CA Aix-en-Provence, ch. 1-8, 19 novembre 2025, n° 22/13117
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 19 NOVEMBRE 2025
N° 2025 / 315
N° RG 22/13117
N° Portalis DBVB-V-B7G-BKDK7
SDC CAIC ESPACES [Localité 4]
C/
SCI EVA
SAS RICARDO
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 02 Septembre 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/03307.
APPELANT
Syndicat des copropriétaires [Adresse 8] [Localité 4] situé à [Adresse 6]
pris en la personne de son syndic en exercice, la société GESTION POUR LA PROPRIETE PROVENCE COTE D'AZUR (SGPP), dont le siège social est [Adresse 1], elle-même prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
représenté par Me Joseph MAGNAN, membre de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Patrick ARNOS, avocat au barreau de NICE
INTIMEES
SCI EVA
représentée en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège social sis [Adresse 3]
SAS RICARDO
représentée en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, membre de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Florian VIDAL, membre de la SELARL FLORIAN VIDAL AVOCATS, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Pierre LAROQUE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON, assistée de Madame [P] [Y], greffière stagiaire
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2025, signé par Monsieur Pierre LAROQUE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
La SCI EVA est propriétaire, au sein du complexe artisanal, industriel et commercial dénommé [Adresse 9] [Adresse 5], situé [Adresse 11] Antibes, du lot n° 175 constitué de locaux à usage de bureaux, commerce ou atelier.
A compter du 1er octobre 2020, elle a donné ces locaux à bail commercial à la SAS RICARDO pour y exploiter une activité 'd'achat et vente d'ordinateurs, matériel et équipement informatique, bureautique, périphériques et fournitures annexes, sauvegarde en ligne, cloud storage et solutions cloud B2B '.
A la demande de son locataire, la société EVA a sollicité la convocation d'une assemblée générale extraordinaire des copropriétaires le 11 mai 2021 afin d'être autorisée à faire effectuer par la société ENEDIS des travaux de raccordement de son lot à une alimentation en énergie électrique pour une puissance maximale de 250 kVA (kilovoltampère).
Aux termes de sa résolution n° 4, l'assemblée, statuant à la majorité prévue à l'article 25 b de la loi du 10 juillet 1965 dans le cadre d'un vote par correspondance, a refusé l'autorisation demandée.
Par acte du 13 juillet 2021, la société EVA a saisi le tribunal judiciaire de Grasse aux fins d'entendre annuler cette décision pour abus de majorité et être autorisée à réaliser les travaux en application de l'article 30 de cette même loi. Elle réclamait en outre la condamnation du syndicat des copropriétaires à lui rembourser les frais de convocation de l'assemblée.
La société RICARDO est intervenue volontairement à l'instance pour demander la condamnation du syndicat des copropriétaires à lui payer la somme de 389.251,48 € à titre de dommages-intérêts, faisant valoir que, par suite du refus d'autoriser les travaux, elle avait été empêchée d'exploiter dans les locaux une activité de cloud storage et contrainte de recourir aux services d'une tierce entreprise (l'expression cloud storage, en français stockage en nuage ou en ligne, désigne un mode de stockage de données informatiques sur des serveurs situés hors site, dont la maintenance est assurée par un fournisseur tiers chargé d'héberger, de gérer et de sécuriser les données et de veiller à ce qu'elles soient toujours accessibles via des connexions internet publiques ou privées).
Le syndicat des copropriétaires a conclu au rejet de l'ensemble de ces prétentions, faisant notamment valoir que le projet soumis à l'assemblée était incomplet et que la colonne montante du bâtiment ne pouvait supporter une puissance de 250 kVA. Il s'est porté reconventionnellement demandeur d'une somme de 2.040 € en remboursement d'une facture de l'APAVE, sollicitée pour un avis technique.
Par jugement rendu le 2 septembre 2022, le tribunal a retenu que la décision litigieuse constituait un abus de droit, dans la mesure où les travaux envisagés étaient conformes aux normes techniques en vigueur ainsi qu'à la destination de l'immeuble, qu'ils ne portaient pas atteinte aux droits des autres copropriétaires et que le requérant avait fourni à l'assemblée une information complète.
En conséquence, le premier juge a :
- annulé la résolution n° 4 votée le 11 mai 2021,
- autorisé la société EVA à réaliser les travaux dans les conditions soumises à l'assemblée, en application de l'article 30 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965,
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à la société RICARDO une somme de 174.459,52 € à titre de dommages-intérêts,
- débouté la société EVA de sa demande en remboursement des frais de convocation de l'assemblée, faute de chiffrer celle-ci,
- débouté le syndicat des copropriétaires de sa demande reconventionnelle en remboursement de la facture de l'APAVE,
- condamné le syndicat aux dépens, ainsi qu'à verser à chacun des demandeurs une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et rappelé que la société EVA serait dispensée de participer à la dépense commune des frais de procédure en application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.
Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel par deux déclarations successivement enregistrées les 4 et 10 octobre 2022 au greffe de la cour, ayant fait l'objet d'une jonction.
Il a ensuite saisi le premier président qui, aux termes d'une ordonnance rendue le 13 février 2023, a déclaré irrecevable sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire mais l'a autorisé à consigner à la Caisse des Dépôts une partie des sommes dues en exécution du jugement, à concurrence de 87.229,76 €.
Par décision rendue le 7 mars 2023, le juge de l'exécution du tribunal de Grasse a validé la saisie-attribution diligentée par les sociétés EVA et RICARDO sur les comptes bancaires du syndicat et ordonné au tiers-saisi de verser aux poursuivants la somme de 91.582,06 €.
Les travaux autorisés par le tribunal ont été achevés le 28 juillet 2023. Toutefois, la société RICARDO a mis fin à son bail et quitté les lieux le 1er avril 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant conclusions récapitulatives notifiées le 29 septembre 2025, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] [Localité 4], représenté par son syndic en exercice la société SGPP, fait valoir que les copropriétaires ne disposaient pas d'une information suffisante, le projet qui leur était soumis étant largement incomplet au regard notamment des normes de sécurité régissant l'exploitation des data centers. Il se prévaut en ce sens d'un rapport établi à sa demande et a posteriori par M. [T] [F], expert immobilier (l'expression data center, en français centre de données, désigne un lieu physique dans lequel sont regroupés différents équipements informatiques et dont la fonction principale consiste à stocker des informations utiles au bon fonctionnement d'une ou plusieurs entreprises).
Il soutient que la résolution contestée ne procède pas d'un abus de majorité, mais du souci de préserver l'intérêt collectif, de sorte que la société RICARDO ne saurait lui réclamer l'indemnisation d'un quelconque préjudice. Il ajoute que le tribunal ne pouvait valablement autoriser les travaux en l'état des insuffisances du dossier technique, et que ceux-ci présentent au contraire un risque pour la sécurité de l'immeuble et génèrent des nuisances pour les autres occupants.
Il conteste enfin chacun des postes de préjudices invoqués par la société RICARDO.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :
- de débouter les sociétés EVA et RICARDO de l'ensemble de leurs prétentions,
- de les condamner in solidum à lui restituer la somme de 91.582,06 € perçue en exécution de la saisie-attribution,
- d'ordonner la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 €,
- de condamner in solidum les parties intimées à procéder à leurs frais exclusifs à la dépose complète de l'installation litigieuse ainsi qu'à la remise en état des parties communes, sous peine d'astreinte,
- de l'autoriser, en cas de carence de leur part, à faire procéder aux travaux par l'entreprise de son choix et à poursuivre le remboursement des sommes avancées,
- de condamner in solidum les parties intimées à lui rembourser la somme de 2.040 € au titre de la facture de l'APAVE,
- et de mettre à leur charge les entiers dépens, outre une indemnité de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions conjointes et récapitulatives notifiées le 6 octobre 2025, les sociétés EVA et RICARDO soutiennent pour leur part que la résolution attaquée constitue un abus de majorité dès lors que :
- elle n'est pas motivée,
- l'activité de cloud storage n'est pas interdite par le règlement de copropriété,
- l'assemblée disposait d'un dossier complet,
- les travaux projetés étaient conformes à la destination de l'immeuble ainsi qu'aux normes techniques applicables,
- et ils ne portaient pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, ni à la sécurité de l'immeuble.
Elles concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le rejet de la demande en remboursement des frais de convocation de l'assemblée et le montant des dommages-intérêts alloués au locataire.
La société EVA chiffre désormais sa demande en remboursement des frais de convocation à la somme de 2.332,56 €.
La société RICARDO soutient pour sa part que la quasi-totalité de son matériel informatique est devenu inexploitable du fait du retard pris dans la réalisation des travaux de raccordement, ce qui l'a contrainte à cesser son activité dans les lieux loués. Elle demande à la cour de condamner le syndicat des copropriétaires à lui verser les sommes de :
- 248.990,84 € en remboursement des factures émises par la société GREEN DATA au titre de l'hébergement de données informatiques,
- 112.999 € au titre de la perte de ses immobilisations corporelles,
- 1.045.000 € en réparation de la perte de chance d'exploiter normalement son activité.
Elle demande en conséquence que soit ordonnée la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 €.
Chacune des parties intimées réclame en sus paiement d'une somme de 7.500 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
La société EVA demande enfin, sur le fondement de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, à être dispensée de toute contribution aux frais de procédure exposés par le syndicat ainsi qu'aux condamnations pécuniaires prononcées au profit de son locataire.
