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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 19 novembre 2025, n° 25/00589

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 25/00589

19 novembre 2025

N° RG 25/00589 - N° Portalis DBV2-V-B7J-J4JF

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 19 NOVEMBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

23/00104

juge de la mise en état de [Localité 8] du 13 février 2025

APPELANTE :

SCI BPM

RCS de [Localité 8] 535 242 135

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et assistée de Me Luc MASSON, avocat au barreau de Rouen

INTIMES :

Monsieur [D] [W]

né le 14 janvier 1974 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté et assisté de Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen

Madame [B] [U]

née le 31 août 1978 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée et assistée de Me Florence DELAPORTE, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 septembre 2025 sans opposition des avocats devant Mme WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER, cadre greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 10 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 novembre 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 19 novembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent à cette audience.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte authentique du 4 juillet 2019, M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] ont acquis auprès de la Sci Bpm une maison d'habitation située [Adresse 6] ([Adresse 3]).

Lors de la régularisation de l'acte authentique, M. [W] et Mme [K] [N] ont été informés que l'immeuble avait fait l'objet d'un contrat de construction entre la Sci Bpm et la Sas Cdr constructions, assurée auprès de la Smabtp au titre de l'assurance dommages-ouvrage.

Dès la fin de l'année 2019, M. [W] et Mme [K] [N] ont été victimes d'inondations, d'une infiltration et ont constaté la présence de nombreux désordres. Ils ont fait appel à un architecte qui a établi un rapport le 30 juin 2020 évoquant l'existence de désordres affectant la maison.

En janvier, mai et juillet 2020, M. [W] et Mme [K] [N] ont procédé à des déclarations de sinistres auprès de l'assureur dommages-ouvrage, la Smabtp, qui a dénié sa garantie. Le 10 août 2020, la Smabtp a désigné M. [R], en qualité d'expert amiable. A la suite du dépôt du rapport d'expertise amiable le 3 novembre 2020, la Smabtp a maintenu une position de non-garantie.

Par actes d'huissier de justice du 4 juin 2021, M. [W] et Mme [K] [N] ont assigné en référé les sociétés Bpm, [T] promotion, Dr, Cdr constructions et la Smabtp en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de la Sas Cdr constructions aux fins d'expertise. Par ordonnance du 20 juillet 2021, M. [V] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.

Par actes extrajudiciaires des 21,26 et 28 décembre 2022, M. [W] et Mme [K] [N] ont assigné devant le tribunal judiciaire de Rouen les sociétés BPM, [T] promotion, Dr, Smabtp et Allianz Iard.

Par ordonnance contradictoire du 13 février 2025, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen a':

- déclaré recevable la demande de provision à hauteur de 20'000 euros formulée par M. [W] et Mme [K] [N],

- ordonné le sursis à statuer en l'attente du rapport d'expertise judiciaire de M. [V],

- réservé les dépens,

- condamné la Sci Bpm à verser à M. [W] et Mme [K] [N] la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné le retrait du dossier du rôle des affaires de la juridiction,

- dit que l'instance sera réinscrite par simples conclusions.

Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2025, la Sci Bpm a interjeté appel de cette ordonnance.

Par décision du président de chambre du 8 avril 2025, l'affaire a été fixée suivant les dispositions des articles 906 et suivants du code de procédure civile.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2025, la Sci Bpm demande à la cour, au visa de l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de':

- annuler l'ordonnance rendue le 13 février 2025 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen, en ce qu'elle méconnaît le principe d'impartialité et le droit à un procès équitable,

à titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance rendue le 13 février 2025 en ce qu'elle déclare recevable la demande de provision à hauteur de 20 000 euros formulée par M. [W] et Mme [K] [N], qu'elle retient que « l'obligation de la société Bpm est non sérieusement contestable de sorte qu'une provision à hauteur de 20 000 euros sera accordée » et qu'elle condamne la société Bpm à payer à M. [W] et Mme [K] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article

700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau des chefs infirmés, au visa de l'article 789 alinéas 2 et 3 du code de procédure civile,

- débouter M. [W] et Mme [K] [N] de leur demande de provision et de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [W] et Mme [K] [N] de leur appel incident,

en tout état de cause,

- condamner M. [W] et Mme [K] [N] à payer à la Sci Bpm la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés pour assurer sa défense en première instance et en appel dans la procédure d'incident,

- condamner M. [W] et Mme [K] [N] aux dépens de l'incident et autoriser Me Luc Masson à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l'avance, dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.

