CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 19 novembre 2025, n° 25/00173
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2025
REQUÊTE EN DÉFÉRÉ
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/00173 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CK5S2
Décision déférée à la Cour : ordonnance d'incident en date du 11 février 2025 rendue par le conseiller de la mise en état du pôle 5 chambre 6 de la cour d'appel de Paris (RG n°24/07749)
DEMANDERESSE À LA REQUÊTE
S.A.R.L. LAKTOPOL INTERNATIONAL SP. Z O.O, société de droit polonais immatriculée au registre national judiciaire sous le n°0000303810
[Adresse 4]
[Adresse 2] (Pologne)
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de Paris, toque : J125
Ayant pour avocat plaidant Me Iwona JOWIK de la SELARL COPERNIC AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : K0187
DÉFENDERSSE À LA REQUÊTE
S.A. BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED BANQUE POPULAIRE (BIC-BRED)
[Adresse 1]
[Localité 3]
N°SIREN : 552 065 609
agissant poursuites et diligences du président de son conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de Paris, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant Me Romain DE MENONVILLE de l'AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de Paris, toque : R255, substitué à l'audience par Me Céline NEZET de L'AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de Paris, toque : R255
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Novembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Pasale SAPPEY-GUESDON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Valérie CHAMP, présidente de chambre et par Mélanie THOMAS, greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, ET PROCÉDURE
1. La société Banque internationale de commerce - BRED a pour activité le financement du commerce de commodités à l'international.
La société de droit polonais Laktopol International sp. z o.o. est active dans le domaine du négoce de produits laitiers. Ses actionnaires sont la société Polindus (à hauteur de 51 %), de droit polonais, et la société Laktopol Holding GmbH, société de droit allemand, fondée par M. [J] [R]. Ce dernier a été le vice-président de la société Laktopol International, tandis que M. [Z] [U], un associé de la société Polindus, en était le président.
La société Banque internationale de commerce - BRED a consenti en 2008 à la société Laktopol International une ligne de crédit utilisable à concurrence de 31 millions d'euros, dont chaque tirage prenait la forme de paiements, réalisés par la société Banque internationale de commerce - BRED, à la demande de la société Laktopol International (et sur remises documentaires par cette dernière, justifiant de l'opération de négoce), du prix d'achat des matières premières agricoles, ledit paiement étant effectué directement auprès des fournisseurs de la société Laktopol International.
La société Laktopol International et la société Banque internationale de commerce - BRED ont signé le 5 décembre 2018 un accord de remboursement ('repayment agreement') comportant un échéancier de remboursement de décembre 2018 à mai 2020.
Parallèlement, une nouvelle ligne de crédit d'un montant maximal de 10 millions d'euros a été mise en place au profit de la société Laktopol International.
Constatant les difficultés de la société Laktopol International à honorer l'accord de remboursement, la société Banque internationale de commerce - BRED lui a proposé plusieurs moratoires, assortis de diverses demandes et mesures, auxquels la société Laktopol International n'a pas donné suite. Du fait du non-respect par la société Laktopol International de l'échéancier de remboursement, la société Banque internationale de commerce - BRED a prononcé l'exigibilité anticipée des sommes dues, et a fait assigner la société Laktopol International le 24 juin 2020 devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement d'un montant en principal de 12 285 050,41 euros restant à rembourser à la date de l'assignation.
2. A cette occasion, la société Laktopol International a demandé au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de diverses procédures judiciaires civiles et pénales engagées devant les tribunaux polonais contre M. [R], en raison de ses agissements découverts après son départ.
3. Par jugement en date du 28 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a rejeté cette demande, au motif que la question de la restitution des sommes versées par la société Banque internationale de commerce - BRED à la société Laktopol International ne dépendait pas de l'issue des actions judiciaires pendantes en Pologne, et a renvoyé l'affaire au fond, pour conclusions de la défenderesse.
4. Par jugement contradictoire en date du 27 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la loi applicable est la loi française ;
- Enjoint à la société Banque internationale de commerce - BRED de communiquer à la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0, dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 30 jours précité, et ce pendant une période de 60 jours à l'issue de laquelle il sera fait droit à nouveau en cas de non-exécution, les documents conduisant à la justification du montant en principal de 12 191 434,42 euros, comprenant également leurs annexes et/ou pièces jointes ;
- Débouté la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 de toutes ses autres
demandes de communication de pièces ;
- Renvoyé la cause à l'audience de mise en état de la 3e chambre du 1er mars 2023 à 14 heures, pour conclusions au fond ;
- Dit qu'il n'y a lieu à attribution d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure
civile ;
- Réservé les dépens.
5. Par ailleurs, les procédures engagées d'une part en Pologne au pénal par M. [Z] [U] pour des faits allégués de falsification de signature par M. [J] [R], et d'autre part au civil par la société Polindus sur le fondement de la nullité pour dol, de la résolution d'actionnaire ayant autorisé la signature par la société Laktopol International de l'accord de remboursement, ont été rejetées par les juridictions polonaises.
Pour sa part, la société Banque internationale de commerce - BRED a fait assigner les actionnaires directs et indirects de la société Laktopol International devant le tribunal de district de Cracovie aux fins, notamment, d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 12 327 296,13 euros. Parallèlement, la société Banque internationale de commerce - BRED a sollicité du juge polonais l'autorisation de pratiquer des saisies conservatoires de valeurs mobilières entre les mains des défendeurs, aux fins de garantir l'exécution du jugement du tribunal de district de Cracovie à intervenir. Par ordonnance en date du 14 février 2023, le tribunal de district de Cracovie a fait droit aux demandes de la société Banque internationale de commerce - BRED. En outre, la société Banque internationale de commerce - BRED a introduit une plainte pénale auprès du parquet de Cracovie.
6. Par jugement contradictoire en date du 2 avril 2024, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la loi applicable est la loi française ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à verser à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 12 285 050,41 euros ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à payer à la société
Banque internationale de commerce - BRED la somme de 1 265 893,04 euros au titre des intérêts contractuels et de retard à parfaire au jour du jugement, le tout sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à compter du 15e jour de la signification de la présente décision, et ce pendant une période de 60 jours à l'issue de laquelle il sera fait droit à nouveau en cas de non-exécution ;
- Débouté la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 de sa demande d'indemnisation et de sa demande incidente de rétrocession par la société Banque internationale de commerce - BRED de la somme de 8 893 593,61 euros ;
- Dit qu'il ne se réservera pas la liquidation de l'astreinte ;
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à payer à la société
Banque internationale de commerce - BRED Ia somme de 30 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 174,35 euros dont 28,63 euros de taxe sur la valeur ajoutée.
***
Par déclaration remise au greffe de la cour de céans le 17 avril 2024, la société Laktopol International SP. Z.o.o a interjeté appel des décisions du tribunal de commerce de Paris en date du 27 octobre 2022 et du 2 avril 2024.
