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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 13, 18 novembre 2025, n° 22/10552

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/10552

18 novembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 18 NOVEMBRE 2025

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/10552 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF5FO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Avril 2022 -Tribunal Judiciaire de PARIS - RG n° 20/11525

APPELANTS :

Madame [P] [M]

[Adresse 5]

[Localité 10]

Monsieur [S] [I]

[Adresse 2]

[Localité 8]

S.A.S. [Adresse 3] NOTAIRES venant aux droits de la SCP [A] [N], [P] [M], [S] [I] et [D] [L] et représentée par Me [F] [V] en qualité de mandataire judiciaire

[Adresse 3]

[Localité 11]

Ayant tous pour avocat constitué Maître Virginie TEICHMANN, avocat au barreau de PARIS, toque : A353

et pour avocat plaidant Maître Jean-François FERRAND, avocat au Barreau de BORDEAUX

INTIMES :

Monsieur [H] [T]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Madame [G] [B] épouse [N] en qualité d'ayant droit de [A] [N]

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentés par Maître Anne VAISSE de l'ASSOCIATION BREMOND VAISSE SERVANT, avocat au barreau de PARIS, toque : R038

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et Madame Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Madame Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Michelle NOMO

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 novembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

[A] [N], notaire associée de la Scp [N]-[M]-[I]-[L] (la Scp), a notifié à ses associés le 27 novembre 2018 son intention de se retirer de la Scp sans présentation d'un cessionnaire de ses parts.

En raison d'un désaccord des associés sur le prix de rachat de ses parts, elle a saisi le président du tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, lequel par ordonnance en la forme des référés du 10 janvier 2020 a désigné M. [O], expert, afin de déterminer la valeur de celles-ci.

[A] [N] est décédée le [Date décès 4] 2020, laissant pour lui succéder sa mère, [G] [N], qui a accepté sa succession le 31 août 2020.

Par acte du 29 juillet 2020, M. [H] [T], agissant en qualité de mandataire posthume de [A] [N], a saisi le tribunal judiciaire de Paris selon la procédure accélérée au fond aux fins de voir ordonner aux associés restants de la Scp la communication de pièces sollicitées par l'expert. Par jugement du 5 octobre 2020, le tribunal l'a déclaré irrecevable à agir.

M. [O] a déposé son rapport le 1er octobre 2020, dans lequel il évalue les 671 parts de [A] [N] à la somme de 3 439 000 euros soit un prix unitaire de 5 126 euros.

La Scp [N]-[M]-[I]-[L] est devenue la Sas [Adresse 3] Notaires.

C'est dans ces circonstances que, par acte du 18 novembre 2020, Mme [G] [B] épouse [N], en qualité de légataire de sa fille [A] [N] et M. [H] [T], en qualité de mandataire post mortem de [A] [N], ont assigné la Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [P] [M], M. [S] [I] et M. [D] [L] devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement du 6 avril 2022, le tribunal a :

- condamné solidairement la Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [P] [M], M. [S] [I] et M. [D] [L] à payer à Mme [G] [B] épouse [N] la somme de 3 439 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2020, capitalisables selon les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

- condamné in solidum la société [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] aux dépens,

- condamné in solidum la société [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] à payer à Mme [G] [N] la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que la décision est exécutoire de droit à titre provisoire,

- débouté les parties du surplus de leur demandes (dont la demande de Mme [G] [N] en paiement des intérêts payés au titre du préjudice lié au défaut de remboursement d'un emprunt de 2 320 000 euros souscrit par sa fille en 2015).

La Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] ont formé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 1er juin 2022.

M. [L] a cessé d'exercer au sein de la Sas [Adresse 3] Notaires après la publication, le 6 mai 2022, de l'arrêté du 29 avril 2022 du garde des Sceaux qui a mis fin à ses fonctions et l'a nommé notaire associé de la Sas Not'avenir.

Par ordonnance du 18 avril 2023, le conseiller de la mise en état a :

- déclaré parfait le désistement d'appel de M. [L] à l'encontre de Mme [G] [N] et M. [H] [T],

- rappelé que la cour reste saisie de l'appel de la Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [M] et M. [I].

La Sas [Adresse 3] Notaires a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 juillet 2023, la Selarl AJ Meynet et associés, prise en la personne de Me [C] [R], étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et Me [F] [V] en qualité de représentant des créanciers. Cette mesure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 11 janvier 2024, Me [V] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte du 15 septembre 2023, Mme [G] [N] et M. [H] [T] en leurs qualités respectives d'ayant droit et de mandataire post mortem de [A] [N], ont fait assigner en intervention forcée à la procédure M. [V] ès qualités et la Selarl AY Meynet aux fins de voir :

- ordonner la jonction de l'assignation en intervention forcée à la procédure,

- confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que l'expert M. [O] n'avait pas commis le moindre manquement au contradictoire, ni la moindre erreur grossière dans le cadre de son évaluation des parts de [A] [N],

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que :

- la Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] étaient solidairement tenus de payer à Mme [N] la somme 3 439 000 euros, celle-ci portant intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2020 et capitalisables selon les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

