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Cass. 1re civ., 26 novembre 2025, n° 24-12.314

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. 1re civ. n° 24-12.314

26 novembre 2025

CIV. 1

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 26 novembre 2025

Cassation partiellement
sans renvoi

Mme CHAMPALAUNE, présidente

Arrêt n° 770 F-D

Pourvoi n° F 24-12.314

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 NOVEMBRE 2025

M. [V] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 24-12.314 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna (BNP Paribas Pologne), société anonyme, dont le siège est [Adresse 3] (Pologne),

2°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

3°/ à la société BNP Paribas Hongrie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4] (Hongrie),

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Corneloup, conseillère, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de M. [H], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna (BNP Paribas Pologne), BNP Paribas et BNP Paribas Hongrie, après débats en l'audience publique du 7 octobre 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, présidente, Mme Corneloup, conseillère rapporteure, Mme Guihal, conseillère doyenne, et Mme Vignes, greffière de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée de la présidente et des conseillères précitées, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 2023), à la suite d'un démarcharge, M. [H] a effectué plusieurs virements vers différents comptes ouverts dans les livres de la société BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna SA (BNP Paribas Pologne) en contrepartie desquels il a reçu, de la part de deux clientes de la société BNP Paribas Roosevelt (BNP Paribas Hongrie), des sommes correspondant à la rentabilité mensuelle des deux premiers investissements.

2. Les fonds investis ayant été détournés, M. [H], estimant avoir été victime d'une escroquerie, a assigné en responsabilité les sociétés BNP Paribas France en sa qualité de société mère, BNP Paribas Pologne et BNP Paribas Hongrie (ensemble les sociétés BNP Paribas).

3. Les trois sociétés BNP Paribas ont soulevé l'incompétence territoriale des juridictions françaises au profit de la juridiction polonaise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [H] fait grief à l'arrêt de déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître de ses demandes à l'encontre des sociétés BNP Paribas Pologne et BNP Paribas Hongrie, alors « qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que selon la Cour de justice de l'Union européenne, les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage, pour connaître d'une telle action, notamment lorsque ledit dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions ; que toutefois, ce critère ne saurait être, à lui seul, qualifié de ''point de rattachement pertinent'' ; que c'est uniquement dans la situation où les autres circonstances particulières de l'affaire concourent également à attribuer la compétence à la juridiction du lieu de matérialisation d'un préjudice purement financier qu'un tel préjudice pourrait, d'une manière justifiée, permettre au demandeur d'introduire l'action devant cette juridiction ; que pour exclure la compétence des juridictions françaises, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés des premiers juges, que parce que ''le compte récepteur des fonds a été ouvert dans une banque établie en Pologne'', ''dès lors, le lieu de mise en œuvre des obligations de cet établissement bancaire et donc d'un éventuel défaut de vigilance de sa part lors de l'ouverture du compte, voire à l'occasion de son fonctionnement, est situé dans cet État membre'', qu'''étant donné la nature du préjudice allégué par M. [H] tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage est celui de l'appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir le compte ouvert dans les livres de la société de droit étranger située dans l'État membre précité'', et qu'un raisonnement identique doit être retenu s'agissant de la BNP Paribas Hongrie ''qui se voit reprocher d'avoir participé à la soustraction des fonds exposée ci-dessus en donnant une apparence de crédibilité à l'opération d'investissement en effectuant deux versements depuis son siège social situé en Hongrie sur le compte du demandeur'' ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le préjudice purement financier s'était réalisé directement sur un compte bancaire de Monsieur [H] ouvert en France, de sorte qu'il lui appartenait, pour exclure la compétence des juridictions françaises, de rechercher si les autres circonstances particulières de l'affaire ne concouraient pas à attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation de ce préjudice, sans se contenter, comme elle l'a fait, de se référer au lieu d'ouverture du compte récepteur des fonds et de leur appropriation indue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7, § 2, du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis). »

Réponse de la Cour

Vu l'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis) :

6. Aux termes de ce texte, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

7. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la notion de « lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de telle sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces deux lieux (CJCE, arrêt du 30 novembre 1976, Handelskwekerij Bier / Mines de potasse d'Alsace, 21/76).

8. La Cour de justice a également dit pour droit que les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes, au titre de la matérialisation du dommage allégué, lorsque celui-ci se réalise directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions (CJUE, arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C-375/13) et que les autres circonstances particulières de cette situation concourent également à attribuer une compétence auxdites juridictions (CJUE, arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding, C-12/15 ; CJUE, arrêt du 12 septembre 2018, Löber, C-304/17). Le juge doit s'assurer que le lieu de la matérialisation du dommage ainsi identifié permet à la fois au demandeur d'identifier facilement la juridiction qu'il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (CJUE, arrêt du 12 mai 2021, Vereniging van Effectenbezitters, C-709/19).

9. Pour déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître de la demande à l'encontre de la société BNP Paribas Pologne, l'arrêt retient, par motifs adoptés, après avoir constaté que M. [H] a passé trois ordres de virements à destination de comptes ouverts dans les livres de cette société, qu'au regard de la nature du préjudice allégué, tenant en une soustraction des sommes destinées à être investies, le lieu de survenance du dommage est celui de leur appropriation indue par le dépositaire des fonds, à savoir le compte ouvert dans les livres de la société BNP Paribas Pologne.

10. S'agissant de la demande dirigée contre la société BNP Paribas Hongrie, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le même raisonnement s'applique à l'égard de cette société, qui se voit reprocher d'avoir participé à la soustraction des fonds en donnant une apparence de crédibilité à l'opération d'investissement en effectuant deux versements depuis son siège social situé en Hongrie sur le compte du demandeur, et que la concernant, les critères de rattachement à prendre en considération sont identiques à ceux retenus pour la société BNP Paribas Pologne.

11. En statuant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que tous les versements avaient été effectués depuis un compte ouvert en France, de sorte que le préjudice purement financier s'était réalisé en France, et qu'elle avait relevé que M. [H] était domicilié en France, qu'il avait conclu le contrat d'investissement à la suite d'un démarchage en France et que son interlocutrice directe était une société française, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il résulte de ce qui précède qu'au sens de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis, le dommage s'est matérialisé en France. Ce lieu permet au demandeur d'identifier facilement la juridiction qu'il peut saisir et aux défendeurs, qui avaient ouvert dans leurs livres un compte recevant des versements en provenance de la France ou émettant des versements à destination de la France, de prévoir raisonnablement qu'ils pourraient être attraits, au titre de leur devoir de vigilance, devant les juridictions françaises, de sorte que celles-ci sont compétentes pour statuer sur les demandes de M. [H] à l'encontre des sociétés BNP Paribas Pologne et BNP Paribas Hongrie.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare les juridictions françaises incompétentes pour connaître des demandes de M. [H] à l'encontre des sociétés BNP Paribas Pologne - BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna, et BNP Paribas Hongrie, et en ce qu'il statue sur les dépens de l'incident et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DÉCLARE les juridictions françaises compétentes pour connaître des demandes formées par M. [H] contre les sociétés BNP Paribas Pologne - BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna, et BNP Paribas Hongrie ;

DIT que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Paris ;

Condamne les sociétés BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna, BNP Paribas Hongrie et BNP Paribas aux dépens, en ce compris ceux de l'incident exposés devant la cour d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés BNP Paribas Bank Polska Spó ka Akcyjna, BNP Paribas Hongrie et BNP Paribas et les condamne in solidum à payer à M. [H] la somme globale de 3 500 euros au titre des instances suivies tant devant la Cour de cassation que devant la cour d'appel de Paris ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-six novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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