***
Par dernières conclusions (n°2) d'incident aux fins de radiation du rôle notifiées le 22 janvier 2025, la société anonyme Banque internationale de commerce - BRED faisant valoir que la condamnation prononcée contre la société Laktopol International SP. ZOO. par le tribunal de commerce de Paris le 2 avril 2024 est de plein droit exécutoire à titre provisoire, et qu'elle n'a fait l'objet d'aucun commencement d'exécution, demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'- prononcer la radiation du rôle de l'instance engagée sous le numéro RG 24/07749 par la société Laktopol International SP. Z.o.o., en raison de l'absence d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 2 avril 2024 rendu sous le numéro RG 2020027787 ;
- rejeter l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. à payer à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. aux entiers dépens de l'incident.'
La société à responsabilité limitée de droit polonais Laktopol International SP Z.o.o. y a répondu, et a soulevé elle-même d'autres incidents, aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces. Ainsi, par conclusions récapitulatives sur incidents aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces, et de radiation, notifiées le 23 janvier 2025, la société Laktopol International demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'Sur les incidents formés par LAKTOPOL INTERNATIONAL :
A TITRE PRINCIPAL,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu les articles 2 et 4 du CPP,
Vu l'article 378 et suivants du CPC,
Vu l'article 1242 du Code civil,
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, enregistrées par le Parquet de [Localité 5] sous le n°23257001047 et par le Parquet de Cracovie (Pologne) sous le n°3017-2.Ds.4.2021 pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Dire la demande de sursis à statuer de LAKTOPOL INTERNATIONAL recevable et bien fondée,
Par conséquent, ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue desdites plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu le principe du droit à défense et du droit à la preuve,
Vu les articles 9 et 11 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1353 du Code civil,
Enjoindre à la société BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED de communiquer à la société LAKTOPOL INTERNATIONAL sp. z o.o., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 15 jours précité :
1. L'ensemble des documents et notamment les 'Deal proposals', les 'Purchase confirmations' et les 'Payment orders' servant de fondement à chaque transaction commerciale financée par BIC-BRED sur la période 2008-2018 ou, à tout le moins, les documents se rapportant au montant en principal de 12.191.434,42 €.
2. Tout document, sous quelque forme que ce soit, sur quelque support que ce soit (courrier, correspondance électronique, etc.), adressé à BIC-BRED par la / les personne(s) se présentant comme agissant au nom de LAKTOPOL INTERNATIONAL en vue de l'obtention de l'ouverture de la ligne de crédit au profit de LAKTOPOL INTERNATIONAL en 2008.
3. Tout échange, sous quelque forme que ce soit, entre BIC-BRED et la / les personne(s) seprésentant comme agissant au nom de LAKTOPOL
intervenu dans le cadre de la négociation de l'ouverture de la ligne de crédit en 2008.
4. Tout document précisant les conditions (i) d'octroi, (ii) de fonctionnement et (iii) de suivi par BIC-BRED de l'ouverture de la ligne de crédit accordée à LAKTOPOL INTERNATIONAL.
5. Tout document obtenu par BIC-BRED attestant de la capacité de la personne / des personnes représentant LAKTOPOL INTERNATIONAL à l'engager dans l'ouverture de la ligne de crédit.
6. Tout document obtenu par BIC-BRED pour attester de la capacité de LAKTOPOL INTERNATIONAL à rembourser la ligne de crédit, tant avant l'ouverture de la ligne de crédit que périodiquement entre 2008 et 2018.
7. Tout document relatif aux procédures internes de BIC-BRED régissant l'ouverture de lignes de crédit ainsi que leur suivi, en vigueur entre 2008 et 2018.
8. Tout document relatif à l'autorisation de l'ouverture de la ligne de crédit au profit de LAKTOPOL INTERNATIONAL et à son suivi dans le respect des procédures internes de BIC-BRED.
9. Tout document relatif à la mise en place par BIC-BRED du suivi du remboursement par LAKTOPOL INTERNATIONAL de la ligne de crédit (notamment quant au respect des délais de finalisation des transactions commerciales).
10. Tout document relatif à l'exercice par BIC-BRED de son droit de regard sur les transactions commerciales devant faire l'objet du financement par BIC-BRED.
11. Tout échange, sous quelque forme que ce soit, sur quelque support que ce soit, intervenu entre la / les personne(s) se présentant comme agissant au nom de LAKTOPOL INTERNATIONAL et BIC-BRED ayant conduit à la signature du 'Repayment agreement' le 4 décembre 2018.
Étant précisé que la demande de communications des pièces susvisées comprend également leurs annexes et/ou pièces jointes.
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu le principe du droit à défense et du droit à la preuve,
Vu les articles 9 et 11 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1353 du Code civil,
Enjoindre à la société BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED de communiquer à la société LAKTOPOL INTERNATIONAL sp. z o.o., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 15 jours précité : tous les documents commerciaux et notamment les 'Deal proposals', les 'Purchase confirmations' et les 'Payment orders' servant de fondement à chaque transaction comptabilisée au débit du compte bancaire de LAKTOPOL INTERNATIONAL tenu dans ses livres, allant de 2008 à 2018.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions, y compris au titre des articles 699 et 700 CPC.
Réserver les dépens.
Sur l'incident aux fins de radiation formé par BIC-BRED :
Vu l'article 6 de la CESDH
Vu l'article 524 CPC
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, enregistrées par le Parquet de [Localité 5] sous le n°23257001047 et par le Parquet de Cracovie (Pologne) sous le n°3017-2.Ds.4.2021 pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Dire qu'il n'y a lieu à radiation ;
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions, y compris au titre des
articles 699 et 700 CPC ; Réserver les dépens.'
La société Laktopol International à l'appui de ses prétentions faisait valoir :
' Sur le sursis à statuer : qu'elle a déposé une plainte entre les mains du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris, transmise pour enquête le 19 février 2024, des chefs d'abus de confiance, faux et usage, et escroquerie, dénonçant les conditions d'octroi et de fonctionnement de la ligne de crédit de 2008 à 2018, ainsi que les conditions de la conclusion de l'accord de remboursement, puis le 18 juin 2024, une plainte complémentaire du chef de corruption dénonçant un pacte de corruption à l'origine de financements accordés par la société Banque internationale de commerce - BRED sur la ligne de crédit ; que par l'effet de la chose jugée au pénal, la confirmation des infractions dénoncées déterminerait l'issue de la présente instance en ce qu'il serait démontré que le financement de la société Banque internationale de commerce - BRED serait frappé de nullité pour cause illicite ; que le sursis à statuer s'impose également car elle possède des informations susceptibles d'influencer l'appréciation du présent litige, mais dont elle ne peut faire état compte tenu des impératifs de la procédure pénale ;
- Sur la demande de communication de pièces : que l'analyse de quelques-unes des pièces communiquées par la banque a permis de déceler des irrégularités dans le financement accordé par la société Banque internationale de commerce - BRED, ce qui rend nécessaire la production par celle-ci de l'ensemble des documents servant de fondement à chaque transaction commerciale financée entre 2008 et 2018 ; que la communication des autres pièces sollicitées s'impose au nom du respect du droit de la défense dont l'accès à la preuve est partie intégrante ;
- Sur la demande adverse de radiation : que l'exécution serait de nature à entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives.
