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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 19 novembre 2025, n° 24/07129

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Decathlon France (SAS)

Défendeur :

Intersport France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Distinguin

Avocats :

Me Ohana, Me Houssier, Me Grappotte-Benetreau, Me Grall, Me Pollak

T. com. Evry, 8e ch., du 1 mars 2024, n°…

1 mars 2024

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Decathlon France (Decathlon), exerce une activité de fabrication et de distribution d'articles de sport. Elle exploite sous l'enseigne Decathlon plus de 320 magasins répartis sur tout le territoire français.

La société Intersport France (Intersport) est une société coopérative de commerçants indépendants, qui a une activité de centrale d'achat et de référencement d'articles, matériels et accessoires de sport pour ses adhérents, lesquels exploitent en France et en Belgique, environ 480 magasins sous enseigne Intersport.

La société Intersport exploite également un site internet à l'adresse intersport.fr, qui assure la vente en ligne des produits proposés par l'enseigne en livraison à domicile ou par retrait en magasin (click & collect).

Les sociétés Decathlon et Intersport sont les leaders en France du marché des articles de sport et sont en concurrence directe.

Reprochant à la société Intersport des pratiques commerciales qu'elle juge trompeuses relatives à la vente, entre septembre 2021 et mars 2022, de deux modèles de vélo à assistance électrique (VAE) dénommés E-City Ltd et E-Cliff-Ltd de la marque Nakamura, constituant des actes de concurrence déloyale lui causant préjudice, la société Decathlon a assigné la société Intersport devant le tribunal de commerce d'Evry le 4 novembre 2022.

Par jugement du 1er mars 2024, dont appel, le tribunal de commerce d'Evry a :

débouté la société Decathlon de ses demandes de reconnaître des actes de concurrence déloyale de la part de la société Intersport,

condamné la société Decathlon à payer à la société Intersport la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires,

rappelé que l'exécution provisoire est de droit,

condamné la société Decathlon aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidités à la somme de 60,22 euros TTC.

Le 9 avril 2024, la société Decathlon a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions numérotées 7 transmises le 25 septembre 2025, la société Decathlon demande à la cour de :

DÉCLARER la société DECATHLON FRANCE recevable et bien fondée en son appel ;

INFIRMER le jugement rendu le 8 mars 2024 par le Tribunal de Commerce d'EVRY, à l'encontre de plusieurs des chefs de jugement, à savoir « Déboute la SAS DECATHLON de ses demandes de reconnaître des actes de concurrence déloyale de la part de la SCOP INTERSPORT dans la présente affaire », à savoir:

« JUGER que la Société INTERSPORT FRANCE a usé de pratiques commerciales trompeuses telles que définies aux articles L121-1 à L121-4 du Code de la Consommation, lors de la vente sur son site Internet des produits « vélo électrique E-CITY LTD NAKAMURA » et « VTT électrique adulte E-CLIFF LTD [Localité 5] NAKAMURA » intervenue par le biais d'opérations promotionnelles successives entre les mois de septembre 2021 et mars 2022.

JUGER que l'utilisation par la Société INTERSPORT FRANCE de ces pratiques commerciales trompeuses à l'égard des consommateurs est constitutive de faits de concurrence déloyale a' l'égard de la société DECATHLON FRANCE qui est l'un de ses principaux concurrents sur le marché de ces produits.

JUGER que ces faits de concurrence déloyale a' l'égard de la société DECATHLON FRANCE ont causés un préjudice direct et certain sur le plan économique à cette dernière, qui se trouve dès lors bien fondée à en demander réparation sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

En conséquence :

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à payer à la société DECATHLON FRANCE une somme de 900 000 €, sauf a' parfaire, a' titre de dommages et intérêts pour préjudice subi, en raison de la perte de chance de réaliser des revenus sur ses propres modèles de VAE en gamme similaire.

