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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 19 novembre 2025, n° 23/05660

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/05660

19 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30F

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/05660 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WAPN

AFFAIRE :

S.A.S.U. NEXITY STUDEA

C/

[E] [Y]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juin 2023 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 8

N° RG : 20/01027

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Asma MZE

Me Stéphanie ARENA

TJ [Localité 9]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S.U. NEXITY STUDEA

RCS [Localité 5] n° 342 090 834

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentants : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 et Me Sophie LOZE de la SCP SUR-MAUVENU ET ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Monsieur [E] [Y]

[Adresse 6]

[Localité 1] (ESPAGNE)

Représentants : Me Stéphanie ARENA de la SELEURL ARENA AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et Me Cécile JOULLAIN, plaidant, avocat au barreau de Paris

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Gwenaël COUGARD, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La résidence « [Adresse 8] » est une résidence services située [Adresse 4] à [Localité 7] dans un ensemble immobilier édifié en 2001, dont les copropriétaires donnent leurs lots à bail commercial à un preneur qui exploite la résidence et sous-loue les lots meublés à des étudiants en proposant diverses prestations para-hôtelières.

Suivant acte sous seing privé du 18 septembre 2000, Mme [G], aux droits et obligations de laquelle se trouve M. [E] [Y], a consenti un bail commercial meublé à la société SGRS, aux droits et obligations de laquelle est venue la société Nexity Studea, pour une durée de neuf années à compter du 31 décembre 2001, portant sur le lot de copropriété n°2075, à savoir un studio dépendant de la résidence étudiants « [Adresse 8] ».

Suivant acte sous seing privé du 22 mars 2002, M. et Mme [X], aux droits et obligations desquels se trouve M. [Y], ont consenti un bail commercial à la société SGRS, aux droits et obligations de laquelle est venue la société Nexity Studea, pour une durée de neuf années à compter du 31 décembre 2001, portant sur le lot de copropriété n°2028, à savoir un studio dépendant de la même résidence étudiants « [Adresse 8] ».

Venus à échéance, ces baux se sont poursuivis par tacite prolongation.

Par actes extrajudiciaires signifiés le 29 juin 2012, M. [Y] a fait délivrer à la société Nexity Studea un congé à effet du 31 décembre 2012, portant refus de renouvellement des baux de chacun de ces studios et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par actes du 15 février 2013, la société Nexity Studea a fait assigner M. [Y] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de voir fixer les indemnités d'éviction dues sur les deux studios. Les instances ont été jointes.

Par jugement du 9 juillet 2015, le tribunal a notamment :

- dit que la société Nexity Studea a droit au paiement d'une indemnité d'éviction pour chacun des studios et au maintien dans les lieux jusqu'au paiement desdites indemnités, moyennant le versement d'une indemnité d'occupation ;

- avant dire droit sur le montant des indemnités d'éviction et d'occupation, ordonné une expertise, aux frais avancés de la société Nexity Studea, confiée à M. [P] [F] ;

- ordonné un sursis à statuer.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 18 décembre 2019. Il a émis deux hypothèses d'évaluation, la première fondée sur la reconnaissance d'une unité d'exploitation et la seconde sur une activité autonome par studio.

Par jugement du 12 juin 2023, le tribunal a :

- fixé l'indemnité d'éviction due par M. [Y] à la société Nexity Studea, comme suit :

- indemnité principale : 9.360 euros,

- indemnité de trouble commercial : 885 euros,

- frais de déménagement : 250 euros,

et en tant que de besoin, condamné M. [Y] au paiement de ladite indemnité d'éviction ;

- fixé l'indemnité d'occupation due par la société Nexity Studea à M. [Y] à compter du 1er janvier 2013 et jusqu'à la libération des lots n°2028 et n°2075 à la somme annuelle de 7.400 euros hors taxes et hors charges,

et en tant que de besoin, condamné la société Nexity Studea au paiement de ladite indemnité d'occupation ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- dit que les dépens, en ce compris les honoraires d'expertise, seront supportés par moitié par chacune des parties et pourront être recouvrés directement par Me Normand dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile ;

- condamné la société Nexity Studea à payer à M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Le tribunal a considéré qu'il n'y avait non pas une unité d'exploitation mais une activité autonome par studio et retenu l'indemnité principale d'éviction correspondant à six mois de loyer proposée par l'expert judiciaire en ce cas.