DISCUSSION
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
En application de l'article 803 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la présente instance, et tenant la demande conjointe des parties exprimée à l'audience, il y a lieu de révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 23 septembre 2025, de recevoir les dernières conclusions notifiées le 29 septembre par l'appelant et le 6 octobre par les intimés et de fixer la clôture de l'instruction à l'audience du 7 octobre 2025 avant l'ouverture des débats.
Sur la demande d'annulation de la résolution votée par l'assemblée générale :
Selon l'article 25 b de la loi du 10 juillet 1965, sont adoptées à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant l'autorisation donnée à certains d'entre eux d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble et conformes à la destination de celui-ci.
L'assemblée ne dispose pas cependant d'un pouvoir discrétionnaire et ne peut valablement refuser l'autorisation demandée que si elle est insuffisamment informée ou si les travaux projetés portent atteinte à la destination de l'immeuble ou aux droits des autres copropriétaires.
En l'espèce, le dossier communiqué aux copropriétaires en même temps que l'ordre du jour comportait un document établi par la société ENEDIS détaillant très précisément la consistance des travaux envisagés ainsi que leur implantation, un projet de convention de raccordement, un projet de convention à conclure avec le syndicat des copropriétaires pour l'établissement d'une servitude de passage d'une canalisation souterraine accompagné d'un plan de situation, ainsi que les modalités d'exécution et de la durée prévisible des travaux affectant les parties communes. L'ensemble de ces pièces permettait à l'assemblée de se prononcer en toute connaissance de cause.
Pour soutenir le contraire, le syndicat des copropriétaires se prévaut d'un rapport établi a posteriori par Monsieur [T] [F], expert immobilier, selon lequel le projet soumis à l'assemblée visait à exploiter un data center, installation complexe nécessitant la production d'études supplémentaires concernant notamment la sécurité du bâtiment ainsi que des autorisations de travaux.
Ce rapport ne saurait cependant emporter la conviction de la cour dans la mesure où :
- il a été réalisé de manière non contradictoire à la demande de l'une des parties,
- Monsieur [T] [F] ne justifie d'aucune qualification particulière en la matière,
- ses conclusions reposent sur une analyse purement théorique, sans avoir visité les locaux occupés par la société RICARDO ni examiné son projet d'exploitation,
- le fonctionnement d'un data center tel que décrit dans ce document apparaît sans commune mesure avec l'activité réelle du locataire, qui disposait selon son bail d'une surface d'exploitation de 176 m².
En second lieu, le projet soumis à l'assemblée n'est pas contraire à la destination de l'immeuble, puisque le règlement de copropriété stipule que les locaux pourront être utilisés pour l'exercice de n'importe quelle activité artisanale, commerciale ou industrielle, à la condition que celle-ci ne nuise pas à la sécurité de l'ensemble ou à l'activité des autres occupants. Or le syndicat ne démontre pas l'existence de tels risques et il ressort au contraire du rapport de l'APAVE que le projet était conforme aux normes en vigueur, sous réserve que la canalisation remontant en façade extérieure respecte certaines préconisations techniques, dont l'assemblée pouvait assortir l'autorisation de travaux.
Il ressort de la documentation technique produite aux débats que la souscription d'un compteur électrique d'une puissance maximale de 250 kVA relève du 'tarif jaune' proposé par EDF à ses clients professionnels de type petites ou moyennes entreprises et s'avère adapté à la plupart des activités tertiaires, étant observé qu'il s'agit d'un courant de basse tension tout comme le 'tarif bleu'.
Enfin en troisième lieu, le raccordement du lot de la société EVA ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, qui peuvent conserver un compteur autonome.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a annulé la résolution litigieuse.
Sur la demande d'autorisation judiciaire des travaux :
En vertu de l'article 30 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l'assemblée refuse l'autorisation prévue à l'article 25 b, tout copropriétaire peut être autorisé par le tribunal judiciaire à exécuter, aux conditions fixées par celui-ci, tous travaux d'amélioration visés à l'alinéa 1, tels que la transformation d'un ou de plusieurs éléments d'équipement existants ou l'adjonction d'éléments nouveaux.
En l'espèce, c'est à bon droit que le tribunal a fait application de ce texte en autorisant la société EVA à procéder aux travaux dans les conditions soumises à l'assemblée générale, dont il a été dit plus avant qu'elles faisaient l'objet d'un dossier technique complet.
En conséquence, la cour rejettera les demandes incidentes du syndicat des copropriétaires tendant à la remise des lieux en leur état antérieur.
Sur la demande de remboursement des frais de convocation de l'assemblée :
Selon l'article 17-1 AA de la loi du 10 juillet 1965, tout copropriétaire peut solliciter du syndic la convocation et la tenue, à ses frais, d'une assemblée générale afin de se prononcer sur une ou plusieurs questions ne concernant que ses droits et obligations.
Aucune disposition de la loi ou de son décret d'application ne prévoit en revanche que ces frais doivent être remboursés au requérant en cas d'annulation de la décision de l'assemblée, de sorte que le jugement doit être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société EVA de cette demande.
