Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-1, 19 novembre 2025, n° 23/06726

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 23/06726

19 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30F

Chambre commerciale 3-1

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/06726 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WDIF

AFFAIRE :

S.A.R.L. ADONIS FRANCE

C/

S.A.R.L. SOCIETE COMMERCIALE DE NEGOCE ET DE TRANSACTIONS IMMOBILIERES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Août 2023 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° Chambre : 8

N° RG : 20/07133

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Asma MZE

Me Franck LAFON

TJ [Localité 6]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.R.L. ADONIS FRANCE

RCS [Localité 6] n° 489 719 112

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentants : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES-REIMS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 et Me Delphine ANTOINE & Me Stéphane DAYAN de la SELARL ARKARA AVOCATS SDPE, plaidant, avocats au barreau de Paris

APPELANTE

****************

S.A.R.L. SOCIETE COMMERCIALE DE NEGOCE ET DE TRANSACTIONS IMMOBILIERES

RCS [Localité 6] n° 329 108 229

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentants : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Martine BELAIN & Me Chantal TEBOUL-ASTRUC de la SAS ASTRUC AVOCATS, plaidant, avocats au barreau de Paris

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

La société Adonis France (ci-après société Adonis) exploite une activité de commerce en gros et semi-gros de produits orientaux.

Par acte sous seing privé du 31 décembre 2008, la Société commerciale de négoce et de transactions immobilières (ci-après société SCNTI) a donné à bail commercial à la société Adonis France pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2009, des locaux dépendant d'un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 5], pour y exercer une activité de « stockage et de vente de marchandises en gros et demi-gros ».

Par acte extrajudiciaire du 29 juin 2017, la société SCNTI a fait délivrer à la société Adonis un congé à effet du 31 décembre 2017, portant refus de renouvellement du bail et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

Par acte du 30 mai 2018, la société Adonis a fait assigner la société SCNTI en référé devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'expertise judiciaire sur le montant de l'indemnité d'éviction qui lui est due.

Par ordonnance du 19 septembre 2018, M. [G] [I] a été désigné en qualité d'expert judiciaire, avec notamment pour mission de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction due par la société SCNTI et celui de l'indemnité d'occupation due par la société Adonis.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 9 septembre 2019.

Par acte du 25 septembre 2020, la société Adonis a fait assigner la société SCNTI devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir fixer à la somme de 184.000 euros l'indemnité d'éviction due par la société SCNTI.

Par jugement du 28 août 2023, le tribunal a :

- fixé l'indemnité d'éviction due par la société SCNTI à la société Adonis comme suit :

- indemnité principale de déplacement : 9.292,50 euros,

- indemnité de remploi : 929 euros,

- frais de déménagement : 1.500 euros,

- indemnité pour trouble commercial : 4.900 euros,

- indemnité de frais divers : sur présentation de justificatifs dans la limite de 2 500 euros,

- frais de licenciement : sur présentation de justificatifs ;

- condamné la société SCNTI à payer à la société Adonis cette indemnité d'éviction ;

- fixé l'indemnité annuelle d'occupation due par la société Adonis à la société SCNTI pour la période du 1er janvier 2018 au 4 mai 2021 à la somme de 31.594,50 euros hors charges et hors et taxes ;

- fixé l'indemnité annuelle d'occupation due par la société Adonis à la société SCNTI pour la période du 5 mai 2021 à la libération effective des lieux à la somme de 33.453 euros hors charges et hors taxes ;

- ordonné la compensation entre les dettes respectives des parties au titre des indemnités d'éviction et d'occupation à hauteur de la dette la plus faible ;

- débouté la société SCNTI et la société Adonis de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les dépens, en ce compris les honoraires d'expertise, seront supportés par moitié par chacune des parties, et les y a condamnées en tant que de besoin ;

- dit que les dépens pourront être recouvrés par la société Astruc Avocats en la personne de Me Teboul Astruc en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;

- dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 29 septembre 2023, la société Adonis a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la compensation entre les dettes respectives des parties et en ce qu'il a débouté la société SCNTI de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 19 juin 2025, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en ses dispositions critiquées par la déclaration d'appel et statuant à nouveau :

- à titre principal, de fixer à la somme de 150.000 euros l'indemnité principale d'éviction à lui verser par la société SCNTI et à celle de 17.792,60 euros hors charges et hors taxes l'indemnité d'occupation due à la société SCNTI ;

