Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 19 novembre 2025, n° 23/07299

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/07299

19 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30C

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/07299 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WEYI

AFFAIRE :

[U] [X] épouse [L]

...

C/

[K] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Septembre 2023 par le tribunal judiciaire de CHARTRES

Section : Baux commerciaux

N° RG : 19/00002

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Claire CORBILLE LALOUE

Me Marc MONTI

TJ [Localité 11]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [U] [X] épouse [L]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Madame [Z] [W] veuve [X]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Monsieur [P] [X]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentés par Me Claire CORBILLE LALOUE de la SCP POISSON & CORBILLE LALOUE, Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 19 et Me Peter SCHMID, plaidant, avocat au barreau de Paris

APPELANTS

****************

Monsieur [K] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Marc MONTI de la SCP IMAGINE BROSSOLETTE, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 34

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Octobre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenaël COUGARD, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Gwenaël COUGARD, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

Exposé du litige

Par acte sous seing privé du 29 juin 1990, M. et Mme [F] [X] ont consenti à M. et Mme [E] [T] un bail commercial portant sur le lot n° 9 de l'ensemble immobilier situé au [Adresse 2] à [Localité 11] (28), cadastré section AK n° [Cadastre 8] lieu-dit [Adresse 7]. Ces locaux sont composés d'une boutique située au rez-de-chaussée du bâtiment, d'une surface de 40 mètres carrés, ainsi que d'une réserve en sous-sol, d'une surface de 31 mètres carrés. Ils sont implantés dans la galerie marchande dénommée « Le Centre Noël [Localité 10] ».

Le bail a été conclu pour une durée de 9 ans à compter du 1er juillet 1990, moyennant un loyer annuel de 67.271,40 francs, soit 10.255,46 euros payable d'avance et mensuellement. Il autorise les preneurs à exercer l'activité de « boulangerie, pâtisserie, viennoiserie, sandwicherie, glaces et confiseries ».

Les locaux loués servent d'espace de conservation des matières premières et de préparation des produits boulangers. Ils sont adjacents à d'autres locaux situés [Adresse 13] qui servent d'espace de vente, donnés à bail par un tiers (la société SCI Noël [Localité 10]). Au cours du précédent bail portant sur les locaux litigieux, le bailleur a autorisé les anciens locataires à réaliser des travaux en vue de faire communiquer les deux locaux.

Le 13 juillet 1994, M. [F] [X] est décédé et a laissé pour lui succéder son conjoint survivant, Mme [Z] [X], née [W], qui dispose de l'usufruit des locaux loués et ses deux enfants, Mme [U] [L], née [X], et M. [P] [X], tous deux titulaires de la nue-propriété des locaux loués.

Par acte sous seing privé du 30 juin 1998, M. et Mme [T] ont cédé leur droit au bail à M. [K] [M] à compter du 1er juillet 1998, aux charges et conditions du bail du 29 juin 1990.

Par acte authentique du 11 février 2003 pour Mme [Z] [X] et Mme [U] [L] et du 1er avril 2003 pour M. [P] [X], le bail a fait l'objet d'un premier renouvellement pour une durée de neuf ans, à compter du 1er juillet 1999.

Par acte authentique du 17 février 2010, le bail commercial a fait l'objet d'un second renouvellement pour une durée de neuf ans à compter du 1er juillet 2008, pour un loyer mensuel hors taxes de 1.298 euros.

Par actes d'huissier des 17, 18 et 23 mai 2018, M. [M] a fait notifier aux consorts [X] une demande de renouvellement de bail commercial avec demande de diminution de loyer à la somme de 8.400 euros hors taxes et hors charges par an, à compter du 1er janvier 2019.

Par acte extra-judiciaire en date du 13 août 2018, les consorts [X] ont accepté le principe du renouvellement du bail commercial mais ont refusé la baisse de loyer, sollicitant une augmentation du loyer à hauteur de 17.658 euros par an hors taxes et hors charges.

Par acte d'huissier du 27 avril 2019, M. [K] [M] a fait assigner les consorts [X] devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Chartres afin d'obtenir la fixation judiciaire du loyer renouvelé.

Par jugement du 24 octobre 2019, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise et a commis pour y procéder Mme [C] [O]. Il a fixé le loyer provisionnel au montant du loyer actuellement en vigueur, actualisé en fonction de l'indice Insee du coût de la construction, et ce à compter du 1er janvier 2019 jusqu'à l'issue de la procédure en fixation du loyer.

