CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 novembre 2025, n° 23/14659
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Fraiseraie De Sologne (EARL)
Défendeur :
Pépinières De Sologne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
M. Gouarin, Mme Dallery
Avocats :
Me Delay Peuch, Me Meynard
FAITS ET PROCÉDURE
L'EARL La Fraiseraie de Sologne, qui a pour gérant M. [B] [Z] et pour activité la culture de fruits et légumes, a noué à partir de 2013 une relation d'affaires avec la société [D] devenue la société Pépinières de Sologne, qui commercialise notamment des plants de fruits rouges et noirs.
Depuis 2017, la société [D] vendait également des plants de fraisiers à Mme [G] [Z] qui exerce sous le statut d'entrepreneur individuel une activité de production de fraises cultivées de manière biologique.
Courant 2020, les relations entre les parties se sont tendues en raison de difficultés de la société [D] (la société Pépinières de Sologne) à satisfaire des commandes.
Après un échange de lettres recommandées, La Fraiserie de Sologne et Mme [Z] assignaient, par acte du 10 novembre 2020, la société [D] devant le tribunal de commerce de Blois à l'effet d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par chacun d'eux du fait de la rupture brutale des relations commerciales.
Par lettre recommandée du même jour, la société [D] notifiait à Mme [Z] la cessation de leurs relations commerciales avec effet au 31 mai 2021.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 2 décembre 2020, Mme [Z] contestait la commande invoquée du 8 octobre 2020.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 20 décembre 2020, la société [D] mettait en demeure Mme [J] de lui confirmer sous 7 jours si elle souhaitait ou non confirmer la commande telle qu'enregistrée chez elle.
Par jugement du 11 mars 2022, le tribunal de commerce de Blois se déclarait incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Par acte du 16 juin 2021, la société Pépinières de Sologne (anciennement dénommée [D]) assignait l'EARL Fraiseraie de Sologne et Mme [Z] devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'indemnisation du préjudice subi du fait d'une rupture brutale des relations commerciales établies.
Le tribunal de commerce de Paris a joint les deux affaires.
Par jugement du 10 juillet 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
Débouté l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande de condamnation pour rupture brutale de la SAS à associé unique PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée SASU [D] ;
Débouté Mme [G] [Z] de sa demande de condamnation pour rupture brutale de la SAS à associé unique PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée SASU [D] ;
Débouté la SAS à associé unique PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée SASU [D] de sa demande de condamnation de Mme [G] [Z] pour rupture brutale ;
Débouté la SAS à associé unique PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée SASU [D] de sa demande de condamnation de l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE pour rupture brutale ;
Condamné l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Mme [G] [Z] à payer 5 000 € chacune à la SAS à associé unique PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée SASU [D] au titre de l'article 700 du CPC ;
Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
Condamné l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Mme [G] [Z], demandeurs initiaux, aux dépens de l'instance par moitié, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 161,79 € dont 26,54 € de TVA
La société La Fraiseraie de Sologne et l'entrepreneur individuel Mme [Z] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 24 août 2023.
Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 26 mai 2025, la société La Fraiseraie de Sologne et l'entrepreneur individuel Mme [Z] demandent à la Cour de :
- INFIRMER le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf celle qui déboute la société PEPINIERES DE SOLOGNE des demandes formulées à l'égard de l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et de Madame [G] [Z].
STATUANT A NOUVEAU,
- CONDAMNER la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] à régler à l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE la somme de 236 194 € en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture brutale de leurs relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2020.
- CONDAMNER la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] à régler à Madame [G] [Z] la somme de 796 565 € en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture brutale de leurs relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2020.
- CONDAMNER la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] à régler à l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et à Madame [G] [Z] la somme de 30 000 € chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de PARIS du 10 juillet 2023 en ce qu'il a débouté la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] de ses demandes de condamnation à l'égard de l'EARL LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z].