Sur les demandes en dommages-intérêts formées par la société RICARDO :
Il est constant que le syndicat des copropriétaires encourt vis-à-vis des tiers une responsabilité de nature délictuelle dans les conditions du droit commun, en cas de faute ayant causé à ces derniers un préjudice direct.
En l'espèce, c'est à bon droit que la société RICARDO fait valoir que, du fait du refus abusif de l'assemblée générale d'autoriser l'alimentation de ses locaux en énergie électrique d'une puissance suffisante, elle s'est trouvée empêchée d'exploiter directement une activité de cloud storage.
Cependant, un tel préjudice ne peut ouvrir droit à réparation qu'au titre de la perte d'une chance, et le syndicat des copropriétaires ne saurait être tenu de lui rembourser la totalité des factures payées à la société GREEN DATA au titre de l'hébergement de ses données informatiques. Il appartenait en effet à la société RICARDO d'apprécier si les locaux pris à bail étaient adaptés à l'origine à l'exercice de l'activité envisagée et si, compte tenu des contraintes d'exploitation qui lui étaient imposées, il demeurait économiquement profitable de faire appel à un prestataire extérieur.
Il apparaît d'autre part qu'elle conservait la possibilité d'exercer dans les lieux les autres activités commerciales mentionnées dans son bail. La cour relève à cet égard que, selon les propres conclusions de l'intimée, celle-ci a dégagé un résultat d'exploitation bénéficiaire de 293.316 € à l'issue de l'exercice 2021 alors qu'elle ne disposait pas de la puissance électrique désirée, preuve que ces autres activités restaient parfaitement rentables.
En troisième lieu, il n'est pas démontré que la décision de l'assemblée générale soit à l'origine du départ des lieux du locataire intervenu le 1er avril 2024, alors que les travaux de raccordement autorisés par le tribunal avaient été achevés en juillet 2023. La société RICARDO ne prouve pas notamment que ses installations informatiques seraient devenues obsolètes faute d'avoir pu être mises en service avant cette date.
Enfin, le dossier prévisionnel d'activité pour les exercices 2022, 2023 et 2024 établi par le cabinet d'expertise comptable BDCA constitue une simple projection théorique basée sur les seuls éléments fournis par son client et ne suffit pas à démontrer la réalité des pertes alléguées.
En conséquence, le montant des dommages-intérêts alloués à la société RICARDO sera ramené à la somme de 20.000 €, le surplus de ses demandes étant rejeté.
Sur la demande reconventionnelle en remboursement de la facture de l'APAVE :
La rémunération versée par le syndicat des copropriétaires à l'APAVE au titre d'une mission d'expertise des installations électriques ne constitue pas un préjudice réparable, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande en répétition des sommes saisies :
Le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour les parties intimées de restituer les sommes perçues en exécution des chefs infirmés du jugement, et constitue le titre exécutoire permettant de les y contraindre en tant que de besoin, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande en répétition formulée par l'appelant.
Sur le sort de la somme consignée :
Conformément aux modalités indiquées sur le récépissé de la Caisse des Dépôts, le syndicat des copropriétaires pourra solliciter la restitution de la somme de 87.229,76 € sur présentation d'une expédition du présent arrêt.
Sur l'application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 :
En vertu de ce texte, le copropriétaire qui, à l'issue d'une instance judiciaire l'opposant au syndicat, voit sa prétention déclarée fondée par le juge, est dispensé, même en l'absence de demande de sa part, de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge est répartie entre les autres copropriétaires.
Cette disposition, interprétée strictement par la jurisprudence, ne s'étend pas aux autres condamnations, de sorte que la société EVA ne peut être dispensée de contribuer aux dommages-intérêts alloués à son ancien locataire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 23 septembre 2025,
Fixe la clôture de l'instruction au 7 octobre 2025, avant l'ouverture des débats,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués à la société RICARDO,
Statuant à nouveau de ce chef, condamne le syndicat des copropriétaires [Adresse 10] à lui payer la somme de 20.000 euros en réparation d'une perte de chance,
Déboute la société RICARDO du surplus de ses demandes,
Y ajoutant,
Déboute le syndicat des copropriétaires de ses demandes incidentes tendant à la remise des lieux en leur état antérieur,
Dit que le syndicat pourra solliciter auprès de la Caisse des Dépôts la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 euros sur présentation d'une expédition du présent arrêt,
Condamne le syndicat des copropriétaires aux dépens de la présente instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.500 euros au profit de chacune des parties intimées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle qu'en application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, la société EVA sera dispensée de toute participation à la dépense commune des frais de procédure exposée par le syndicat, dont la charge sera répartie entre les autres copropriétaires,
Dit que la société EVA restera en revanche tenue de contribuer aux dommages-intérêts alloués à la société RICARDO.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 19 NOVEMBRE 2025
N° 2025 / 315
N° RG 22/13117
N° Portalis DBVB-V-B7G-BKDK7
SDC CAIC ESPACES [Localité 4]
C/
SCI EVA
SAS RICARDO
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 02 Septembre 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/03307.
