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Décisions

CA Colmar, ch. 4 a, 18 novembre 2025, n° 22/01484

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 22/01484

18 novembre 2025

GLQ/KG

MINUTE N° 25/851

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à France Travail

Grand Est

le 18 novembre 2025

La greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRÊT DU 18 NOVEMBRE 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01484

N° Portalis DBVW-V-B7G-H2B3

Décision déférée à la Cour : 09 Mars 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Schiltigheim

INTERVENANTES VOLONTAIRES et INTIMÉES SUR APPEL INCIDENT :

La S.E.L.A.R.L.U. [T], représentée par Me [P] [T],

ayant siège [Adresse 4]

et la S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE - Mandataires judiciaires, représentée par Me [O] [M] ou Me [F] [W],

ayant siège [Adresse 2]

ès qualités de liquidateurs judiciaires de la S.N.C. BLUNTZER

ayant siège [Adresse 1]

représentées par Me Guillaume HARTER de la SELARL LX COLMAR, avocat à la cour

INTIMÉ et APPELANT SUR APPEL INCIDENT :

Monsieur [Y] [V]

demeurant18A [Adresse 6]

Représenté par Me Mathieu EHRHARDT, avocat au barreau de Saverne

APPELÉE EN INTERVENTION FORCÉE :

L'Association AGS - CGEA DE [Localité 5]prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 3]

Non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Septembre 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Edgard PALLIERES et M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseillers.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Christine DORSCH, Président de Chambre

M. Edgard PALLIERES, Conseiller

M. Gurvan LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre, et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE

Au mois de novembre 1987, M. [Y] [V] a été embauché par la société RINALDI STRUCTAL dont l'activité a été reprise par la société BLUNTZER au cours de l'année 2003. Il occupait un emploi de conducteur de travaux.

Par courrier du 15 juillet 2019, la société BLUNTZER a convoqué M. [V] pour un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 26 juillet 2019.

Par courrier du 09 août 2019, la société BLUNTZER a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave.

Le 12 février 2020, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Saverne pour contester le licenciement.

Par jugement du 30 juin 2020, le conseil de prud'hommes de Saverne s'est déclaré territorialement incompétent et a renvoyé l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Schiltigheim.

Par jugement du 09 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Schiltigheim a :

- dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société BLUNTZER au paiement des sommes suivantes :

* 7 894,62 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 789,46 euros brut au titre des congés payés y afférents,

* 25 876,61 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 2 587,66 euros à titre d'indemnité de licenciement majorée en application de la convention collective,

* 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dit que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter du 14 février 2020 et les créances indemnitaires à compter du jugement,

- débouté M. [V] de sa demande de paiement d'heures supplémentaires,

- débouté la société BLUNTZER de ses demandes,

- condamné la société BLUNTZER aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BLUNTZER a interjeté appel le 12 avril 2022.

Par jugement du 25 octobre 2022, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société BLUNTZER.

Dans les conclusions du 1er juin 2023, la SELARL MJ SYNERGIE et la SELARLU [T] ont déclaré intervenir à l'instance.

Par acte signifié le 02 octobre 2024, l'association CGEA - AGS Nord Est a été appelé en intervention forcée.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 02 septembre 2025.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juin 2023, la SELARL MJ SYNERGIE et la SELARLU [T] demandent à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et, statuant à nouveau, de le débouter de ses demandes. A titre subsidiaire, elles demandent à la cour de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse. En tout état de cause, elles demandent à la cour de le condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 septembre 2024, M. [V] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre des heures supplémentaires et, statuant à nouveau, de :

- condamner la société BLUNTZER au paiement de la somme de 264,72 euros brut au titre des heures supplémentaires, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

- subsidiairement, fixer sa créance salariale à ce montant,

- condamner la société BLUNTZER, représentée par son liquidateur, aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt commun et opposable à l'AGS.

Bien que régulièrement appelée en intervention forcée par remise de l'acte à une personne habilitée à le recevoir, l'AGS n'a pas constitué avocat. En conséquence, le présent arrêt sera réputé contradictoire en application de l'article 474 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l'espèce, le mandataire judiciaire produit le décompte remis par le salarié lors de l'entretien préalable duquel il résulte que M. [V] aurait effectué 14,5 heures supplémentaires au cours des mois de juin et juillet 2019. Ces éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre.