Par conclusions en réponse (n°2) sur les incidents aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces notifiées le 22 janvier 2025, la société Banque internationale de commerce - BRED, demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'' À titre principal :
Juger irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
En conséquence :
Rejeter la demande de sursis à statuer ;
' À titre subsidiaire :
Rejeter la demande de sursis à statuer ;
' En toute hypothèse :
- Rejeter la demande de communication de pièces formulée par la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- Rejeter l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- Condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. à verser à la société Banque internationale de commerce ' BRED la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réserver les dépens.'
Elle faisait valoir que la demande de sursis à statuer n'a pas été soulevée in limine litis, et que les procédures pénales en cours sont sans incidence sur l'obligation de la société Laktopol de rembourser les fonds mis à sa disposition par BRED ; que les documents sollicités sont indifférents à la solution du litige, que la demande de production de pièces est excessivement large et ne les identifie pas précisément, et que cette demande en outre se heurte au secret bancaire comme au secret des affaires.
Sur ce, le magistrat en charge de la mise en état a jugé, selon ordonnance du 11 février 2025 :
a) qu'il n'y a pas lieu de radier l'affaire du rôle de la cour,
b) que l'appelante est irrecevable en son exception de sursis à statuer, soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024,
c) que la demande de production d'éléments de preuve complémentaires au soutien de la demande reconventionnelle de la société Laktopol International apparaît justifiée dans la mesure où ceux-ci sont identifiés de manière suffisamment précise, en sorte qu'il y a lieu d'enjoindre à la banque de produire aux débats les documents afférents aux seize virements considérés comme irréguliers par la société Laktopol International.
Cette décision a été déférée à la cour en ce que le magistrat en charge de la mise en état a déclaré la société Laktopol International sp. z o.o. irrecevable en sa demande de sursis à statuer.
Ainsi :
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 20 octobre 2025, la société Laktopol International
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu les articles 2 et 4 du CPP,
Vu l'article 378 et suivants du CPC,
Vu l'article 1242 du Code civil,
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, en France et en Pologne, pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Infirmer l'ordonnance de Monsieur le conseiller de la mise en Eéat du 11 février 2025 en ce qu'elle a déclaré la société LAKTOPOL INTERNATIONAL irrecevable en sa demande de sursis à statuer,
Par conséquent :
Dire la demande de sursis à statuer de LAKTOPOL INTERNATIONAL recevable et bien fondée,
Dès lors, ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue desdites plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL,
Dire BIC-BRED mal fondée en ses demandes et l'en débouter ;
Réserver les dépens.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 28 octobre 2025, la banque
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 1103, 1221, 1302, 1302-1, 1352 et suivants du code civil,
Vu les articles 4, 74, 138, 142, 378 et 700 du code de procédure civile,
Vu les demandes de sursis à statuer et de communication de pièces présentées par Laktopol International,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2024,
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 février 2025,
Il est demandé à la Cour de :
À titre principal :
CONFIRMER l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par la société Laktopol International SP. Z O.O. ;
En conséquence :
REJETER la demande de sursis à statuer ;
A titre subsidiaire :
REJETER la demande de sursis a statuer ;
En toute hypothèse :
REJETER l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de Laktopol International SP. ZO.O. ;
CONDAMNER la société Laktopol International SP. Z O.O. à verser à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RESERVER les dépens.'
CECI ÉTANT EXPOSÉ
La société Laktopol International, qui au cours de ses écritures détaille quelles ont été les malversations commises à son détriment par M. [R] ainsi que les relations priviligiées de celui-ci avec M. [M], cadre de la Banque internationale de commerce - BRED, entend rappeler qu'elle a déposé deux plaintes : une plainte des chefs d'abus de confiance, de faux et usage de faux et d'escroquerie, déposée le 5 septembre 2023 en France et le 7 décembre 2023 en Pologne, donc antérieurement à l'audience de plaidoiries qui s'est tenue devant le tribunal de commerce de Paris le 25 janvier 2024, puis une plainte pour corruption, déposée le 18 juin 2024 en France et en Pologne, postérieurement à cette audience de plaidoiries. Les considérations de l'ordonnance critiquée sur la tardiveté de la demande de sursis à statuer ne peuvent que concerner la première plainte, au sujet de laquelle il importe de préciser que ce n'est que le 19 février 2024, postérieurement à l'audience des plaidoiries, que le conseil de la concluante a été sommairement informé par le Parquet de [Localité 5] que la plainte de son client avait été transmise à la brigade financière de la police judiciaire pour enquête. S'agissant de la plainte déposée en Pologne, le Parquet polonais en a simplement accusé réception le 3 janvier 2024, et ce n'est que le 23 octobre 2024 que la concluante a eu accès au dossier pénal, après une convocation datée du 30 août 2024 pour audition de M. [R] en vue de sa mise en examen, qui s'est tenue le 4 octobre 2024. À la date de l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024, la société Laktopol International ne pouvait donc, à ce stade, invoquer utilement sa plainte de chefs d'abus de confiance, de faux et usage de faux et d'escroquerie comme fondement d'une demande de sursis à statuer. Une telle demande aurait été qualifiée sans doute comme une manoeuvre dilatoire. En effet, déjà sous le régime antérieur à la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, la Cour de cassation estimait que la seule plainte déposée au Parquet n'établissait pas que l'action publique ait été mise en mouvement et qu'en présence d'une telle plainte les juges de fond pouvaient refuser de sursoir à statuer (cf. Com., 8 février 1984, n°81-16.228 P). Par ailleurs, le sens de la réforme du 5 mars 2007 était précisément d'éviter des situations dans lesquelles un plaignant déposait plainte pénale dans le seul but de bloquer l'instance civile. Or, si l'on suit la décision de monsieur le conseiller de la mise en état, une partie au procès pénal doit solliciter un sursis à statuer dès le dépôt d'une plainte pénale, avec une quasi-certitude de rejet de cette demande' Cette approche est difficilement acceptable et ce d'autant plus que huit mois à peine se sont écoulés entre l'audience de plaidoiries devant le tribunal de commerce de Paris (le 25 janvier 2024) et les premières écritures de la société Laktopol International devant la cour de céans, aux termes desquelles la demande de sursis à statuer a été formulée (le 16 septembre 2024). En toute hypothèse, le raisonnement de monsieur le conseiller de la mise en état ne saurait s'appliquer à la seconde plainte de Laktopol International. En effet, le 18 juin 2024, postérieurement à l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024 et au jugement du 2 avril 2024 dont appel, la société Laktopol International a été amenée à déposer auprès du parquet de Paris et auprès du parquet polonais une plainte complémentaire dénonçant des faits de corruption dont on voit mal comment elle aurait pu être invoquée devant le tribunal de commerce de Paris. C'est au bénéfice de ces observations qu'il est demandé à la cour d'infirmer l'ordonnance du 11 février 2025 en ce qu'elle a déclaré la société Laktopol International irrecevable en sa demande de sursis à statuer.
