CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 1 juillet 2014, n° 12/22624
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
HIRIGOYEN
Conseillers :
DELBÈS, BOYER
Le litige oppose les parties sur l'interprétation et la portée des engagements, stipulés à l'article 8 de la convention, souscrits par la société Saged de non exploitation dans le département de l'Essonne de centres techniques d'enfouissement de déchets de classe III, lors de la cession par la Saged à la société Entreprise Jean Lefebvre, désormais Vinci, des titres d'une société CEL poursuivant la même activité dans ce département.
La société Vinci, qui après la cassation intervenue n'invoque plus un manquement de la Saged à l'obligation de transmission de la clause de non-concurrence au cessionnaire de société CEL, soutient pour l'essentiel que :
- tant en lui-même, que rapproché des autres dispositions de la convention, l'engagement souscrit par la société Saged s'analyse en un engagement de porte-fort de la société holding pour le compte de ses filiales opérationnelles non cédées, parmi lesquelles figurait la société CEL qui disposait d'une autorisation d'exploitation de classe III,
- que la société Saged était expressément tenue par cet engagement durant 10 ans aux termes de l'article 8.4 de la convention,
- que cet engagement, lié à l'engagement réciproque de la société cessionnaire de ne pas exploiter de centre d'enfouissement de déchets de classe II pendant une même durée, a seul déterminé son accord sur la chose et sur le prix, lui assurant une absence de concurrence directe dans la même activité sur le département de l'Essonne durant 10 ans,
- que la référence expresse audit engagement dans la convention par laquelle la société Saged a cédé, trois ans plus tard, à une société Semardel la décharge en cause en garantissant à cette dernière, 'sans franchise ni plafond dans l'indemnisation', que ledit engagement ne restreignait en rien l'activité d'exploitation de la société cédée, confirme la parfaite conscience de ses obligations par le promettant,
- qu'il importe peu que l'engagement de porte-fort n'ait pas été nommé, dès lors qu'il peut être implicite, ni que le tiers n'ait pas été déterminé, dès lors qu'il s'agissait sans équivoque de la société CEL filiale à 100 % du promettant, laquelle exploitait le site de Ballancourt dont il convenait de s'assurer que l'activité de centre technique de déchets de classe III n'y serait pas exploitée durant 10 ans,
- de sorte qu'en ayant cédé la dite société en libérant le cessionnaire de toute obligation de ratification de la promesse souscrite, envisageant de surcroît expressément une indemnisation de ce dernier si ladite promesse lui était opposée, la société Vinci a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard.
La société DCR Entreprises fait valoir, au soutien de son appel :
- que seule la société Saged était tenue par l'interdiction d'exploitation d'une centre d'enfouissement de déchets de classe III, et qu'elle n'a nullement contrevenu à son obligation, n'ayant jamais elle-même exercé une telle activité,
- que la Saged n'a souscrit à aucun engagement de cession dudit engagement de non-concurrence en cas de cession de la société CEL à un tiers,
- que les clauses de non-concurrence s'interprètent strictement,
- que faute de volonté clairement exprimée, il ne saurait y avoir en l'espèce de promesse de porte-fort implicite, en particulier s'agissant d'un tiers avec lequel la Saged n'entretenait aucune relation, l'exploitation litigieuse n'ayant débuté que postérieurement à la cession de la société CEL à la société Semardel avec laquelle elle n'entretient aucun lien capitalistique,
- que le délai d'engagement de dix ans prévu par la convention ne lui est pas opposable en cas de cession, l'obligation de non-concurrence cessant à cette date,
- qu'aucune interprétation contraire ne saurait être tirée des mentions insérées dans l'acte de cession conclu le 14 mars 2011 entre Saged et Semardel, la référence à l'obligation de non concurrence qu'avait souscrit la première à l'égard de la société Entreprise Jean Lefebvre n'ayant procédé que d'un souci de transparence.
Il est constant que la société Saged a souscrit à une obligation de non-concurrence au bénéfice de la société Entreprise Jean Lefebvre lors de la cession à cette dernière le 24 novembre 1998 des titres d'une société MEL qui exploitait un centre technique d'enfouissement de déchets de classe III dans l'Essonne en s'interdisant d'exploiter dans ce département un centre de même catégorie.
Les parties s'accordent sur la cause de cette stipulation tirée de la circonstance qu'à la date de cette cession, la société Saged avait pour filiale un société CEL, non cédée, qui détenait une autorisation administrative d'exploitation, alors non mise en oeuvre, d'un centre d'enfouissement de même catégorie situé à Ballancourt dans l'Essonne.
Elles sont en revanche contraires sur le débiteur de cette obligation de non-concurrence, le CDR Entreprises, venant aux droits du cédant Saged, soutenant que seule cette dernière, à titre personnel, était débitrice de l'obligation de non-concurrence et qu'elle n'y a pas manqué, n'ayant jamais exploité un centre d'enfouissement, tandis que la société Vinci, venant aux droits du cessionnaire Entreprise Jean Lefebvre, soutient que Saged s'était nécessairement engagée pour le compte de sa filiale CEL en se portant fort de la non exploitation par cette dernière d'activités de classe III sur le site de Ballancourt.
Selon l'article 1161 du code civil, toutes les clauses des conventions s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier et selon l'article 1157 lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle ne pourrait en produire aucun.