Mme [C] [O] a rendu son rapport d'expertise le 9 novembre 2021, aux termes duquel il est proposé de fixer la valeur locative du loyer commercial à 11.000 euros hors taxes et hors charges.

Dans son mémoire en fixation de loyer commercial en date des 17 janvier, 30 mai et 1er décembre 2022, M. [M] a demandé au juge des loyers commerciaux d'homologuer le rapport d'expertise et de fixer le loyer annuel de renouvellement à effet au 1er janvier 2019 à la somme de 11.000 euros hors taxes.

Dans leur mémoire en réponse du 13 septembre 2022, les consorts [X] ont demandé au juge des loyers commerciaux d'écarter les conclusions du rapport d'expertise quant à la valeur locative du loyer commercial proposée, de fixer cette valeur locative à la somme annuelle hors taxes et hors charges de 19.125 euros et, en conséquence, de fixer le loyer annuel de renouvellement à effet au 1er janvier 2019 à la somme de 17.867,51 euros ou, subsidiairement, à la somme de 17.658 euros.

Par jugement contradictoire du 20 septembre 2023, le juge des loyers commerciaux a :

- fixé le montant du bail renouvelé à la somme de 11.000 euros par an au 1er janvier 2019 ;

- dit que les éventuelles restitutions des loyers trop perçus porteront intérêts au taux légal à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'un an, produiront eux-mêmes intérêts au visa de l'article 1343-2 du code civil ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté le surplus des prétentions ;

- fait masse des dépens en ce compris le coût de l'expertise et condamné demandeur et défendeurs à les supporter par moitié.

Le juge des loyers commerciaux, se fondant sur le rapport d'expertise, a considéré que la valeur locative devait être fixée à 300 euros par mètre carré ; que cette valeur devait faire l'objet d'une majoration de 10%, pour l'autorisation de communication avec la maison de commerce voisine, et d'une minoration de 886 euros pour la charge de la taxe foncière supportée par le preneur.

Par déclaration du 24 octobre 2023, les consorts [X] ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions et, par dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 24 janvier 2024 par RPVA, ils demandent à la cour :

- d'annuler le jugement entrepris, subsidiairement de l'infirmer ;

- et, statuant à nouveau, d'écarter les conclusions du rapport d'expertise judiciaire en ce qu'il propose de fixer la valeur locative à 11.000 euros hors taxes et hors charges, de débouter M. [K] [M] de sa demande de voir fixer le loyer du bail renouvelé, à effet du 1er janvier 2019, à la somme annuelle de 11.000 euros hors taxes et hors charges, et de l'ensemble de ses demandes, de fixer la valeur locative des locaux loués à la somme annuelle hors taxes et hors charges de 19.125 euros, en conséquence, de fixer le loyer du bail renouvelé, à effet du 1er janvier 2019, à la somme annuelle hors taxes et hors charges de 17.867,51 euros, soit le loyer plafonné déterminé par l'expert judiciaire dans son rapport, subsidiairement, de 17.658 euros, conformément au montant proposé dans l'acte du 13 août 2018,

- d'assortir le loyer de l'intérêt moratoire au taux légal depuis sa date d'effet et d'ordonner la capitalisation par années entières conformément à l'article 1343-2 du code civil, de condamner M. [K] [M] à leur payer la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire dont ceux restés à la charge des bailleurs, dont distraction au profit de la SCP Poisson & Corbille-Laloue.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 22 avril 2024, M. [K] [M] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, fait masse des dépens et condamné chacune des parties à en supporter la moitié ;

- subsidiairement, en cas d'annulation de statuer sur le fond et, le cas échéant, d'homologuer le rapport d'expertise de Mme [C] [O] du 9 novembre 2021 et, par conséquent, de fixer à la somme de 11.000 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er janvier 2019 le loyer annuel de renouvellement du bail, et ce rétroactivement à compter du renouvellement du bail au 1er janvier 2019, d' ordonner que les restitutions des loyers trop perçus porteront intérêts au taux légal de plein droit à compter de la date d'effet du nouveau loyer et que les intérêts échus depuis plus d'une année produiront le même intérêt en conformité avec les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- en tout état de cause, de condamner in solidum Mme [U] [L], née [X], Mme [Z] [X], née [W] et M. [P] [X] à lui payer les sommes de 5.000 euros et de 3.600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel, et aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et les différents frais de signification.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 juin 2025.