En réponse la société Banque internationale de commerce BRED rappelle que la société Laktopol International prétendait justifier sa nouvelle demande de sursis, formée pour la première fois devant le conseiller de la mise en état, par les éléments nouveaux apparus depuis le jugement dont appel. Cependant, les plaintes de la société Laktopol International en France et en Pologne en septembre et décembre 2023 ont été déposées alors que la première instance était en cours devant le tribunal de commerce de Paris, dont l'audience des plaidoiries s'est déroulée le 25 janvier 2024. Plus largement, l'ensemble des faits évoqués par la société Laktopol International dans ses conclusions et sa requête en déféré comme justifiant les plaintes pénales de 2023 et compléments de plainte de 2024 sont dans le débat judiciaire civil depuis la première instance. Il suffit à cet égard de se reporter aux conclusions au fond de la société Laktopol International devant le tribunal de commerce de Paris ainsi qu'à sa requête en déféré, dont on citera à titre non exhaustif les passages suivants : '9. Au cours de l'instance, il a été découvert et porté à la connaissance du Tribunal de commerce que ['] 23. ['] Il est à rappeler que dans le cadre du débat devant le Tribunal de commerce de Paris la concluante a également identifié des virements concernant [O] [M] sur le compte de Laktopol international chez Banque internationale de commerce (BIC) - BRED qui devait servir à des opérations financées par la ligne de crédit. ['] 24. Mais surtout, les travaux de l'expert confirment l'existence de multiples opérations irrégulières sur le compte de Laktopol international chez BIC-BRED déjà pointées par la concluante lors des débats devant le tribunal de commerce : ['] 25. ['] Or, la concluante s'interrogeait devant le tribunal de commerce sur neuf virements effectués en 2012 à partir de son compte chez BIC-BRED pour un montant total de 1.831.406,40 € au profit de ladite société spécialisée dans le conseil [']'. Le fait que la société Laktopol International se prévale désormais du dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Paris ne modifie en rien les appréciations qui précèdent, dès lors que les éléments allégués existaient en première instance. Il appartenait donc à la société Laktopol International de présenter cette demande de sursis devant le tribunal de commerce de Paris. Faute de l'avoir fait, et conformement à l'article 74 du code de procédure civile et la jurisprudence, cette demande est irrecevable.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Le magistrat en charge de la mise en état a tout d'abord rappelé qu'aux termes des articles 71, 73 et 122 du code de procédure civile :
- constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire,
- constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours,
- constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée,
et qu'en vertu de l'article 74, premier alinéa, du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
Le magistrat en charge de la mise en état rélève ensuite qu'il résulte de la combinaison des articles 73 et 74 précités que l'exception de procédure tendant à faire suspendre le cours de l'instance, qu'elle émane du demandeur ou d'un défendeur, est une exception de procédure qui doit être présentée, à peine d'irrecevabilité, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir de son auteur.
Ce principe de droit n'est d'ailleurs pas remis en question par la société Laktopol International, et il est également constant que celle-ci a conclu sur le fond devant le tribunal de commerce.
Par conséquent, la société Laktopol International est irrecevable à soulever une exception de sursis à statuer en cause d'appel, sauf à rechercher si l'exception dilatoire, bien que soulevée après la défense au fond, ne serait pas recevable compte tenu de la date à laquelle la société Laktopol International a eu connaissance des faits motivant le sursis à statuer sollicité.
Or, au cas présent, le sursis demandé est motivé par le depôt de plaintes pénales par la société Laktopol International tant en France qu'en Pologne, à savoir :
- une plainte déposée le 5 septembre 2023 des chefs d'abus de confiance, complicité et recel d'abus de confiance, faux et usage de faux, et escroquerie, entre les mains du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris (procédure n°23257001047) ;
- une plainte semblable déposée le 7 décembre 2023 auprès du parquet polonais (procédure
n°3017-2.Ds.4.2021) ;
- une plainte complémentaire du chef de corruption déposée le 18 juin 2024 auprès du parquet de [Localité 5] dans la procédure n°23257001047.
Le dépôt des plaintes du 5 septembre 2023 implique nécessairement que la société Laktopol International dès cette date avait connaissance de faits pouvant revêtir une qualification pénale. Si bon lui semblait, il lui revenait alors de saisir, dès cet instant, le tribunal de commerce, d'une demande de sursis à statuer, ce dont elle s'est abstenue. Aussi, peu importent les dates auxquelles la société Laktopol International a été informée de la suite donnée aux premières plaintes pénales déposées (information par le parquet de [Localité 5], le 19 février 2024, d'une transmission pour enquête ; accès au dossier pénal polonais le 23 octobre 2024). Peu importe également, que la société Laktopol International ait déposé une ou des plaintes complémentaires, dans la mesure où celles-ci ne sont que l'exploitation d'éléments ressortant notamment de l'enquête menée en Pologne suite aux faits initialement connus de la société Laktopol International et dénoncés par elle dans ses plaintes initiales.
Par conséquent il y a lieu de confirmer l'ordonnance du 11 février 2025 déférée à la cour, en ce que la société Laktopol International est déclarée irrecevable en son exception de sursis à statuer soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024.
La société Laktopol International, qui échoue en ses prétentions telles que soumises à la cour, doit supporter la charge des dépens de l'incident à hauteur de déféré. Elle est en outre condamnée à payer à la société Banque internationale de commerce BRED la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés par elle pour les besoins du déféré.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME l'ordonnance du 11 février 2025 en ce que la société Laktopol International est déclarée irrecevable en son exception de sursis à statuer, soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024.
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Laktopol International aux dépens de l'incident engagés à hauteur de déféré ;
CONDAMNE la société Laktopol International à payer à la société Banque internationale de commerce BRED la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés pour les besoins du déféré.
