Cass. com., 28 septembre 2010, n° 09-16.261
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Favre
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué, que par conventions du 23 janvier 2002, réitérées le 22 mars 2002, M. X... et MM. Saïd et Samed Z... ont cédé à la société Générale de location, devenue GL events, avec une garantie d'actif et de passif, la totalité des actions du capital de la société BS vision, exerçant essentiellement une activité de sous-traitant en construction navale et employant principalement ses salariés au moyen de contrats à durée déterminée dits "d'usage" ; que la société Lazard Frères banque (la banque) s'est portée garante à première demande de M. X... et que la société UBS a délivré une garantie à première demande pour le compte de MM. Z... ; qu'il était convenu que M. Saïd Z..., directeur général et directeur commercial de la société BS vision devait en rester le dirigeant pendant cinq ans et recevoir un paiement différé d'une partie du prix de cession de ses actions sur cette période ; qu'en raison de plusieurs litiges avec des salariés sollicitant la requalification de leurs contrats de travail à durée déterminée en contrats à durée indéterminée, la société GL events a notifié le 8 avril 2004 à M. X... et à MM. Z..., sa volonté de mettre en oeuvre la garantie de passif ; que la société GL events a notifié à la banque et à la société UBS qu'elle entendait mettre en oeuvre les garanties par elles accordées ; que M. X... a fait interdiction à la banque de verser les fonds; que la société UBS a opéré le versement d'une certaine somme ; que le 18 février 2005, la société GL events a assigné MM. X... et Z... en nullité de la cession sur le fondement du dol ; que M. Saïd Z... a sollicité la restitution de la somme versée par la société UBS à la société GL events, le paiement du solde du prix de vente et de dommages-intérêts pour rétention abusive de ce solde ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société GL events fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement ayant écarté l'existence d'un dol, alors, selon le moyen :
1°/ que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son contractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; que les conclusions de la société GL events faisaient précisément valoir que si elle avait connu le risque de requalification lié au recours aux contrats de travail précaire, elle n'aurait pas acquis les actions de la société BS vision ; que la cour d'appel, pour écarter tout dol des cédants, a relevé que les conséquences d'une telle requalification ont été écartées dans la clause de garantie de passif sans caractériser en quoi une telle omission démontrait que la société GL events avait connaissance, au jour de la cession, du risque de requalification, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
2°/ que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son contractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; que les conclusions de la société GL events faisaient précisément valoir que si elle avait connu le risque de requalification lié au recours aux contrats de travail précaire, elle n'aurait pas acquis les actions de la société BS vision ; que la cour d'appel, pour écarter tout dol des cédants a relevé que la société GL events avait participé au conseil d'administration de la société BS vision au cours duquel avait été discuté l'éventuel reclassement des salariés dont les contrats de travail n'étaient pas renouvelés sans caractériser en quoi une telle participation démontrait que la société GL events avait connaissance, au jour de la cession, du risque de requalification, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la société GL events avait connaissance non seulement du recours aux contrats d'usage mais aussi du risque qui y était lié ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, abstraction faite des motifs critiqués par la seconde branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société GL events fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement ayant dit n'y avoir lieu à la mise en jeu de la garantie de passif alors, selon le moyen, que le contrat de travail de durée déterminée conclu en méconnaissance des exigences légales peut être requalifié en contrat à durée indéterminée à la demande du salarié ; que dans une telle hypothèse l'indemnité de requalification naît dès la conclusion de ce contrat en méconnaissance des exigences légales et pèse ainsi sur l'employeur l'ayant conclu ; qu'en soustrayant néanmoins à la garantie de passif les indemnités dues aux salariés en raison de la requalification de leur contrat de travail au motif erroné que le fait générateur de ce préjudice est postérieur à la cession, et en imposant en conséquence leur charge définitive à la société GL events qui n'était pas l'employeur qui les a embauchés, la cour d'appel a violé l'article L. 1245-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société GL events ne pouvait prétendre que le fait générateur de la garantie serait antérieur à la cession alors que tous les contrats qui étaient en vigueur au jour de la cession ont été renouvelés par la conclusion de nouveaux contrats avec la société BS vision alors sous le contrôle de la société GL events , la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société GL events fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que l'article IV.01 de la convention de passif prévoyait que « les sommes nettes qui seraient dues par les garants seront exigibles à expiration d'un délai de 30 jours à compter