Par déclaration du 27 juillet 2023, la société Nexity Studea a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions sauf en ce qu'il a, en tant que de besoin, condamné M. [Y] au paiement de l'indemnité d'éviction et en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires.

Par dernières conclusions n°4 remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 juin 2025, elle demande à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondé son appel et de débouter M. [Y] de sa demande d'irrecevabilité de la demande qu'elle a formée dans ses conclusions n°2 du 24 avril 2024 visant à fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 40.240,96 euros ;

- d'infirmer le jugement en ce qu'il :

- fixe l'indemnité d'éviction due par M. [Y] comme suit : indemnité principale : 9.360 euros, indemnité de trouble commercial : 885 euros, frais de déménagement : 250 euros ;

- fixe l'indemnité d'occupation due à M. [Y] à compter du 1er janvier 2013 et jusqu'à la libération des lots n°2028 et 2075 à la somme annuelle de 7.400 euros hors taxes et hors charges et, en tant que de besoin, la condamne au paiement de ladite indemnité d'occupation ;

- la déboute de ses demandes plus amples ou contraires ;

- dit que les dépens, en ce compris les honoraires d'expertise, seront supportés par moitié par elle et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonne l'exécution provisoire du jugement ;

et, statuant à nouveau,

selon l'hypothèse 1 du rapport d'expertise :

- de fixer l'indemnité d'éviction due par M. [Y] et de le condamner à lui verser pour les lots n°2028 et 2075 la somme totale de 35.760 euros, sauf à parfaire, se décomposant ainsi :

- indemnité principale d'éviction : 30.400 euros,

- indemnité de remploi : 3.040 euros,

- indemnité pour trouble commercial : 1.770 euros,

- frais de déménagement : 250 euros,

- frais fixes : 300 euros ;

selon l'hypothèse 2 du rapport d'expertise :

- de fixer l'indemnité d'éviction due par M. [Y] et de le condamner à lui verser pour les lots n°2028 et 2075 la somme totale de 40.240,96 euros, sauf à parfaire, se décomposant ainsi :

- indemnité principale d'éviction : 33.960,48 euros,

- indemnité de remploi : 3.960,48 euros,

- indemnité pour trouble commercial : 1.770 euros,

- frais de déménagement : 250 euros,

- frais fixes : 300 euros ;

- de fixer le montant de l'indemnité d'occupation annuelle à la somme de 7.203 euros hors taxes et hors charges, à compter du 1er janvier 2013, pour les deux lots n°2028 et 2075 selon la méthode hôtelière ;

- de condamner M. [Y] à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et au paiement des dépens de première instance comprenant les frais d'expertise ;

- en tout état de cause, de débouter M. [Y] de toutes demandes contraires au présent dispositif et de le condamner au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de la présente instance.

Par dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 3 juin 2025, M. [Y] demande à la cour :

- de déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société Nexity Studea formée dans ses conclusions d'appelant n°2 du 24 avril 2024 visant à faire fixer l'indemnité d'éviction due à la société Nexity Studea et le condamner à lui verser pour les lots n°2028 et 2075 la somme totale de 40.240,96 euros selon l'hypothèse 2 du rapport d'expertise judiciaire ;

- de réformer le jugement en ce qu'il :

- a fixé à la somme de 885 euros l'indemnité due au titre du trouble commercial ;

- l'a débouté de sa demande de compensation entre les créances réciproques des parties et de celle tendant à voir les condamnations prononcées au titre de l'indemnité d'occupation assorties des intérêts au taux légal sur le montant des sommes dues, avec capitalisation annuelle conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, à compter de l'assignation et majoration de l'article L.313-3 du code monétaire et financier ainsi que capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du code civil ;

statuant à nouveau,

s'agissant de l'indemnité d'éviction :

- de fixer le montant de l'indemnité principale d'éviction pour les lots n°2028 et 2075 à la somme de 9.360 euros ;

- de fixer le montant de l'indemnité pour frais de déménagement à la somme de 250 euros ;

- de débouter la société Nexity Studea de l'ensemble des autres demandes formées au titre des indemnités d'éviction accessoires (indemnités de remploi, pour trouble commercial et frais fixes) ;

s'agissant de l'indemnité d'occupation :

- de fixer le montant de l'indemnité d'occupation correspondant aux lots n°2028 et 2075 due par la société Nexity Studea à compter du 1er janvier 2013 à la somme de 7.400 euros ;