- la Sas [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] étaient tenus, in solidum, aux dépens, ainsi qu'à verser la somme de 8 000 euros à Mme [N] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter l'ensemble des appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

statuant à nouveau,

à l'égard de la Sas [Adresse 3] Notaires,

en l'état de la procédure de redressement judiciaire ouverte à son égard par jugement du 6 juillet 2023 et de la déclaration de créance de Mme [N] en date du 8 septembre 2023,

- fixer la créance de Mme [G] [N] au passif de la Sas [Adresse 3] Notaires, au titre des condamnations prononcées par le jugement dont appel, à la somme de 2 492 743,35 euros, telle que calculée et arrêtée au 5 juillet 2023, déduction faite des montants saisis, de quelques règlements volontaires de la Sas [Adresse 3] Notaires et de la valorisation de la part divise d'un des quatre codébiteurs solidaires qui a effectué un règlement transactionnel à la succession [N], M. [L],

y ajoutant,

- fixer la créance de Mme [N], au titre de ses frais irrépétibles d'appel, à la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

à l'égard des codébiteurs solidaires de la Sas [Adresse 3] Notaires,

Vu l'ordonnance de désistement d'appel partiel du 18 avril 2023 qui a déclaré parfait le désistement d'appel de M. [L] du 6 avril 2023, qu'ils ont accepté le 17 avril 2023,

- juger d'abord que, dans le cadre de l'exécution partielle par les appelants des condamnations prononcées par le jugement dont appel, l'accord intervenu entre eux et M. [L] les a conduit à déduire la part divise de M. [L] dans le solde de la dette solidaire restant dû en 2023 à hauteur d'un quart de 3 073 534,38 euros, soit la somme de 768 384,60 euros, conformément à l'article 1316 du code civil,

- juger ensuite que les condamnations, solidaires et in solidum, de Mme [M] et M. [I], associés en exercice de la Sas [Adresse 3] Notaires et appelants aux côtés de celle-ci, à hauteur des montants en principal de 3 439 000 euros et 8 000 euros devront être confirmées, de même que, sur le principe, pour M. [L], à l'égard duquel le jugement est devenu définitif, M. [L] s'étant désisté de son appel à l'encontre de cette condamnation après s'être acquitté, dans le cadre d'un accord transactionnel, de la part divise de sa dette,

- condamner in solidum Mme [M] et M. [I] à verser à Mme [N] la somme de 10 000 euros, sauf à parfaire, au titre de ses frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 17 juillet 2024, la société par actions simplifiée [Adresse 3] Notaires, représentée par Me [V], en sa qualité de liquidateur judiciaire, Mme [P] [M] et M. [S] [I] demandent à la cour de :

- les accueillir en leur appel,

- infirmer totalement le jugement,

et statuant à nouveau,

- constater que jusqu'au 31 août 2020 -information portée à la connaissance des parties à l'expertise le 4 septembre 2020-, M. [T] en qualité de mandataire posthume de [A] [N], n'avait pas la capacité pour signer l'acte de mission proposé par M. [O],

- constater que jusqu'au 31 août 2020 toutes les investigations menées par M. [O] l'ont été sans mandat et sont irrégulières, notamment lorsqu'il a obtenu le 17 juillet 2020 de la chambre des notaires de Paris des informations qualifiées de confidentielles et qui à ce jour ne leur ont pas été communiquées par l'expert,

- constater qu'à l'occasion du déroulement des opérations d'expertise, l'expert M. [O] a commis des manquements caractérisés et répétés au principe du contradictoire et à la loyauté des débats constitutifs d'un traitement inéquitable entre les parties alors que par ailleurs l'expert s'est mépris sur les pouvoirs qui étaient les siens,

- juger que l'expert a méconnu certaines règles élémentaires dans le déroulement de son expertise constitutives d'erreurs grossières aboutissant à une valorisation de l'actif sans rapport avec la réalité,

en conséquence,

- annuler le rapport de M. [O] du 1er octobre 2020,

- condamner Mme [N] à leur rembourser l'intégralité des sommes qu'elle a perçues au titre des différentes saisies (saisie conservatoire et saisies attribution) pratiquées en garantie de sa créance et en exécution du jugement soit :

- 254 186,37 euros au profit de la Sas [Adresse 3] Notaires représentée par son liquidateur Me [V],

- 181 543,22 euros au profit de Mme [M],

- 84 891,79 euros au profit de M. [I],

- les condamner à leur verser la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 18 novembre 2022, Mme [G] [N] et M. [H] [T] en leurs qualités respectives d'ayant droit et de mandataire post mortem de [A] [N], demandent à la cour de : - confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que l'expert n'avait pas commis le moindre manquement au contradictoire, ni la moindre erreur grossière dans le cadre de son évaluation des parts de [A] [N],

- confirmer en conséquence le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter l'ensemble des appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- débouter M. [D] [L] de sa demande tendant, à titre subsidiaire, à voir écarter toute solidarité entre la Sas [Adresse 3] Notaire, Mme [P] [M], M. [S] [I] et M. [D] [L], cette prétention étant irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, et en toute hypothèse mal fondée,

- condamner in solidum la Sas [Adresse 3] Notaire, Mme [P] [M], M. [S] [I] et M. [D] [L] à lui verser la somme de 10 000 euros, sauf à parfaire, au titre de ses frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 juin 2025.