- à titre subsidiaire, de fixer à la somme de 47.000 euros l'indemnité principale de déplacement à lui verser par la société SCNTI et à celle de 26.019 euros hors charges et hors taxes l'indemnité d'occupation due à la société SCNTI ;

- en tout état de cause, de fixer les indemnités accessoires qui lui sont dues comme suit :

- indemnité de remploi : 10% du montant de l'indemnité principale,

- indemnité de déménagement : 1.500 euros,

- indemnité pour trouble commercial : 4.900 euros,

- indemnité pour frais divers : 2.500 euros,

- indemnité pour frais d'impression : 1.500 euros,

de débouter la société SCNTI de l'ensemble de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens incluant le coût de l'expertise.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 juin 2025, la société SCNTI demande à la cour :

- de juger que par l'effet du refus de renouvellement signifié le 29 juin 2017 à effet du 31 décembre 2017 à minuit, le bail consenti à la société Adonis a pris fin à cette date ;

- à titre principal, d'infirmer le jugement quant au quantum de l'indemnité principale de déplacement, de l'indemnité de remploi, de l'indemnité pour trouble commercial et de l'indemnité de frais divers et, statuant à nouveau, de les fixer comme suit :

- indemnité principale de déplacement : 5.575 euros,

- indemnité de remploi : 558 euros,

- indemnité pour trouble commercial : néant,

- indemnité de frais divers : néant ;

- subsidiairement, pour le cas où la cour considérerait que l'éviction entraine la perte du fonds de commerce exploité par la société Adonis, de fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme globale de 80.400 euros, indemnités accessoires comprises, outre le remboursement de l'indemnité de licenciement éventuellement réglée aux salariés, sur justificatifs ;

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les dépens, en ce compris les honoraires d'expertise, seront supportés par moitié par chacune des parties, les y a condamnées en tant que de besoin, et a rejeté ses demandes plus amples ou contraires, et, statuant à nouveau de ces chefs, de condamner la société Adonis au paiement de la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct ;

- en tout état de cause, de débouter la société Adonis de l'intégralité de ses demandes.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 juin 2025.

SUR CE,

Il n'a pas été relevé appel du jugement en ce qu'il a ordonné la compensation entre les dettes respectives des parties au titre des indemnités d'éviction et d'occupation, de sorte que la cour n'est pas saisie de ce chef de demande.

Sur l'indemnité d'éviction

Si les parties sont d'accord sur l'indemnisation des frais de déménagement à hauteur de 1.500 euros, elles s'opposent sur la nature et le montant de l'indemnité principale d'éviction, sur le montant de l'indemnité de remploi ainsi que sur le versement au locataire d'une indemnité pour trouble commercial et d'une indemnité de frais divers.

Sur l'indemnité principale d'éviction

La société Adonis sollicite la fixation de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 150.000 euros telle qu'évaluée par l'expert judiciaire, soutenant que cette indemnité doit réparer la perte de son fonds de commerce dès lors que son activité n'est pas transférable et que son éviction des locaux occasionnera nécessairement une perte substantielle de clientèle, composée de sociétés exploitant des magasins de type « bazar » et de particuliers opérant sur les marchés, dont une grande partie se déplace dans ses locaux pour passer commande et retirer la marchandise constituée de produits orientaux.

Elle invoque l'importance de l'emplacement des lieux loués, à la jonction de trois départements et à proximité de moyens de transports, la division des locaux en deux parties, à savoir un espace de stockage et une partie showroom, laquelle n'est plus accessible depuis un incendie survenu le 29 mai 2010, l'importance du showroom pour l'exercice de son activité de vente sur place qui est expressément visée par le contrat de bail. Elle relève que, pour conclure à l'existence de possibilités de réinstallation à proximité et à l'absence de perte significative de clientèle, le tribunal s'est fondé sur des offres anciennes mentionnées dans le rapport d'expertise judiciaire alors que le préjudice causé par le refus de renouvellement du bailleur doit coïncider avec la date de départ des lieux du locataire, que la société SCNTI fait uniquement état de locaux à destination d'entrepôt et ne propose pas de locaux équivalents à ceux loués, comportant un showroom indispensable à l'activité de vente.

