CA Toulouse, 3e ch., 20 novembre 2025, n° 23/01187
TOULOUSE
Arrêt
Autre
20/11/2025
ARRÊT N° 571/2025
N° RG 23/01187 - N° Portalis DBVI-V-B7H-PLGV
SG/MT
Décision déférée du 14 Mars 2023 - Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de [Localité 5] - 22/00768
S.JEANSOUS
[E] [O]
C/
Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERROR ISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [E] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Guy DEBUISSON, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE
TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Damien DE LAFORCADE de la SELARL CLF, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2025 en chambre du conseil en vertu des articles 433 du code de procédure civile et 706-7 du code de procédure pénale, devant la Cour composée de :
E. VET, conseillère faisant fonction de présidente de chambre
P. BALISTA, conseiller
S. GAUMET, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : K. MOKHTARI
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et qui a fait connaître son avis par écrit.
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, présidente, et par K. MOKHTARI, greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE
Par arrêt de la cour d'assises du département de Haute-Garonne du 12 juin 2015, M. [Z] [N] a été déclaré coupable de six faits de viols, de deux faits d'agression sexuelle, d'un fait de menaces de mort avec ordre de remplir une condition, d'un fait de tentative d'homicide et d'un fait de vol commis au préjudice de sept victimes entre décembre 2011 et le 04 novembre 2012. Sa culpabilité a notamment été retenue du chef de viols sur la personne de Mme [E] [O] commis le 21 octobre 2012 à [Localité 6] (79). M. [N] a été condamné à la peine de 30 ans de réclusion criminelle,
Par arrêt civil du 7 septembre 2015, statuant sur le préjudice de Mme [E] [O], cette juridiction a :
- fixé à la somme de 20'000 euros le préjudice de Mme [E] [O],
- déduction faite de l'indemnité provisionnelle de 10 000 euros qui lui a été versée par le fonds de garantie, condamné [Z] [N] à lui payer la somme de 10 000 euros, outre celle de 5 000 euros en vertu de l'article 375 du code de procédure pénale,
- condamné [Z] [N] à payer au Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions la somme de 10 000 euros correspondant au montant de la provision versée à Mme [E] [O].
M. [N] et le ministère public ont formé appel de la décision de condamnation.
La cour d'assises d'appel du Tarn a rendu un arrêt le 30 mars 2018, lequel a été cassé le 4 septembre 2019 par la Cour de cassation qui a renvoyé l'affaire devant la cour d'assises de Tarn-et-Garonne.
Par arrêt criminel rendu par la cour d'assises de Tarn-et-Garonne le 22 octobre 2021, M. [Z] [N] a été déclaré coupable des faits commis notamment sur la personne de Mme [E] [O] et condamné pour l'ensemble des faits objets de la poursuite à une peine de 28 années de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de 18 ans. Un suivi socio-judiciaire d'une durée de 10 ans a en outre été prononcé et l'emprisonnement en cas d'inobservation de la mesure a été fixé à 7 ans.
Par arrêt rendu sur intérêts civils le même jour, M. [N] a été condamné à payer à Mme [E] [O] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice souffert depuis la première décision, outre celle de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 375 du code de procédure pénale.
Par requête reçue le 03 octobre 2022, Mme [E] [O] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (ci-après la CIVI) du tribunal judiciaire de Montauban d'une demande d'indemnisation portant sur la somme totale de 13 000 euros, correspondant aux sommes allouées aux termes de l'arrêt civil de la cour d'assises de Tarn-et-Garonne en date du 22 octobre 2021 :
- 5 000 euros au titre de son préjudice moral,
- 8 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale.
Par décision contradictoire en date du 14 mars 2023, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Montauban a :
- rejeté les demandes de Mme [E] [O],
- laissé les dépens à la charge du Trésor public.
Pour statuer ainsi, la commission a retenu que le constat d'accord passé entre la victime et le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions s'apparente à une transaction visée à l'article 1567 du code de procédure civile dès lors que le visa du juge mentionne qu'il lui donne force exécutoire et qu'il ne peut donc en principe être réclamé un complément d'indemnité, sauf à justifier d'une aggravation du préjudice déjà indemnisé. La commission a relevé que l'homologation était en l'espèce intervenue à une date à laquelle l'instance pénale n'était pas encore éteinte, ce dont elle a déduit que c'est en connaissance de cause que la victime l'avait acceptée, sans qu'elle ait pu ignorer que la poursuite de la procédure pénale était susceptible d'occasionner une amplification de son dommage.