- CONDAMNER la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] aux dépens de première instance et d'appel et accorder à Maître Nicole DELAY-PEUCH le droit de recouvrement prévu à l'article 699 du Code de Procédure Civile. - DEBOUTER la société PEPINIERES DE SOLOGNE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 10 juin 2025, la société Pépinières De Sologne demande à la Cour de :
CONFIRMER le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 juillet 2023 en ce qu'il :
DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE de sa demande de condamnation pour rupture brutale de la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] ;
DEBOUTE Madame [G] [Z] de sa demande de condamnation pour rupture brutale de la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D] ;
DEBOUTE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] à payer 5 000 euros chacune à la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement dénommée [D], au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] aux entiers dépens de l'instance.
INFIRMER le Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 juillet 2023 en ce qu'il a :
DEBOUTE la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement [D] de sa demande de condamnation de Madame [G] [Z] pour rupture brutale ;
DEBOUTE la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement [D] de sa demande de condamnation de la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE pour rupture brutale ;
DEBOUTE la société PEPINIERES DE SOLOGNE anciennement [D] de ses autres demandes, plus amples ou contraires, tendant notamment à voir condamner la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] à respectivement réparer son préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture dont ils sont à l'origine.
ET STATUANT A NOUVEAU,
JUGER que la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE a rompu de manière brutale les relations commerciales avec la société PÉPINIÈRES DE SOLOGNE, anciennement dénommée [D], en cessant toute commande à compter du 6 septembre 2018 ;
JUGER que Madame [G] [Z] a rompu de manière brutale les relations commerciales avec la société PÉPINIÈRES DE SOLOGNE, anciennement dénommée [D], à compter du 8 octobre 2020 en ne donnant pas suite à la commande fermement enregistrée ;
En conséquence,
CONDAMNER la société LA FRAISERAIE DE SOLOGNE à s'acquitter d'une somme de 12 344.47 euros auprès de la société PÉPINIÈRES DE SOLOGNE, anciennement dénommée [D], en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la brutalité de la rupture ;
CONDAMNER Madame [G] [Z] à s'acquitter d'une somme de 2 675.53 euros auprès de la société PÉPINIÈRES DE SOLOGNE, anciennement dénommée [D], en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la brutalité de la rupture pendant l'exécution du préavis ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
DEBOUTER la société FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER la société FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] à verser à la société PÉPINIÈRES DE SOLOGNE, anciennement dénommée [D], la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la société FRAISERAIE DE SOLOGNE et Madame [G] [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juillet 2025.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
* * *
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Exposé des moyens
L'EARL la Fraiseraie de Sologne et Mme [Z] soutiennent qu'il existe une unité économique unique de l'exploitation agricole entre La Fraiseraie de Sologne et l'entrepreneur individuel Mme [Z]. Elles font valoir que la notion d'exploitation agricole est une notion de droit rural qui s'attache à la réalité économique peu important le statut juridique. En outre, elles citent une définition européenne de l'entreprise selon lesquelles « une unité économique du point de vue de l'objet de l'accord en cause, même si, du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales ». Elles en concluent que l'entreprise au sens du droit de la concurrence peut être constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.
En l'espèce, elles expliquent que les époux, M. [B] [Z] et Mme [G] [Z], sont co-gérants de la Fraiseraie de Sologne, qu'en 2017, ils ont décidé de créer une entreprise individuelle au nom de Mme [Z] afin de se convertir à l'agriculture biologique, que les deux structures juridiques occupent les mêmes locaux, exploitent les mêmes serres et emploient les mêmes salariés, que Mme [Z] s'occupe de la gestion administrative des deux entités et que, dans les relations avec la société Pépinières De Sologne, Mme [Z] et [B] [Z] agissaient indifféremment pour les deux structures, le but étant de faire progressivement « basculer » l'activité de la Fraiseraie De Sologne vers l'entreprise individuelle de Mme [Z].
Elles en déduisent l'existence d'une confusion entre les deux entités de sorte que, selon elles, la rupture des relations commerciales doit s'apprécier indistinctement à leur égard.