La greffière La présidente
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2025
REQUÊTE EN DÉFÉRÉ
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 25/00173 - N° Portalis 35L7-V-B7J-CK5S2
Décision déférée à la Cour : ordonnance d'incident en date du 11 février 2025 rendue par le conseiller de la mise en état du pôle 5 chambre 6 de la cour d'appel de Paris (RG n°24/07749)
DEMANDERESSE À LA REQUÊTE
S.A.R.L. LAKTOPOL INTERNATIONAL SP. Z O.O, société de droit polonais immatriculée au registre national judiciaire sous le n°0000303810
[Adresse 4]
[Adresse 2] (Pologne)
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de Paris, toque : J125
Ayant pour avocat plaidant Me Iwona JOWIK de la SELARL COPERNIC AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : K0187
DÉFENDERSSE À LA REQUÊTE
S.A. BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED BANQUE POPULAIRE (BIC-BRED)
[Adresse 1]
[Localité 3]
N°SIREN : 552 065 609
agissant poursuites et diligences du président de son conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de Paris, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant Me Romain DE MENONVILLE de l'AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de Paris, toque : R255, substitué à l'audience par Me Céline NEZET de L'AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de Paris, toque : R255
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Novembre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Pasale SAPPEY-GUESDON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Valérie CHAMP, présidente de chambre et par Mélanie THOMAS, greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, ET PROCÉDURE
1. La société Banque internationale de commerce - BRED a pour activité le financement du commerce de commodités à l'international.
La société de droit polonais Laktopol International sp. z o.o. est active dans le domaine du négoce de produits laitiers. Ses actionnaires sont la société Polindus (à hauteur de 51 %), de droit polonais, et la société Laktopol Holding GmbH, société de droit allemand, fondée par M. [J] [R]. Ce dernier a été le vice-président de la société Laktopol International, tandis que M. [Z] [U], un associé de la société Polindus, en était le président.
La société Banque internationale de commerce - BRED a consenti en 2008 à la société Laktopol International une ligne de crédit utilisable à concurrence de 31 millions d'euros, dont chaque tirage prenait la forme de paiements, réalisés par la société Banque internationale de commerce - BRED, à la demande de la société Laktopol International (et sur remises documentaires par cette dernière, justifiant de l'opération de négoce), du prix d'achat des matières premières agricoles, ledit paiement étant effectué directement auprès des fournisseurs de la société Laktopol International.
La société Laktopol International et la société Banque internationale de commerce - BRED ont signé le 5 décembre 2018 un accord de remboursement ('repayment agreement') comportant un échéancier de remboursement de décembre 2018 à mai 2020.
Parallèlement, une nouvelle ligne de crédit d'un montant maximal de 10 millions d'euros a été mise en place au profit de la société Laktopol International.
Constatant les difficultés de la société Laktopol International à honorer l'accord de remboursement, la société Banque internationale de commerce - BRED lui a proposé plusieurs moratoires, assortis de diverses demandes et mesures, auxquels la société Laktopol International n'a pas donné suite. Du fait du non-respect par la société Laktopol International de l'échéancier de remboursement, la société Banque internationale de commerce - BRED a prononcé l'exigibilité anticipée des sommes dues, et a fait assigner la société Laktopol International le 24 juin 2020 devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement d'un montant en principal de 12 285 050,41 euros restant à rembourser à la date de l'assignation.
2. A cette occasion, la société Laktopol International a demandé au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de diverses procédures judiciaires civiles et pénales engagées devant les tribunaux polonais contre M. [R], en raison de ses agissements découverts après son départ.
3. Par jugement en date du 28 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a rejeté cette demande, au motif que la question de la restitution des sommes versées par la société Banque internationale de commerce - BRED à la société Laktopol International ne dépendait pas de l'issue des actions judiciaires pendantes en Pologne, et a renvoyé l'affaire au fond, pour conclusions de la défenderesse.
4. Par jugement contradictoire en date du 27 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la loi applicable est la loi française ;
- Enjoint à la société Banque internationale de commerce - BRED de communiquer à la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0, dans un délai de 30 jours à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 30 jours précité, et ce pendant une période de 60 jours à l'issue de laquelle il sera fait droit à nouveau en cas de non-exécution, les documents conduisant à la justification du montant en principal de 12 191 434,42 euros, comprenant également leurs annexes et/ou pièces jointes ;
- Débouté la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 de toutes ses autres
demandes de communication de pièces ;
- Renvoyé la cause à l'audience de mise en état de la 3e chambre du 1er mars 2023 à 14 heures, pour conclusions au fond ;
- Dit qu'il n'y a lieu à attribution d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure
civile ;
- Réservé les dépens.
5. Par ailleurs, les procédures engagées d'une part en Pologne au pénal par M. [Z] [U] pour des faits allégués de falsification de signature par M. [J] [R], et d'autre part au civil par la société Polindus sur le fondement de la nullité pour dol, de la résolution d'actionnaire ayant autorisé la signature par la société Laktopol International de l'accord de remboursement, ont été rejetées par les juridictions polonaises.
Pour sa part, la société Banque internationale de commerce - BRED a fait assigner les actionnaires directs et indirects de la société Laktopol International devant le tribunal de district de Cracovie aux fins, notamment, d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 12 327 296,13 euros. Parallèlement, la société Banque internationale de commerce - BRED a sollicité du juge polonais l'autorisation de pratiquer des saisies conservatoires de valeurs mobilières entre les mains des défendeurs, aux fins de garantir l'exécution du jugement du tribunal de district de Cracovie à intervenir. Par ordonnance en date du 14 février 2023, le tribunal de district de Cracovie a fait droit aux demandes de la société Banque internationale de commerce - BRED. En outre, la société Banque internationale de commerce - BRED a introduit une plainte pénale auprès du parquet de Cracovie.
6. Par jugement contradictoire en date du 2 avril 2024, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit que la loi applicable est la loi française ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à verser à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 12 285 050,41 euros ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à payer à la société
Banque internationale de commerce - BRED la somme de 1 265 893,04 euros au titre des intérêts contractuels et de retard à parfaire au jour du jugement, le tout sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à compter du 15e jour de la signification de la présente décision, et ce pendant une période de 60 jours à l'issue de laquelle il sera fait droit à nouveau en cas de non-exécution ;
- Débouté la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 de sa demande d'indemnisation et de sa demande incidente de rétrocession par la société Banque internationale de commerce - BRED de la somme de 8 893 593,61 euros ;
- Dit qu'il ne se réservera pas la liquidation de l'astreinte ;
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 à payer à la société
Banque internationale de commerce - BRED Ia somme de 30 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société de droit polonais Laktopol International SP.Z.0.0 aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 174,35 euros dont 28,63 euros de taxe sur la valeur ajoutée.
***
Par déclaration remise au greffe de la cour de céans le 17 avril 2024, la société Laktopol International SP. Z.o.o a interjeté appel des décisions du tribunal de commerce de Paris en date du 27 octobre 2022 et du 2 avril 2024.
***
Par dernières conclusions (n°2) d'incident aux fins de radiation du rôle notifiées le 22 janvier 2025, la société anonyme Banque internationale de commerce - BRED faisant valoir que la condamnation prononcée contre la société Laktopol International SP. ZOO. par le tribunal de commerce de Paris le 2 avril 2024 est de plein droit exécutoire à titre provisoire, et qu'elle n'a fait l'objet d'aucun commencement d'exécution, demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'- prononcer la radiation du rôle de l'instance engagée sous le numéro RG 24/07749 par la société Laktopol International SP. Z.o.o., en raison de l'absence d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 2 avril 2024 rendu sous le numéro RG 2020027787 ;
- rejeter l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. à payer à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. aux entiers dépens de l'incident.'