Après avoir rappelé les différentes décisions prises par le juge chargé du contrôle des expertises depuis 2021, elle souligne que ce magistrat a fixé, sans respecter le principe du contradictoire, une provision à la charge de la Sci à valoir sur les honoraires de l'expert et a répondu au conseil qui l'interrogeait, par lettre du 15 mars 2023 qu'il ne s'agissait pas d'une erreur'; qu'il était ainsi apporté une modification de l'ordonnance du juge des référés ayant mis les frais de l'expertise à la charge des demandeurs, M. [W] et Mme [K] [N] sans aucune raison objective ni motif légitime'; que faute pour elle d'exécuter l'ordonnance, le juge a indiqué que l'expert serait invité à déposer son rapport afin que la juridiction en tire toute conséquence. Elle ajoute que dans le cadre d'une première demande de provision, et nonobstant une demande de renvoi fondée sur l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le même magistrat a statué même si alors il a rejeté la demande de provision'; que l'ordonnance entreprise mettant à la charge de la Sci une provision de 20'000 euros a été rendue par le même magistrat'; que les interventions du magistrat en qualité de juge chargé du contrôle des expertises et de juge de la mise en état mettent en cause objectivement son impartialité et laisse penser que ce dernier a anticipé une décision au fond.

Elle précise qu'il ne s'agit pas d'une mise en cause personnelle du juge ou de critiques qui reposeraient sur des éléments subjectifs mais du non-respect au sens strict de l'article 6 susvisé ce d'autant plus que dans l'ensemble des décisions examinées, seule la Sci Bpm en qualité de maître d'ouvrage est visée alors que sa responsabilité est loin d'être établie. Elle demande donc l'annulation de la décision entreprise.

Subsidiairement, elle explique qu'elle était maître d'ouvrage dans l'opération de construction de l'immeuble vendu en 2019 à M. [W] et Mme [K] [N]'; qu'elle ne peut qu'être considérée comme «'réputée constructeur'» au sens de l'article 1792-1 alinéa 2 du code civil'; que dans leurs conclusions d'incident devant le juge de la mise en état M. [W] et Mme [K] [N] n'ont formé de demande de provision qu'à l'égard de la Sci Bpm et ont fixé le cadre juridique de leur demande en visant les dispositions des alinéa 2 et 3 de l'article

789 du code de procédure civile'; que la demande de provision à hauteur de

20'000 euros est fondée sur les mêmes moyens que ceux qui ont été soutenus précédemment devant le juge de la mise en état pour solliciter une première condamnation de la Sci Bpm au paiement d'une provision de 12'000 euros'; que cette demande a été rejetée par ordonnance du 14 décembre 2023, non frappée d'appel de sorte que bien que l'ordonnance du 14 décembre 2023 n'ait pas l'autorité de la chose jugée, elle faisait néanmoins obstacle à une nouvelle demande similaire fondée sur les mêmes moyens en l'absence d'éléments nouveaux.

