalement, n'est pas impropre à son utilisation et remplit sa mission principale consistant à conduire une personne dans des conditions de sécurité normale .

Il y a lieu d'approuver cette motivation dès lors que le vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil doit rendre la chose impropre à l'usage auquel l'acquéreur la destine ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque le véhicule peut être utilisé pour son usage normal, à savoir assurer le transport des préposés de la SAS CGEM CONSTRUCTION entre leur domicile et l'entreprise.

Quant au manque d'autonomie de la batterie de l'ordre de 23 % telle que mesurée par l'expert judiciaire dans les conditions les proches possibles de la norme édictée en la matière, si elle a pour effet de limiter la durée d'utilisation du véhicule avant de le remettre en charge et partant, de diminuer l'agrément de la chose puisque l'utilisateur doit prévoir des interruptions pour des trajets de plus de 131 km, elle ne compromet pas pour autant son usage normal et sécurisé dans sa fonction de transport automobile.

Dès lors il y a lieu de rejeter la demande de résolution de la vente formée de ce chef.

Sur le manquement au devoir d'information de la société venderesse :

Selon l'article 1112-1 du Code civil, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Ont une importance déterminante au sens de ce texte, les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui est due de prouver que l'autre partie la lui doit, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Le manquement au devoir d'information peut entraîner, outre la responsabilité de celui qui y est tenu, l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du Code civil.

La mise en 'uvre de l'action en responsabilité fondée sur le manquement au devoir pré-contractuel d'information suppose l'existence d'une information d'importance déterminante pour le consentement du cocontractant.

Il appartient au créancier de l'obligation de rapporter la preuve que dûment informé soit il n'aurait pas conclu le contrat soit il l'aurait conclu à des conditions différentes.

En l'espèce l'autonomie d'un véhicule électrique constitue une information déterminante du consentement de l'acquéreur dès lors que la nécessité de procéder régulièrement au rechargement de la batterie sur des bornes dédiées constitue une contrainte à l'utilisation des voitures électriques et un frein à leur acquisition si on la compare à celle des voitures thermiques.

Dès lors il incombe au professionnel de fournir une information complète et transparente sur l'autonomie du véhicule qu'il propose à la vente étant précisé en l'espèce que les parties sont en relation d'affaires régulières puisque plusieurs véhicules de la flotte de la société CGEM CONSTRUCTION ont été acquis auprès de la concession PSA PEUGEOT qui ne pouvait ignorer l'usage attendu du véhicule par l'acquéreur qui le met à la disposition de ses préposés pour effectuer leurs trajets quotidiens.

La brochure tarifaire des véhicules e-Partner remise lors de la vente (pièce n°3) qui mentionne une autonomie de la batterie « jusqu'à 170 km », sans autre précision, ne peut être considérée comme constituant une information pré contractuelle suffisante faute de spécifier que l'autonomie annoncée correspond à des conditions d'essai normalisées qui ne tiennent pas compte du style de conduite ou du type de parcours lesquelles peuvent induire des surconsommations importantes allant jusqu'à 50 % selon les explications fournies par le vendeur.

Or les conditions d'utilisation , notamment le port de charges pour un véhicule utilitaire sont déterminantes pour l'acquéreur qui ne se trouve jamais dans les conditions d'un essai standard .

Au surplus l'information communiquée ne peut être considérée comme exacte dès lors que contrairement à ce que la société STELLANTIS & YOU FRANCE soutient dans ses écritures, la documentation remise à l'acquéreur ne fait nulle référence à la norme NEDC qui permettrait , selon la communication de la société Peugeot en date du 10 janvier 2013 pour la présentation du nouveau Partner électrique, d'atteindre les 170 km d'autonomie homologuée, par exemple en circulation fluide en ville , sans climatisation ni chauffage.

À aucun moment il n'a été fourni à l'acquéreur d'information relative à l'existence d'un écart entre l'autonomie annoncée dans la documentation commerciale et celle constatée dans des conditions réelles d'utilisation qui s'élève au minimum à 23 %, ce qui est significatif pour des trajets à vocation quotidienne.

Enfin il sera observé que la société appelante était dans l'impossibilité de découvrir par elle même l'information dissimulée dès lors qu'il a fallu des investigations d'un expert pour déterminer la réelle autonomie du véhicule considéré.

En conséquence il y a lieu de faire droit à la demande de résolution du contrat avec toutes ses conséquences de droit en ce qui concerne la restitution du prix de vente et du véhicule litigieux.

Le jugement du tribunal de commerce sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts :

La demande de réparation au titre du préjudice de jouissance est recevable en son principe dès lors que la responsabilité de la société STELLANTIS & YOU FRANCE est engagée.

Par contre il ne peut être fait droit à la demande de condamnation à hauteur de 18,99 euros par jour à compter du 23 septembre 2020 puisque le véhicule n'a jamais été immobilisé.

Aucune information n'étant fournie sur les raisons pour lesquelles, la société CGEM CONSTRUCTION a cessé d'utiliser le véhicule dés avant les opérations d'expertise judiciaire alors qu'il ne présente aucun problème de fonctionnement, il y a lieu de ramener sa demande à la somme de 1000 € du fait des tracas subis par l'acquéreur pour l'organisation des rotations de son personnel.

Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société CGEM CONSTRUCTION partie des frais irrépétibles par elle exposés pour assurer sa représentation en justice. Il lui sera alloué la somme de 1500 € de ce chef pour l'ensemble de la procédure.

La CGEM CONSTRUCTION ayant dû exposer des frais d'expertise pour faire valoir ses droits, il y a lieu de condamner la société intimée à lui payer la somme de 258 € pour les frais d'expertise amiable outre les frais d'expertise judiciaire.

La partie qui succombe doit supporter les entiers frais de l'instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré,

Infirme le jugement du tribunal de Commerce de Toulouse en date du 9 mai 2023 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

Vu l'article 1112-1 du Code civil,

Ordonne la résolution de la vente du véhicule e-Partner Peugeot conclue le 16 septembre 2019 entre la SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION et la société STELLANTIS & YOU FRANCE (anciennement PSA RETAIL FRANCE) avec toutes ses conséquences de droit,

Ordonne la restitution du prix de vente de 18 990 € à la société CGEM CONSTRUCTION et la restitution subséquente du véhicule,

Condamne la société STELLANTIS & YOU FRANCE à payer à la société SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION la somme de 1000 € en réparation du préjudice subi outre la somme de 258 € pour les frais d'expertise amiable,

Rejette le surplus de ses demandes,

Condamne la société STELLANTIS & YOU FRANCE à payer à la société SAS COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ENTREPRISE MODERNE CONSTRUCTION dite CGEM CONSTRUCTION la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

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