Elle souligne que, pour évaluer l'indemnisation de la perte du fonds de commerce, l'expert s'est à juste titre fondé sur le chiffre d'affaires des années antérieures à la crise sanitaire du Covid-19, qui est venue impacter très négativement son activité depuis le mois de mars 2020, de sorte que son chiffre d'affaires au titre des années 2020 et 2021 n'est pas représentatif.

A titre subsidiaire, la société Adonis sollicite la fixation de l'indemnité principale de déplacement à hauteur de la somme de 47.000 euros, sur la base d'une valeur locative de marché de 90 euros/m² et d'une valeur locative de renouvellement de 67,50 euros/m² telles que calculées par l'expert judiciaire, après application d'un abattement de précarité de 5 % et d'un abattement de 20% tenant compte notamment de la vétusté des locaux. Elle fait observer qu'il n'est pas établi que l'accès au showroom est parfaitement rétabli et complètement sécurisé suite à l'incendie survenu le 29 mai 2010. Elle demande enfin de retenir le coefficient de capitalisation de 5 appliqué par l'expert judiciaire pour tenir compte de la partie showroom des locaux.

La société SCNTI soutient que l'indemnité principale d'éviction due à la société Adonis est une indemnité de transfert équivalente à la perte du droit au bail, et non une indemnité de remplacement équivalente à la valeur marchande du fonds de commerce. Elle sollicite la fixation de l'indemnité principale d'éviction à la somme de 5.575 euros.

Elle considère que le fonds de la société Adonis est transférable dès lors que la destination autorisée par le bail est limitée à l'usage de stockage et de vente de marchandises en gros et demi-gros et que la « vente sur place » est uniquement visée dans la désignation des lieux. Elle ajoute que même une vente sur place à des professionnels n'induit pas une perte de fonds du fait de l'éviction.

Elle fait valoir que la clientèle de la société preneuse, exclusivement professionnelle, n'est pas attachée à la situation des locaux et qu'il n'existe pas de chalands, que la société Adonis a la possibilité de se réinstaller dans la zone d'activité de ses clients, à savoir non seulement sur la commune de [Localité 4] qui comporte des offres de location mais aussi dans le département de Seine-[Localité 8] et dans la petite couronne autour de [Localité 7], qu'en outre elle n'est pas tenue de proposer de nouveaux locaux à la locataire évincée.

Si elle ne conteste plus la valeur locative de marché de 90 euros/m² estimée par l'expert judiciaire, elle critique la valeur locative de renouvellement de 67,50 euros/m² qu'il a calculée après abattement de 20%. Au soutien de l'application d'un abattement limité à 5%, tel que l'a retenu le tribunal, elle fait observer, s'agissant de l'incendie dont se prévaut la société preneuse, que ses locaux ne sont pas en droite ligne du bâtiment sinistré et que son activité n'a pas été impactée, que l'accès aux locaux loués ne lui a jamais été interdit et qu'aucun risque n'a été relevé par l'expert judiciaire, que le showroom de la société Adonis, qui ne représente que 8% de la surface louée, est resté accessible à la clientèle et que l'allégation selon laquelle ce showroom permettrait de réaliser une importante partie de son chiffre d'affaires n'est pas démontrée.

Elle considère que ni l'emplacement, ni les caractéristiques des locaux, ni même l'activité de la société preneuse ne justifient le coefficient de capitalisation de 5 appliqué par le tribunal et demande de retenir tout au plus un coefficient de 3.

À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour retiendrait le principe d'une indemnité d'éviction pour perte du fonds, la société SCNTI soutient que l'indemnité principale d'éviction ne pourra excéder la somme de 67.300 euros.

Elle relève à titre liminaire que l'absence de communication par la société Adonis de ses chiffres d'affaires pour les exercices échus depuis 2019 met la cour dans l'incapacité d'évaluer l'indemnité d'éviction selon la méthode des barèmes et la méthode de l'EBE appliquées par l'expert judiciaire. Elle indique ensuite que si la cour fixe l'indemnité d'éviction suivant le barème du chiffre d'affaires moyen TTC, la valorisation du fonds de commerce ne pourra excéder 30% du chiffre d'affaires moyen dès lors que la société Adonis n'exploite pas son fonds de commerce en boutique et que son chiffre d'affaires ne représente aucune activité exceptionnelle justifiant l'application du taux de 50% retenu par l'expert.