de la date de la réclamation adressée par le bénéficiaire ou la société BS vision, pour les suppléments de passifs ou insuffisances d'actifs qui se traduiraient par un décaissement par les sociétés, si les garants n'ont pas contesté cette demande dans ce délai »; que la cour d'appel a pourtant refusé de faire jouer la garantie de passif au profit de la société GL events tout en retenant que MM. Z... n'avaient pas contesté leur garantie dans le délai de 30 jours qui leur était imparti pour le faire ; qu'en refusant ainsi de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, elle a violé l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la société GL events ne pouvait prétendre que le fait générateur de la garantie était antérieur à la cession quand tous les contrats qui étaient en vigueur au jour de la cession ont été renouvelés par la conclusion de nouveaux contrats avec la société BS vision alors sous le contrôle de la société GL events ; que par ce seul motif, dont il résultait que la réclamation litigieuse n'entrait pas dans le champ d'application de la convention de garantie et que l'expiration du délai de 30 jours était sans emport, la cour d'appel a pu, abstraction faite du motif critiqué, statuer comme elle a fait ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société GL events fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement l'ayant condamnée à verser à M. Saïd Z... une certaine somme au titre du complément du prix de cession avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement alors, selon le moyen, que l'article 5 de la convention de cession du 23 janvier 2002 prévoyait que « M. Saïd Z... prend l'engagement de rester le dirigeant de la société BS vision pendant une durée minimum de cinq ans selon les modalités et la rémunération fixées en annexe 8. En garantie de cet engagement M. Saïd Z... a consenti un paiement différé tel que mentionné à l'article ci-dessus » ; qu'il résultait ainsi des termes clairs et précis de la convention de cession que le paiement du solde du prix des actions de M. Saïd Z... était subordonné au fait qu'il conserve sa qualité de dirigeant de la société BS vision ; qu'en accueillant pourtant la demande de M. Saïd Z... en paiement du solde du prix de cession en constatant que « le règlement du solde du prix n'était soumis à aucune condition ou restriction », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la convention de cession, en violation de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le règlement du solde du prix n'était soumis à aucune condition ou restriction, peu important les circonstances du départ de M. Saïd Z... de la société BS vision, la cour d'appel n'a pas dénaturé l'article 5 de la convention de cession ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le sixième moyen :
Attendu que la société GL events fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Saïd Z... une certaine somme égale au montant de celle perçue par elle en exécution de la garantie à première demande délivrée par la société UBS, sur le fondement de l'enrichissement sans cause alors, selon le moyen, que l'action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas où le patrimoine d'une personne se trouve, sans cause légitime, enrichi au détriment d'une autre personne ; que n'est pas sans cause l'enrichissement qui trouve sa cause dans un acte juridique, même passé entre l'enrichi et un tiers ; qu'en l'espèce" l'enrichissement de la société GL events trouvait sa cause dans la garantie à première demande conclue à son profit par la société UBS ; qu'en condamnant cependant la société GL events à restituer les sommes versées par la société UBS en accueillant l'action de in rem verso de M. Saïd Z..., la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil et les principes régissant l'enrichissement sans cause ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la garantie au titre du passif invoquée à l'encontre de M. Saïd Z... n'avait pas à être mise en jeu et que ce dernier avait remboursé à la société UBS la somme versée à la société GL events en exécution de la garantie à première demande, la cour d'appel a décidé à bon droit la restitution de la somme indûment versée par la société UBS ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le cinquième moyen :
Vu l'article 1153, alinéa 4, du code civil ;
Attendu que pour condamner la société GL events à payer à M. Saïd Z... une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt se borne à retenir que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts de ce dernier pour rétention abusive du solde du prix et que le préjudice sera évalué à la somme qu'il fixe ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi de la société GL events, la cour d'appel n' a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société GL events à payer à M. Saïd Z... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rétention abusive du prix de cession, l'arrêt rendu le 11 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société GL events et M. A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ainsi que celle de MM. Z... et condamne la société GL events et M. A... à payer à M. X... la somme globale de 2 500 euros et celle de 1 500 euros à la société Lazard Frères banque ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille dix.