La cour, mettant en débat l'arrêt rendu par la Cour de cassation (Ccass Com. 19 avril 2005 03-11 790 publié), ayant jugé que 'En se remettant, en cas de désaccord sur le prix de cession de droits sociaux, à l'estimation d'un expert désigné conformément à l'article 1843-4 du code civil, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi et, à défaut d'erreur grossière, il n'appartient pas au juge de remettre en cause le caractère définitif de cette décision. L'expert dispose de toute latitude pour procéder à cette estimation selon les critères qu'il juge opportuns sans avoir à respecter le principe de la contradiction', a invité les parties à former leurs observations par note en délibéré devant être déposée dans le délai de 15 jours. Chacune des parties a déposé une note en délibéré dans les délais impartis.

SUR CE,

Sur la jonction de procédures :

L'assignation en intervention forcée ayant été délivrée dans le dossier 22-10552 et versée à celui-ci sans faire l'objet d'une procédure distincte, il n'y a pas lieu à jonction de procédures déjà traitées ensemble.

Sur la validité du rapport de M. [O] :

Le tribunal a écarté toute erreur grossière de l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil aux motifs que :

- le débat sur la signature de l'acte de mission est sans effet sur la désignation de l'expert, nommé par ordonnance du 10 janvier 2020 non susceptible de recours, et qui pouvait régulièrement démarrer ses opérations à compter de cette date,

- sur le respect du principe du contradictoire,

- l'expert a adressé aux parties un rapport de synthèse le 24 août 2020, en leur impartissant un délai courant jusqu'au 20 septembre 2020 pour lui faire part de leurs observations,

- il a inclu dans son rapport définitif une réponse au principal grief qui lui était opposé, à savoir sa méthode d'évaluation, pour l'écarter, et a refusé l'organisation d'une réunion de synthèse compte tenu du décès de [A] [N] et de l'attitude peu coopérative des associés défendeurs,

- sur la date d'évaluation,

- l'expert a déterminé la date de fixation de la valeur des parts, qui doit être celle la plus proche du remboursement, au 31 décembre 2019, compte tenu de sa proximité avec l'arrêté du garde des Sceaux du 26 décembre 2019 déclarant [A] [N] démissionnaire et avec son départ de l'étude, et de ce que cette date correspond à la clôture annuelle de l'exercice et à l'arrêté du bilan de la société, dont les conditions sont plus sûres qu'une situation intermédiaire en cours de mois ou d'année,

- rien ne démontre que l'évaluation des parts de [A] [N] aurait été substantiellement différente si elle avait plutôt été effectuée au 11 janvier 2020 comme l'ont proposé la Sas [Adresse 3] Notaires et les associés, et non au 31 décembre 2019,

sur la méthode d'évaluation et les éléments chiffrés retenus,

- les statuts de l'étude notariale ne prévoyant aucune règle ni modalité d'évaluation, l'expert disposait d'une entière liberté d'appréciation pour fixer la valeur des parts sociales selon les critères qu'il jugeait opportuns,

- l'expert a écarté, après les avoir analysées, les méthodes d'évaluation proposées par le cabinet Ernst & Young et a choisi trois approches conduisant à trois valorisations différentes de l'étude pour retenir la valeur de productibilité en expliquant ce choix.

Les appelants sollicitent l'annulation du rapport d'expertise qu'ils estiment entaché de diverses erreurs grossières, en ce que :

- l'expert a débuté et poursuivi les opérations d'expertise sans en avoir la capacité ou le pouvoir puisque ce n'est que le 4 septembre 2020 qu'a été portée à sa connaissance l'acceptation par Mme [G] [N] de la succession à concurrence de l'actif net et que M. [T], mandataire à titre posthume de [A] [N], n'avait pas la capacité de signer l'acte de mission qu'il lui a adressé le 21 mai 2020 ainsi que l'a retenu le tribunal judiciaire de Paris par jugement du 5 octobre 2020,

- les opérations d'expertise se sont déroulées au mépris du principe du contradictoire et de la loyauté des débats, dès lors que :

- l'expert a sollicité auprès de la chambre des notaires de Paris des documents qu'il a lui-même qualifiés de confidentiels, les privant ainsi de tout examen de ces documents qu'il a néanmoins exploités pour déterminer la valeur des parts sociales de [A] [N],

- l'expert n'a pas répondu à leur dire adressé par courriels du 20 septembre 2020 puis par Chronopost et par courrier recommandé le 24 septembre 2020, en faisant valoir leur tardivité, et a refusé d'organiser une réunion de synthèse en raison du décès de [A] [M] alors qu'une telle réunion était expressément prévue dans l'acte de mission, déposant précipitamment son rapport le 1er octobre 2020 alors qu'il avait été annoncé pour le 15 octobre et ce, sans répondre à leur courrier du 30 septembre 2020 et afin d'éviter d'avoir à prendre en compte le jugement rendu le 5 octobre 2020,