Ajoutant que la commission est une juridiction civile autonome qui n'est pas liée par les décisions des autres juridictions, la CIVI a jugé que la décision de la cour d'assises d'appel est sans effet sur le recours de Mme [O] et que la transaction, qui a l'autorité de la chose jugée, ne permet pas à la victime de solliciter une nouvelle indemnisation du Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions.
Par déclaration en date du 30 mars 2023, Mme [E] [O] a relevé appel de la décision en critiquant l'ensemble de ses dispositions.
PRÉTENTION ET MOYENS DES PARTIES
Mme [E] [O] dans ses dernières conclusions en date du 12 décembre 2024, demande à la cour au visa des articles 706-3 et suivants, R.50-1 et suivants du code de procédure pénale et l'article 1240 du code civil, de :
- réformer la décision de la CIVI du tribunal judiciaire de Montauban en date du 14 mars 2023 dont appel,
Statuant à nouveau,
- déclarer Mme [E] [O] bien-fondée dans ses demandes,
- condamner le Fonds de Garantie des Victimes d'Infractions à verser à Mme [E] [O] la somme totale de 13 000 euros, correspondant aux sommes allouées aux termes de l'arrêt civil de la Cour d'Assises de Tam-et-Garonne en date du 22 octobre 2021 :
* 5 000 euros au titre de son préjudice moral
* 8 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale
- condamner le Fonds de Garantie des Victimes d'Infractions à verser à Mme [E] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour conclure à l'infirmation de la décision entreprise, Mme [O] expose souffrir d'un nouveau préjudice moral depuis la première décision, ainsi qu'il a été retenu par la cour d'assises de Tarn-Garonne le 22 octobre 2021.
Elle fait référence à une décision rendue par la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse le 19 janvier 2023 aux termes de laquelle il a été retenu qu'une autre victime concernée par la même affaire avait souffert d'un préjudice moral ayant perduré au-delà de la première décision civile statuant sur sa demande d'indemnisation et devait être indemnisé, ce alors qu'elle avait déjà été indemnisée par jugement de la même commission le 21 décembre 2017 et qu'il ne saurait en être autrement la concernant dans la mesure où elle est placée dans la même situation.
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions dans ses dernières conclusions en date du 18 juillet 2023, au visa des articles 706-3 et suivants, R. 50-12-2, R. 92 et R. 93 II I 1°) du code de procédure pénale, demande à la cour de :
- confirmer la décision rendue par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal judiciaire de Montauban le 14 mars 2023,
En conséquence,
- rejeter toutes les demandes de Mme [O] en ce compris celles portant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions conclut à la confirmation de la décision entreprise, en mettant en premier lieu en avant l'autonomie de la CIVI et en rappelant que la commission n'est pas tenue par une décision statuant sur l'action civile.
Le Fonds de Garantie soutient que l'accord conclu avec Mme [O] qui a fait l'objet d'une homologation est revêtu de l'autorité de la chose jugée, ce qui a eu pour effet d'entraîner l'extinction de l'instance relative à l'indemnisation de l'appelante, laquelle ne dispose pas d'une nouvelle action à son encontre et dont aucune nouvelle demande n'est recevable quant au préjudice subi, définitivement indemnisé.
L'intimé fait valoir que lorsqu'elle a accepté l'accord et l'a soumis au président de la CIVI pour homologation, Mme [O] avait connaissance du deuxième procès à venir et devait refuser l'accord si elle estimait que son état était susceptible d'évolution.
Le Fonds indique que seule l'hypothèse dans la quelle la victime démontrerait l'existence d'un préjudice différent ou aggravé depuis l'indemnisation initiale lui ouvrirait un droit à recours à son encontre, mais qu'en l'espèce les éléments décrits par la victime pour justifier sa nouvelle demande sont seulement liés aux sujétions découlant de la nouvelle comparution en justice de l'accusé et ne résultent que de l'exercice d'une voie de recours par ce dernier, ce qui ne caractérise pas un préjudice indemnisable. Il ajoute que de jurisprudence constante, les vicissitudes de la procédure pénale ne peuvent être prises en charge par la solidarité nationale.
Le Fonds de Garantie souligne avoir interjeté appel de la décision du 19 janvier 2023 dont se prévaut l'appelante et précise que l'affaire est pendante devant cette cour.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 380-6 du code de procédure pénale prévoit que la cour d'assises statuant en appel sur l'action civile ne peut, sur le seul appel de l'accusé, du civilement responsable ou de la partie civile, aggraver le sort de l'appelant.
