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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 20 novembre 2025, n° 25/02400

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 25/02400

20 novembre 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT A JOUR FIXE DU 20/11/2025

****

MINUTE ELECTRONIQUE :

N° RG 25/02400 - N° Portalis DBVT-V-B7J-WGAL

Ordonnance (N° 24/00103) rendue le 22 avril 2025 par le président du tribunal de commerce d'Arras

APPELANTES

Madame [C] [Z] Épouse [T]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 9] - 59

de nationalité française

demeurant [Adresse 4]

[Localité 10] Royaume-uni

élisant domicile [Adresse 5] au cabinet de Me Loïc LE ROY, associé de LA selarl lx Amiens Douai, avocat à la cour de [Localité 8]

S.A.S. Saint Eloi, prise en la personne de son président

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 7]

représentées par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Stéphane Dhonte, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. [Z] Frères, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Nicolas Mennesson, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Déborah Bohée, présidente de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Carole Catteau, conseiller

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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 18 septembre 2025, après rapport oral de l'affaire par Pauline Mimiague

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Déborah Bohée, présidente, et Béatrice Capliez, adjoint administratif, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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EXPOSÉ DU LITIGE

Le 23 avril 2024 Mme [C] [Z] épouse [T], détentrice de 6,6 % du capital de la société anonyme [Z] Frères (représentant 194 318 actions), a soumis à l'agrément de la société un projet de transfert d'actions prévoyant :

- l'apport à la société Saint Eloi de 194 231 actions rémunéré par l'émission d'actions nouvelles de la société Saint Eloi,

- la vente par Mme [T] à la société Idaxis des actions de la société Saint Eloi.

Par décision du 9 juillet 2024 l'assemblée générale de la société [Z] Frères a refusé l'agrément ; la décision a été notifiée à Mme [T] le 15 juillet 2024. Le 18 juillet celle-ci a informé la société qu'elle ne renonçait pas à son projet de transfert et n'était pas opposée au rachat de ses actions par la société [Z] Frères ou tout autre cessionnaire au prix de 1 240 euros par action. Le 11 septembre 2024 la société [Z] Frères a fait une offre de rachat au prix de 906,34 euros par action. Par lettre du 18 septembre Mme [T], se prévalant de l'approbation par le conseil d'administration du projet de transfert au prix de 1 240 euros par action le 19 juin 2024, lui a opposé que faute d'un règlement du prix dans le délai de trois mois, elle disposerait d'un agrément tacite. Par courrier du 30 septembre 2024 la société [Z] Frères a contesté toute approbation du prix et indiqué son intention de faire intervenir la holding familiale pour acquérir les actions et de solliciter la prolongation du délai de trois mois conformément à l'article L. 228-24 du code de commerce.

Par assignations des 9 et 10 octobre 2024 la société [Z] Frères a saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'Arras pour demander la prolongation du délai pour l'acquisition des parts sociales.

Par ordonnance de référé du 22 avril 2025 le président du tribunal de commerce d'Arras :

- s'est déclaré compétent,

- a prolongé jusqu'au 30 juin 2025 le délai imparti à la société [Z] Frères pour faire acquérir les 194 318 actions [Z] Frères, objet du transfert de Mme [T] n'ayant pas été agréé par l'assemblée générale extraordinaire de la société [Z] Frères du 9 juillet 2024,

- s'est réservé la possibilité, si nécessaire, de prolonger une nouvelle fois ce délai, sur demande de la SA [Z] Frères par assignation en référé formée avant l'expiration du nouveau délai octroyé,

- a débouté Mme [T] et la société Saint Eloi de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- les a condamnées in solidum à verser à la société [Z] Frères la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 5 mai 2025 Mme [T] et la société Saint Eloi ont formé un appel nullité contre cette ordonnance et ont été autorisées par ordonnance du premier président de cette cour du 16 mai 2025 à assigner pour l'audience du 18 septembre 2025 à 14 heures. L'assignation a été délivrée à la société [Z] le 16 juin 2025.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 septembre 2025 Mme [T] et la société Saint Eloi demandent à la cour de :

- annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance du 22 avril 2025 en ce que le juge des référés s'est déclaré compétent, a prolongé jusqu'au 30 juin 2025 le délai imparti à la société [Z] Frères pour faire acquérir les 1943 18 actions [Z] Frères objet du projet de transfert de Mme [T] n'ayant pas été agréé par l'assemblée générale extraordinaire de la société [Z] Frères du 9 juillet 2024, s'est réservé la possibilité, si nécessaire, de prolonger une nouvelle fois ce délai, sur demande de la société [Z] Frères formée avant l'expiration du nouveau délai octroyé, a débouté la société Saint Eloi et Mme [C] [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et a condamné in solidum la société Saint Eloi et Mme [T] à verser à la société [Z] Frères la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens,

- déclarer le Président du tribunal de commerce d'Arras incompétent au bénéfice du président du Tribunal des activités économiques de Paris,

- renvoyer l'examen de la prorogation ou non du délai de 3 mois prévu à l'article L. 228-24 du code de commerce, devant le président du tribunal des activités économiques de Paris,

à titre subsidiaire, en cas d'évocation,

- dire et juger la demande de prorogation irrecevable faute d'avoir appelé à l'instance la société Idaxis en sa qualité de cessionnaire,

- dire n'avoir lieu à accorder un délai complémentaire, et débouter la société [Z] Frères de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- en toute hypothèse, condamner la société [Z] Frères à 5 000 euros d'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de chacune des appelantes outre les entiers dépens d'appel.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 septembre 2025 la société [Z] Frères demande à la cour de :

- à titre principal, juger que le président du tribunal de commerce d'Arras n'a commis aucun excès de pouvoir en rendant l'ordonnance du 22 avril 2025,

- en conséquence, déclarer irrecevable l'appel-nullité interjeté par Mme [T] et la société Saint Eloi,

- subsidiairement, si la cour annule l'ordonnance du 22 avril 2025 au motif que le président du tribunal des activités économiques de Paris était compétent, renvoyer l'instance devant la cour d'appel de Paris, juridiction d'appel du tribunal des activités économiques de Paris, devant laquelle l'instance se poursuivra,

- très subsidiairement, si la cour annule l'ordonnance du 22 avril 2025 pour quelque autre motif que ce soit, statuant à nouveau :

- prolonger jusqu'au 30 juin 2025 le délai imparti à la société [Z] Frères pour faire acquérir les 194 318 actions [Z] Frères objet du projet de transfert de Mme [C] [T] n'ayant pas été agréé par l'assemblée générale extraordinaire de la société [Z] Frères du 9 juillet 2024,

- juger qu'il appartient au tribunal de commerce d'Arras de statuer sur toute demande nouvelle de prolongation de ce délai,

- en tout état de cause, débouter Mme [T] et la société Saint Eloi de toutes leurs demandes fins et conclusions et les condamner in solidum à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux frais et dépens.

L'affaire a été entendue à l'audience de plaidoiries du 18 septembre 2025.

MOTIFS

En application de l'article R. 228-23 du code de commerce, les ordonnances de référé rendues par le président du tribunal de commerce pour désigner l'expert prévu à l'article 1843-4 du code civil et prolonger de délai prévu au troisième alinéa de l'article L. 228-24 ne sont pas susceptibles de recours.

Toutefois lorsqu'aucune voie de recours n'est prévue, l'appel-nullité reste ouvert en cas d'excès de pouvoir commis ou consacré par la décision. L'excès de pouvoir doit s'entendre par la méconnaissance par le juge de l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels, soit qu'il s'arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse, soit qu'il refuse d'exercer les pouvoirs que la loi lui attribue.

En premier lieu, les appelantes font valoir que l'atteinte aux règles de la compétence territoriale, qui, en matière de cession d'actions forcée à la suite d'un refus d'agrément sont d'ordre public, et s'agissant d'une violation manifeste d'une règle claire en l'espèce, constitue un excès de pouvoir.

La violation des règles de compétence territoriale entre juridictions de l'ordre de judiciaire, qui constituent des règles de procédure, ne constitue toutefois pas un excès de pouvoir.

En second lieu, les appelantes invoquent la violation du principe du contradictoire à deux titres : d'une part, le juge aurait tranché la question de fond alors que les parties n'avaient été entendues à l'audience que sur l'exception d'incompétence soulevée par les défendeurs sans inviter les parties à conclure au fond (violation de l'article 76 du code de procédure civile), d'autre part, la société Idaxis n'aurait pas été appelée alors qu'elle était aussi concernée par la demande d'agrément (violation de l'article R. 228-23 du code de commerce).

La violation du principe du contradictoire ne constitue toutefois pas un excès de pouvoir (2e Civ., 3 mars 2022, pourvoi n° 20-16.809), étant relevé en tout état de cause qu'il ressort de l'arrêt que le tribunal a statué sur les conclusions prises par les parties sur l'ensemble du litige, Mme [T] et la société Saint Eloi ayant conclu au sursis à statuer sur la demande au fond, subsidiairement, ont demandé à voir constater que la demande de prorogation était sans objet, et non uniquement sur sa compétence, et, d'autre part, que la procédure de l'article R. 228-23 du code de commerce prévoit que l'actionnaire et le cédant doivent être appelés et qu'au regard de la demande d'agrément seule la société Saint Eloi pouvait être considérée comme cédante et non la société Idaxis qui se verrait ultérieurement céder les actions de la société Saint Eloi.

Enfin, les appelantes arguent de la violation du principe d'impartialité considérant qu'en se réservant la possibilité, si nécessaire, de prolonger une nouvelle fois le délai à l'expiration du délai octroyé, le juge des référés est venu préjuger d'une décision future et assurer à l'une des parties de sa compétence.

Cette mention du dispositif n'a pas autorité de la chose jugée quant à la compétence du juge qui viendrait être saisi une seconde fois et n'interdit pas de rejuger cette question, en outre en se réservant la 'possibilité' de prolonger le délai, la juridiction ne préjuge pas du bien fondé d'une nouvelle demande ; cette mention n'est ainsi pas de nature à faire peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction et n'est pas susceptible de caractériser un excès de pouvoir.

Il en résulte que l'appel, dirigé contre une décision qui n'est pas entachée d'excès de pouvoir et qui n'a pas consacré d'excès de pouvoir, est irrecevable.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de laisser les dépens à la charge de Mme [T] et de la société Saint Eloi, qui succombent, et, en équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevable l'appel contre l'ordonnance de référé du 22 avril 2025 ;

Laisse les dépens de la procédure d'appel à la charge de Mme [C] [Z] épouse [T] et de la société Saint Eloi ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

La présidente

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