- dans leur note en délibéré, ils précisent qu'il n'existe aucun motif exonérant l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil du respect du principe du contradictoire, principe directeur fondamental du procès,

- l'expert a commis une erreur grossière en choisissant une méthode d'évaluation fondée sur des critères et des chiffres arbitrés systématiquement au profit de [A] [N], motifs pris que:

- seules 168 des 671 parts détenues par [A] [N] peuvent être évaluées en tenant compte de l'activité réelle à laquelle elle a concouru, puisque ses 503 autres parts ont été acquises le 11 décembre 2015 dans le cadre d'une opération de portage,

- il aurait dû tenir compte dans son calcul du chiffre d'affaires de l'étude du départ de plusieurs associés et salariés,

- il aurait dû prendre en compte des données prévisionnelles de nature à affecter l'activité de l'étude telles que les effets du Covid, la perspective d'une baisse de tarif au 1er janvier 2021 en application des dispositions de la loi Croissance et le doublement en cinq ans du nombre de notaires dans le ressort de la chambre des notaires de Paris, également prévu par la loi Croissance,

- la valorisation de l'étude notariale qu'il propose n'est pas équilibrée dès lors qu'elle est fondée sur la méthode dite de la productivité, laquelle aboutit généralement à une valorisation élevée de l'entreprise et prend en compte la dynamique et le potentiel de rentabilité future, alors que depuis 2015, l'étude a perdu la moitié de son chiffre d'affaires et tous ses associés seniors, et doit affronter les effets du Covid et leurs incertitudes,

- une valorisation pertinente des parts de [A] [N] devait être fondée sur une approche multicritères telle qu'adoptée par le cabinet Ernst and Young, et que l'expert a refusé d'adopter sans motiver ce choix,

- l'expert a commis diverses erreurs chiffrées et en particulier :

- dans la détermination du chiffre d'affaires de référence sur la période 2015-2019, il a omis de déduire de celui-ci le chiffre d'affaires réalisé par M. [K] [W], lequel a quitté l'étude avec ses clients, dossiers et collaborateurs en avril 2017,

- il a pris en compte à tort le prix transactionnel de cession des 168 parts de M. [W] comme paramètre pour déterminer la valeur de l'étude,

- il a tenu compte à tort de la clientèle de [A] [N] dans le calcul du chiffre d'affaires de référence de l'année 2020 et des années ultérieures, alors qu'elle est décédée sans présentation de clientèle,

- il a retenu le chiffre d'affaires de l'année 2015 au coefficient 1, sans en diminuer la portée, alors qu'il s'agit de la dernière année de présence des deux plus anciens associés de l'étude, MM. [X] et [U], et qu'elle a été une année exceptionnelle marquée par des actes non récurrents, en sorte qu'il a procédé à la valorisation d'une entreprise qui en tant que telle n'existe plus,

- il n'a tiré aucune conséquence du constat de l'importante diminution des effectifs des salariés de l'étude, maintenant le chiffre d'affaires 2015 au coefficient 1 alors que l'étude comptait 66 salariés en 2015 contre 32 aujourd'hui,

- il a retenu des critères qu'il n'a pas explicités, tels que l'abattement de 15% appliqué au chiffre d'affaires moyen de référence, le taux de 70% appliqué à 4 millions d'euros de chiffre d'affaires, le taux de 50% appliqué à 4,8 millions de chiffre d'affaires, et la multiplication de 2,5 appliquée au résultat courant moyen 2015-2019.

Mme [N] et M. [T] répliquent que :

sur la vaine remise en cause par les appelants de l'absence de signature de l'acte de mission,

- les opérations d'évaluation, ordonnées et mises en oeuvre du vivant de [A] [N], pouvaient et devaient légitimement se poursuivre à la suite de son décès,

- le fait que M. [T] n'ait pas la capacité de signer l'acte de mission n'a pas d'incidence sur la régularité des opérations menées par M. [O] avant le 31 août 2020, dès lors que la procédure qui a établi cette incapacité est étrangère à son intervention en exécution de l'ordonnance du 10 janvier 2020 l'ayant nommé, et qui rend certain l'acquiescement des associés de [A] [N] à sa demande d'évaluation,

sur la mise en oeuvre de la mesure d'expertise et le respect du principe du contradictoire,

- comme l'a justement relevé le tribunal, l'expert a pris en compte le projet de rapport du cabinet Ernst & Young, en répondant au grief portant sur sa méthode d'évaluation dans son rapport définitif,

- les appelants sont malvenus à se prévaloir de ce que l'acte de mission de l'expert prévoyait une réunion de synthèse, dès lors qu'il ont refusé de signer ledit acte,

- dans leur note en délibéré, ils précisent que l'arrêt de la Cour de cassation du 19 avril 2005 était déjà mis en débat dans ses conclusions et dans l'assignation en intervention forcée, est corroboré par un arrêt de la chambre commerciale du 8 mars 2011, également publié, et qu'en tout état de cause le principe du contradictoire a été respecté,

sur la méthode d'évaluation,

- en application de l'article 1843-4 du code civil, seul l'expert détermine les critères qu'il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits sociaux,