La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la première décision. Même lorsqu'il n'a pas été fait appel de la décision sur l'action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut exercer devant la cour d'assises statuant en appel les droits reconnus à la partie civile jusqu'à la clôture des débats ; elle peut également demander l'application des dispositions du présent alinéa, ainsi que de celle de l'article 375.».
Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d'occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
- soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
- soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30,224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5,225-5 à 225-10,225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
- soit ont été commis sur un mineur ou par le conjoint ou le concubin de la victime, par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, par un ancien conjoint ou concubin de la victime ou par un ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et sont prévus et réprimés par l'article 222-12 du code pénal ou par le 3° et l'avant-dernier alinéa de l'article 222-14 du même code, y compris lorsque ces faits ont été commis avec d'autres circonstances aggravantes. Par exception au premier alinéa du présent article, le montant maximal de la réparation des dommages subis en raison de ces faits, lorsqu'ils ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, est défini par voie réglementaire.
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Il découle de ces dispositions que le préjudice résultant de l'exercice d'une voie de recours par les auteurs de l'infraction ainsi que les sujétions inhérentes à la comparution en justice n'entrent pas dans les prévisions de l'article 706-3 du code de procédure pénale.
L'article 706-5-1 du code de procédure pénale prévoit que la demande d'indemnité est transmise au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions qui doit présenter à la victime une offre. En cas d'acceptation, le fonds de garantie transmet le constat d'accord au président de la commission d'indemnisation aux fins d'homologation.
L'article R 50-12-2 du code de procédure pénale, précise que l'homologation de l'accord intervenu entre le fonds de garantie et la victime par le président de la commission lui donne force exécutoire.
Ainsi, l'acceptation de l'offre par la victime et l'homologation de l'accord par le président de la commission d'indemnisation des victimes emportent renonciation par la victime à faire valoir ses droits à nouveau devant une juridiction.
En l'espèce, le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions se prévaut d'un accord passé entre lui et Mme [O] les 06 et 21 octobre 2015 aux termes duquel il a été convenu que l'indemnité revenant à la victime 'est fixée d'un commun accord à titre de transaction, en réparation de tous dommages résultant des faits à la somme de 20 000 euros [...]' et que 'Sous réserves du règlement de cette indemnité par le Fonds de Garantie, Mademoiselle [E] [O] reconnaît le Fonds de garantie déchargé à son égard de toutes obligations et s'engage à reverser à cet organisme toute somme reçue au titre du même préjudice et notamment directement de la part de l'auteur des faits'.
Cet accord a reçu homologation par ordonnance rendue par la présidente de la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse le 25 novembre 2015 prévoyant expressément qu'il lui est conféré force exécutoire. Il n'est pas soutenu par l'appelante que l'indemnité de 20 000 euros ne lui aurait pas été versée par l'intimé.
Il est constant qu'en application de l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.
Il s'en suit que l'autorité de la chose jugée qui est attachée à l'ordonnance d'homologation ne permet plus à Mme [O] de solliciter une nouvelle indemnisation au titre du préjudice déjà réparé.
La décision rendue le 19 janvier 2023 par la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse n'est pas transposable à la situation de Mme [O] en ce que dans le cadre de cette instance distincte, bien que la requérante ait été victime du même agresseur et concernée par le même dossier criminel, il n'est pas fait référence à la conclusion d'un accord homologué entre la victime et le Fonds de Garantie.
L'accord intervenu entre Mme [O] et le Fonds de Garantie et homologué le 25 novembre 2015 ne peut cependant être opposé à la victime dont l'état se serait aggravé.
La demande actuelle de l'appelante tend selon ses explications à l'indemnisation d'un 'nouveau préjudice moral depuis la première décision'.
En l'absence de production de tout élément notamment médical qui viendrait éclairer le préjudice nouveau, il se déduit des écritures de Mme [O] que sa demande tend à la réparation du préjudice résultant de l'exercice d'une voie de recours par l'auteur de l'infraction et de l'attente d'une nouvelle décision sur le plan pénal, sans que soit établie une aggravation de son préjudice qui serait en lien avec l'infraction commise à son encontre.
La décision déférée ne peut dès lors qu'être confirmée.