Sur ce,

Le refus de renouvellement signifié par le bailleur ouvre droit au profit du locataire à une indemnité d'éviction, conformément à l'article L.145-14 du code de commerce qui dispose que « cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ».

L'article L.145-14 fait ainsi reposer sur le bailleur la charge de la preuve que le préjudice subi par le preneur évincé est moindre que la valeur du fonds de commerce.

Aux termes de son rapport, l'expert judiciaire considère que l'indemnité d'éviction doit réparer la perte par la société Adonis de son fonds de commerce, faute de trouver à proximité des locaux vacants lui permettant de se réinstaller dans des conditions équivalentes. Il constate que le bailleur ne propose pas de locaux de remplacement, que la clientèle est principalement une clientèle de détaillants et de commerçants faisant les marchés, susceptibles de s'approvisionner chez d'autres grossistes, qu'un déménagement à une adresse encore inconnue entraînera de facto une perte partielle de clientèle, quand bien même le fonds serait transférable, qu'en outre il n'est pas certain que la société Adonis, qui n'est pas obligée de transférer son activité, se réimplante.

Le tribunal a toutefois retenu à juste titre que le fonds de commerce de la société Adonis était transférable, sans perte significative de clientèle.

En effet, selon le bail commercial conclu le 31 décembre 2008, les locaux loués à la société SCNTI sont « à usage de stockage et de vente de marchandises en gros et demi-gros ». Les marchandises stockées et vendues sont des produits orientaux.

Ainsi que le rappelle l'expert judiciaire, l'activité de semi-gros est un commerce intermédiaire entre le commerce de détail et le commerce de gros.

Si dans le paragraphe « Désignation des locaux » du bail commercial est mentionné « un local à usage d'entrepôt, dont une surface de showroom, d'une surface de 500 m² environ (douche, lavabo, WC), vente sur place », l'existence d'un showroom, d'une surface au demeurant limitée de 36,45 m² sur les 413 m² loués par la société Adonis, ne permet pas de modifier la nature d'entrepôt des lieux loués ni leur destination, étant précisé qu'un showroom est un local d'exposition de produits disponibles à la vente qui ne peut être assimilé à une boutique.

L'expert judiciaire mentionne dans son rapport que la clientèle de la société Adonis est principalement une clientèle de détaillants et de commerçants faisant les marchés, située dans les départements des Hauts-de-Seine et de la Seine-[Localité 8] ainsi que dans d'autres départements de la première couronne et en province, soit dans un périmètre géographique assez large. Il ne s'agit donc pas d'une clientèle de quartier composée de particuliers pour lesquels la proximité des locaux revêt un caractère déterminant. En outre, si la société Adonis affirme que les locaux occupés bénéficient d'une desserte importante en réseau de transport, indispensable pour sa clientèle, cette caractéristique n'est pas propre à cette zone géographique de l'Ile-de-France.

L'environnement des locaux est constitué d'entrepôts et d'un petit immeuble R+2 d'habitation en étages et d'un café en rez-de-chaussée. Il n'y a ainsi dans le quartier aucune boutique présentant un caractère attractif pour une clientèle de proximité.

Il en résulte que le transfert du fonds de commerce dans d'autres locaux, proches ou non des locaux loués, est tout à fait envisageable, sans perte notable de clientèle.

Contrairement à ce que soutient la société Adonis, l'existence de locaux équivalents s'apprécie à la date de délivrance du refus de renouvellement ou du congé et non à celle de la sortie du locataire et, en l'espèce, le rapport d'expertise judiciaire fait état d'offres de location de locaux d'activités et de stockage dans le secteur pertinent de Grésillons à [Localité 4] (pages 15 et 16). Devant la cour, la société SCNTI produit en outre quatre annonces issues du site internet « Se loger » portant sur des locaux d'activités/entrepôts situés dans ce même quartier.

La preuve est ainsi suffisamment rapportée que la société locataire a la possibilité de transférer son activité dans de nouveaux locaux, sans perte de son fonds de commerce.

Dans ces conditions, la société Adonis ne peut bénéficier que d'une indemnité dite de transfert ou de remplacement égale à la valeur du droit au bail.

La valeur du droit au bail est la différence entre le montant de la valeur locative de marché et le loyer qui aurait été perçu si le bail avait été renouvelé, cette différence étant elle-même affectée d'un coefficient multiplicateur au regard de l'intérêt des locaux pour l'activité exercée.