Elle ajoute que M. [W] et Mme [K] [N] soutiennent en vain que la note de synthèse de l'expert en date du 27 octobre 2023 constituerait un élément nouveau justifiant la condamnation de la Sci Bpm au paiement d'une provision de 20'000 euros'au titre des manquements du maître de l'ouvrage ; qu'il est impossible qu'aucune étude n'ait été fournie par les professionnels avec la demande de permis de construire qui n'aurait pas été accordée en application de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme'; que la société Dr, sous-traitant de la société Cdr, est tenue à une obligation de résultat et devait assurer l'exécution des travaux conformément aux règles de l'art et aux prescriptions techniques en vigueur'; que c'est à tort que les intimés lui reprochent «'l'absence de production de pièces essentielles'» alors qu'elle ne les détient pas en sa qualité de maître d'ouvrage et qu'elle a toujours soutenu que les travaux relatifs à la gestion des eaux pluviales avaient été réalisés par la société Cdr et/ou son sous-traitant.

Elle conclut que la demande de provision pour le procès n'est pas justifiée dès lors que l'article 696 du code de procédure civile laisse toute latitude au juge du fond pour décider de la charge des dépens'; que M. [W] et Mme [K] [N] ne peuvent, jusqu'à la décision du tribunal, prétendre bénéficier d'une créance non sérieusement contestable à l'encontre des divers défendeurs'; que la demande de provision sur le fondement de l'article 789 alinéa 3 du code de procédure civile doit être rejetée dès lors que l'obligation de la Sci Bpm est sérieusement contestable.

Par conclusions uniques notifiées 11 avril 2025, M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] demandent à la cour, au visa de l'article 789 du code de procédure civile, de':

- débouter la Sci Bpm de sa demande d'annulation de l'ordonnance rendue le 13 février 2025 par madame la juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Rouen (RG 23/00104),

par conséquent,

- confirmer l'ordonnance rendue le 13 février 2025 en ce qu'elle a':

. jugé recevable la demande de provision à hauteur de 20 000 euros formulée par M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] à l'encontre de la Sci Bpm,

. condamné la Sci Bpm à régler à M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant sur appel incident de M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] du fait de l'erreur en omission de statuer et en erreur matérielle, le terme « condamner la Sci Bpm » étant omis du dispositif, bien que figurant dans les motifs de l'ordonnance,

en conséquence,

- condamner la Sci Bpm à régler M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] la somme de 20 000 euros, à titre de provision, par application de l'article 789 du code de procédure civile,

- confirmer l'ordonnance rendue le 13 février 2025 pour le surplus.

y ajoutant,

- condamner la Sci Bpm à régler M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Sci Bpm aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction est requise au bénéfice de Me Florence Delaporte Janna, avocat.

Ils soutiennent que la Sci Bpm se prévaut d'une violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour solliciter l'annulation de la décision alors que les éléments de critique avancés ne reposent que sur des éléments purement subjectifs.

Ils exposent que la Sci Bpm est vendeur constructeur au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil'; qu'elle est un professionnel de la construction d'une part, et qu'elle n'avait souscrit aucune assurance dommages-ouvrage, d'autre part'; qu'elle est maître d'ouvrage initial et maître d'ouvrage d'autres travaux dans le cadre d'une opération de construction'; que le juge de la mise en état était compétent pour statuer conformément à l'article 789 du code de procédure civile sur la demande de provision contre la Sci Bpm.

Ils soutiennent que la Sci Bpm ne peut prétendre que la première ordonnance ayant rejeté une demande de provision le 14 décembre 2023 faisait obstacle à ce qu'une nouvelle demande indemnitaire fondée sur les mêmes moyens puisse être rendue en l'absence d'éléments nouveaux'; que la note de synthèse établie par M. [V], expert judiciaire, datée du 26 octobre 2023, soit avant la première audience de mise en état, est extrêmement précise quant aux imputabilités techniques, notamment à l'égard de la Sci Bpm'; que compte tenu des termes de cette note, leur demande de provision est recevable et fondée tant dans son principe que dans son quantum, d'autant que les consignations mises à la charge de la Sci Bpm n'ont jamais été réglées.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 10 septembre 2025.