Mme [O], partie principalement perdante, ne peut prétendre à une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel doivent être laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Montauban du 14 mars 2023 en toutes ses dispositions,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
K. MOKHTARI E. VET
ARRÊT N° 571/2025
N° RG 23/01187 - N° Portalis DBVI-V-B7H-PLGV
SG/MT
Décision déférée du 14 Mars 2023 - Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction de [Localité 5] - 22/00768
S.JEANSOUS
[E] [O]
C/
Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERROR ISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTE
Madame [E] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Guy DEBUISSON, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE
TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Damien DE LAFORCADE de la SELARL CLF, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 17 Septembre 2025 en chambre du conseil en vertu des articles 433 du code de procédure civile et 706-7 du code de procédure pénale, devant la Cour composée de :
E. VET, conseillère faisant fonction de présidente de chambre
P. BALISTA, conseiller
S. GAUMET, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : K. MOKHTARI
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et qui a fait connaître son avis par écrit.
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, présidente, et par K. MOKHTARI, greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE
Par arrêt de la cour d'assises du département de Haute-Garonne du 12 juin 2015, M. [Z] [N] a été déclaré coupable de six faits de viols, de deux faits d'agression sexuelle, d'un fait de menaces de mort avec ordre de remplir une condition, d'un fait de tentative d'homicide et d'un fait de vol commis au préjudice de sept victimes entre décembre 2011 et le 04 novembre 2012. Sa culpabilité a notamment été retenue du chef de viols sur la personne de Mme [E] [O] commis le 21 octobre 2012 à [Localité 6] (79). M. [N] a été condamné à la peine de 30 ans de réclusion criminelle,
Par arrêt civil du 7 septembre 2015, statuant sur le préjudice de Mme [E] [O], cette juridiction a :
- fixé à la somme de 20'000 euros le préjudice de Mme [E] [O],
- déduction faite de l'indemnité provisionnelle de 10 000 euros qui lui a été versée par le fonds de garantie, condamné [Z] [N] à lui payer la somme de 10 000 euros, outre celle de 5 000 euros en vertu de l'article 375 du code de procédure pénale,
- condamné [Z] [N] à payer au Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions la somme de 10 000 euros correspondant au montant de la provision versée à Mme [E] [O].
M. [N] et le ministère public ont formé appel de la décision de condamnation.
La cour d'assises d'appel du Tarn a rendu un arrêt le 30 mars 2018, lequel a été cassé le 4 septembre 2019 par la Cour de cassation qui a renvoyé l'affaire devant la cour d'assises de Tarn-et-Garonne.
Par arrêt criminel rendu par la cour d'assises de Tarn-et-Garonne le 22 octobre 2021, M. [Z] [N] a été déclaré coupable des faits commis notamment sur la personne de Mme [E] [O] et condamné pour l'ensemble des faits objets de la poursuite à une peine de 28 années de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de 18 ans. Un suivi socio-judiciaire d'une durée de 10 ans a en outre été prononcé et l'emprisonnement en cas d'inobservation de la mesure a été fixé à 7 ans.
Par arrêt rendu sur intérêts civils le même jour, M. [N] a été condamné à payer à Mme [E] [O] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice souffert depuis la première décision, outre celle de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 375 du code de procédure pénale.
Par requête reçue le 03 octobre 2022, Mme [E] [O] a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (ci-après la CIVI) du tribunal judiciaire de Montauban d'une demande d'indemnisation portant sur la somme totale de 13 000 euros, correspondant aux sommes allouées aux termes de l'arrêt civil de la cour d'assises de Tarn-et-Garonne en date du 22 octobre 2021 :
- 5 000 euros au titre de son préjudice moral,
- 8 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale.
Par décision contradictoire en date du 14 mars 2023, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Montauban a :
- rejeté les demandes de Mme [E] [O],
- laissé les dépens à la charge du Trésor public.
Pour statuer ainsi, la commission a retenu que le constat d'accord passé entre la victime et le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions s'apparente à une transaction visée à l'article 1567 du code de procédure civile dès lors que le visa du juge mentionne qu'il lui donne force exécutoire et qu'il ne peut donc en principe être réclamé un complément d'indemnité, sauf à justifier d'une aggravation du préjudice déjà indemnisé. La commission a relevé que l'homologation était en l'espèce intervenue à une date à laquelle l'instance pénale n'était pas encore éteinte, ce dont elle a déduit que c'est en connaissance de cause que la victime l'avait acceptée, sans qu'elle ait pu ignorer que la poursuite de la procédure pénale était susceptible d'occasionner une amplification de son dommage.