- le document d'évaluation du cabinet Ernst & Young est irrecevable et dénué de valeur, dès lors qu'il se fonde sur la méthode prospective de valorisation, dont l'expert a souligné le caractère inadapté à la finalité de l'évaluation du prix des parts d'un associé sortant, qui doit être basée non pas sur des données prévisionnelles, mais sur les bilans récents de l'étude, qui traduisent l'activité réelle à laquelle a concouru l'associé cédant, répondant ainsi au moyen formé par les appelants,

- l'expert, qui n'avait pas connaissance de l'évaluation réalisée en mai 2019 par Me Brémond, avocat, à destination du mandataire posthume, laquelle aboutit à une valorisation à un montant supérieur ou équivalent, explicite clairement dans son rapport le caractère complet et objectif des renseignements sur la base desquels il a procédé à son évaluation, en indiquant qu'il a pu obtenir de la chambre des notaires ceux qui ne lui avaient pas été fournis par les associés en sorte que le sérieux de sa méthode et de son travail ne peut donc être remis en cause,

- si les appelants reprochent à l'expert de ne pas avoir tenu compte du décès de [A] [N] sans présentation de clientèle, son décès aurait plutôt pour effet de fidéliser à l'étude sa clientèle, pour autant que celle-ci ait été satisfaite des prestations de ses successeurs,

- la prise en compte pour l'avenir des effets du Covid-19 n'est pas l'objet de la mission du tiers évaluateur, la démarche d'évaluation étant de restituer à un associé la part lui revenant dans l'entreprise commune,

- l'évaluation de l'expert excluant la méthodologie prévisionnelle est conforme aux préconisations de la chambre des notaires de Paris et de la jurisprudence de la Cour de cassation,

sur les éléments chiffrés retenus,

- les appelants font grief à tort à l'expert de ne pas avoir pris en compte, dans la détermination du chiffre d'affaires de référence, la cession des parts sociales de M. [W] intervenue en 2017, laquelle est nécessairement reflétée dans les comptes d'exercices de 2017 à 2019,

- si les appelants reprochent à l'expert d'avoir retenu l'année 2015 en dépit du fait qu'il s'agissait d'une année exceptionnelle et de la dernière année de présence des deux plus anciens associés de l'étude, l'expert a cependant pris en compte la baisse du chiffre d'affaires et la difficulté de la conjoncture les années postérieures pour l'évaluation des parts sociales de [A] [N],

- l'expert a d'autant moins commis une erreur grossière dans l'évaluation des parts de [A] [N] que les dispositions de l'article 1843-4 ont pour finalité la protection des intérêts de l'associé cédant.

Selon l'article 1843-4 du code civil,

'Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible'.

En se remettant, en cas de désaccord sur le prix de cession de parts, à l'estimation d'un expert désigné conformément à l'article 1843-4 du code civil, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi, et le juge est lié par cette évaluation et ne peut l'écarter qu'en cas d'erreur grossière justifiant l'annulation de son rapport.

Sur la mission de l'expert :

Le pouvoir de désigner l'expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil appartient au seul président du tribunal, et la décision par laquelle il désigne un expert pour déterminer la valeur des droits sociaux conformément à cet article n'est pas susceptible de recours, sauf en cas d'excès du pouvoir.

L'expert a été désigné par le président du tribunal judiciaire de Paris saisi par [A] [N] sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, selon ordonnance en la forme des référés du 10 janvier 2020, avec pour mission de déterminer la valeur des parts de [A] [N].

Il tient son pouvoir de cette ordonnance, et non pas de la signature par les parties d'un acte de mission qu'il indique dans son rapport avoir établi afin de fixer un cadre facilitant les opérations d'évaluation laquelle est, selon les dispositions légales, insusceptible de recours et ce, peu important qu'il ait estimé en préambule de cet acte que sa signature par les parties était nécessaire.

Il pouvait donc régulièrement débuter les opérations d'expertise à compter de sa désignation, nonobstant le fait qu'il ait indiqué, par courriels des 30 avril et 13 mai 2020, ne pas se considéré être engagé par la mission en l'absence de signature de l'acte de mission et d'acceptation de la charge de ses honoraires.

Il est de même inopérant que M. [T] ait ou non eu la capacité de signer cet acte de mission le 21 mai 2020 en sa qualité de mandataire posthume de [A] [N], que les appelants aient refusé de signer cet acte aux motifs du défaut de capacité juridique à le signer de M. [T], qui a finalement été retenu par le tribunal judiciaire de Paris dans son jugement du 5 octobre 2020 ayant déclaré M. [T] irrecevable en sa demande de communication de pièces, et que Mme [G] [N] n'ait accepté la succession de sa fille que le 31 août 2020.

Sur le respect du contradictoire :

L'expert désigné au titre de l'article 1843-4 du code civil n'est pas un expert judiciaire soumis au respect des obligations applicables aux expertises judiciaires prévues par les dispositions du code de procédure civile, en particulier les articles 232 et suivants du code de procédure civile mais un tiers évaluateur désigné à la demande des parties.

