Cass. com., 2 février 2022, n° 20-18.725
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Rémery
Rapporteur :
Bélaval
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 9 juin 2020), la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne (la banque) a consenti à la société Serip un prêt professionnel d'un montant de 90 000 euros remboursable en soixante mensualités, la dernière échéance intervenant le 28 décembre 2016. Le 7 décembre 2011, M. [P] s'est rendu caution personnelle et solidaire de la société au titre de ce prêt, pour un montant maximal de 108 000 euros, et ce pour une durée de soixante mois, soit jusqu'au 28 décembre 2016. Le même jour, Mme [D] épouse [P] a donné son accord à ce cautionnement.
2. Par un jugement du 11 décembre 2012, la société Serip a été mise en procédure de sauvegarde. La banque a déclaré sa créance qui a été admise. Un plan de sauvegarde de la société a été arrêté, prévoyant le règlement des créances de la banque en dix annuités. Par un jugement du 9 février 2016, le plan de sauvegarde a été résolu et la société Serip a été mise en redressement judiciaire.
3. La banque a été autorisée à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. et Mme [P], et le 24 octobre 2016, elle a assigné M. et Mme [P] en exécution de l'engagement de caution.
4. Le 7 février 2017, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la société Serip.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La banque fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes et d'ordonner la mainlevée à ses frais de l'hypothèque provisoire, alors « que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire interdit toute action en paiement des créances nées antérieurement ; que le jugement d'ouverture ne peut entraîner à lui seul déchéance du terme ; qu'il n'emporte en revanche aucune suspension de l'exigibilité des obligations ; qu'en conséquence, les créances nées antérieurement peuvent devenir exigibles pendant la période d'observation, au terme initialement convenu et sans aucune déchéance du terme, étant uniquement observé qu'il est fait défense au créancier d'en exiger le paiement ; qu'en retenant pourtant, pour dire que l'obligation de restitution de la société Serip ne serait pas devenue exigible lors de la survenance de l'ultime échéance du prêt le 28 décembre 2016, que l'exigibilité des créances serait suspendue « pendant la période d'observation du redressement judiciaire » (arrêt, p. 5, pénultième alinéa), la cour d'appel a violé les articles L. 622-21, L. 622-29 et L. 631-14 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2292 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, on ne peut étendre un cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté. Sauf stipulation contraire limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier contre la caution, le fait que l'acte de cautionnement fixe une date limite mettant fin à l'obligation de couverture de la caution est sans incidence sur l'obligation de règlement de celle-ci qui reste tenue des dettes nées antérieurement à cette date et qui peut être poursuivie postérieurement lorsque la dette est exigible.
7. Pour débouter la banque de son action contre M. et Mme [P], l'arrêt, après avoir constaté que M. [P] s'était engagé à couvrir les dettes de la société Serip jusqu'au 28 décembre 2016 et qu'avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Serip, la déchéance du terme n'avait pas été prononcée, retient que toute dette de la société Serip exigible après le 28 décembre 2016 n'obligeait pas la caution, que l'exigibilité de la créance de la banque ne pouvait intervenir ni au cours de la procédure de sauvegarde, ni pendant la période d'observation du redressement judiciaire et n'était intervenue qu'avec le prononcé de la liquidation judiciaire, le 7 février 2017, et en déduit que le capital restant dû n'étant pas encore exigible au 28 décembre 2016, terme des dettes que la caution s'était engagée à garantir, cette dette, à la différence des intérêts de retard arrêtés au 10 décembre 2012 et des intérêts contractuels arrêtés au 8 mars 2016, n'obligeait pas la caution.
8. En statuant ainsi, alors que la créance de la banque tendant au remboursement du solde d'un prêt consenti au plus tard, selon les constatations de l'arrêt, en 2011, était née avant le 28 décembre 2016, date jusqu'à laquelle M. [P] s'était engagé à garantir le paiement des dettes de la société Serip, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. et Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [P] et les condamne à payer à la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.