S'agissant de l'existence de relations commerciales établies, elles disent qu'une relation commerciale établie, stable et continue existait de longue date avec l'exploitation Pépinières de Sologne, tant pour la société la Fraiseraie (de 2013 à 2018) que pour l'exploitation individuelle de Mme [Z] (de 2017 à 2020) et que cette relation se caractérisait par des commandes régulières et substantielles, destinées à assurer chaque saison culturale.
Elles considèrent que cette relation commerciale doit être appréhendée de manière globale et continue, en raison de l' » unité d'entreprise » et de direction entre les deux exploitations sous la direction des époux [Z]. Selon elles, les commandes étaient indistinctement imputables aux deux structures, ce qui permet de qualifier une relation commerciale unique et continue.
Elles en concluent que la relation initiée en 2013 avec la Fraiseraie de Sologne s'est poursuivie avec Mme [Z] à partir de 2017, de sorte qu'il s'agit d'une seule et même relation commerciale établie, permettant de fonder leur demande en indemnisation pour rupture brutale.
S'agissant de la brutalité de la rupture, les appelantes soutiennent qu'en mai 2020, la société Pépinières de Sologne a manifesté clairement son refus de traiter avec elles, notamment à travers des échanges de courriels qui traduisent une volonté de mettre un terme à toute collaboration.
Elles estiment que la rupture ainsi opérée, soudaine et sans préavis suffisant, les a empêché d'assurer leurs plantations pour la saison 2020-2021, leur causant un préjudice économique majeur, et que le préavis devait être d'au moins un an, eu égard à la durée et à l'importance de la relation commerciale.
La société Pépinières De Sologne répond qu'il faut prendre en considération le principe d'autonomie des personnes juridiques. Selon elle, la jurisprudence n'admet la notion de relation commerciale qu'avec une entité dotée de la personnalité morale précisément identifiée, et qui entretient directement une relation commerciale avec le demandeur, alors qu'en l'espèce, la Fraiseraie de Sologne et Mme [Z] sont deux entités distinctes, ayant chacune leur propre personnalité juridique.
Elle soutient avoir eu une relation commerciale avec la Fraiseraie de Sologne de 2013 à 2018 et une relation commerciale avec l'entreprise individuelle de Mme [Z] de 2017 à avril 2020. Elle fait état de deux facturations différentes et observe que deux préjudices distincts sont allégués par les deux appelantes.
Elle en déduit qu'il n'existait aucune confusion entre les deux entités et que chacune des relations commerciales doit être appréciée distinctement.
S'agissant de l'existence de relations commerciales établies, elle fait état d'un chiffre d'affaires très irrégulier entre les parties, de commandes présentant un caractère disparate et non suivies, ce qui exclut la qualification de relations commerciales établies en application des dispositions du code de commerce, qu'il s'agissait en réalité de relations distinctes et autonomes : l'une entretenue avec La Fraiseraie de Sologne de 2013 à septembre 2018, et l'autre avec Mme [Z] de 2017 à avril 2020. Elle rappelle encore le principe d'autonomie des personnes juridiques et l'impossibilité d'appliquer au litige les notions de « groupe » ou « unité économique » issues du droit de la concurrence.
S'agissant de la brutalité de la rupture, l'intimée soutient que la cessation des commandes est imputable aux appelantes elles-mêmes, faisant valoir que pour la Fraiseraie de Sologne, la dernière commande date de septembre 2018, et que les échanges de 2019 n'ont donné lieu ni à confirmation ni à paiement, révélant une volonté de mettre fin à la relation et que, pour Mme [Z], une commande passée en octobre 2020 a été confirmée mais jamais exécutée, malgré la mise en demeure adressée, ce qui caractérise une rupture à son initiative. Elle considère qu'au 26 mai 2020, aucune rupture ne peut être constatée car la Fraiseraie de Sologne n'entretenait plus de lien commercial et une commande restait en cours avec Mme [Z].
Elle ajoute que le préavis revendiqué d'un an est excessif et contraire à la jurisprudence, estimant qu'il ne saurait dépasser six mois pour la Fraiseraie de Sologne et quatre mois pour Mme [Z], étant précisé qu'un délai de plus de six mois avait déjà été laissé à cette dernière entre la notification de rupture de novembre 2020 et la date butoir du 31 mai 2021.
Réponse de la Cour
Chacune des parties impute à l'autre des faits de rupture brutale des relations commerciales établies.
Les appelantes reprochent à la société Pépinières de Sologne (anciennement dénommée [D]) de n'avoir pas honoré leurs commandes, faisant état à cet égard de commandes passées par les deux structures indistinctement par téléphone, commandes confirmées ensuite par un mail du fournisseur et plus précisément d'une commande de plants passée à la mi-avril 2020.
L'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige au regard de la date de la rupture alléguée, dispose :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.
Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.
Le préavis doit se présenter sous la forme d'une notification écrite.
En l'espèce, les appelantes soutiennent, se référant au droit des pratiques anticoncurrentielles, que leur exploitation agricole constitue une unité économique unique, qu'il existe une confusion entre leurs deux entités de sorte que la rupture des relations commerciales doit s'apprécier indistinctement à leur égard.
Or, l'EARL la Fraiserie de Sologne dont le gérant est M [B] [Z] et l'entreprise individuelle de Mme [G] [Z] ont deux personnalités distinctes. Des factures séparées sont établies pour chacune d'elles.
En l'absence de démonstration d'une volonté commune des parties, il ne peut être considéré que les relations d'affaires nouées avec la Fraiserie de Sologne ont été reprises par Mme [G] [Z].
L'existence de relations commerciales établies, notion qui relève du droit des pratiques restrictives, s'apprécie dès lors distinctement pour chacune d'elles.
S'il résulte des factures produites que des relations commerciales existaient bien entre la société [D] et la Fraiserie de Sologne depuis l'année 2013, cette dernière n'a plus passé de commandes après septembre 2018. Il n'existait plus aucun flux d'affaires entre les parties après cette date.
Par conséquent, la Fraiserie de Sologne échoue à établir l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies au cours de l'année 2020 imputable à la société Pépinières de Sologne ([D]), peu important à cet égard l'existence d'un message électronique du 26 mai 2020 de M [C] [Y] de [D] disant que cette dernière ne voulait plus travailler avec M [B] [Z].
Le jugement qui a débouté la Fraiserie de Sologne de sa demande d'indemnisation est confirmé.
S'agissant de l'entreprise individuelle de Mme [G] [Z], des relations commerciales établies existaient bien entre les parties depuis l'année 2017, date de création de l'entreprise jusqu'au milieu de l'année 2020 ainsi qu'il résulte des factures produites.
Il ressort des pièces versées aux débats que par message électronique du 29 avril 2020, M. [Z] a demandé à la société Pépinières de Sologne de programmer une commande de 43 000 pieds de fraisiers Magnum, qu'après divers échanges notamment un message de M [Z] du 29 avril 2020 disant que la facturation devait être faite au nom de [G] [Z] et un rendez-vous le 15 juin suivant, M [S], nouveau dirigeant de la société [D], a répondu par courriel du 24 juin 2020 à la commande confirmée et complétée de M [Z] par message du 23 juin 2020, qu'il n'avait pas la quantité de magnum racines nues à planter dans 15 jours et par message du 3 juillet suivant, l'a dirigé vers la société Phytoconseil en mesure de couvrir ses besoins en plants de Magnum.
Par courriers recommandés datés du 30 juin 2020 reçu le 2 juillet, Mme [J] et la Fraiserie de Sologne mettaient chacun en demeure la société [D] de reprendre les commandes avant le 4 juillet 2020 concernant la réservation de plants de fraisiers et de framboisiers.