La Cour de cassation (Ccass Com. 19 avril 2005 03-11 790 publié) a jugé que 'En se remettant, en cas de désaccord sur le prix de cession de droits sociaux, à l'estimation d'un expert désigné conformément à l'article 1843-4 du code civil, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi et, à défaut d'erreur grossière, il n'appartient pas au juge de remettre en cause le caractère définitif de cette décision. L'expert dispose de toute latitude pour procéder à cette estimation selon les critères qu'il juge opportuns sans avoir à respecter le principe de la contradiction'.

Par arrêt du 8 mars 2011 (Ccass Com. pourvoi 10-40 069 et 10-40.072, publié), elle a rejeté la question prioritaire de constitutionnalité des dispositions de l'article 1843-4 du code civil, 'en ce qu'elles prévoient la désignation d'un expert auquel il appartient seul, selon les critères qu'il juge opportuns, de déterminer la valeur des droits sociaux sans avoir à respecter le principe de la contradiction et hors de tout respect des droits de la défense', aux motifs que 'les dispositions de l'article 1843-4 du code civil, qui n'ont ni pour objet ni pour effet d'investir l'expert du pouvoir de prononcer une sanction ayant le caractère d'une punition et ne font pas par elles-mêmes obstacle à l'application d'une procédure contradictoire, visent seulement à garantir, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux ou le rachat de ceux-ci par la société, et s'il y a désaccord sur leur valeur, la juste évaluation des droits du cédant par l'intervention d'un tiers chargé de fixer cette valeur pour le compte des parties sans être tenu de se plier à des clauses qui pourraient être incompatibles avec la réalisation de cet objectif'.

Si rien n'interdit à l'expert de l'article 1843-4 du code civil de prendre l'initiative d'organiser des réunions contradictoires et de recueillir les observations des parties sur un projet d'évaluation, il n'y est pas contraint.

Le tiers évaluateur était libre de fixer le calendrier des opérations, qu'il indique avoir transmis aux parties le 3 juin 2020, prévoyant une synthèse fin août avec observations des parties pour le 20 septembre et l'envoi de son rapport d'évaluation en octobre. L'opportunité de tenir une réunion de synthèse relevant de sa libre appréciation, il ne saurait lui être fait grief de ne pas y avoir procédé.

Les appelants sont d'autant plus mal fondés à faire valoir le caractère contractuel de l'acte de mission prévoyant la tenue d'une réunion de synthèse avant la rédaction définitive du rapport, qu'ils n'ont pas signé cet acte et qu'ils ont sollicité la tenue d'une telle réunion le jour de la date butoir pour former un dire, par courriel adressé au tiers évaluateur le 20 septembre 2020 à 19 heures 01.

L'expert a par ailleurs expliqué ce choix par courrier du 29 septembre 2020 puis dans son rapport, dans lequel il précise avoir indiqué dans sa note n°1 du 6 mars 2020 'Les parties seront informées par leurs conseils de l'avancement des travaux d'évaluation par une ou plusieurs notes. Une réunion d'expertise sera éventuellement organisée si celle-ci apparaissait nécessaire au rapprochement des points de vue', et ayant estimé non nécessaire l'organisation d'une telle réunion en raison du décès de [A] [N] et de l'attitude peu coopérative des associés défendeurs ayant fait perdre un temps précieux à compter de juin 2020, ceux-ci ayant contesté la signature de l'acte de mission par le mandataire posthume de [A] [N] et n'ayant jamais transmis les documents sollicités au plus tard pour le 15 juillet.

Le tiers évaluateur n'était tenu, ni de porter à la connaissance des parties les éléments sur lesquels il s'est fondé, ni de répondre au dire et courriers des appelants.

Au surplus, le rapport se fonde sur les pièces remises par les parties, dans les délais impartis par l'expert, sans qu'il puisse lui être fait grief d'un manquement aux dispositions des articles 15, 16 et 132 du code de procédure civile, tout en relevant le défaut de communication par les appelants des pièces sollicitées.

Si l'expert fait état d'éléments concernant la Scp qu'il a estimés nécessaires à la réalisation de sa mission et qu'il a obtenus auprès de la chambre des notaires, lesquels sont qualifiés de confidentiels par celle-ci, le rapport contient un tableau compilant les données extraites de ces documents et que l'expert a exploitées.

De même, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, quand bien même le tiers évaluateur indique ne pas répondre au dire tardif des appelants contenant en outre des pièces nouvelles au mépris du calendrier fixé aux parties pour les lui communiquer, son rapport contient des développements répliquant à leur argumentation, en particulier sur le rapport du cabinet Ernst and Young mandaté par leurs soins annexé à leur dire.

Sur la méthode d'évaluation :

Le tiers évaluateur est seul juge de la méthode et des critères appropriés pour fixer la valeur des droits sociaux en cause. Il a toute latitude pour retenir les éléments lui apparaissant de nature à conduire à une estimation conforme à la valeur réélle des droits sociaux.

La date d'évaluation des parts retenue par l'expert, fixée au 31 décembre 2019, n'est plus critiquée en cause d'appel.