Le mandataire judiciaire ne produit aucun élément permettant de considérer que l'employeur aurait respecté son obligation de contrôle du temps de travail du salarié ni que le décompte du salarié serait erroné et qu'il n'aurait pas effectué ces heures supplémentaires. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de cette demande et le montant de la créance de M. [V] au passif de la liquidation judiciaire de la société BLUNTZER sera fixé à 264,72 euros bruts, avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2020, date de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes, étant rappelé par ailleurs que le cours des intérêts légaux est interrompu par le jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Sur le licenciement

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige et il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave d'en rapporter la preuve.

Dans la lettre de licenciement du 09 août 2019, l'employeur reproche les faits suivants au salarié :

- s'être rendu à une réunion de chantier le 02 mai 2019, alors que cela n'était pas prévu et y avoir annoncé des informations inexactes concernant le planning, ce qui a eu pour conséquence le maintien de pénalités de retard de 78 000 euros,

- le 24 avril 2019, avoir mis cinq heures pour prendre les cotes de traverses d'angle d'un restaurant panoramique, cotes qui se sont avérées fausses.

- avoir mis six semaines à prendre les cotes de bavettes pour lancer leur fabrication, cotes qui se sont avérées fausses, et, à cette occasion, s'être mis en danger et avoir mis en danger un collègue de travail en tenant ce collègue par le pantalon au-dessus du vide,

- avoir attendu quatre semaines pour effectuer la pose d'un garde-corps, l'opération ayant finalement été réalisée en urgence par son supérieur, ce qui a engendré un surcoût,

- suite à la pose d'un mur rideau panoramique, avoir affirmé que la structure était prête à recevoir les vitrages alors que les traverses d'angle n'étaient pas fixées et qu'il manquait des boulons et ne pas avoir réalisé les actions nécessaires à la sécurisation de l'ouvrage,

- avoir quitté le chantier après le début de la pose de gardes corps en laissant son supérieur terminer seul cette tâche et en l'insultant lorsque celui-ci en a fait la remarque.

Sur la prescription

Vu l'article L. 1332-4 du code du travail,

M. [V] soulève la prescription des faits visés dans la lettre de licenciement. Le mandataire judiciaire s'y oppose en faisant valoir que l'employeur n'a eu pleinement connaissance des faits reprochés au salarié que le 12 juillet 2019, date d'un courriel adressé par M. [G], chef de chantier, dans lequel il fait état des difficultés qu'il a rencontrées avec M. [V] sur le chantier SWAM. Il résulte toutefois de ce courriel que le chef de chantier encadrait l'ensemble des salariés de l'entreprise intervenant sur le chantier, y compris M. [V]. En sa qualité de supérieur hiérarchique, il doit donc être assimilé à l'employeur au sens de l'article L. 1332-4 du code du travail, lequel est donc réputé avoir connaissance des faits reprochés par M. [V] lorsque ceux-ci ont été constatés par M. [G].

Le mandataire judiciaire produit par ailleurs un compte-rendu daté du 05 juillet 2019, suite à une visite inopinée du chantier SWAM réalisée le 02 juillet par un responsable technique. Par ce document, il informe l'employeur qu'il a constaté de graves anomalies dans la mise en 'uvre du mur rideau d'un restaurant panoramique. M. [V] ne soutient pas que l'employeur aurait été informé de ces éléments avant la transmission du rapport. Il en résulte que la société BLUNTZER n'a eu la pleine connaissance des faits reprochés au salarié qu'à compter du 05 juillet 2019. Il convient toutefois de vérifier la réalité de ce grief pour que la prescription des autres faits reprochés au salarié qui ont été portés à la connaissance de l'employeur plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire puisse être écartée.