Il sera relevé au préalable que, contrairement à ce que soutient le CDR Entreprises, l'article 8 de la convention relatif aux engagements de non-concurrence est équivoque, l'article 8.2 faisant interdiction à Saged 'de s'intéresser et de participer directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit ou à quelque titre que ce soit à toute activité' susceptible de concurrencer les sociétés cédées, le premier alinéa de l'article 8.3 stipulant 'en particulier' l'engagement de Saged 'à ne pas exploiter un centre d'enfouissement technique de classe III dans le département de l'Essonne', sans référence alors à une exploitation directe et indirecte sous quelque forme que ce soit comme précédemment, quand le deuxième alinéa du même article prévoit enfin diverses hypothèses d'exploitation par 'Saged ou par un tiers qu'elle se substituerait'.
La disposition litigieuse, en l'espèce l'alinéa premier de l'article 8.2, est dès lors susceptible d'interprétation quant à la débitrice et à la portée de l'obligation de non-concurrence.
Or, la société Saged étant une société holding sans activité opérationnelle, l'interprétation défendue par l'appelante aux termes de laquelle la Saged se serait seule engagée à ne pas exploiter un centre de classe III, priverait de toute portée l'obligation souscrite, laquelle ne peut dès lors s'entendre que comme visant ses filiales opérationnelles non cédées et singulièrement la société CEL qui disposait d'une autorisation d'exploitation de classe III pour le site de Ballancourt, directement concurrent des sociétés cédées si ladite autorisation y était mise en oeuvre.
Cette interprétation se trouve en outre corroborée par la locution 'en particulier' qui, figurant en début de l'article 8.3, rattache directement l'obligation ensuite énoncée au paragraphe 8.2 qui précède, lequel interdit à la Saged tout intérêt ou participation 'directement ou indirectement' dans une activité concurrente aux activités cédées.
Il en résulte, comme le soutient désormais la société Vinci, que l'engagement souscrit par la Saged était nécessairement un engagement de porte- fort, au sens de l'article 1120 du code civil, par lequel la Saged, promettant, s'engageait pour le compte d'un tiers, la société CEL qui exploitait le site de Ballancourt, à l'égard de son cocontractant, la société Entreprise Jean Lefebvre.
Une promesse de porte-fort peut être tacite dès lors que l'acte manifeste l'intention certaine du promettant de s'engager pour un tiers.
Tel est le cas en l'espèce, comme cela ressort du choix des parties de consacrer un paragraphe distinct de leur convention, l'article 8.3, à l'interdiction d'exploitation d'un centre d'enfouissement de classe III dans le département de l'Essonne, quand l'article précédent qui visait tous les départements de l'Ile-de-France se suffisait à lui-même, conférant ainsi à la disposition litigieuse un caractère déterminant dans l'équilibre de la convention, compte tenu de la circonstance, non contestée, de la détention par la filiale CEL d'un permis d'exploiter un centre de la même catégorie dans ce département.
Il importe peu enfin que le tiers pour lequel la société Saged s'est portée fort ne soit pas précisément désigné dès lors qu'il ressort des pièces produites, des écritures des parties et des circonstances qui ont présidé à la stipulation de la clause litigieuse, que la société CEL était spécialement concernée pour disposer d'une autorisation d'exploiter directement concurrente des activités cédées, le promettant et le tiers entretenant à la date de la convention des liens particulièrement étroits, la société Ced étant filiale à 100% du promettant.
En s'étant obligée pour une durée de 10 ans, la société Saged a garanti à son cocontractant, durant cet entier délai, l'absence d'exploitation par la société CEL d'un site de classe III dans le département de l'Essonne, sans qu'aucune disposition de la convention ne la libère de cet engagement en cas de cession de la société CEL au cours de ladite période.
Le CDR Entreprises ne saurait invoquer à cet égard les stipulations de la convention de cession de CEL qu'elle a conclue avec la société Semardel, lesquelles ne sont pas opposables à l'intimée.
Enfin, si la société Semardel, tiers à l'acte du 24 novembre 1998, n'est pas engagée par l'obligation de non-concurrence qui y était stipulée, celui qui s'est engagé à une obligation de non-concurrence durant un certain délai en se portant fort pour un tiers, engage sa responsabilité contractuelle à l'égard du bénéficiaire quand l'engagement souscrit n'a pas été réalisé.
Pour ces motifs, substitués à ceux des premiers juges, le jugement déféré sera confirmé tant en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Vinci, venant aux droits et obligations de la société Saged, ensuite de la transmission universelle de patrimoine de la seconde à la première, qu'en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [K].
Sur les autres demandes
La société Vinci demande à la cour de faire usage de l'article 568 du code de procédure civile et de lui allouer, sur la base du pré-rapport déposé par l'expert, une provision d'un montant de 900.000 euros.
Mais il est constant que l'expert [K] n'a pas à ce jour déposé son rapport définitif, de sorte que l'évocation du litige, qui priverait les parties d'un degré de juridiction, ne s'impose pas et la société Vinci sera déboutée de sa demande à cet égard comme de sa demande de provision en l'absence, en cet état, de toute discussion contradictoire et utile sur le quantum d'un préjudice certain ou d'évidence.
Il sera alloué en équité la somme de 10.000 euros à la société Vinci sur le fondement de l'article 700 du code de procédure cPAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne la société Consortium de Réalisation Entreprises ( CDRE) à payer à la société Vinci et à la société Matériaux Routiers Franciliens (MRF), prises ensemble, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,ivile.