APPELANT
Syndicat des copropriétaires [Adresse 8] [Localité 4] situé à [Adresse 6]
pris en la personne de son syndic en exercice, la société GESTION POUR LA PROPRIETE PROVENCE COTE D'AZUR (SGPP), dont le siège social est [Adresse 1], elle-même prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège
représenté par Me Joseph MAGNAN, membre de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Patrick ARNOS, avocat au barreau de NICE
INTIMEES
SCI EVA
représentée en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège social sis [Adresse 3]
SAS RICARDO
représentée en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, membre de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Florian VIDAL, membre de la SELARL FLORIAN VIDAL AVOCATS, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Octobre 2025 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Pierre LAROQUE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON, assistée de Madame [P] [Y], greffière stagiaire
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Novembre 2025, signé par Monsieur Pierre LAROQUE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
La SCI EVA est propriétaire, au sein du complexe artisanal, industriel et commercial dénommé [Adresse 9] [Adresse 5], situé [Adresse 11] Antibes, du lot n° 175 constitué de locaux à usage de bureaux, commerce ou atelier.
A compter du 1er octobre 2020, elle a donné ces locaux à bail commercial à la SAS RICARDO pour y exploiter une activité 'd'achat et vente d'ordinateurs, matériel et équipement informatique, bureautique, périphériques et fournitures annexes, sauvegarde en ligne, cloud storage et solutions cloud B2B '.
A la demande de son locataire, la société EVA a sollicité la convocation d'une assemblée générale extraordinaire des copropriétaires le 11 mai 2021 afin d'être autorisée à faire effectuer par la société ENEDIS des travaux de raccordement de son lot à une alimentation en énergie électrique pour une puissance maximale de 250 kVA (kilovoltampère).
Aux termes de sa résolution n° 4, l'assemblée, statuant à la majorité prévue à l'article 25 b de la loi du 10 juillet 1965 dans le cadre d'un vote par correspondance, a refusé l'autorisation demandée.
Par acte du 13 juillet 2021, la société EVA a saisi le tribunal judiciaire de Grasse aux fins d'entendre annuler cette décision pour abus de majorité et être autorisée à réaliser les travaux en application de l'article 30 de cette même loi. Elle réclamait en outre la condamnation du syndicat des copropriétaires à lui rembourser les frais de convocation de l'assemblée.
La société RICARDO est intervenue volontairement à l'instance pour demander la condamnation du syndicat des copropriétaires à lui payer la somme de 389.251,48 € à titre de dommages-intérêts, faisant valoir que, par suite du refus d'autoriser les travaux, elle avait été empêchée d'exploiter dans les locaux une activité de cloud storage et contrainte de recourir aux services d'une tierce entreprise (l'expression cloud storage, en français stockage en nuage ou en ligne, désigne un mode de stockage de données informatiques sur des serveurs situés hors site, dont la maintenance est assurée par un fournisseur tiers chargé d'héberger, de gérer et de sécuriser les données et de veiller à ce qu'elles soient toujours accessibles via des connexions internet publiques ou privées).
Le syndicat des copropriétaires a conclu au rejet de l'ensemble de ces prétentions, faisant notamment valoir que le projet soumis à l'assemblée était incomplet et que la colonne montante du bâtiment ne pouvait supporter une puissance de 250 kVA. Il s'est porté reconventionnellement demandeur d'une somme de 2.040 € en remboursement d'une facture de l'APAVE, sollicitée pour un avis technique.
Par jugement rendu le 2 septembre 2022, le tribunal a retenu que la décision litigieuse constituait un abus de droit, dans la mesure où les travaux envisagés étaient conformes aux normes techniques en vigueur ainsi qu'à la destination de l'immeuble, qu'ils ne portaient pas atteinte aux droits des autres copropriétaires et que le requérant avait fourni à l'assemblée une information complète.
En conséquence, le premier juge a :
- annulé la résolution n° 4 votée le 11 mai 2021,
- autorisé la société EVA à réaliser les travaux dans les conditions soumises à l'assemblée, en application de l'article 30 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965,
- condamné le syndicat des copropriétaires à payer à la société RICARDO une somme de 174.459,52 € à titre de dommages-intérêts,
- débouté la société EVA de sa demande en remboursement des frais de convocation de l'assemblée, faute de chiffrer celle-ci,
- débouté le syndicat des copropriétaires de sa demande reconventionnelle en remboursement de la facture de l'APAVE,
- condamné le syndicat aux dépens, ainsi qu'à verser à chacun des demandeurs une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- et rappelé que la société EVA serait dispensée de participer à la dépense commune des frais de procédure en application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965.
Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel par deux déclarations successivement enregistrées les 4 et 10 octobre 2022 au greffe de la cour, ayant fait l'objet d'une jonction.
Il a ensuite saisi le premier président qui, aux termes d'une ordonnance rendue le 13 février 2023, a déclaré irrecevable sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire mais l'a autorisé à consigner à la Caisse des Dépôts une partie des sommes dues en exécution du jugement, à concurrence de 87.229,76 €.
Par décision rendue le 7 mars 2023, le juge de l'exécution du tribunal de Grasse a validé la saisie-attribution diligentée par les sociétés EVA et RICARDO sur les comptes bancaires du syndicat et ordonné au tiers-saisi de verser aux poursuivants la somme de 91.582,06 €.
Les travaux autorisés par le tribunal ont été achevés le 28 juillet 2023. Toutefois, la société RICARDO a mis fin à son bail et quitté les lieux le 1er avril 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant conclusions récapitulatives notifiées le 29 septembre 2025, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] [Localité 4], représenté par son syndic en exercice la société SGPP, fait valoir que les copropriétaires ne disposaient pas d'une information suffisante, le projet qui leur était soumis étant largement incomplet au regard notamment des normes de sécurité régissant l'exploitation des data centers. Il se prévaut en ce sens d'un rapport établi à sa demande et a posteriori par M. [T] [F], expert immobilier (l'expression data center, en français centre de données, désigne un lieu physique dans lequel sont regroupés différents équipements informatiques et dont la fonction principale consiste à stocker des informations utiles au bon fonctionnement d'une ou plusieurs entreprises).
Il soutient que la résolution contestée ne procède pas d'un abus de majorité, mais du souci de préserver l'intérêt collectif, de sorte que la société RICARDO ne saurait lui réclamer l'indemnisation d'un quelconque préjudice. Il ajoute que le tribunal ne pouvait valablement autoriser les travaux en l'état des insuffisances du dossier technique, et que ceux-ci présentent au contraire un risque pour la sécurité de l'immeuble et génèrent des nuisances pour les autres occupants.
Il conteste enfin chacun des postes de préjudices invoqués par la société RICARDO.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :
- de débouter les sociétés EVA et RICARDO de l'ensemble de leurs prétentions,
- de les condamner in solidum à lui restituer la somme de 91.582,06 € perçue en exécution de la saisie-attribution,
- d'ordonner la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 €,
- de condamner in solidum les parties intimées à procéder à leurs frais exclusifs à la dépose complète de l'installation litigieuse ainsi qu'à la remise en état des parties communes, sous peine d'astreinte,
- de l'autoriser, en cas de carence de leur part, à faire procéder aux travaux par l'entreprise de son choix et à poursuivre le remboursement des sommes avancées,
- de condamner in solidum les parties intimées à lui rembourser la somme de 2.040 € au titre de la facture de l'APAVE,
- et de mettre à leur charge les entiers dépens, outre une indemnité de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions conjointes et récapitulatives notifiées le 6 octobre 2025, les sociétés EVA et RICARDO soutiennent pour leur part que la résolution attaquée constitue un abus de majorité dès lors que :
- elle n'est pas motivée,
- l'activité de cloud storage n'est pas interdite par le règlement de copropriété,
- l'assemblée disposait d'un dossier complet,
- les travaux projetés étaient conformes à la destination de l'immeuble ainsi qu'aux normes techniques applicables,
- et ils ne portaient pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, ni à la sécurité de l'immeuble.
Elles concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le rejet de la demande en remboursement des frais de convocation de l'assemblée et le montant des dommages-intérêts alloués au locataire.
La société EVA chiffre désormais sa demande en remboursement des frais de convocation à la somme de 2.332,56 €.
La société RICARDO soutient pour sa part que la quasi-totalité de son matériel informatique est devenu inexploitable du fait du retard pris dans la réalisation des travaux de raccordement, ce qui l'a contrainte à cesser son activité dans les lieux loués. Elle demande à la cour de condamner le syndicat des copropriétaires à lui verser les sommes de :
- 248.990,84 € en remboursement des factures émises par la société GREEN DATA au titre de l'hébergement de données informatiques,
- 112.999 € au titre de la perte de ses immobilisations corporelles,
- 1.045.000 € en réparation de la perte de chance d'exploiter normalement son activité.
Elle demande en conséquence que soit ordonnée la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 €.
Chacune des parties intimées réclame en sus paiement d'une somme de 7.500 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
La société EVA demande enfin, sur le fondement de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, à être dispensée de toute contribution aux frais de procédure exposés par le syndicat ainsi qu'aux condamnations pécuniaires prononcées au profit de son locataire.
DISCUSSION
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :
En application de l'article 803 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la présente instance, et tenant la demande conjointe des parties exprimée à l'audience, il y a lieu de révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 23 septembre 2025, de recevoir les dernières conclusions notifiées le 29 septembre par l'appelant et le 6 octobre par les intimés et de fixer la clôture de l'instruction à l'audience du 7 octobre 2025 avant l'ouverture des débats.