- de condamner la société Nexity Studea à lui régler, à compter du 1er janvier 2013 et jusqu'à la libération des lots n°2028 et 2075, la somme annuelle de 7.400 euros hors taxes et hors charges ;

- d'ordonner la compensation de l'indemnité définitive d'occupation qui lui est due avec le montant de l'indemnité d'éviction revenant à la société Nexity Studea ;

- de condamner la société Nexity Studea à lui régler l'indemnité d'occupation avec application des intérêts au taux légal sur le montant des sommes dues, avec capitalisation annuelle conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, à compter de l'assignation et majoration de l'article L.313-3 du code monétaire et financier ainsi que capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du code civil ;

- de condamner la société Nexity Studea à lui régler la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance, outre les entiers dépens ;

- d'ordonner un partage des frais d'expertise judiciaire entre les parties ;

- de débouter la société Nexity Studea de l'ensemble de ses demandes ;

- en tout état de cause, de condamner la société Nexity Studea à lui régler la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 juin 2025.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande de fixation de l'indemnité d'éviction au montant de 40.240,96 euros

M. [Y] demande, au visa des articles 564 et 565 du code de procédure civile, de voir écartée la demande nouvelle de la société Nexity Studea formée dans ses conclusions d'appelant n°2 du 24 avril 2024 visant à faire fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 40.240,96 euros au titre des deux lots n°2028 et 2075, tandis que dans ses conclusions d'appelant n°1 signifiées le 26 octobre 2023, elle sollicitait que cette indemnité soit fixée à la somme de 35.760 euros.

La société Nexity Studea soutient, sur le fondement de l'article 565 du code de procédure civile, que sa demande n'est pas nouvelle et qu'elle est recevable, faisant valoir que dans ses conclusions d'appelant n°2 elle a seulement modifié le quantum de l'indemnité d'éviction dont elle réclame le paiement.

Sur ce,

L'article 564 du code de procédure civile dispose que « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

Selon l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, la société Nexity Studea a sollicité la fixation de l'indemnité d'éviction à la somme de 35.760 euros dans ses premières conclusions d'appelante notifiées le 26 octobre 2023. Dans ses secondes conclusions d'appelante notifiées le 24 avril 2024, elle a maintenu sa première demande de fixation de l'indemnité d'éviction à la somme de 35.760 euros et a ajouté une seconde demande de fixation de cette indemnité à la somme de 40.240,96 euros.

La demande de fixation d'une indemnité d'éviction, déjà présentée en première instance, n'est pas nouvelle au sens de l'article 565 du code de procédure civile. Il s'ensuit que la seconde demande, même majorée, est recevable devant la cour.

La fin de non-recevoir soulevée par M. [Y] sera donc rejetée.

Sur l'indemnité principale d'éviction et ses accessoires

Si les parties sont d'accord sur l'indemnisation des frais de déménagement à hauteur de 250 euros, elles s'opposent sur le montant de l'indemnité principale d'éviction et sur le versement au locataire d'une indemnité de remploi, de frais fixes et d'une indemnité au titre du trouble commercial.

Sur le montant de l'indemnité principale d'éviction

L'expert judiciaire a proposé deux hypothèses de calcul de cette indemnité, l'une fondée sur la qualification d'une unité d'exploitation, l'autre sur l'autonomie d'exploitation des deux studios de M. [Y].

Le tribunal a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 9.360 euros pour les deux lots, calculée sur la base d'une indemnité forfaitaire de 6 mois de loyer perçu par la société Nexity Studea par studio (780 euros en moyenne).

La société Nexity Studea conteste la pertinence de cette analyse, considérant que la notion d'unité d'exploitation est étrangère aux débats dès lors qu'elle ne revendique pas la perte de son fonds de commerce dans son entier mais seulement une perte partielle de ce fonds. Elle estime cette perte à la somme de 30.400 euros ou à celle de 33.960,48 euros en proposant une méthode d'évaluation consistant à évaluer le fonds de commerce dans son entier, sur la base de deux fois le chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices, puis à en déduire une indemnité en fonction de la superficie des studios ou une seconde méthode d'évaluation basée sur le chiffre d'affaires par studio.

