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Décisions

Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-23.335

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mollard

Rapporteur :

Graff-Daudret

Cass. com. n° 21-23.335

14 mars 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 8 juillet 2021), par un acte du 11 mars 2015, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie Seine (la banque) a consenti à la société Sucré salé (la société) un prêt de 255 000 euros, destiné à financer la création d'un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie.

2. En garantie de ce prêt, M. [G] s'est rendu caution de la société dans la limite de 331 500 euros.

3. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution, qui lui a opposé la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de dire l'engagement de caution litigieux inopposable à M. [G] et de rejeter l'ensemble de ses demandes en paiement dirigées contre ce dernier, alors « que la valeur des parts qu'un propriétaire indivis détient dans un immeuble acquis au moyen d'un prêt souscrit solidairement par l'ensemble des indivisaires se calcule en rapportant la valeur de cet immeuble diminuée du montant de la dette commune au nombre de parts qu'il détient ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'au jour du cautionnement, M. [G] était propriétaire à 68 % d'une maison détenue en indivision avec sa compagne, d'une valeur totale de 210 000 euros et pour laquelle ils avaient souscrit solidairement un crédit immobilier dont l'encours s'élevait encore à 128 513,73 euros ; qu'après avoir exposé que "toute estimation d'une quote-part indivise, notariée par exemple, retient toujours la valeur nette (actif - passif) ramenée au taux de la quote-part évaluée", la banque soutenait que la valeur des droits de M. [G] dans l'immeuble s'élevait à la valeur de la maison diminuée de l'encours du prêt, rapportée au nombre de ses parts, soit 55 410 euros [(210 000 - 128 513,73) x 68/100] ; qu'en retenant, pour dire le cautionnement inopposable à M. [G], qu'un tel calcul "pourrait être retenu si la maison avait été vendue au moment de la signature de l'engagement de caution, laissant un solde après déduction du capital restant dû au titre du prêt" et qu'à défaut d'une telle vente, il convenait de fixer à 142 800 euros "(210 000 x 68 %)" la valeur des droits de M. [G], auxquels il restait encore à imputer la somme de 128 513,73 euros correspondant au solde du prêt souscrit solidairement, ce qui représentait un actif résiduel de14 286,27 euros, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l'article 815-17 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

6. Le crédit contracté par des indivisaires pour acquérir un bien indivis est une dette personnelle de ces derniers, et non une dette de l'indivision, dont ils sont, lorsqu'ils se sont engagés solidairement, chacun tenus pour le tout.

7. Il en résulte que, afin d'apprécier si l'engagement de caution d'une personne physique était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, il convient, lorsque cette personne était propriétaire indivis d'un bien, d'imputer la dette qu'elle avait contractée pour acquérir ce bien, non sur la valeur dudit bien, mais sur celle de sa part dans l'indivision.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'un créancier n'est déchu de son droit de se prévaloir de l'engagement de caution que si cet engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution ; qu'en se bornant à relever, pour dire le cautionnement inopposable à M. [G], que son endettement global s'élevait à 460 013,73 euros et était ainsi supérieur à la valeur optimisée de son patrimoine, représentant 458 874 euros, soit une différence entre l'actif et le passif de 1 112,73 euros, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à établir la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit, laquelle suppose que la caution se trouve, lorsqu'elle le souscrit, dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et ses revenus, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :

10. Pour dire l'engagement de caution de M. [G] manifestement « excessif » et rejeter les demandes en paiement de la banque contre ce dernier, l'arrêt retient qu'à sa date de souscription, la valeur du patrimoine de M. [G] s'élevait à un total de 458 874 euros, tandis qu'à cette même date, son endettement global atteignait la somme de 460 013,73 euros, supérieure à la valeur optimisée de son patrimoine.

11. En se déterminant par de tels motifs, impropres à établir la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit, laquelle suppose que la caution se trouve, lorsqu'elle le souscrit, dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. La banque fait encore le même grief à l'arrêt, alors « qu'un créancier n'est déchu de son droit de se prévaloir de l'engagement de caution que si cet engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution ; qu'en l'espèce, pour dire le cautionnement inopposable à M. [G], la cour d'appel s'est fondée sur le fait, d'une part, que son endettement global s'élevait 460 013,73 euros et était ainsi supérieur à la valeur optimisée de son patrimoine, représentant 458 874 euros, et, d'autre part, que son revenu mensuel net était de 1 018 euros en 2014 et qu'il n'était pas contesté que ses revenus de 2015 ne lui permettaient pas de faire face à son engagement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les revenus de M. [G] au jour de son engagement ne lui permettaient pas de faire face à la somme de 1 139,73 euros devant rester à sa charge après réalisation de son patrimoine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :

13. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que, lorsque M. [G] s'est engagé en qualité de caution, il se trouvait en situation de demandeur d'emploi depuis le 4 juin 2014, ses seules ressources étant constituées de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, et qu'au vu de son avis de non-imposition, son revenu mensuel net s'était élevé à seulement 1 018 euros en 2014. L'arrêt en déduit que les revenus de M. [G] en 2015 ne lui permettaient pas de faire face à son engagement de caution.

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les revenus de M. [G] au jour de son engagement de caution ne lui permettaient pas de faire face à la somme de 1 139,73 euros devant rester à sa charge après réalisation de son patrimoine, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne M. [G] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie Seine la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.

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