L'expert judiciaire a ainsi évalué le droit au bail à la somme arrondie de 47.000 euros sur la base d'une valeur locative de marché de 37.170 euros (90 euros x 413 m²) et d'un loyer de renouvellement de 28.282,50 euros (90 euros x 413 m² x 0,75), la différence entre les deux sommes étant affectée d'un coefficient de 5 afin de tenir compte de la typologie de la clientèle et de la partie showroom.

La valeur locative de marché de 37.170 euros ne fait l'objet d'aucune discussion. Elle sera donc retenue.

S'agissant de l'évaluation du loyer de renouvellement, la société SCNTI critique la valeur locative de renouvellement proposée par l'expert judiciaire après abattements sur la valeur locative de marché de 5% pour précarité et de 20% pour tenir compte de la vétusté des locaux et de l'impossibilité d'accéder au showroom par l'allée principale non sécurisée suite à l'incendie du bâtiment voisin.

L'incendie dont il s'agit est survenu le 29 mai 2010 dans un bâtiment, propriété de la société SCNTI, situé dans le même ensemble immobilier que les locaux loués à la société Adonis, lesquels bénéficient, non pas d'un seul accès comme allégué, mais de deux accès, l'un par l'allée principale sur laquelle donne le bâtiment sinistré, situé face au bâtiment loué, et le second sur l'autre façade du bâtiment loué, comportant un quai de déchargement-chargement. L'existence de deux accès ne rend donc pas impossible l'accès aux locaux loués, même si comme l'indique la société preneuse, elle a été contrainte de « recourir à une solution temporaire » et d'accueillir sa clientèle par l'accès destiné à la réception des marchandises, impliquant la traversée de l'entrepôt de stockage.

Un arrêté d'urgence a été pris le 3 juin 2010 par le maire de [Localité 4] enjoignant notamment au propriétaire du bâtiment incendié de le rendre inaccessible ainsi que la zone dangereuse comprise au pourtour de celui-ci, incluant l'allée principale sus évoquée permettant l'accès direct au showroom de la société Adonis.

Il ressort néanmoins des éléments du débats, et notamment d'un arrêt rendu par cette cour dans un contentieux opposant la société SCNTI à un autre locataire du site, que depuis 2016, l'allée principale a été partagée dans sa longueur de façon à banaliser une zone de sécurité sur la partie gauche la plus proche du bâtiment incendié et à en interdire l'accès aux éventuels intrus tandis que la partie droite est praticable, soit la partie par laquelle il est possible d'accéder aux locaux loués par la société Adonis et en particulier à son showroom. C'est ainsi à tort que l'appelante affirme que l'accès direct au showroom est demeuré impossible pour sa clientèle depuis plusieurs années.

Au surplus, par un arrêté du 7 septembre 2021 portant notamment mainlevée de l'arrêté municipal d'urgence du 3 juin 2010, le maire de [Localité 4] a considéré que l'immeuble incendié ne présentait plus de danger pour la sécurité publique et qu'il n'y avait plus de situation d'urgence.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal a appliqué à la valeur locative de marché un abattement de 5% pour précarité mais limité le second abattement à 5%, en tenant compte par ailleurs de la faible surface du showroom (36,45 m²) par rapport à la surface totale des locaux loués (413 m²). Le loyer de renouvellement est donc de 33.453 euros (37.170 ' [37.170 x 10%]).

Il s'ensuit que la différence entre la valeur locative de marché et le loyer de renouvellement s'élève à 3.717 euros (37.170 ' 33.453).

Quant au coefficient de capitalisation à appliquer à ce montant, sachant que ce coefficient est usuellement de 2,5 à 3 pour les locaux d'activités, dépôts et ateliers, de 5 et plus pour les boutiques, il y a lieu de retenir, pour tenir compte du showroom, qui occupe toutefois une surface très limitée, un coefficient de 3,5 et non de 5 comme fixé par le premier juge à la suite de l'expert judiciaire.

La cour fixera en conséquence l'indemnité principale d'éviction à la somme de 13.009,50 euros (3.717 x 3,5).

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité de remploi

Les parties s'accordent sur le principe d'une indemnité de remploi fixée à 10% de l'indemnité principale.

En conséquence de ce qui précède, l'indemnité de remploi sera fixée à la somme arrondie de 1.301 euros (13.009,50 euros x 10%).