M. [Y] soutient que l'indemnité principale d'éviction doit être fixée à la somme de 9.360 euros, comme retenu par le tribunal, faisant valoir que l'activité de la société Nexity Studea s'apparente à celle d'un administrateur de biens, que le non-renouvellement du bail dans le cadre d'une exploitation de résidence services ne constitue qu'une perte partielle du fonds de commerce et que l'indemnité d'éviction doit être valorisée à la perte des lots.

Sur ce,

Le refus de renouvellement signifié par le bailleur ouvre droit au profit du locataire à une indemnité d'éviction, conformément à l'article L.145-14 du code de commerce qui dispose que « cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

Il n'est plus discuté que le congé délivré par M. [Y] pour les lots n°2028 et 2075 a entraîné pour la société preneuse une perte partielle de son fonds de commerce.

Les deux studios, objets des refus de renouvellement, font partie intégrante du fonds de commerce exploité par la société Nexity Studea, de sorte que la méthode d'évaluation consistant à calculer l'indemnité d'éviction sur la base de 6 mois de loyer perçu par la société Nexity Studea, telle que proposée par l'expert judiciaire dans l'hypothèse d'une indépendance des lots, ne peut être retenue.

La méthode hôtelière d'évaluation n'est pas non plus adaptée pour calculer l'indemnité d'éviction dès lors que l'activité d'exploitant d'une résidence étudiante diffère notablement de celle d'exploitant d'hôtel, la gestion locative, accompagnée le cas échéant de prestations de service, étant sans rapport avec une offre hôtelière.

La cour retient en revanche la méthode consistant à évaluer dans son entier le fonds de commerce, composé de 101 logements, en appliquant un coefficient multiplicateur au chiffre d'affaires global moyen réalisé sur le fonds au cours des trois derniers exercices connus, puis à déterminer pour chaque studio le montant de l'indemnité d'éviction en fonction de sa superficie.

L'expert judiciaire propose d'évaluer le fonds sur la base d'un calcul de 1,5 à 2,5 fois le chiffre d'affaires annuel HT moyen.

Compte tenu de l'état de l'immeuble, jugé « bon » par l'expert mais de l'impossibilité d'utiliser la piscine de la résidence, faute de travaux votés en assemblée générale des copropriétaires, qui contribue à amoindrir la valeur du fonds de commerce, la cour retient un coefficient de 1,75 et, se fondant sur la moyenne des chiffres d'affaires réalisés au cours des années 2016 à 2018 de 838.400 euros, fixe la valeur du fonds de commerce à 1.467.200 euros (838.400 x 1,75).

L'ensemble des studios et 2 pièces de la résidence représente une surface de 1.889 m² et la superficie totale des deux studios est égale à 34,29 m² (17,50 + 17,19).

Il en résulte une indemnité d'éviction égale à la somme arrondie de 26.500 euros pour les deux lots ([1.467.200 euros/ 1.889 m²] x 34,29 m²).

Le jugement sera dès lors infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité de remploi

La société Nexity Studea sollicite le versement d'une indemnité de remploi à hauteur de 3.040 euros ou de 3.960 euros, sur le fondement de l'article L.145-14 du code de commerce.

Elle soutient que les frais de remploi sont dus dès lors que M. [Y], qui a la charge de prouver l'absence de réinstallation du locataire, ne rapporte pas la preuve qu'elle ne réinstallera pas ses deux lots évincés. Elle ajoute que l'impossibilité de réinstallation ne se présume pas.

M. [Y] s'oppose à l'octroi d'une indemnité de remploi faute pour la société Nexity Studea de démontrer la réinstallation du fonds.

Sur ce,

L'indemnité de remploi est destinée à couvrir les droits de mutation, les frais d'acte et les frais de transaction relatifs à l'acquisition d'un fonds de commerce ou d'un droit au bail de même valeur. Elle est due si le preneur se réinstalle, que le fonds soit ou non transférable, à moins que le bailleur prouve que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fond.

Eu égard à la spécificité de l'activité exploitée par la société Nexity Studea, il n'est pas envisageable que la société Nexity Studea se réinstalle dans un autre immeuble pour y exploiter seulement deux studios.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Nexity Studea de sa demande au titre de l'indemnité de remploi.

Sur les frais fixes

La société Nexity Studea sollicite, sur le fondement de l'article L.145-14 du code de commerce, le versement de la somme de 300 euros au titre des frais fixes supplémentaires qu'elle devra supporter du fait de l'éviction des deux lots qui, en sus de la perte de chiffre d'affaires, va entraîner pour elle une diminution de la rentabilité globale de l'exploitation.