Dans la lettre de licenciement, l'employeur relève que M. [V] a effectué la pose de la structure du mur rideau panoramique, qu'il a affirmé que la structure pouvait recevoir les vitrages mais que le responsable technique et le responsable travaux ont relevé différentes malfaçons, à savoir des traverses d'angle qui n'étaient pas fixées et des boulons manquants, et que ces anomalies n'ont pas été corrigées malgré une liste d'action à mener pour la mise en sécurité de l'ouvrage transmise par le responsable travaux.

Pour justifier de ce grief, le mandataire judiciaire produit le compte-rendu de visite rédigé le 05 juillet 2019 par le responsable technique qui constate de multiples anomalies sur la structure, notamment des éléments de fixation manquants ou mal posés, qui entraînent des risques élevés de chute de vitrage mettant en danger les occupants et les passants. Il relève à ce titre qu'un vitrage a effectivement chuté mais que le service technique n'a pas été informé de cet incident, ce qui n'a pas permis d'en analyser les causes. Il considère que ces défauts auraient dû être signalés au bureau d'études au fur et à mesure et qu'ils traduisent des manquements au niveau des contrôles de la pose sur chantier.

Pour contester la réalité du grief, M. [V] fait valoir qu'il n'a pas réalisé ces travaux qui avaient été confiés à un sous-traitant de l'entreprise et que la responsabilité de la surveillance du chantier incombait au chef de chantier, M. [G], auquel il appartenait de prendre les mesures correctives qui lui avaient été demandées par son supérieur hiérarchique. Il soutient par ailleurs qu'aucune demande d'intervention ne lui avait été adressée personnellement.

M. [V] produit toutefois un courriel du 30 avril 2019, intitulé " swam incident vitrage restau panoramique tombé et cassé " dans lequel il fait part de son analyse suite à la chute d'un vitrage de cet ouvrage. Il considère que cette chute résulte d'un manque de serreurs provisoires qui auraient été en outre mal positionnés et d'un problème de fiabilité des fixations, en précisant qu'il avait donné des consignes avant son départ en congés et signalé ces difficultés. Il ajoute qu'il a recontrôlé la mise en 'uvre du montage d'une grille pour laquelle il certifie l'absence de défaut de pause.

Ce courriel permet de constater que M. [V] était bien chargé de la surveillance et du contrôle de cette partie du chantier. Il apparaît également que, suite à la visite de contrôle du 02 juillet 2019, le responsable travaux a adressé le jour-même la liste des six reprises à effectuer à la fois à M. [A] et à M. [V], qui était donc parfaitement informé de ces consignes. Dans un courriel du 15 juillet 2019, le responsable travaux constate pourtant que l'ensemble des reprises n'a pas été effectué. Le mandataire judiciaire produit par ailleurs la fiche de poste, signée par M. [V], qui prévoit notamment que le conducteur de travaux " assure la bonne exécution sur chantier (qualité) ".

Au vu de ces éléments, la société BLUNTZER démontre la réalité du grief relatif aux travaux du mur rideau du restaurant panoramique. Ce grief ayant été porté à la connaissance de l'employeur moins de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, il en résulte que les autres faits fautifs visés dans la lettre de licenciement ne sont pas non plus couverts par la prescription.

Sur les autres griefs

- Sur la participation à une réunion de chantier le 02 mai 2019 :

L'employeur explique que le salarié a communiqué des informations inexactes lors de cette réunion et que sa présence, qui n'était pas prévue, a provoqué une panique chez le client qui s'est traduite par le maintien de pénalités de retard à hauteur de 78 000 euros. Il considère que le salarié a outrepassé ses fonctions et qu'il a manqué à son devoir de réserve figurant dans un code de bonne conduite.

M. [V] conteste ce grief en faisant valoir qu'il n'a pas participé à une véritable réunion de chantier, dont l'employeur aurait été nécessairement avisé, mais qu'il a donné des informations essentiellement techniques au client présent sur le chantier, ce que rien n'interdisait.

Il résulte du courriel de M. [G] du 12 juillet 2019 que M. [V] l'a informé qu'une réunion avec ce client s'était mal passée parce qu'il n'avait pas les informations nécessaires, qu'il s'était donc énervé et qu'il était parti en claquant la porte. Le chef de chantier explique qu'il a alors recadré le salarié en s'étonnant de ne pas avoir été informé au préalable de sa présence lors de cette réunion et qu'il lui a fallu six heures de travail pour rattraper la situation.