Sur la demande d'annulation de la résolution votée par l'assemblée générale :
Selon l'article 25 b de la loi du 10 juillet 1965, sont adoptées à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant l'autorisation donnée à certains d'entre eux d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble et conformes à la destination de celui-ci.
L'assemblée ne dispose pas cependant d'un pouvoir discrétionnaire et ne peut valablement refuser l'autorisation demandée que si elle est insuffisamment informée ou si les travaux projetés portent atteinte à la destination de l'immeuble ou aux droits des autres copropriétaires.
En l'espèce, le dossier communiqué aux copropriétaires en même temps que l'ordre du jour comportait un document établi par la société ENEDIS détaillant très précisément la consistance des travaux envisagés ainsi que leur implantation, un projet de convention de raccordement, un projet de convention à conclure avec le syndicat des copropriétaires pour l'établissement d'une servitude de passage d'une canalisation souterraine accompagné d'un plan de situation, ainsi que les modalités d'exécution et de la durée prévisible des travaux affectant les parties communes. L'ensemble de ces pièces permettait à l'assemblée de se prononcer en toute connaissance de cause.
Pour soutenir le contraire, le syndicat des copropriétaires se prévaut d'un rapport établi a posteriori par Monsieur [T] [F], expert immobilier, selon lequel le projet soumis à l'assemblée visait à exploiter un data center, installation complexe nécessitant la production d'études supplémentaires concernant notamment la sécurité du bâtiment ainsi que des autorisations de travaux.
Ce rapport ne saurait cependant emporter la conviction de la cour dans la mesure où :
- il a été réalisé de manière non contradictoire à la demande de l'une des parties,
- Monsieur [T] [F] ne justifie d'aucune qualification particulière en la matière,
- ses conclusions reposent sur une analyse purement théorique, sans avoir visité les locaux occupés par la société RICARDO ni examiné son projet d'exploitation,
- le fonctionnement d'un data center tel que décrit dans ce document apparaît sans commune mesure avec l'activité réelle du locataire, qui disposait selon son bail d'une surface d'exploitation de 176 m².
En second lieu, le projet soumis à l'assemblée n'est pas contraire à la destination de l'immeuble, puisque le règlement de copropriété stipule que les locaux pourront être utilisés pour l'exercice de n'importe quelle activité artisanale, commerciale ou industrielle, à la condition que celle-ci ne nuise pas à la sécurité de l'ensemble ou à l'activité des autres occupants. Or le syndicat ne démontre pas l'existence de tels risques et il ressort au contraire du rapport de l'APAVE que le projet était conforme aux normes en vigueur, sous réserve que la canalisation remontant en façade extérieure respecte certaines préconisations techniques, dont l'assemblée pouvait assortir l'autorisation de travaux.
Il ressort de la documentation technique produite aux débats que la souscription d'un compteur électrique d'une puissance maximale de 250 kVA relève du 'tarif jaune' proposé par EDF à ses clients professionnels de type petites ou moyennes entreprises et s'avère adapté à la plupart des activités tertiaires, étant observé qu'il s'agit d'un courant de basse tension tout comme le 'tarif bleu'.
Enfin en troisième lieu, le raccordement du lot de la société EVA ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, qui peuvent conserver un compteur autonome.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a annulé la résolution litigieuse.
Sur la demande d'autorisation judiciaire des travaux :
En vertu de l'article 30 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l'assemblée refuse l'autorisation prévue à l'article 25 b, tout copropriétaire peut être autorisé par le tribunal judiciaire à exécuter, aux conditions fixées par celui-ci, tous travaux d'amélioration visés à l'alinéa 1, tels que la transformation d'un ou de plusieurs éléments d'équipement existants ou l'adjonction d'éléments nouveaux.
En l'espèce, c'est à bon droit que le tribunal a fait application de ce texte en autorisant la société EVA à procéder aux travaux dans les conditions soumises à l'assemblée générale, dont il a été dit plus avant qu'elles faisaient l'objet d'un dossier technique complet.
En conséquence, la cour rejettera les demandes incidentes du syndicat des copropriétaires tendant à la remise des lieux en leur état antérieur.
Sur la demande de remboursement des frais de convocation de l'assemblée :
Selon l'article 17-1 AA de la loi du 10 juillet 1965, tout copropriétaire peut solliciter du syndic la convocation et la tenue, à ses frais, d'une assemblée générale afin de se prononcer sur une ou plusieurs questions ne concernant que ses droits et obligations.
Aucune disposition de la loi ou de son décret d'application ne prévoit en revanche que ces frais doivent être remboursés au requérant en cas d'annulation de la décision de l'assemblée, de sorte que le jugement doit être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société EVA de cette demande.