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité pour trouble commercial

La société Adonis demande la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé le montant du trouble commercial à 4.900 euros, tel que calculé par l'expert judiciaire sur la base de trois mois de résultat d'exploitation de l'exercice clos le 31 décembre 2018.

La société SCNTI s'oppose au versement d'une indemnité pour trouble commercial à la société Adonis, faisant valoir que cette indemnité doit être calculée au plus proche de l'éviction mais que l'appelante, qui a la charge d'établir la réalité de son trouble commercial, ne communique pas d'éléments actualisés sur ses chiffres d'affaires et résultats. Elle ajoute que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle n'avait aucune obligation de saisir le juge de la mise en état pour contraindre la locataire à produire ces éléments.

Sur ce,

L'indemnité pour trouble commercial correspond au préjudice subi par le locataire du fait de la gestion de l'éviction.

Cependant, la société Adonis ne justifie pas de l'existence d'un tel trouble, la production de ses seuls comptes annuels de l'exercice 2018 n'étant pas de nature à l'établir. Aucune indemnité à ce titre ne sera donc allouée.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les frais divers

La société Adonis sollicite le versement de la somme de 2.500 euros pour compenser les frais qu'elle a dû exposer pour effectuer les modifications inhérentes au refus de renouvellement. Elle soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle n'a pas à produire de justificatifs pour obtenir l'indemnisation de ces frais dont l'estimation est légitime et conforme aux usages.

La société SCNTI considère que la somme forfaitaire de 2.500 euros proposée par l'expert est excessive et elle s'oppose à tout versement à ce titre faute pour la société Adonis de justifier des frais allégués.

Sur ce,

L'expert judiciaire a proposé d'indemniser la société Adonis à hauteur d'une somme forfaitaire de 2.500 euros en visant la modification au registre du commerce, les frais de résiliation des contrats d'abonnement et les frais d'imprimerie (documents commerciaux), soit des frais divers susceptibles d'être engagés à la suite de l'éviction.

Il convient de fixer l'indemnité pour frais divers à la somme de 1.500 euros.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les frais de licenciement

La société Adonis sollicite le versement de la somme de 9.849 euros à ce titre, telle qu'évaluée à la date du 31 décembre 2018 par le cabinet comptable de la société Alfat expert. Elle soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle n'a pas à produire de justificatifs pour obtenir le paiement de cette indemnité.

La société SCNTI demande la confirmation du jugement qui a retenu que les frais afférents seront versés sur présentation des justificatifs de licenciement et des indemnités versées de ce chef.

Sur ce,

Cette indemnisation doit correspondre aux frais réellement engagés lors des licenciements, conséquences de l'éviction, et non être fixée a priori sur la base d'une estimation.

Aussi convient-il de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les frais de licenciement seraient réglés à la société Adonis sur présentation de justificatifs.

En conséquence de ce qui précède, l'indemnité d'éviction due à la société Adonis sera fixée comme suit :

- indemnité principale de déplacement : 13.009,50 euros,

- indemnité de remploi : 1.301 euros,

- frais de déménagement : 1.500 euros,

- indemnité de frais divers : 1.500 euros,

- frais de licenciement : sur présentation de justificatifs.

Le jugement sera donc confirmé s'agissant des frais de déménagement et des frais de licenciement et infirmé en ce qui concerne le montant de l'indemnité principale de déplacement et le montant des autres indemnités accessoires.

Sur l'indemnité d'occupation

La société Adonis demande à la cour de fixer l'indemnité d'occupation au montant du dernier loyer acquitté au titre du bail expiré, soit 17.792,60 euros hors taxes et hors charges, qui correspond au loyer convenu lors de la conclusion du bail en 2008 et jamais augmenté.

Elle considère qu'elle ne peut être contrainte d'acquitter une indemnité d'occupation d'un montant correspondant à plus du double du loyer jusqu'ici acquitté alors même qu'en vertu de l'article L.145-28 du code de commerce, elle exerce son droit d'occuper les lieux dans l'attente que lui soit versée son indemnité d'éviction.

À titre subsidiaire, elle demande que l'indemnité d'occupation soit fixée, selon le rapport de l'expert judiciaire, à la somme de 26.019 euros hors taxes et hors charges.