SUR CE,

Sur la demande en nullité du jugement

Les consorts [X] soutiennent que le juge des loyers commerciaux a ignoré le mémoire des bailleurs, de sorte que son jugement doit être annulé pour défaut de motivation sur le fondement des articles 455 et 458 du code de procédure civile et 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme. Ils font valoir que le jugement n'identifie pas leur mémoire par sa date, qu'il ne contient aucune mention des moyens invoqués et qu'il évoque en un seul endroit leurs prétentions.

M. [M] réplique que les prétentions des consorts [X] ont été exposées de façon exhaustive dans le jugement en page 3, lequel renvoie, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, au mémoire adverse dans son dernier état, à savoir le mémoire après rapport n° 2 du 13 septembre 2022. Il ajoute que dans sa motivation, le juge a tenu compte des moyens du bailleur, qu'il a écartés ; qu'en effet, après avoir indiqué prendre pour base le rapport d'expertise judiciaire, le juge a considéré que ce rapport n'était « combattu par aucune preuve contraire efficace ». En toute hypothèse, le juge d'appel, du fait de l'effet dévolutif d'appel, est tenu de statuer au fond.

Sur ce,

L'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile énonce que « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé. »

Cette disposition est prévue à peine de nullité, comme il résulte de l'article 458 alinéa 1 du même code.

C'est à tort cependant que les consorts [X] soutiennent que leur mémoire a été ignoré par le premier juge, lequel a énoncé précisément leurs prétentions.

Les dispositions des articles précités qui prescrivent à peine de nullité que le visa des conclusions indique leur date ne trouve pas à s'appliquer lorsqu'il n'y a qu'un seul dépôt de conclusions, comme en l'espèce par les bailleurs.

S'agissant des moyens, s'il est exact que le juge n'a pas repris avec précision les moyens des consorts [X], pas plus d'ailleurs que ceux de M. [M], il a d'abord évoqué l'absence de contestation des parties quant à l'évaluation de la surface de l'expert, avant de dire, concernant l'estimation du bail révisé, prendre pour base le rapport d'expertise judiciaire, qu'il dit clair, précis et circonstancié, précisant surtout qu'il n'est combattu par aucune preuve contraire efficace. Il a ensuite examiné les différents critères d'évaluation de fixation de la valeur locative, au regard de l'analyse faite par l'expert. Le jugement est ainsi suffisamment motivé.

Les consorts [X], qui critiquent ce procédé, n'explicitent pas en quoi les moyens invoqués auraient dû être plus précisément énoncés, ni ne produisent à hauteur de cour leur mémoire en défense déposé devant le premier juge, de sorte qu'ils ne soutiennent pas autrement que par une critique générale mais non étayée leur demande d'annulation du jugement.

En conséquence, cette demande tendant à l'annulation du jugement sera écartée.

Sur la demande d'infirmation du jugement

Les consorts [X] soutiennent que le juge, qui reste libre de fixer souverainement la valeur locative attribuée aux locaux, et qui a rendu « des considérations » antinomiques, a entériné le rapport d'expertise judiciaire sans tenir compte de la particularité de la situation des locaux loués et de la valorisation locative qui en découle ; qu'en vertu des articles L. 145-33 et R. 145-3 à R. 145-8 du code de commerce, celle-ci doit être déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

M. [M] fait valoir en réponse que le juge des loyers commerciaux, qui s'est fondé sur le rapport d'expertise pour fixer la valeur locative à 300 euros du mètre carré, avec une majoration de 10% pour l'autorisation de communication avec le local voisin et une minoration pour la charge de la taxe foncière pesant sur le preneur, a bien tenu compte de la situation particulière des locaux loués.

Sur ce,

L'article L. 145-33 du code de commerce énonce que « Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1 Les caractéristiques du local considéré ;

2 La destination des lieux ;

3 Les obligations respectives des parties ;

4 Les facteurs locaux de commercialité ;

5 Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Un décret en Conseil d'Etat précise la consistance de ces éléments. »

Le juge n'est pas lié par les conclusions de l'expert, il est toutefois libre de les faires siennes et d'apprécier leur objectivité, leur valeur et leur portée.

L'expert judiciaire, Mme [O], a retenu principalement, s'agissant de locaux annexes implantés dans une galerie marchande inattractive mais bénéficiant de l'ouverture sur la boulangerie implantée dans une rue très commerçante et animée, que la valeur locative du local ressort à 300 m² sup/an, avec pour tenir compte des stipulations particulières du bail, la majoration de 10 % pour l'autorisation de communication avec la maison de commerce voisine, une minoration pour la charge de la taxe foncière sur le preneur pour son nominal en 2019, précisant que les autres clauses et conditions du bail n'ont pas d'incidence sur la valeur locative. Elle a estimé une valeur locative de 11 880 euros avec la majoration de 10 %, dont à déduire la minoration pour la charge de taxe foncière, réduisant la valeur locative annuelle à 10 994 euros, arrondie à 11 000 euros. L'expert a par ailleurs évalué le loyer plafond, en tenant compte du loyer d'origine (15 576 euros) et de la variation de l'indice INSEE des loyers commerciaux depuis le début du bail, à la somme de 17 867,51 euros.

Aucune discussion n'a lieu sur la surface utile pondérée des lieux loués, qui sera retenue à hauteur de 36 m² p.

Conformément à l'article R. 145-2 du code de commerce, les éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 145-33 s'apprécient dans les conditions fixées par les articles R. 145-3 à R. 145-11.

Sur les caractéristiques des locaux

Selon l'article R. 145-3 du code de commerce, les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :

1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;

2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;

3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;

4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;

5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.

L'article R. 145-4 alinéa 1er énonce que « les caractéristiques propres au local peuvent être affectées par des éléments extrinsèques constitués par des locaux accessoires, des locaux annexes ou des dépendances, donnés en location par le même bailleur et susceptibles d'une utilisation conjointe avec les locaux principaux. »

Comme l'a rappelé le premier juge, les locaux loués dépendent d'une galerie marchande édifiée à la fin des années 1980, et constituent une cellule commerciale de petite surface, située au rez-de-chaussée, et d'une réserve de taille approximativement équivalente située au sous-sol (33,50 m²), et directement accessible de la cellule ; la cellule commerciale a une vitrine qui donne sur la galerie marchande, mais pas sur la [Adresse 13], et est utilisée comme laboratoire de préparation de la boulangerie voisine, laquelle ouvre au [Adresse 2] ; les deux sont reliées par une baie percée dans le mur périphérique.

Arguant de l'article R. 145-4 du code de commerce, qui permet de prendre en compte des éléments extrinsèques au bien loué, consistant en des locaux accessoires, annexes ou dépendance, et qui vise des locaux donnés en location par le même bailleur et susceptibles d'une utilisation conjointe, les consorts [X] font valoir que des locaux donnés en location par un autre bailleur peuvent être également pris en compte, dès lors qu'il s'agit de locaux adjacents et qu'ils bénéficient de la stabilité d'un bail commercial.

Cependant, il ne peut pas être omis que ledit local accessoire objet du litige serait difficilement louable à lui seul compte tenu de sa très faible superficie, qui plus est dans une galerie sinistrée, et que le fait qu'il soit loué comme local accessoire du commerce situé sur la rue commerçante a conduit l'expert à majorer le prix du bail à hauteur de 10 % pour tenir compte de l'intérêt présenté pour le preneur à bail de ce local indispensable à l'exploitation de son commerce donnant sur la [Adresse 13].

Il est exact, comme l'ajoutent les consorts [X], que le local loué, qui sert à la conservation de matières premières et à la préparation de produits boulangers, forme un tout indivisible avec l'espace donné à bail par un autre bailleur destiné à la vente/fournil de la boulangerie adjacent, lequel ne peut exister sans le local faisant office d'arrière-boutique ; qu'en effet, comme ils le mentionnent, sans ce local, M. [M] ne pourrait exercer son métier de boulanger ni physiquement, ni réglementairement, conformément à l'article L. 122-17 du code de la consommation qui oblige le boulanger à préparer son pain sur place ; que cette indivisibilité est renforcée par la réalisation de travaux ayant permis la communication des deux locaux. Ils arguent donc que pour fixer la valeur locative du local servant d'arrière-boutique, il doit être tenu compte de l'emplacement du local servant d'espace de vente, qui donne directement sur la [Adresse 14] et qui bénéficie donc d'une excellente commercialité.

Cependant, si cette situation a justifié la majoration de la valeur locative de 10 % supplémentaire, les consorts [X] n'établissent pas en quoi cette circonstance particulière induirait comme ils le demandent une majoration de 25% de la valeur locative.

M. [M] est bien fondé à leur opposer que ce local litigieux ne peut pas être loué au même prix que le local principal qui comporte une vitrine et qui donne directement sur la rue piétonne et commerçante.

Sur les obligations respectives des parties

Les consorts [X] ont autorisé le locataire de l'époque à pratiquer une ouverture dans le mur pour relier les deux boutiques ; cette autorisation a fait l'objet d'une réitération dans le bail du 29 juin 1990. L'expert a pris en compte cette situation en majorant la valeur locative de 10 %. L'argument invoqué par les consorts [X] selon lequel ils seraient en droit de révoquer dans le cadre du renouvellement du bail cette autorisation est dénué de sérieux.

Selon les appelants, le premier juge a suivi à tort l'expert qui a tenu compte de la refacturation de la taxe foncière par le bailleur au preneur pour minorer la valeur locative.

S'il est exact que les obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages, en particulier quant à la taxe foncière, constituent un facteur de diminution de la valeur locative, ce n'est pas le cas si le juge se réfère aux prix pratiqués dans le voisinage pour des commerces supportant, en plus du loyer, la charge totale ou partielle de la taxe foncière.

En l'espèce, contrairement à ce qui est soutenu par les consorts [X], le tableau comparatif établi par l'expert ne permet pas de considérer que la taxe foncière est mise de manière habituelle à la charge du preneur, ni que dans les deux hypothèses où cette charge est supportée par le locataire, la minoration qui en découle est décorrélée de celle estimée par l'expert.

Par ailleurs si les consorts [X] ont accordé une dispense provisoire d'indexation, l'indexation prévue normalement le 1er juillet 2011 ayant été reportée au 1er juillet 2014 d'un commun accord entre les parties et si, selon eux, le locataire n'a pas payé la majoration à compter de juillet 2014, la dispense provisoire d'indexation acceptée par les bailleurs n'a pas à être prise en considération pour la fixation de la valeur locative lors du renouvellement du bail.

Sur les facteurs locaux de commercialité

L'article R. 145-6 dispose que « Les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire. »

Les consorts [X] critiquent la motivation du premier juge, qui a, selon eux, pris en compte les considérations antinomiques du rapport d'expertise ; qu'ainsi, l'expert relève la situation des locaux loués au sein du « triangle d'or » du centre-ville de [Localité 11] tout en estimant que l'emplacement revêt un intérêt commercial limité ; que le jugement, qui a repris cette contradiction, a par ailleurs refusé d'admettre que la boulangerie bénéficie d'une excellente commercialité tenant à la conjonction des deux locaux, l'un en devanture et l'autre en galerie.

Pourtant, il n'y a aucune contradiction à considérer d'une part le caractère passant et commerçant de la [Adresse 13], sur laquelle ouvre la galerie commerciale [Localité 10] dans laquelle se trouve le local litigieux, d'autre part à relever le caractère peu commerçant et déserté de la galerie commerçante elle-même, qui est désormais presque vide et très peu fréquentée. Mme [O], expert judiciaire, a d'ailleurs relevé ce « paradoxe commercial ».

Ils font valoir, ensuite, que le juge des loyers commerciaux, suivant le rapport d'expertise, a à tort pris en compte l'évolution du chiffre d'affaires du locataire dans la fixation de la valeur locative ; que l'évolution de la commercialité doit en effet être appréciée objectivement, ce qui fait obstacle à la prise en compte de la baisse du chiffre d'affaires du preneur, qui est tributaire de sa propre gestion du commerce. Ils ajoutent qu'en toute hypothèse, la baisse du chiffre d'affaires alléguée par le preneur n'est pas établie, soulignant de surcroît que M. [M] n'exploite plus le fonds de commerce, celui-ci ayant été donné en location-gérance à la société [M] par acte du 7 août 2002, en ce compris le droit au bail et que le juge ne peut se fonder sur des considérations relatives à la situation économique de cette société, qui n'est pas partie à la procédure.

Ils font valoir, enfin, que le centre-ville de [Localité 11], au sein duquel se situent les locaux, a connu un accroissement de sa population, globalement aisée, entre 2012 et 2017, fait l'objet depuis le début des années 2000 de travaux d'embellissement et d'agrandissement et bénéficie de facilités de stationnement à proximité immédiate des locaux loués.

M. [M] répond aux appelants que si l'évolution du chiffre d'affaires ne peut être à lui seul un facteur déterminant pour l'estimation de la valeur locative ou constituer un motif de déplafonnement du loyer, il peut cependant être pris en considération pour confirmer ou infirmer l'évolution de la valeur locative, avant de relever que les arguments et la jurisprudence avancés par les consorts [X] à ce sujet ont trait au contentieux du déplafonnement et non à celui de la fixation de la valeur locative.

S'agissant d'apprécier les facteurs locaux de commercialité, il n'y a pas lieu de prendre en compte l'évolution du chiffre d'affaires du preneur.

L'expert explique que la ville de [Localité 11] a mené des opérations d'embellissement des rues du centre-ville et d'agrandissement de la zone piétonne qualifiée de « triangle d'or » au cours des années 2000, a facilité l'accès au centre-ville et a rendu aisé le stationnement. Elle précise que la bonne commercialité du centre y est ancienne, et confirmée par l'implantation de grandes enseignes.

Cependant, pour modérer ce propos, Mme [O] relève que la partie basse de la [Adresse 12] souffre d'une situation qu'elle qualifie de « froid commercial », du fait de la vacance de locaux commerciaux de grande superficie, et de l'ouverture de plusieurs galeries commerciales donnant sur cette même rue ; selon elle, cette situation conduit à la désertion du centre commercial où se trouve le local litigieux, lequel ne bénéficie donc pas de passage, en dépit d'une vitrine ouverte sur cette galerie. L'expert relève de surcroît le développement des grands centres commerciaux de périphérie.

De ces éléments, l'expert a conclu à une commercialité défavorable à l'activité exercée, dans une galerie peu commerçante et quasiment vide.

Sur les prix couramment pratiqués dans le voisinage

L'article R. 145-7 énonce que « les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6.

A défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation. »

S'agissant des prix couramment pratiqués dans le voisinage, les consorts [X] font valoir que les loyers consultés par l'expert pour des locaux compris dans la galerie marchande s'élèvent à 570 euros par mètre carré pour l'enseigne Phone 28 et à 1.270 euros par mètre carré pour l'enseigne Jeff de Bruges, cette dernière jouxtant la boulangerie de M. [M], et critiquent que l'expert ait tenu compte du seul loyer dont elle fait part pour l'intérieur de la galerie marchande (soit 144 euros par mètre carré pour l'enseigne Perfect son) qu'elle a recueilli par simples renseignements oraux.

L'analogie faite par les bailleurs avec la boutique Jeff de Bruges n'est toutefois pas pertinente dès lors que cette enseigne nationale, au secteur d'activité distinct, a besoin d'une surface de commercialisation moindre que celle nécessaire à une activité de boulangerie et que l'étude de voisinage réalisée par l'expert a établi le caractère exceptionnel du montant du loyer acquitté par la boutique Jeff de Bruges.

M. [M] relève justement que les loyers du voisinage donnant sur la [Adresse 13] sont compris entre 600 et 700 euros par mètre carré et que les loyers des locaux donnant sur la galerie sont plus faibles, le loyer payé par l'enseigne Perfect son, installée dans la galerie, étant ainsi de 144 euros par mètre carré tandis que celui acquitté par une boulangerie située [Adresse 13] est de 235 euros par mètre carré.

Les consorts [X] évoquent encore le fait que le loyer du local principal où se situe la boulangerie de M. [M] est fixé à 500 euros/m² SUP, et qu'en conséquence le loyer du local litigieux devrait être fixé à une somme de 425 euros/m² SUP. Cependant, ils ne développent pas les critères qui devraient être pris en compte pour justifier le montant du loyer réclamé pour les locaux litigieux qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques que ce local principal.

Il s'infère en conséquence de l'ensemble de ces éléments que la valeur locative telle que fixée par le premier juge est pertinente. La demande des consorts [X] de voir fixer la valeur locative au montant contractuel, soit, la somme annuelle HT et hors charges de 17 867,51 euros au titre du loyer plafonné par application de l'indice INSEE des loyers commerciaux, est donc écartée.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement statuant sur les dépens et l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Les consorts [X], qui échouent en leur recours, seront condamnés in solidum à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement,

Rejette la demande d'annulation du jugement entrepris ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [Z] [X], née [W], Mme [U] [L], née [X], et M. [P] [X] à payer à M. [K] [M] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité procédurale ;

Condamne in solidum Mme [Z] [X], née [W], Mme [U] [L], née [X], et M. [P] [X] aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site