MOTIFS

Sur la nullité de l'ordonnance entreprise

L'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

En l'espèce, le magistrat ayant prononcé l'ordonnance entreprise en qualité de juge de la mise en état a statué dans l'affaire en qualité de magistrat chargé du contrôle des expertises, au visa de l'article 269 du code de procédure civile, le 6 décembre 2022': il a ordonné le versement d'une provision complémentaire de 3'712,72 euros à la charge de la Sci Bpm dans le mois de la notification de l'ordonnance.

La Sci Bpm, non comparante dans le cadre de la procédure de référé ayant donné lieu à l'ordonnance du 20 juillet 2021 statuant sur la mesure d'expertise, n'est pas visée au titre des destinataires de la notification de la décision faite par le greffe le 21 décembre 2022.

Par lettre du 5 janvier 2023, le conseil de M. [W] et Mme [K] [N] a attiré l'attention du juge sur la difficulté. Par lettre du 6 janvier 2023, le conseil de la Sci Bpm avisé de l'ordonnance par son confrère le 23 décembre 2022 souligne que les observations formées par celui-ci le 24 novembre 2022 n'ont pas été portées à sa connaissance et que la mise à la charge de sa cliente de la provision résulte d'une erreur matérielle. Par courriel du 15 mars 2023, adressé aux avocats constitués dans le dossier et l'expert, le magistrat a précisé qu'il n'entendait pas revenir sur sa décision'en motivant comme suit':

«'J'attire votre attention sur le fait qu'il n'y a pas d'erreur, les époux [W] ont d'ores et déjà versé 4.764 euros, il m'est donc apparu opportun de mettre la provision complémentaire à la charge de la Sci BPM qui est officiellement active en l'absence de tout avis d'une éventuelle radiation communiqué à notre dossier.

Si la SCI BPM représentée par M [T] persiste à ne pas consigner (en dépit d'un avis de consignation qui lui a été adressé le 12 décembre nonobstant les indications contraires), j'invite Monsieur l'expert à l'acter dans son rapport afin que la juridiction de jugement puisse tirer toutes conclusions utiles pour la suite.'».

Par ordonnance du 14 février 2023, un autre magistrat a statué sur l'extension des opérations et sur la charge de la provision complémentaire de 500 euros imposée de nouveau à la Sci Bpm.

Par lettre du 9 mai 2023, le conseil des demandeurs à l'expertise saisissait le magistrat chargé du contrôle des expertises dont la décision en qualité de juge de la mise en état est critiquée pour dénoncer les difficultés posées par la Sci Bpm tant dans la «'transmission des pièces que pour le règlement des provisions'»': «'Je tenais à vous informer de ces difficultés car il ne m'apparaît pas normal que mes clients continuent de financer, à leurs frais avancés, la suite des opérations d'expertise dans ce contexte.'Je vous remercie de bien vouloir m'adresser la grosse exécutoire de l'ordonnance rendue le 06 Décembre 2022' ».

Par ordonnance du 14 décembre 2023, le magistrat, auteur de l'ordonnance entreprise, a débouté M. [W] et Mme [K] [N] de leur demande de provision à hauteur de 12'000 euros. Rappelant que les demandeurs à l'expertise invoquaient la multiplication des charges de l'expertise en raison de l'attitude morosive de la Sci Bpm qui ne produisait pas les pièces utiles, le juge de la mise en état a retenu que les diligences effectuées par l'expert judiciaire auprès de la maire compétente pour la délivrance du permis de construire avaient été vaines et que le juge chargé du contrôle des expertises avait considéré par ordonnance du 22 juin 2022 que les pièces étaient inexistantes.

Par conclusions d'incident du 3 juillet 2024, M. [W] et Mme [K] [N] ont de nouveau saisi le juge de la mise en état aux mêmes fins, le même magistrat ayant rendu l'ordonnance critiquée.

Par ordonnance du 28 février 2024, le même magistrat a ordonné le versement d'une provision complémentaire de 4'785,63 euros à la charge des demandeurs à l'expertise.