Sur les demandes en dommages-intérêts formées par la société RICARDO :
Il est constant que le syndicat des copropriétaires encourt vis-à-vis des tiers une responsabilité de nature délictuelle dans les conditions du droit commun, en cas de faute ayant causé à ces derniers un préjudice direct.
En l'espèce, c'est à bon droit que la société RICARDO fait valoir que, du fait du refus abusif de l'assemblée générale d'autoriser l'alimentation de ses locaux en énergie électrique d'une puissance suffisante, elle s'est trouvée empêchée d'exploiter directement une activité de cloud storage.
Cependant, un tel préjudice ne peut ouvrir droit à réparation qu'au titre de la perte d'une chance, et le syndicat des copropriétaires ne saurait être tenu de lui rembourser la totalité des factures payées à la société GREEN DATA au titre de l'hébergement de ses données informatiques. Il appartenait en effet à la société RICARDO d'apprécier si les locaux pris à bail étaient adaptés à l'origine à l'exercice de l'activité envisagée et si, compte tenu des contraintes d'exploitation qui lui étaient imposées, il demeurait économiquement profitable de faire appel à un prestataire extérieur.
Il apparaît d'autre part qu'elle conservait la possibilité d'exercer dans les lieux les autres activités commerciales mentionnées dans son bail. La cour relève à cet égard que, selon les propres conclusions de l'intimée, celle-ci a dégagé un résultat d'exploitation bénéficiaire de 293.316 € à l'issue de l'exercice 2021 alors qu'elle ne disposait pas de la puissance électrique désirée, preuve que ces autres activités restaient parfaitement rentables.
En troisième lieu, il n'est pas démontré que la décision de l'assemblée générale soit à l'origine du départ des lieux du locataire intervenu le 1er avril 2024, alors que les travaux de raccordement autorisés par le tribunal avaient été achevés en juillet 2023. La société RICARDO ne prouve pas notamment que ses installations informatiques seraient devenues obsolètes faute d'avoir pu être mises en service avant cette date.
Enfin, le dossier prévisionnel d'activité pour les exercices 2022, 2023 et 2024 établi par le cabinet d'expertise comptable BDCA constitue une simple projection théorique basée sur les seuls éléments fournis par son client et ne suffit pas à démontrer la réalité des pertes alléguées.
En conséquence, le montant des dommages-intérêts alloués à la société RICARDO sera ramené à la somme de 20.000 €, le surplus de ses demandes étant rejeté.
Sur la demande reconventionnelle en remboursement de la facture de l'APAVE :
La rémunération versée par le syndicat des copropriétaires à l'APAVE au titre d'une mission d'expertise des installations électriques ne constitue pas un préjudice réparable, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur la demande en répétition des sommes saisies :
Le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour les parties intimées de restituer les sommes perçues en exécution des chefs infirmés du jugement, et constitue le titre exécutoire permettant de les y contraindre en tant que de besoin, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande en répétition formulée par l'appelant.
Sur le sort de la somme consignée :
Conformément aux modalités indiquées sur le récépissé de la Caisse des Dépôts, le syndicat des copropriétaires pourra solliciter la restitution de la somme de 87.229,76 € sur présentation d'une expédition du présent arrêt.
Sur l'application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 :
En vertu de ce texte, le copropriétaire qui, à l'issue d'une instance judiciaire l'opposant au syndicat, voit sa prétention déclarée fondée par le juge, est dispensé, même en l'absence de demande de sa part, de toute participation à la dépense commune des frais de procédure, dont la charge est répartie entre les autres copropriétaires.
Cette disposition, interprétée strictement par la jurisprudence, ne s'étend pas aux autres condamnations, de sorte que la société EVA ne peut être dispensée de contribuer aux dommages-intérêts alloués à son ancien locataire.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 23 septembre 2025,
Fixe la clôture de l'instruction au 7 octobre 2025, avant l'ouverture des débats,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués à la société RICARDO,
Statuant à nouveau de ce chef, condamne le syndicat des copropriétaires [Adresse 10] à lui payer la somme de 20.000 euros en réparation d'une perte de chance,
Déboute la société RICARDO du surplus de ses demandes,
Y ajoutant,
Déboute le syndicat des copropriétaires de ses demandes incidentes tendant à la remise des lieux en leur état antérieur,
Dit que le syndicat pourra solliciter auprès de la Caisse des Dépôts la déconsignation à son profit de la somme de 87.229,76 euros sur présentation d'une expédition du présent arrêt,
Condamne le syndicat des copropriétaires aux dépens de la présente instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.500 euros au profit de chacune des parties intimées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle qu'en application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, la société EVA sera dispensée de toute participation à la dépense commune des frais de procédure exposée par le syndicat, dont la charge sera répartie entre les autres copropriétaires,
Dit que la société EVA restera en revanche tenue de contribuer aux dommages-intérêts alloués à la société RICARDO.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT