Cass. 1re civ., 20 octobre 2021, n° 19-20.909
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Chauvin
Rapporteur :
Champ
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Colmar, 9 mai 2019 ), le 27 juillet 2011, la société Caisse d'épargne Grand Est Europe ( la banque ) a consenti à la société Casa Toscana ( l'emprunteur ) un prêt d'un montant de 417 000 euros, garanti par le cautionnement de M. [U] dans la limite de 201 100 euros et de sa soeur, Mme [U], dans la limite de 68 900 euros.
2. Le 10 décembre 2013, à la suite du placement en redressement de l'emprunteur, la banque a assigné en paiement M. et Mme [U]. Ceux-ci ont opposé la disproportion de leur engagement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de juger qu'elle ne peut se prévaloir du cautionnement de M. [U], alors « que pour considérer que la fiche patrimoniale de M. [U] comportait des anomalies apparentes relatives aux biens déclarés et que par suite son cautionnement était disproportionné au regard de ses seuls revenus, les juges du fond ont retenu le fait que l'intéressé a déclaré des plus-values, sur un intervalle de plusieurs années, relativement aux parts de la SCI et aux immeubles, le fait qu'il n'a pas précisé la répartition des parts de la SCI entre sa soeur et lui-même, et le fait qu'il a indiqué les hypothèques prises sur les immeubles ; qu'en statuant par ces considérations inaptes à caractériser des anomalies apparentes imposant à la banque de mettre en doute la véracité des informations déclarées par la caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Il résulte de ce texte qu'il incombe à la caution de rapporter la preuve de la disproportion manifeste de son engagement par rapport à ses biens et revenus à la date de sa souscription et que le créancier n'a pas, en l'absence d'anomalies apparentes, à vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des renseignements transmis.
5. Pour juger que la banque ne pouvait se prévaloir de l'engagement de caution de M. [U] d'un montant de 201 100 euros, l'arrêt constate que la fiche de solvabilité signée le 6 décembre 2011 mentionne, d'une part, des revenus à hauteur de 11 388 euros par an et la charge d'une échéance de prêt de 960 euros, d'autre part, la propriété de parts de la SCI [U] évaluées à 543 500 euros, valant 187 500 euros en 2008, grevées d'une hypothèque de 165 155 euros, d'un premier appartement évalué à 164 000 euros, valant 60 948 euros en 2003, grevé d'une hypothèque de 103 000 euros, d'un deuxième évalué à 90 000 euros, valant 43 959 euros en 2002, grevé d'une hypothèque de 36 451 euros et d'une résidence principale évaluée à 165 400 euros, grevée d'une hypothèque du montant de sa valeur. Il en déduit que ces écarts de valeurs et les hypothèques grevant ces biens sont autant d'anomalies qui auraient dû conduire la banque à s'interroger sur la portée des engagements.
6. En se déterminant ainsi, sans caractériser l'existence d'anomalies apparentes imposant à la banque de vérifier la véracité les informations déclarées par M. [U], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La banque reproche à l'arrêt de juger qu'elle ne peut se prévaloir du cautionnement de Mme [U], alors « que pour décider que la fiche patrimoniale de Mme [U] comportait des anomalies apparentes relatives aux biens déclarés et que par suite son cautionnement était disproportionné au regard de ses seuls revenus, les premiers juges ont retenu que les parts de la SCI étaient évaluées à 187 500 euros en 2008 et à 543 000 euros en 2011 et que leur ventilation entre Mme [U] et son frère n'était pas précisée ; qu'en statuant par ces motifs impropres à caractériser des anomalies apparentes imposant à la banque de mettre en doute la véracité des informations déclarées par la caution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
8. Il résulte de ce texte qu'il incombe à la caution de rapporter la preuve de la disproportion manifeste de son engagement par rapport à ses biens et revenus à la date de sa souscription et que le créancier n'a pas, en l'absence d'anomalies apparentes, à vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des renseignements transmis.
9. Pour juger que la banque ne pouvait se prévaloir de l'engagement de caution de Mme [U] d'un montant de 68 900 euros, l'arrêt énonce, par motifs adoptés, que la fiche de solvabilité signée le 29 septembre 2010 fait état de salaires annuels de 15 600 euros en 2010 neutralisés par des échéances de prêt d'environ 16 860 euros, augmentés de revenus fonciers annuels 24 000 euros et de la propriété d'un nombre indéterminé de parts de la SCI [U], dont la valeur a brusquement augmenté entre 2008 et le 29 septembre 2010. Il retient que ces écarts de valeurs et les hypothèques grevant ces biens, sont autant d'anomalies qui auraient dû conduire la banque à s'interroger sur la portée des engagements.
10. En se déterminant ainsi, sans caractériser l'existence d'anomalies apparentes imposant à la banque de vérifier les informations déclarées par Mme [U], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La banque fait grief à l'arrêt de juger qu'elle ne peut se prévaloir du cautionnement de M. [U], alors « que dès lors que la caution est mariée sous le régime de la communauté au jour du cautionnement, la proportionnalité de celui-ci doit s'apprécier au regard des biens et revenus communs, peu important que le régime matrimonial soit ou non indiqué dans la fiche de renseignements remplie par la caution ou porté ou non à la connaissance du créancier d'une autre façon ; qu'en refusant de prendre en compte les revenus de Mme [U] dans l'appréciation de la proportionnalité du cautionnement de son mari au motif que la fiche patrimoniale de ce dernier ne mentionnait pas le régime matrimonial des époux ( à savoir la communauté ), qui n'avait pas été porté à la connaissance de la Caisse d'épargne, quand ces circonstances n'autorisaient nullement à exclure de tenir compte du régime matrimonial existant au jour du cautionnement, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
12. Il résulte de ce texte que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie par rapport à ses biens propres et aux biens communs.
13. Pour juger que la banque ne pouvait se prévaloir de l'engagement de M. [U], marié sous le régime de la communauté, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération les revenus de l'épouse, dès lors que le régime matrimonial n'a pas été porté à la connaissance de la banque et qu'il n'est pas mentionné sur la fiche de solvabilité.
14. En statuant ainsi, alors que les biens communs, incluant les revenus de l'épouse, devaient être pris en compte dans l'appréciation de la disproportion invoquée, peu important que le régime matrimonial n'ait pas été indiqué dans la fiche de renseignements remplie par M. [U], la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. et Mme [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [U] et les condamne à payer à la société Caisse d'épargne Grand Est Europe la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.