Il ressort de ces pièces produites tant par l'appelante que les intimés qu'en qualité de juge chargé du contrôle des expertises, le même magistrat a été conduit non seulement à prendre plusieurs décisions ordonnant des consignations complémentaires mais y a procédé dans un contexte conflictuel motivant des prises de position pour déterminer le débiteur de la provision, exigeant une analyse circonstanciée de la situation': il s'agit des décisions et du courriel des 6 décembre 2022, 15 mars 2023 et 28 février 2024 au vu des correspondances émises par les parties en novembre 2022, janvier et mai 2023.

Dans ce contexte, ce même juge a, en qualité de magistrat chargé de la mise en état, statué une première fois sur une demande de provision par ordonnance du 14 décembre 2023. L'objet de la demande émise était déjà alors la couverture provisionnelle des frais de procédure engagés par M. [W] et Mme [K] [N] dans le cadre de l'expertise. L'ordonnance attaquée du 13 février 2025 prononcée par l'intéressé a un objet identique.

Le magistrat, auteur de cette dernière décision, avait ainsi acquis en qualité de juge chargé du contrôle des expertises une connaissance et une analyse du dossier avant de statuer sur la demande de provision dont la finalité concernait également in fine la couverture des mêmes frais. Peu importent les montants débattus. L'objet de la procédure n'a pu être examiné par le juge de la mise en état que dans des conditions qui mettent en cause ne serait-ce qu'en apparence son impartialité, quelle que soit l'intégrité de la personne ayant tranché le litige.

Cette connaissance préalable du dossier dans lequel le magistrat a statué par ordonnance du 13 février 2025 constitue une violation du principe d'impartialité du juge posé par l'article 6 susvisé. La décision prise doit dès lors être déclarée nulle.

Sur l'octroi d'une provision

L'article 562 du code de procédure civile dispose en effet que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. Toutefois, la dévolution opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement.

Le premier juge a déclaré la demande recevable dans le dispositif de la décision, point critiqué en cause d'appel.

Depuis l'audience du 26 octobre 2023 devant le juge de la mise en état ayant abouti au prononcé de l'ordonnance de débouté du 14 décembre 2023, différents éléments nouveaux sont intervenus tant au titre du déroulement des opérations d'expertise qu'au titre du financement de la mesure.

Ainsi, l'expert a rédigé le 26 octobre 2023, jour de l'audience susvisée, une note de synthèse notifiée le même jour aux parties en visant les dires et documents à produire dans le délai imparti. M. [W] et Mme [K] [N] ont reçu notification le 28 février 2024 de l'obligation de consigner une provision complémentaire de 4'785,63 euros dans un délai de deux mois, la prolongation du délai pour le dépôt du rapport étant accordée jusqu'au 31 juillet 2024.

Les éléments postérieurs à l'ordonnance justifient la recevabilité de la prétention émise.

S'agissant du bien-fondé de la demande de provision, à défaut de mention dans le dispositif de l'ordonnance, il s'agit d'une omission de statuer au sens de l'article 463 du code de procédure civile, la cour étant saisie de ce chef au regard des prétentions émises par les demandeurs.

Pour soutenir leur demande de provision à hauteur de 20'000 euros afin de couvrir les frais d'expertise, M. [W] et Mme [K] [N] invoquent les difficultés créées par la Sci Bpm dans la production des pièces utiles aux opérations, des soucis majeurs pour obtenir une évaluation de la solution technique permettant de traiter de façon pérenne les désordres et le financement important avancé pour les opérations.