Le mandataire judiciaire produit par ailleurs un courriel adressé le 03 mai 2019 par le client concerné dans lequel il est mentionné que, la veille, M. [V] a transmis des éléments relatifs au planning de certains travaux en indiquant une fin de prestation le 15 juillet suivant. Le client indique notamment dans son message : " libération le 15/07 !!! sans avancement sur les autres prestations. Effectif insuffisant ! Est-ce que BLUNTZER a un planning regroupant la fin de chaque prestation, les réglages, les remplacements de vitrage, etc. En faisant une brève planification, BLUNTZER terminera ces prestations en septembre ! ". Le mandataire judiciaire justifie également des pénalités dont a fait l'objet l'entreprise en produisant un tableau de situation des travaux daté du 19 décembre 2018.

Il convient toutefois de constater que les pénalités avaient été appliquées plusieurs mois avant l'échange reproché à M. [V]. Par ailleurs, si le mandataire judiciaire soutient que l'intervention du salarié aurait amené le client à refuser la levée de ces pénalités que l'entreprise cherchait à obtenir, cette affirmation n'est étayée par aucun élément.

Par ailleurs, si le code de bonne conduite communiqué à M. [V] prévoit un devoir de réserve et une obligation de confidentialité, celle-ci porte sur la fourniture " des informations internes et confidentielles du type budget aux partenaires commerciaux (sous-traitant et autres fournisseurs ", seule étant autorisée la communication d'informations générales permettant une négociation optimale. Aucun élément ne permet de rattacher la communication à un client d'informations relatives au planning des travaux, telle que reprochée à M. [V], à une violation de ce code de bonne conduite. Il sera en outre relevé que la fiche de fonction de conducteur de travaux prévoit que, parmi les missions principales et activités, figure la représentation de l'entreprise au titre de la partie administrative du suivi du chantier.

Au vu de ces éléments, il apparaît que la présence de M. [V] à cette réunion relevait bien de ses fonctions et l'employeur ne démontre pas que le salarié aurait dû l'en informer au préalable son supérieur hiérarchique ni que son intervention auprès du client aurait entraîné des conséquences préjudiciables pour l'entreprise, notamment au plan financier. Il convient en conséquence d'écarter ce grief dont la réalité n'est pas démontrée.

- Sur la prise des cotes des traverses d'angle du restaurant panoramique :

L'employeur reproche à M. [V] d'avoir mis cinq heures pour prendre des cotes qui se sont avérées erronées et qui ont été reprises ultérieurement par un alternant en trois heures seulement. M. [V] fait toutefois valoir qu'il ne disposait pas de toutes les informations et produit un nouveau plan transmis par le bureau d'études le 25 avril 2019 dont il n'est pas contesté qu'il concerne les traverses d'angle en question.

Le mandataire judiciaire ne produisant pas d'élément permettant de démontrer que le salarié disposait de tous les éléments nécessaires à cette opération, il échoue à établir la réalité de ce grief.d

- Sur les erreurs et mises en danger lors de la prise de cotes de bavettes :

Dans la lettre de licenciement, l'employeur explique que M. [V] avait été missionné pour prendre les cotes des bavettes du plot A, qu'il a mis six semaines pour déterminer des cotes et que celles-ci se sont avérées fausses à la réception du matériel mis en fabrication, ce qui a nécessité une modification du matériel sur le chantier et a occasionné un retard de deux semaines. L'employeur reproche également au salarié d'avoir pris certaines cotes à genou face au vide et de les avoir faites reprendre par un collègue en le tenant par le pantalon, manquant ainsi à son obligation de sécurité à l'égard de lui-même et à l'égard de son collègue.

Le supérieur hiérarchique de M. [V] atteste que ces opérations représentaient trois jours de travail complet et le salarié ne conteste pas le délai anormal pris pour réaliser cette opération ni l'erreur dans le relevé des cotes.