Ajoutant que la commission est une juridiction civile autonome qui n'est pas liée par les décisions des autres juridictions, la CIVI a jugé que la décision de la cour d'assises d'appel est sans effet sur le recours de Mme [O] et que la transaction, qui a l'autorité de la chose jugée, ne permet pas à la victime de solliciter une nouvelle indemnisation du Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions.
Par déclaration en date du 30 mars 2023, Mme [E] [O] a relevé appel de la décision en critiquant l'ensemble de ses dispositions.
PRÉTENTION ET MOYENS DES PARTIES
Mme [E] [O] dans ses dernières conclusions en date du 12 décembre 2024, demande à la cour au visa des articles 706-3 et suivants, R.50-1 et suivants du code de procédure pénale et l'article 1240 du code civil, de :
- réformer la décision de la CIVI du tribunal judiciaire de Montauban en date du 14 mars 2023 dont appel,
Statuant à nouveau,
- déclarer Mme [E] [O] bien-fondée dans ses demandes,
- condamner le Fonds de Garantie des Victimes d'Infractions à verser à Mme [E] [O] la somme totale de 13 000 euros, correspondant aux sommes allouées aux termes de l'arrêt civil de la Cour d'Assises de Tam-et-Garonne en date du 22 octobre 2021 :
* 5 000 euros au titre de son préjudice moral
* 8 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale
- condamner le Fonds de Garantie des Victimes d'Infractions à verser à Mme [E] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour conclure à l'infirmation de la décision entreprise, Mme [O] expose souffrir d'un nouveau préjudice moral depuis la première décision, ainsi qu'il a été retenu par la cour d'assises de Tarn-Garonne le 22 octobre 2021.
Elle fait référence à une décision rendue par la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse le 19 janvier 2023 aux termes de laquelle il a été retenu qu'une autre victime concernée par la même affaire avait souffert d'un préjudice moral ayant perduré au-delà de la première décision civile statuant sur sa demande d'indemnisation et devait être indemnisé, ce alors qu'elle avait déjà été indemnisée par jugement de la même commission le 21 décembre 2017 et qu'il ne saurait en être autrement la concernant dans la mesure où elle est placée dans la même situation.
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions dans ses dernières conclusions en date du 18 juillet 2023, au visa des articles 706-3 et suivants, R. 50-12-2, R. 92 et R. 93 II I 1°) du code de procédure pénale, demande à la cour de :
- confirmer la décision rendue par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal judiciaire de Montauban le 14 mars 2023,
En conséquence,
- rejeter toutes les demandes de Mme [O] en ce compris celles portant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions conclut à la confirmation de la décision entreprise, en mettant en premier lieu en avant l'autonomie de la CIVI et en rappelant que la commission n'est pas tenue par une décision statuant sur l'action civile.
Le Fonds de Garantie soutient que l'accord conclu avec Mme [O] qui a fait l'objet d'une homologation est revêtu de l'autorité de la chose jugée, ce qui a eu pour effet d'entraîner l'extinction de l'instance relative à l'indemnisation de l'appelante, laquelle ne dispose pas d'une nouvelle action à son encontre et dont aucune nouvelle demande n'est recevable quant au préjudice subi, définitivement indemnisé.
L'intimé fait valoir que lorsqu'elle a accepté l'accord et l'a soumis au président de la CIVI pour homologation, Mme [O] avait connaissance du deuxième procès à venir et devait refuser l'accord si elle estimait que son état était susceptible d'évolution.
Le Fonds indique que seule l'hypothèse dans la quelle la victime démontrerait l'existence d'un préjudice différent ou aggravé depuis l'indemnisation initiale lui ouvrirait un droit à recours à son encontre, mais qu'en l'espèce les éléments décrits par la victime pour justifier sa nouvelle demande sont seulement liés aux sujétions découlant de la nouvelle comparution en justice de l'accusé et ne résultent que de l'exercice d'une voie de recours par ce dernier, ce qui ne caractérise pas un préjudice indemnisable. Il ajoute que de jurisprudence constante, les vicissitudes de la procédure pénale ne peuvent être prises en charge par la solidarité nationale.
Le Fonds de Garantie souligne avoir interjeté appel de la décision du 19 janvier 2023 dont se prévaut l'appelante et précise que l'affaire est pendante devant cette cour.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er septembre 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 380-6 du code de procédure pénale prévoit que la cour d'assises statuant en appel sur l'action civile ne peut, sur le seul appel de l'accusé, du civilement responsable ou de la partie civile, aggraver le sort de l'appelant.
La partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la première décision. Même lorsqu'il n'a pas été fait appel de la décision sur l'action civile, la victime constituée partie civile en premier ressort peut exercer devant la cour d'assises statuant en appel les droits reconnus à la partie civile jusqu'à la clôture des débats ; elle peut également demander l'application des dispositions du présent alinéa, ainsi que de celle de l'article 375.».
Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l'article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation et n'ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d'occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
- soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
- soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30,224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5,225-5 à 225-10,225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
- soit ont été commis sur un mineur ou par le conjoint ou le concubin de la victime, par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, par un ancien conjoint ou concubin de la victime ou par un ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et sont prévus et réprimés par l'article 222-12 du code pénal ou par le 3° et l'avant-dernier alinéa de l'article 222-14 du même code, y compris lorsque ces faits ont été commis avec d'autres circonstances aggravantes. Par exception au premier alinéa du présent article, le montant maximal de la réparation des dommages subis en raison de ces faits, lorsqu'ils ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, est défini par voie réglementaire.
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Il découle de ces dispositions que le préjudice résultant de l'exercice d'une voie de recours par les auteurs de l'infraction ainsi que les sujétions inhérentes à la comparution en justice n'entrent pas dans les prévisions de l'article 706-3 du code de procédure pénale.
L'article 706-5-1 du code de procédure pénale prévoit que la demande d'indemnité est transmise au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions qui doit présenter à la victime une offre. En cas d'acceptation, le fonds de garantie transmet le constat d'accord au président de la commission d'indemnisation aux fins d'homologation.
L'article R 50-12-2 du code de procédure pénale, précise que l'homologation de l'accord intervenu entre le fonds de garantie et la victime par le président de la commission lui donne force exécutoire.
Ainsi, l'acceptation de l'offre par la victime et l'homologation de l'accord par le président de la commission d'indemnisation des victimes emportent renonciation par la victime à faire valoir ses droits à nouveau devant une juridiction.
En l'espèce, le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme et d'Autres Infractions se prévaut d'un accord passé entre lui et Mme [O] les 06 et 21 octobre 2015 aux termes duquel il a été convenu que l'indemnité revenant à la victime 'est fixée d'un commun accord à titre de transaction, en réparation de tous dommages résultant des faits à la somme de 20 000 euros [...]' et que 'Sous réserves du règlement de cette indemnité par le Fonds de Garantie, Mademoiselle [E] [O] reconnaît le Fonds de garantie déchargé à son égard de toutes obligations et s'engage à reverser à cet organisme toute somme reçue au titre du même préjudice et notamment directement de la part de l'auteur des faits'.
Cet accord a reçu homologation par ordonnance rendue par la présidente de la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse le 25 novembre 2015 prévoyant expressément qu'il lui est conféré force exécutoire. Il n'est pas soutenu par l'appelante que l'indemnité de 20 000 euros ne lui aurait pas été versée par l'intimé.
Il est constant qu'en application de l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.
Il s'en suit que l'autorité de la chose jugée qui est attachée à l'ordonnance d'homologation ne permet plus à Mme [O] de solliciter une nouvelle indemnisation au titre du préjudice déjà réparé.
La décision rendue le 19 janvier 2023 par la CIVI du tribunal judiciaire de Toulouse n'est pas transposable à la situation de Mme [O] en ce que dans le cadre de cette instance distincte, bien que la requérante ait été victime du même agresseur et concernée par le même dossier criminel, il n'est pas fait référence à la conclusion d'un accord homologué entre la victime et le Fonds de Garantie.
L'accord intervenu entre Mme [O] et le Fonds de Garantie et homologué le 25 novembre 2015 ne peut cependant être opposé à la victime dont l'état se serait aggravé.
La demande actuelle de l'appelante tend selon ses explications à l'indemnisation d'un 'nouveau préjudice moral depuis la première décision'.
En l'absence de production de tout élément notamment médical qui viendrait éclairer le préjudice nouveau, il se déduit des écritures de Mme [O] que sa demande tend à la réparation du préjudice résultant de l'exercice d'une voie de recours par l'auteur de l'infraction et de l'attente d'une nouvelle décision sur le plan pénal, sans que soit établie une aggravation de son préjudice qui serait en lien avec l'infraction commise à son encontre.
La décision déférée ne peut dès lors qu'être confirmée.
Mme [O], partie principalement perdante, ne peut prétendre à une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel doivent être laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions du tribunal judiciaire de Montauban du 14 mars 2023 en toutes ses dispositions,
Laisse les dépens à la charge du Trésor public.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
K. MOKHTARI E. VET