Le juge des référés ayant ordonné la mesure d'expertise a retenu que les demandeurs justifiaient d'un motif légitime en raison de l'humidité anormale et des inondations subies dans la maison d'habitation et a mis à leur charge l'avance des frais. A l'exception de l'agence immobilière ayant participé à la vente du bien, sont présents à la procédure':

- la Sci Bpm, maître d'ouvrage et venderesse de l'immeuble,

- la Sarl [T] promotion, maître d''uvre, qui a fait l'objet d'une liquidation amiable,

- la Sas Cdr constructions, titulaire du contrat de construction de la maison d'habitation,

- la Sas Dr, sous-traitante, qui vient aux droits des sociétés Drugeon Riout et Lemoine Tp,

- la Smabtp, assureur déniant sa garantie dommages-ouvrage,

- la Sa Allianz Iard, en sa qualité d'assureur de la Sarl [T] promotion,

- la Sa Qbe Europe, assureur de la Sas Dr.

En premier lieu, une ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises a statué sur une demande d'injonction de communication de pièces par ordonnance du 15 juin 2022.

En second lieu, les demandeurs à l'expertise justifient uniquement avoir payé au titre des provisions la somme de':

- 2 000 euros en exécution de l'ordonnance de référé initiale,

- 4'785,63 euros en exécution de l'ordonnance du 28 février 2024

soit 6 785,63 euros qui ne représente pas dès lors l'intégralité de la provision sollicitée.

S'agissant des opérations d'expertise, alors qu'elles sont toujours en cours, les intimés ne produisent aucune ordonnance récente, aucune pièce en 2025 relative d'une part aux perspectives de dépôt du rapport, notamment au regard des difficultés alléguées quant à la solution technique recherchée, d'autre part au coût total de la mission alors que l'expert a obligatoirement communiqué au juge tant pour la prolongation de la mesure que son financement des éléments actualisés après la dernière échéance connue du 31 juillet 2024.

Certes, la dernière note de synthèse de l'expert en date du 26 octobre 2023 confirme l'ampleur des dommages subis et pose les termes d'un débat sur la responsabilité des constructeurs. Toutefois, avant tout débat au fond, il est prématuré d'imputer à l'une des parties une provision correspondant, en tout ou partie, aux frais d'expertise, en l'espèce limités, à défaut de plus amples justificatifs à la somme de 6 785,63 euros. En effet, les imputabilités sont discutées et ne permettent pas en l'état de considérer que M. [W] et Mme [K] [N] bénéficient d'une créance non sérieusement contestable à l'encontre de la Sci Bpm.

Si en application de l'article 1792-1 du code civil, est réputé constructeur de l'ouvrage toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire, il ne peut être préjugé des responsabilités, ce d'autant plus qu'en l'espèce, la Sci Bpm a bénéficié de l'assistance d'une maîtrise d''uvre et de l'intervention des professionnels pour les opérations de construction, peut débattre de la cause étrangère. S'ils évoquent les difficultés tenant aux opérations d'expertise, M. [W] et Mme [K] [N] ne s'engagent pas dans le développement de leurs conclusions sur ces points.

En conséquence, la demande de provision sera rejetée.

Sur les frais de procédure

L'affaire ayant fait l'objet d'un sursis à statuer, le premier juge a réservé les dépens et condamné la Sci Bpm à payer la somme de 3'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la décision prise ci-dessus, la condamnation de la Sci Bpm à la somme de 3 000 euros correspondant à des frais irrépétibles sera infirmée.

En cause d'appel, M. [W] et Mme [K] [N] seront condamnés solidairement aux dépens, Me Masson étant autorisé à recouvrer ceux dont il aurait fait l'avance au visa de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure au profit de l'une des parties qui seront déboutées de leur prétention à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Déclare nulle l'ordonnance du juge de la mise en état n°RG 23/00104 du 13 février 2025,

Dans les limites de l'appel formé, statuant à nouveau,

Déclare recevable la demande de provision de M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] dirigée à l'encontre de la Sci Bpm,

Déboute M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] de leur demande de provision dirigée à l'encontre de la Sci Bpm,

Déboute les parties de leur demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] [W] et Mme [B] [K] [N] solidairement aux dépens, dont distraction au profit de Me Luc Masson.

Le greffier, La présidente de chambre,

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