Elle estime justifié l'abattement de 20 % appliqué par l'expert judiciaire pour tenir compte des caractéristiques des lieux loués, en invoquant les conséquences de l'incendie ayant partiellement détruit le site appartenant à la société SCNTI et la persistance du danger de l'allée principale contigüe au bâtiment sinistré, qui constitue, selon elle, le seul accès contractuellement prévu pour la partie showroom et qui a rendu impossible l'exploitation des lieux conformément à leur destination contractuelle du 1er janvier 2018 au 7 septembre 2021, date de mainlevée des arrêtés municipaux. Elle expose avoir été contrainte d'aménager provisoirement un autre accès à son showroom, par ses entrepôts et quai de déchargement, et reproche au bailleur un manquement à son obligation de délivrance.

Pour la période du 8 septembre 2021 à ce jour, la société Adonis fait valoir qu'il n'est pas démontré que l'accès au showroom est pleinement rétabli et intégralement sécurisé, de sorte que l'abattement de 20% reste proportionné et justifié, en sus de l'abattement de précarité de 5%.

La société SCNTI demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité annuelle d'occupation à la somme de 31.594,50 euros hors taxes et hors charges pour la période du 1er janvier 2018, date d'effet du congé, au 4 mai 2021 et à celle de 33.453 euros pour la période du 5 mai 2021 à la libération effective des lieux.

Elle considère qu'il n'existe pas de motif pour appliquer à la valeur locative, en plus de l'abattement d'usage de 10% pour précarité, un abattement supérieur à 5% dès lors que les locaux de la société Adonis sont demeurés accessibles, en ce compris le showroom, qui a continué d'être exploité.

Sur ce,

L'article L.145-28 du code de commerce prévoit qu'aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l'indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

Cette indemnité d'occupation n'est pas soumise à la règle du plafonnement et le mécanisme de lissage du loyer prévu par l'article L.145-34 du code de commerce ne s'applique pas.

Elle est distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit et doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative de renouvellement en application de l'article L.145-33 du code de commerce, selon lequel, à défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Il en ressort que le preneur, qui peut rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, est redevable d'une indemnité d'occupation qui doit être fixée à la valeur locative.

Contrairement à ce que soutient la société Adonis, les dispositions de l'article R.145-8 du code de commerce ne sont pas applicables en cas d'évaluation de l'indemnité d'occupation.

Comme indiqué précédemment, l'expert judiciaire a retenu une valeur locative de marché de 37.170 euros pour la totalité des 413 m² loués.

Outre un abattement de précarité de 10% qui ne fait pas débat et qui réduit à 33.453 euros la valeur locative, il a appliqué un abattement de 20% en raison de l'impossibilité d'accéder au showroom par l'allée centrale suite à l'incendie survenu le 29 mai 2010.

La cour a néanmoins constaté qu'il n'en était rien depuis 2016, la partie droite de l'allée principale qui permet d'accéder au showroom de la société Adonis étant praticable, sans risque.

La société SCNTI demandant la confirmation du jugement sur le montant de l'indemnité annuelle d'occupation, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a fixée à la somme annuelle de 31.594,50 euros hors taxes et hors charges pour la période du 1er janvier 2018, date d'effet du congé, au 4 mai 2021 et à celle de 33.453 euros pour la période du 5 mai 2021 à la libération effective des lieux.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens, en ce compris les frais d'expertise, et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante, la société Adonis supportera les dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Elle ne peut de ce fait prétendre à une indemnité procédurale et sera condamnée à verser à la société SCNTI une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles que celle-ci a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans la limite de sa saisine,

Infirme le jugement entrepris en ce qui concerne le montant de l'indemnité principale de déplacement, celui de l'indemnité de remploi et celui de l'indemnité de frais divers dues à la société Adonis France et en ce qu'il a fixé une indemnité pour trouble commercial ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe comme suit les indemnités dues par la Société commerciale de négoce et de transactions immobilières (SCNTI) à la société Adonis France :

- indemnité principale de déplacement : 13.009,50 euros,

- indemnité de remploi : 1.301 euros,

- indemnité de frais divers : 1.500 euros ;

Déboute la société Adonis France de sa demande au titre de l'indemnité pour trouble commercial ;

Condamne la société Adonis France aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Franck Lafon ;

Condamne la société Adonis France à payer à Société commerciale de négoce et de transactions immobilières (SCNTI) la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Adonis France de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site