En réponse, par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juillet 2020, la société Pépinières de Sologne confirmait sa volonté de continuer à approvisionner Mme [Z], tout en signalant les difficultés d'approvisionnement liées à la crise sanitaire de la COVID-19.
Par courriel du 16 octobre 2020, M. [B] [Z], agissant pour Mme [Z], accusait réception des disponibilités de plants communiquées le 8 octobre, tout en exprimant son refus d'engager des frais de plantation dans la crainte que la société Pépinières de Sologne n'honore pas sa commande comme déjà fait par le passé.
Par acte du 10 novembre 2020, la société Fraiseraie de Sologne et Mme [Z] assignait la société Pépinières de Sologne devant le tribunal de commerce de Blois aux fins d'indemnisation du préjudice subi du fait d'une rupture brutale des relations commerciales établies.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, 10 novembre 2020, la société Pépinière de Sologne notifiait à Mme [Z] la cessation des relations commerciales à compter du 31 mai 2021 « après la livraison des produits ayant fait l'objet d'une commande ferme que vous nous avez passée et que nous avons enregistrée le 8 octobre 2020 ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 décembre 2020, Mme [Z] indiquait être « très surprise » qu'une commande ait pu avoir été passée le 8 octobre.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 décembre 2020, la société Pépinières de Sologne mettait en demeure Mme [Z] de confirmer la commande du 8 octobre 2020, précisant que le cas échéant, celle-ci serait annulée.
Aucune réponse de Mme [Z] n'est produite.
Au vu de ces éléments, et même à admettre que la commande passée par M. [Z] le 29 avril 2020 et confirmée le 23 juin 2020 était destinée à Mme [Z], la Cour retient qu'aucune rupture brutale ne peut être reprochée à la société Pépinières de Sologne ([D]), dès lors que celle-ci se trouvait en difficulté en cette période troublée de pandémie pour satisfaire la commande et qu'elle a proposé à sa cliente une solution susceptible de la satisfaire.
S'agissant de la disponibilité de plants dont la société Pépinières de Sologne a fait part à M [Z] par message du 8 octobre 2020 et au vu de la réponse de ce dernier par courriel du 16 octobre suivant, c'est sans brutalité que la société Pépinières de Sologne ([D]) a rompu ses relations commerciales établies avec Mme [Z] par lettre recommandée du 10 novembre 2020 avec un préavis de plus de six mois, la résiliation prenant effet le 31 mai 2021, soit après la livraison de la commande enregistrée le 8 octobre 2020, étant ajouté qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir demandé à Mme [Z] si elle confirmait cette commande, eu égard aux circonstances de la cause.
De la même manière, et au vu de ces circonstances, une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Pépinières de Sologne ([D]) ne peut être reprochée à Mme [Z].
La société Pépinières de Sologne ne peut davantage imputer à la Fraiserie de Sologne une rupture brutale de leurs relations commerciales alors que celles-ci ne revêtaient plus de caractère établi depuis près de 18 mois ainsi qu'il a été dit.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Z] de sa demande d'indemnisation sur ce fondement et en ce qu'il a débouté la société Pépinières de Sologne de ses demandes d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies à l'encontre de Mme [Z] et de la Fraiserie de Sologne.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le sens de l'arrêt commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z] aux dépens chacun pour moitié et en ce qu'il a mis à leur charge respective une somme au titre des frais irrépétibles.
Les dépens d'appel seront supportés par l'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z], chacun pour moitié.
Une somme supplémentaire en cause d'appel de 5 000 € sera mise à la charge respective de l'EARL La Fraiserie de Sologne et de Mme [G] [Z] au profit de la société Pépinières de Sologne sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z] sont déboutées de leurs demandes sur ce dernier fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises ;
Y ajoutant,
Déboute l'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z] aux dépens d'appel, chacune par moitié ;
Condamne l'EARL La Fraiserie de Sologne et Mme [G] [Z] à payer chacune à la société Pépinières de Sologne la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article700 du code de procédure civile.