La société à responsabilité limitée de droit polonais Laktopol International SP Z.o.o. y a répondu, et a soulevé elle-même d'autres incidents, aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces. Ainsi, par conclusions récapitulatives sur incidents aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces, et de radiation, notifiées le 23 janvier 2025, la société Laktopol International demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'Sur les incidents formés par LAKTOPOL INTERNATIONAL :
A TITRE PRINCIPAL,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu les articles 2 et 4 du CPP,
Vu l'article 378 et suivants du CPC,
Vu l'article 1242 du Code civil,
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, enregistrées par le Parquet de [Localité 5] sous le n°23257001047 et par le Parquet de Cracovie (Pologne) sous le n°3017-2.Ds.4.2021 pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Dire la demande de sursis à statuer de LAKTOPOL INTERNATIONAL recevable et bien fondée,
Par conséquent, ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue desdites plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL,
A TITRE SUBSIDIAIRE,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu le principe du droit à défense et du droit à la preuve,
Vu les articles 9 et 11 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1353 du Code civil,
Enjoindre à la société BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED de communiquer à la société LAKTOPOL INTERNATIONAL sp. z o.o., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 15 jours précité :
1. L'ensemble des documents et notamment les 'Deal proposals', les 'Purchase confirmations' et les 'Payment orders' servant de fondement à chaque transaction commerciale financée par BIC-BRED sur la période 2008-2018 ou, à tout le moins, les documents se rapportant au montant en principal de 12.191.434,42 €.
2. Tout document, sous quelque forme que ce soit, sur quelque support que ce soit (courrier, correspondance électronique, etc.), adressé à BIC-BRED par la / les personne(s) se présentant comme agissant au nom de LAKTOPOL INTERNATIONAL en vue de l'obtention de l'ouverture de la ligne de crédit au profit de LAKTOPOL INTERNATIONAL en 2008.
3. Tout échange, sous quelque forme que ce soit, entre BIC-BRED et la / les personne(s) seprésentant comme agissant au nom de LAKTOPOL
intervenu dans le cadre de la négociation de l'ouverture de la ligne de crédit en 2008.
4. Tout document précisant les conditions (i) d'octroi, (ii) de fonctionnement et (iii) de suivi par BIC-BRED de l'ouverture de la ligne de crédit accordée à LAKTOPOL INTERNATIONAL.
5. Tout document obtenu par BIC-BRED attestant de la capacité de la personne / des personnes représentant LAKTOPOL INTERNATIONAL à l'engager dans l'ouverture de la ligne de crédit.
6. Tout document obtenu par BIC-BRED pour attester de la capacité de LAKTOPOL INTERNATIONAL à rembourser la ligne de crédit, tant avant l'ouverture de la ligne de crédit que périodiquement entre 2008 et 2018.
7. Tout document relatif aux procédures internes de BIC-BRED régissant l'ouverture de lignes de crédit ainsi que leur suivi, en vigueur entre 2008 et 2018.
8. Tout document relatif à l'autorisation de l'ouverture de la ligne de crédit au profit de LAKTOPOL INTERNATIONAL et à son suivi dans le respect des procédures internes de BIC-BRED.
9. Tout document relatif à la mise en place par BIC-BRED du suivi du remboursement par LAKTOPOL INTERNATIONAL de la ligne de crédit (notamment quant au respect des délais de finalisation des transactions commerciales).
10. Tout document relatif à l'exercice par BIC-BRED de son droit de regard sur les transactions commerciales devant faire l'objet du financement par BIC-BRED.
11. Tout échange, sous quelque forme que ce soit, sur quelque support que ce soit, intervenu entre la / les personne(s) se présentant comme agissant au nom de LAKTOPOL INTERNATIONAL et BIC-BRED ayant conduit à la signature du 'Repayment agreement' le 4 décembre 2018.
Étant précisé que la demande de communications des pièces susvisées comprend également leurs annexes et/ou pièces jointes.
A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE,
Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu le principe du droit à défense et du droit à la preuve,
Vu les articles 9 et 11 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1353 du Code civil,
Enjoindre à la société BANQUE INTERNATIONALE DE COMMERCE - BRED de communiquer à la société LAKTOPOL INTERNATIONAL sp. z o.o., dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de l'expiration du délai de 15 jours précité : tous les documents commerciaux et notamment les 'Deal proposals', les 'Purchase confirmations' et les 'Payment orders' servant de fondement à chaque transaction comptabilisée au débit du compte bancaire de LAKTOPOL INTERNATIONAL tenu dans ses livres, allant de 2008 à 2018.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions, y compris au titre des articles 699 et 700 CPC.
Réserver les dépens.
Sur l'incident aux fins de radiation formé par BIC-BRED :
Vu l'article 6 de la CESDH
Vu l'article 524 CPC
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, enregistrées par le Parquet de [Localité 5] sous le n°23257001047 et par le Parquet de Cracovie (Pologne) sous le n°3017-2.Ds.4.2021 pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Dire qu'il n'y a lieu à radiation ;
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions.
EN TOUT ETAT DE CAUSE
Débouter BIC-BRED de toutes ses demandes, fins et prétentions, y compris au titre des
articles 699 et 700 CPC ; Réserver les dépens.'
La société Laktopol International à l'appui de ses prétentions faisait valoir :
' Sur le sursis à statuer : qu'elle a déposé une plainte entre les mains du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris, transmise pour enquête le 19 février 2024, des chefs d'abus de confiance, faux et usage, et escroquerie, dénonçant les conditions d'octroi et de fonctionnement de la ligne de crédit de 2008 à 2018, ainsi que les conditions de la conclusion de l'accord de remboursement, puis le 18 juin 2024, une plainte complémentaire du chef de corruption dénonçant un pacte de corruption à l'origine de financements accordés par la société Banque internationale de commerce - BRED sur la ligne de crédit ; que par l'effet de la chose jugée au pénal, la confirmation des infractions dénoncées déterminerait l'issue de la présente instance en ce qu'il serait démontré que le financement de la société Banque internationale de commerce - BRED serait frappé de nullité pour cause illicite ; que le sursis à statuer s'impose également car elle possède des informations susceptibles d'influencer l'appréciation du présent litige, mais dont elle ne peut faire état compte tenu des impératifs de la procédure pénale ;
- Sur la demande de communication de pièces : que l'analyse de quelques-unes des pièces communiquées par la banque a permis de déceler des irrégularités dans le financement accordé par la société Banque internationale de commerce - BRED, ce qui rend nécessaire la production par celle-ci de l'ensemble des documents servant de fondement à chaque transaction commerciale financée entre 2008 et 2018 ; que la communication des autres pièces sollicitées s'impose au nom du respect du droit de la défense dont l'accès à la preuve est partie intégrante ;
- Sur la demande adverse de radiation : que l'exécution serait de nature à entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives.