S'agissant du non-respect des règles de sécurité, M. [V] ne conteste pas les conditions dans lesquelles il a réalisé la prise des cotes, seul dans un premier temps puis avec l'aide d'un collègue de travail. Il soutient qu'il aurait sollicité la mise à disposition d'une nacelle télescopique qui lui aurait été refusée. S'il produit une attestation en ce sens du salarié qui l'avait accompagné pour prendre les cotes, cette affirmation est toutefois contestée par le chef de projet qui a rédigé une attestation en ce sens.

Il résulte également de cette attestation qu'un système de sécurité permettant de sécuriser l'opération était disponible sur le chantier, ce que M. [V] reconnaît. Le salarié soutient en revanche que ce matériel n'était pas utilisable au motif qu'il était susceptible d'occasionner des traces et des dommages sur le faux-plafond et que le peintre aurait refusé sa mise en 'uvre. Il ne produit toutefois aucun élément permettant de démontrer une telle impossibilité d'utiliser ce dispositif ni qu'il aurait alerté l'employeur sur cette difficulté. Sa fiche de fonction prévoit pourtant que le conducteur de travaux doit alerter sa hiérarchie en cas de problème ou de manque de moyens sur le chantier. M. [V] bénéficiait en outre d'une délégation de pouvoirs et de responsabilités qui lui faisait obligation de décider des mesures à prendre pour assurer la sécurité, obligation qu'il n'a manifestement pas respectée. Ce grief apparaît donc établi.

- Sur la pose d'un garde-corps :

Le mandataire judiciaire produit un planning communiqué à M. [V] le 24 juin 2019 qui prévoyait la pose de ce garde-corps par le salarié. Dans le courriel adressé à l'employeur le 12 juillet 2019, M. [G] explique qu'il a dû réaliser lui-même en urgence l'opération avant un passage de la commission de sécurité parce que M. [V] trouvait systématiquement un prétexte pour décaler cette opération qui nécessitait l'intervention d'un maçon et la mise en place d'un système de levage.

M. [V] soutient que le retard était dû aux sous-traitants et que la responsabilité de l'organisation et de la coordination du chantier incombait à M. [G]. Il ne produit toutefois aucun élément permettant de démontrer que le retard de cette opération ne lui était pas imputable, étant constaté que sa fiche de fonction lui donne notamment pour mission de veiller au respect des délais et d'encadrer les sous-traitants sur le chantier. Le grief apparaît donc établi.

- Sur le comportement irrespectueux à l'égard de son supérieur hiérarchique :

Cet élément est établi par le courriel adressé le 17 juillet 2019 par M. [G] à son supérieur pour signaler le comportement de M. [V] qui, lorsqu'il lui a reproché de ne pas avoir réalisé une mission qui lui avait été confiée, lui a répondu " ferme ta gueule, ferme ta gueule " puis " petite merde, tu ne sais rien ".

Il résulte de ces éléments que le mandataire judiciaire démontre la réalité d'une partie des griefs reprochés à M. [V], à savoir ceux relatifs aux travaux du mur rideau du restaurant panoramique, aux erreurs et mises en danger lors de la prise de cotes de bavettes, au retard dans la pose d'un garde-corps et au comportement irrespectueux à l'égard de son supérieur hiérarchique. Ces griefs, dont deux d'entre eux sont en lien avec des manquements aux règles de sécurité, apparaissent suffisamment graves pour justifier le licenciement et pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de différentes indemnités au titre du licenciement, M. [V] étant débouté de l'ensemble des demandes formées à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société BLUNTZER aux dépens et au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Compte tenu de l'issue du litige, il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens qu'elle aura exposés et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, Chambre sociale, statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Schiltigheim du 09 mars 2022 en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

FIXE la créance de M. [Y] [V] au passif de la procédure collective de la S.N.C. BLUNTZER à 264,72 euros brut (deux cent soixante-quatre euros et soixante-douze centimes) au titre d'un rappel d'heures supplémentaires, avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2020 ;

DÉBOUTE M. [Y] [V] de ses demandes au titre de la contestation du licenciement ;

DÉCLARE l'arrêt opposable à l'association CGEA - AGS Nord Est ;

LAISSE les dépens à la charge de la partie qui les aura exposés ;

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière, Le Président,

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