Elle fait valoir que, quel que soit le nombre de lots exploités dans la résidence, elle devra maintenir l'offre de services para-hôteliers, donc continuer à supporter des charges fixes (nettoyage, charges de personnel et charges d'exploitation centralisées) qu'elle ne pourra pas réduire pour les adapter à son activité. Contrairement au bailleur, elle considère que ce préjudice n'est pas indemnisé par l'indemnité principale d'éviction, qui n'indemnise qu'une perte de chiffre d'affaires.

M. [Y] s'oppose à cette demande au motif que la société Nexity Studea ne démontre pas la réalité de ce préjudice qui se confond selon lui avec l'indemnité d'éviction. Il considère que la locataire ne saurait obtenir deux fois une même réparation au titre d'un même préjudice.

Sur ce,

La demande de la société Nexity Studea, qui est en lien avec la perte de rentabilité du fonds, doit être rejetée dès lors qu'elle revient à indemniser deux fois l'éviction.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le trouble commercial

La société Nexity Studea sollicite, sur le fondement de l'article L.145-14 du code de commerce, une somme de 1.770 euros soit six mois de bénéfice net, telle que retenue par l'expert judiciaire, au titre du trouble commercial qu'elle va subir du fait de l'éviction des deux lots.

Elle fait valoir qu'elle va devoir mobiliser son personnel dans la préparation de son départ des studios, résilier les contrats avec les étudiants et gérer leur départ, leur proposer éventuellement des solutions de relogement si elle doit restituer les lieux au bailleur avant la fin du bail avec les étudiants, mettre à jour ses bases de données à la suite de la restitution des studios et organiser le déménagement des meubles.

M. [Y] soutient que la société Nexity Studea ne démontre pas la réalité du trouble commercial qui se confond avec le préjudice d'ores et déjà indemnisé par l'indemnité principale d'éviction.

Sur ce,

L'indemnité pour trouble commercial correspond au préjudice subi par le locataire du fait de la gestion de l'éviction tandis que l'indemnité principale d'éviction est une indemnité de perte du fonds, dite encore de remplacement, chaque fois que l'éviction entraîne une perte de clientèle. Ces deux indemnités n'ont donc pas le même objet.

L'expert judiciaire propose de retenir une somme égale à six mois de la moyenne des trois derniers résultats d'exploitation connus (exercices 2016 à 2018), soit pour les deux studios la somme de 1.770 euros.

Mais le trouble invoqué, né de la résiliation à venir des baux conclus avec les occupants consécutive à la perte de deux lots, n'est pas établi dès lors que la location des studios est limitée à une durée maximum de douze mois et que la société Nexity Studea, qui ne produit pas les baux, ne rapporte pas la preuve que ces studios sont toujours loués, d'une part, et que les frais de déménagement des meubles sont déjà indemnisés par la somme de 250 euros allouée par le tribunal que les parties ne contestent pas, d'autre part.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

En conséquence de ce qui précède, l'indemnité globale d'éviction doit être fixée à la somme de 26.750 euros (26.500 + 250).

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction totale due par M. [Y] à 10.495 euros (9.360 + 885 + 250).

Sur le montant de l'indemnité d'occupation

La société Nexity Studea sollicite la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 7.203 euros calculée par l'expert judiciaire selon la méthode hôtelière.

M. [Y] demande de fixer l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 7.400 euros calculée par l'expert judiciaire selon la méthode par comparaison avec les prix pratiqués, dès lors que les locaux ne sont pas monovalents.

Sur ce,

L'article L.145-28 du code de commerce prévoit qu'aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Cette indemnité d'occupation n'est pas soumise à la règle du plafonnement et le mécanisme de lissage du loyer prévu par l'article L.145-34 du code de commerce ne s'applique pas.

Elle est distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit et doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative de renouvellement en application de l'article L.145-33 du code de commerce, selon lequel, à défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage, un décret en conseil d'Etat précisant la consistance de ces éléments.

Il en ressort que le preneur, qui peut rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, est redevable d'une indemnité d'occupation qui doit être fixée à la valeur locative.

Selon l'article R.145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L.145-33 et R.145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée.

Des locaux présentent un caractère monovalent lorsqu'ils ont été construits pour une seule utilisation et qu'il n'est pas possible de les affecter à une autre destination sans des travaux importants ou des transformations coûteuses.

En l'espèce, la résidence « [Adresse 8] » a été construite en vue d'une utilisation de résidence services et le bail conclu pour chacun des lots est à destination exclusive et unique de résidence services, qui est aussi la destination et l'affectation de l'immeuble prévues au règlement de copropriété. Le rapport d'expertise judiciaire mentionne que la résidence ne comprend que des appartements de type T1 ou T2, qu'elle comporte des locaux et équipements spécifiques, dont notamment deux bureaux, une salle de petits déjeuners, une piscine intérieure avec vestiaires (actuellement inutilisable), un studio de fonction, des sanitaires pour le personnel, une laverie. La résidence « [Adresse 8] » a ainsi été construite en vue d'une seule utilisation et sa transformation nécessiterait des aménagements structurels importants et coûteux, ce qui doit conduire à retenir le caractère monovalent des locaux.

Au regard de la configuration des lots et de la destination commerciale à usage de résidence services, la méthode hôtelière, précédemment écartée pour évaluer l'indemnité d'éviction, ne peut être retenue comme le demande la société Nexity.

La méthode par comparaison avec les prix couramment pratiqués correspondant aux usages observés dans le secteur des résidences services doit donc s'appliquer.

M. [Y] sollicitant la confirmation du jugement sur ce point, la cour retient pour les deux lots le montant de 7.400 euros calculé par l'expert judiciaire sur la base d'un loyer unitaire de 25 euros/m², après abattements de 20% pour frais de gestion (minorés par rapport à une location individuelle) et de 10% pour précarité ([34,29 m² x 25 euros x 12 mois] - 2.057,40 ' 822,96).

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation due par la société Nexity Studea, à compter du 1er janvier 2013, date à laquelle le bail a pris fin, et jusqu'à la libération des locaux, à la somme de 7.400 euros hors taxes et hors charges pour les deux lots.

La compensation entre les créances réciproques des parties sera ordonnée, sur le fondement des articles 1347 et suivants du code civil, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur les intérêts appliqués à l'indemnité d'occupation

M. [Y] sollicite l'application des dispositions de l'article L.313-3 du code monétaire et financier aux condamnations prononcées au titre de l'indemnité d'occupation. Il demande que les intérêts courent à compter de l'assignation.

La société Nexity Studea s'y oppose, sans soulever de moyen au soutien de sa demande de rejet, et elle ne discute pas l'application de l'article L.313-3 du code monétaire et financier.

Sur ce,

L'article 1231-7 du code civil dispose : « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa ».

L'article L.313-3 du code monétaire et financier dispose : « En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé.

Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant ».

En application de l'article 1231-7 précité, les intérêts au taux légal sur l'indemnité d'occupation due par la société Nexity Studea ont couru de plein droit à compter du prononcé du jugement et non à compter de l'assignation.

La majoration des intérêts prévue par l'article L.313-3 du code monétaire et financier est due à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où le jugement du 12 juin 2023 est devenu exécutoire, soit en l'espèce à compter de son prononcé, l'exécution provisoire ayant été ordonnée par les premiers juges. Les intérêts légaux sur l'indemnité d'occupation seront en conséquence majorés de cinq points à compter du 12 août 2023.

Les intérêts seront capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante, M. [Y] supportera les dépens d'appel.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. [E] [Y] ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité principale d'éviction à la somme de 9.360 euros et l'indemnité pour trouble commercial à la somme de 885 euros et en ce qu'il a débouté M. [E] [Y] de ses demandes reconventionnelles de compensation et de versement d'intérêts au titre de l'indemnité d'occupation ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe l'indemnité principale d'éviction due par M. [E] [Y] à la société Nexity Studea à la somme de 26.500 euros ;

Déboute la société Nexity Studea de sa demande d'indemnité pour trouble commercial ;

Dit que les intérêts au taux légal dus sur l'indemnité d'occupation ont couru à compter du 12 juin 2023 et qu'ils sont majorés de cinq points à compter du 12 août 2023 ;

Dit que les intérêts seront capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

Ordonne la compensation entre les dettes respectives des parties au titre des indemnités d'éviction et d'occupation ;

Condamne la société M. [E] [Y] aux dépens d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

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