Par conclusions en réponse (n°2) sur les incidents aux fins de sursis à statuer et de communication de pièces notifiées le 22 janvier 2025, la société Banque internationale de commerce - BRED, demandait au magistrat chargé de la mise en état de :
'' À titre principal :
Juger irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
En conséquence :
Rejeter la demande de sursis à statuer ;
' À titre subsidiaire :
Rejeter la demande de sursis à statuer ;
' En toute hypothèse :
- Rejeter la demande de communication de pièces formulée par la société Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- Rejeter l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de Laktopol International SP. Z.o.o. ;
- Condamner la société Laktopol International SP. Z.o.o. à verser à la société Banque internationale de commerce ' BRED la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Réserver les dépens.'
Elle faisait valoir que la demande de sursis à statuer n'a pas été soulevée in limine litis, et que les procédures pénales en cours sont sans incidence sur l'obligation de la société Laktopol de rembourser les fonds mis à sa disposition par BRED ; que les documents sollicités sont indifférents à la solution du litige, que la demande de production de pièces est excessivement large et ne les identifie pas précisément, et que cette demande en outre se heurte au secret bancaire comme au secret des affaires.
Sur ce, le magistrat en charge de la mise en état a jugé, selon ordonnance du 11 février 2025 :
a) qu'il n'y a pas lieu de radier l'affaire du rôle de la cour,
b) que l'appelante est irrecevable en son exception de sursis à statuer, soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024,
c) que la demande de production d'éléments de preuve complémentaires au soutien de la demande reconventionnelle de la société Laktopol International apparaît justifiée dans la mesure où ceux-ci sont identifiés de manière suffisamment précise, en sorte qu'il y a lieu d'enjoindre à la banque de produire aux débats les documents afférents aux seize virements considérés comme irréguliers par la société Laktopol International.
Cette décision a été déférée à la cour en ce que le magistrat en charge de la mise en état a déclaré la société Laktopol International sp. z o.o. irrecevable en sa demande de sursis à statuer.
Ainsi :
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 20 octobre 2025, la société Laktopol International
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu l'article 6 de la CESDH,
Vu les articles 2 et 4 du CPP,
Vu l'article 378 et suivants du CPC,
Vu l'article 1242 du Code civil,
Vu les plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL, en France et en Pologne, pour les faits qualifiés d'abus de confiance, de complicité et de recel d'abus de confiance, de faux et usage de faux, d'escroquerie ainsi que de corruption ;
Infirmer l'ordonnance de Monsieur le conseiller de la mise en Eéat du 11 février 2025 en ce qu'elle a déclaré la société LAKTOPOL INTERNATIONAL irrecevable en sa demande de sursis à statuer,
Par conséquent :
Dire la demande de sursis à statuer de LAKTOPOL INTERNATIONAL recevable et bien fondée,
Dès lors, ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue desdites plaintes pénales déposées par LAKTOPOL INTERNATIONAL,
Dire BIC-BRED mal fondée en ses demandes et l'en débouter ;
Réserver les dépens.'
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 28 octobre 2025, la banque
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
'Vu les articles 1103, 1221, 1302, 1302-1, 1352 et suivants du code civil,
Vu les articles 4, 74, 138, 142, 378 et 700 du code de procédure civile,
Vu les demandes de sursis à statuer et de communication de pièces présentées par Laktopol International,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 2024,
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 février 2025,
Il est demandé à la Cour de :
À titre principal :
CONFIRMER l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer formulée par la société Laktopol International SP. Z O.O. ;
En conséquence :
REJETER la demande de sursis à statuer ;
A titre subsidiaire :
REJETER la demande de sursis a statuer ;
En toute hypothèse :
REJETER l'intégralité des demandes, moyens, fins et conclusions de Laktopol International SP. ZO.O. ;
CONDAMNER la société Laktopol International SP. Z O.O. à verser à la société Banque internationale de commerce - BRED la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
RESERVER les dépens.'
CECI ÉTANT EXPOSÉ
La société Laktopol International, qui au cours de ses écritures détaille quelles ont été les malversations commises à son détriment par M. [R] ainsi que les relations priviligiées de celui-ci avec M. [M], cadre de la Banque internationale de commerce - BRED, entend rappeler qu'elle a déposé deux plaintes : une plainte des chefs d'abus de confiance, de faux et usage de faux et d'escroquerie, déposée le 5 septembre 2023 en France et le 7 décembre 2023 en Pologne, donc antérieurement à l'audience de plaidoiries qui s'est tenue devant le tribunal de commerce de Paris le 25 janvier 2024, puis une plainte pour corruption, déposée le 18 juin 2024 en France et en Pologne, postérieurement à cette audience de plaidoiries. Les considérations de l'ordonnance critiquée sur la tardiveté de la demande de sursis à statuer ne peuvent que concerner la première plainte, au sujet de laquelle il importe de préciser que ce n'est que le 19 février 2024, postérieurement à l'audience des plaidoiries, que le conseil de la concluante a été sommairement informé par le Parquet de [Localité 5] que la plainte de son client avait été transmise à la brigade financière de la police judiciaire pour enquête. S'agissant de la plainte déposée en Pologne, le Parquet polonais en a simplement accusé réception le 3 janvier 2024, et ce n'est que le 23 octobre 2024 que la concluante a eu accès au dossier pénal, après une convocation datée du 30 août 2024 pour audition de M. [R] en vue de sa mise en examen, qui s'est tenue le 4 octobre 2024. À la date de l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024, la société Laktopol International ne pouvait donc, à ce stade, invoquer utilement sa plainte de chefs d'abus de confiance, de faux et usage de faux et d'escroquerie comme fondement d'une demande de sursis à statuer. Une telle demande aurait été qualifiée sans doute comme une manoeuvre dilatoire. En effet, déjà sous le régime antérieur à la loi n°2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, la Cour de cassation estimait que la seule plainte déposée au Parquet n'établissait pas que l'action publique ait été mise en mouvement et qu'en présence d'une telle plainte les juges de fond pouvaient refuser de sursoir à statuer (cf. Com., 8 février 1984, n°81-16.228 P). Par ailleurs, le sens de la réforme du 5 mars 2007 était précisément d'éviter des situations dans lesquelles un plaignant déposait plainte pénale dans le seul but de bloquer l'instance civile. Or, si l'on suit la décision de monsieur le conseiller de la mise en état, une partie au procès pénal doit solliciter un sursis à statuer dès le dépôt d'une plainte pénale, avec une quasi-certitude de rejet de cette demande' Cette approche est difficilement acceptable et ce d'autant plus que huit mois à peine se sont écoulés entre l'audience de plaidoiries devant le tribunal de commerce de Paris (le 25 janvier 2024) et les premières écritures de la société Laktopol International devant la cour de céans, aux termes desquelles la demande de sursis à statuer a été formulée (le 16 septembre 2024). En toute hypothèse, le raisonnement de monsieur le conseiller de la mise en état ne saurait s'appliquer à la seconde plainte de Laktopol International. En effet, le 18 juin 2024, postérieurement à l'audience de plaidoiries du 25 janvier 2024 et au jugement du 2 avril 2024 dont appel, la société Laktopol International a été amenée à déposer auprès du parquet de Paris et auprès du parquet polonais une plainte complémentaire dénonçant des faits de corruption dont on voit mal comment elle aurait pu être invoquée devant le tribunal de commerce de Paris. C'est au bénéfice de ces observations qu'il est demandé à la cour d'infirmer l'ordonnance du 11 février 2025 en ce qu'elle a déclaré la société Laktopol International irrecevable en sa demande de sursis à statuer.