S'agissant de l'approche aux fins d'évaluation des parts, l'expert a écarté certaines méthodes prospectives d'évaluation aux motifs qu'elles étaient impropres au cas d'espèce, considérant que :

- la méthode des flux futurs actualisés de trésorerie, qui ne concerne que le futur (2020 à 2024 jusqu'à l'infini), ne permet pas d'appréhender la période de 2004 à 2019 au cours de laquelle la retrayante a été associée, ayant quitté l'étude antérieurement à la survenue de la pandémie du Covid 19,

- les valeurs de rendement liées aux distributions de dividendes des sociétés côtées, ou encore les méthodes d'optimisation des coûts par des synergies d'entreprises industrielles du mêmes secteur, sont inappropriées,

- la méthode des multiples de références avec des opérations de cessions acquisitions n'est pas adaptée dès lors que les sociétés côtées en bourse ne peuvent être qualifiées de comparables avec l'étude de notaires ; peuvent revanche être retenues à titre de comparaison les transactions récentes ayant porté sur les parts de l'étude, soit la cession de parts de Me [X] à Me [N], la cession de parts de Me [U] à la suite de son départ à la retraite en mai 2016 et la cessions de parts de Me [W] en juillet 2017, l'expert précisant que ces transactions sont en concordance avec les valeurs obtenues au 31 décembre 2019, tout en tenant compte de la décroissance de l'étude.

L'expert, se fondant sur les données comptables de l'étude et prenant comme chiffre d'affaires de référence la moyenne de celui des exercices 2015 à 2019 -les cinq dernières années ayant précédé le retrait de [A] [N]-, dont il a déduit le résultat de référence, a procédé à la valorisation des parts de l'intéressée selon trois approches, soit par les éléments professionnels et par deux méthodes complémentaires : selon l'actif net corrigé et en application de la méthode de productivité. Il a retenu que la valeur de productivité était la plus équilibrée en ce qu'elle tient compte à la fois du risque actuel d'éclatement de la bulle immobilière et de la déstabilisation du marché, par l'application d'un coefficient de risque spécifique fort, et ménage ainsi les intérêts de la retrayante comme ceux des associés restants.

Il précise que la profonde divergence de valeur des parts sociales retenue dans le rapport dressé par le cabinet Ernst and Young du 18 septembre 2020 s'explique, outre les méthodes choisies, par la différence des périodes et des documents de base utilisés.

Il relève à ce titre que ledit rapport est fondé sur la période de 2020 à 2024 alors que la chambre des notaires de Paris préconise que la valeur des parts d'un notaire retrayant se calcule non pas sur des données prévisionnelles incertaines et inappropriées, mais sur les bilans récents de l'étude, qui traduisent l'activité réelle à laquelle a concouru l'associé cédant, et que la valeur des parts de [A] [N], décédée le [Date décès 4] 2020, ne saurait dépendre de l'incidence économique de la pandémie Covid-19 qu'elle n'a pas connue en tant que notaire associée. Il observe par ailleurs un écart important des données comptables retenues.

[A] [N] étant titulaire de 671 parts, soit 168 parts acquises le 27 avril 2005 moyennant le prix de 678 904,44 euros, soit un prix unitaire de 4 041 euros par part sociale, et 503 parts sociales acquises auprès de Me [X] du 11 décembre 2015 au prix de 3 289 661 euros, soit un prix unitaire de 6 540 euros par part sociale, l'expert devait procéder à l'évaluation de l'ensemble de ces parts, sans qu'il y ait lieu d'utiliser une méthode d'évaluation distincte pour celles acquises auprès de Me [X].

Au demeurant, la période de référence choisie par l'expert porte sur les bilans récents de l'étude ayant précédé le retrait de [A] [N] et traduit bien l'activité réelle à laquelle elle a concouru en qualité de notaire associée.

Outre que le tiers évaluateur a toute latitude pour choisir la méthode de valorisation des parts selon les critères qu'il juge opportuns, laquelle s'impose aux parties, il a expliqué son choix d'écarter, d'une part, la méthode fondée sur les données prévisionnelles et prospectives de l'étude; dont les incidences de la crise sanitaire et de la crise immobilière, et, d'autre part, la méthode fondée sur les multicritères sur laquelle se fonde le rapport Ernst & Young, au profit de la méthode de productivité, qu'il a jugée la plus équilibrée s'agissant des intérêts des parties.

Les appelants sont d'autant plus mal fondés à critiquer ce choix qu'il est conforme aux préconisations de la chambre des notaires de Paris selon lesquelles la valeur des parts d'un notaire retrayant se calcule non pas sur des données prévisionnelles mais sur les bilans récents de l'étude traduisant l'activité réelle à laquelle a concouru l'associé cédant. Ce choix ne saurait caractériser une erreur grossière du tiers évaluateur, quand bien même la méthode choisie aboutirait à la valorisation la plus importante de l'étude.

Au demeurant et ainsi que le tiers évaluateur l'a relevé, la valorisation des parts de [A] [N] selon la méthode de productivité est cohérente avec celles des cessions précédentes au sein de l'étude, peu important que le prix de cession des parts de Me [W] en juillet 2017 ait été fixé d'un commun accord entre les parties et non pas par un expert ainsi que le soulignent les appelants, tout en tenant compte de la décroissance de l'étude. Cette méthode est donc en adéquation avec une approche analogique adaptée à l'étude à laquelle les appelants font également grief à l'expert de ne pas avoir procédé dans le cadre d'une approche multicritères.