En réponse la société Banque internationale de commerce BRED rappelle que la société Laktopol International prétendait justifier sa nouvelle demande de sursis, formée pour la première fois devant le conseiller de la mise en état, par les éléments nouveaux apparus depuis le jugement dont appel. Cependant, les plaintes de la société Laktopol International en France et en Pologne en septembre et décembre 2023 ont été déposées alors que la première instance était en cours devant le tribunal de commerce de Paris, dont l'audience des plaidoiries s'est déroulée le 25 janvier 2024. Plus largement, l'ensemble des faits évoqués par la société Laktopol International dans ses conclusions et sa requête en déféré comme justifiant les plaintes pénales de 2023 et compléments de plainte de 2024 sont dans le débat judiciaire civil depuis la première instance. Il suffit à cet égard de se reporter aux conclusions au fond de la société Laktopol International devant le tribunal de commerce de Paris ainsi qu'à sa requête en déféré, dont on citera à titre non exhaustif les passages suivants : '9. Au cours de l'instance, il a été découvert et porté à la connaissance du Tribunal de commerce que ['] 23. ['] Il est à rappeler que dans le cadre du débat devant le Tribunal de commerce de Paris la concluante a également identifié des virements concernant [O] [M] sur le compte de Laktopol international chez Banque internationale de commerce (BIC) - BRED qui devait servir à des opérations financées par la ligne de crédit. ['] 24. Mais surtout, les travaux de l'expert confirment l'existence de multiples opérations irrégulières sur le compte de Laktopol international chez BIC-BRED déjà pointées par la concluante lors des débats devant le tribunal de commerce : ['] 25. ['] Or, la concluante s'interrogeait devant le tribunal de commerce sur neuf virements effectués en 2012 à partir de son compte chez BIC-BRED pour un montant total de 1.831.406,40 € au profit de ladite société spécialisée dans le conseil [']'. Le fait que la société Laktopol International se prévale désormais du dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Paris ne modifie en rien les appréciations qui précèdent, dès lors que les éléments allégués existaient en première instance. Il appartenait donc à la société Laktopol International de présenter cette demande de sursis devant le tribunal de commerce de Paris. Faute de l'avoir fait, et conformement à l'article 74 du code de procédure civile et la jurisprudence, cette demande est irrecevable.
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Le magistrat en charge de la mise en état a tout d'abord rappelé qu'aux termes des articles 71, 73 et 122 du code de procédure civile :
- constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire,
- constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours,
- constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée,
et qu'en vertu de l'article 74, premier alinéa, du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non recevoir.
Le magistrat en charge de la mise en état rélève ensuite qu'il résulte de la combinaison des articles 73 et 74 précités que l'exception de procédure tendant à faire suspendre le cours de l'instance, qu'elle émane du demandeur ou d'un défendeur, est une exception de procédure qui doit être présentée, à peine d'irrecevabilité, avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir de son auteur.
Ce principe de droit n'est d'ailleurs pas remis en question par la société Laktopol International, et il est également constant que celle-ci a conclu sur le fond devant le tribunal de commerce.
Par conséquent, la société Laktopol International est irrecevable à soulever une exception de sursis à statuer en cause d'appel, sauf à rechercher si l'exception dilatoire, bien que soulevée après la défense au fond, ne serait pas recevable compte tenu de la date à laquelle la société Laktopol International a eu connaissance des faits motivant le sursis à statuer sollicité.
Or, au cas présent, le sursis demandé est motivé par le depôt de plaintes pénales par la société Laktopol International tant en France qu'en Pologne, à savoir :
- une plainte déposée le 5 septembre 2023 des chefs d'abus de confiance, complicité et recel d'abus de confiance, faux et usage de faux, et escroquerie, entre les mains du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris (procédure n°23257001047) ;
- une plainte semblable déposée le 7 décembre 2023 auprès du parquet polonais (procédure
n°3017-2.Ds.4.2021) ;
- une plainte complémentaire du chef de corruption déposée le 18 juin 2024 auprès du parquet de [Localité 5] dans la procédure n°23257001047.
Le dépôt des plaintes du 5 septembre 2023 implique nécessairement que la société Laktopol International dès cette date avait connaissance de faits pouvant revêtir une qualification pénale. Si bon lui semblait, il lui revenait alors de saisir, dès cet instant, le tribunal de commerce, d'une demande de sursis à statuer, ce dont elle s'est abstenue. Aussi, peu importent les dates auxquelles la société Laktopol International a été informée de la suite donnée aux premières plaintes pénales déposées (information par le parquet de [Localité 5], le 19 février 2024, d'une transmission pour enquête ; accès au dossier pénal polonais le 23 octobre 2024). Peu importe également, que la société Laktopol International ait déposé une ou des plaintes complémentaires, dans la mesure où celles-ci ne sont que l'exploitation d'éléments ressortant notamment de l'enquête menée en Pologne suite aux faits initialement connus de la société Laktopol International et dénoncés par elle dans ses plaintes initiales.
Par conséquent il y a lieu de confirmer l'ordonnance du 11 février 2025 déférée à la cour, en ce que la société Laktopol International est déclarée irrecevable en son exception de sursis à statuer soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024.
La société Laktopol International, qui échoue en ses prétentions telles que soumises à la cour, doit supporter la charge des dépens de l'incident à hauteur de déféré. Elle est en outre condamnée à payer à la société Banque internationale de commerce BRED la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés par elle pour les besoins du déféré.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME l'ordonnance du 11 février 2025 en ce que la société Laktopol International est déclarée irrecevable en son exception de sursis à statuer, soulevée à hauteur d'appel le 16 septembre 2024.
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Laktopol International aux dépens de l'incident engagés à hauteur de déféré ;
CONDAMNE la société Laktopol International à payer à la société Banque internationale de commerce BRED la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés pour les besoins du déféré.
La greffière La présidente