S'agissant des éléments chiffrés retenus, l'expert s'est fondé sur le chiffre d'affaires de référence de l'étude, consistant en la moyenne de celui réalisé durant les exercices 2015 à 2019, considérant, sans pouvoir être critiqué à ce titre, qu'il reflétait une image exacte de l'activité moyenne de l'étude durant la période précédant le retrait de [A] [N], associée depuis quinze ans au sein de l'étude, et ce, peu important le caractère exceptionnel allégué du chiffre d'affaires réalisé en 2015.

L'activité moyenne de l'étude durant ces exercices reflète nécessairement son évolution à compter de 2015, en particulier l'impact du départ simultané fin 2015 et début 2016 des deux plus anciens associés de l'étude, Me [X] et [U], et le fort caractère intuitu personnae de leur clientèle, que l'expert relève dans son rapport, ainsi que le départ de salariés de l'étude à compter de 2015.

Cette activité traduit également nécessairement les incidences du départ de Me [W] de la Scp, lequel a cédé ses 168 parts aux associés restants selon acte du 6 avril 2017 précisant qu'il entendait poursuivre son activité de notaire et se ré-installer en cette qualité, conserver ses relations avec sa clientèle avec laquelle il entretenait un courant d'affaires régulier, poursuivre les dossiers actuellement en cours et proposer à ses proches collaborateurs de partir avec lui. L'expert a par ailleurs relevé l'impact modéré de l'emport de clientèle de Me [W] compte tenu du caractère limité de son résultat en juillet 2017.

Il ne peut donc être fait grief à l'expert ni d'avoir retenu l'exercice 2015 dans la période de référence, ni de ne pas avoir procédé à un retraitement tenant compte des départs des associés et salariés survenus ultérieurement, ni de ne pas avoir pris en considération les prévisions d'activité envisagées par les associés restants conformément à la proposition d'évaluation dans le rapport Ernst & Young, alors que la méthode prospective a été écartée.

Au demeurant, l'expert a appliqué au chiffre d'affaires moyen de référence un abattement de 15%, 'par prudence, compte tenu de la baisse régulière du chiffre d'affaires de 2015, doublé d'une conjoncture difficile', et dont les appelants ne discutent pas utilement le quantum en se prévalant, au delà de la période de référence retenue, des effets de la crise sanitaire et du tirage au sort de cinq collaborateurs de l'étude pour exercer en qualité de notaires en application de la loi Croissance.

L'expert n'a pas davantage commis d'erreur grossière en ne tenant pas compte, au titre du chiffre d'affaires de référence, du décès ultérieur de [A] [N] sans présentation de clientèle.

La circonstance que l'expert ait évalué le résultat professionnel de référence en appliquant un coefficient multiplicateur de 2,50 considéré comme approprié avant impôt et prélèvements sociaux, sans plus d'explication, n'est pas plus critiquable, compte tenu de la liberté d'appréciation dont il dispose. Il en est de même des autres taux retenus par l'expert et critiqués par les appelants.

Enfin, l'expert a déterminé la valeur de productivité de l'étude en retenant un fort taux de risque, compte tenu de la crise du marché immobilier actuelle et de ses effets négatifs sur l'activité décroissante de l'étude dans une profession en expansion, et ses contre-performances financières et de gestion, pour en déduire la valeur réelle des parts sociales de [A] [N] au 31 décembre 2019.

L'estimation de l'expert n'étant entachée d'aucune erreur grossière, la demande de nullité de son rapport a été pertinemment rejetée par les premiers juges, dont la décision est confirmée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les appelants, partie perdante, sont condamnés in solidum aux dépens et à payer aux intimés une indemnité de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Vu la liquidation judiciaire de la Sas [Adresse 3] Notaires ordonnée par jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 janvier 2024, Me [V] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire,

Vu l'ordonnance de désistement d'appel partiel du 18 avril 2023 qui a déclaré parfait le désistement d'appel de M. [L] du 6 avril 2023, accepté le 17 avril 2023, M. [L] s'étant acquitté de sa part divise dans le solde de la dette solidaire restant dû en 2023 à hauteur d'un quart de 3 073 534,38 euros, soit la somme de 768 384,60 euros,

Fixe la créance de Mme [G] [N] au passif de la liquidation judiciaire de la Sas [Adresse 3] Notaires, au titre des condamnations prononcées par le jugement confirmé, à la somme de 2 492 743,35 euros arrêtée au 5 juillet 2023, déduction faite des montants saisis et des règlements volontaires de la Sas [Adresse 3] Notaires ainsi que du règlement par M. [L] de sa part divise de la dette,

Condamne in solidum la société [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] à payer à Mme [G] [N] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la société [Adresse 3] Notaires par fixation du montant de cette créance au passif de sa liquidation judiciaire,

Condamne in solidum la société [Adresse 3] Notaires, Mme [M], M. [I] et M. [L] aux dépens d'appel, la société [Adresse 3] Notaires par fixation du montant de cette créance au passif de sa liquidation judiciaire.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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