FAIRE INTERDICTION a' la société INTERSPORT FRANCE, sous une astreinte de 150 000 € par infraction constatée, pour chaque produit et chaque opération publicitaire concernés :

d'assortir la vente d'un produit sur son site e-commerce de l'indication de « QUANTITES LIMITEES » lorsque cela sera fait de façon trompeuse et injustifiée ;

de proroger sans prévenir des opérations promotionnelles de vente à prix réduit telle que celle dénommée « LE MOIS INTERSPORT » stipulant l'indication de « QUANTITES LIMITEES » dès lors que cette opération est présentée au public comme étant a' durée déterminée, et qu'il n'est spécifié aucune éventualité de prolongation au-delà' de l'échéance affichée ;

de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet en indiquant un prix de référence qui n'est ni réel ni loyal dès lors qu'il s'agit d'une nouveauté jamais commercialisée auparavant sur son site audit prix de référence ;

de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet en indiquant un prix de référence qu'elle ne sera pas en mesure de pratiquer réellement a' l'issue de la période promotionnelle en raison d'un épuisement du stock du produit concerné ;

de mettre en vente a' prix barré un produit sur son site Internet au travers d'opérations promotionnelles successives dont la durée est censée être limitée, sans que le produit concerné ne soit jamais vendu entretemps à son prix de référence affiché ;

de mettre en vente a' prix barré un produit sur son site Internet en indiquant qu'il s'agit d'un prix pratiqué uniquement sur Internet, a' titre d'exemple par la mention « PRIX WEB » affichée sur son site, alors que ce même prix barré est également celui offert aux consommateurs dans des magasins INTERSPORT ;

de réaliser une publicité sur son site mentionnant « DESTOCKAGE MASSIF jusqu'au ... » ou toute autre mention équivalente qui donne l'impression, par cette opération de promotion coordonnée à l'échelle nationale, que le consommateur bénéficie d'une réduction de prix comparable à celle des soldes, et notamment juste avant ou juste après la période nationale officielle des soldes d'hiver ou d'été.

ORDONNER la publication judiciaire, dans cinq journaux nationaux au choix de la société DECATHLON FRANCE, du dispositif du jugement a' intervenir, et ce, dans la limite d'un coût de publication de 2500 € par journal, que la société INTERSPORT FRANCE sera tenue d'avancer à la société DECATHLON FRANCE, dans un délai maximum de huit jours à compter de la signification qui lui sera faite de la décision.

AUTORISER la société DECATHLON FRANCE à procéder à la même publication dans cinq journaux nationaux supplémentaires de son choix, a' condition d'en assumer le coût de publication additionnel qui en résulte. DIRE que l'ensemble de ces publications devra intervenir dans un délai maximum de trois mois a' compter de la date du jugement à intervenir.

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à payer à la société DECATHLON FRANCE une somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à rembourser à la société DECATHLON FRANCE le coût des constats d'huissiers qu'elle a versés aux débats afin d'établir la preuve des manquements constatés.

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE aux entiers dépens »,

Et également à l'encontre des chefs de jugement suivants :

« ' Condamne la SAS DECATHLON a' payer a' la SCOP INTERSPORT la somme de 5000 € en application de l'article 700 du Code de procédure Civile. ' Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires, ' Rappelle que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit, ' Condamne la société DECATHLON aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 60,22 € TTC »,

Et en tout état de cause, à l'encontre de toutes dispositions non visées au dispositif et faisant grief à l'appelant, selon les pièces et moyens qui sont développés dans les conclusions.

Statuant à nouveau :

JUGER que la Société INTERSPORT FRANCE a usé de pratiques commerciales trompeuses telles que définies aux articles L121-1 à L121-4 du Code de la Consommation, lors de la vente sur son site Internet des produits « vélo électrique E-CITY LTD NAKAMURA » et « VTT électrique adulte E-CLIFF LTD [Localité 5] NAKAMURA » intervenue par le biais d'opérations promotionnelles successives entre les mois de septembre 2021 et mars 2022.

JUGER que l'utilisation par la Société INTERSPORT FRANCE de ces pratiques commerciales trompeuses à l'égard des consommateurs est constitutive de faits de concurrence déloyale à l'égard de la société DECATHLON FRANCE qui est l'un de ses principaux concurrents sur le marché de ces produits.

JUGER que ces faits de concurrence déloyale à l'égard de la société DECATHLON FRANCE ont causé un préjudice direct et certain sur le plan économique à cette dernière, qui se trouve dès lors bien fondée à en demander réparation sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

En conséquence :

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à payer à la société DECATHLON FRANCE une somme de 900.000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi, en raison de la perte de chance de réaliser des revenus sur ses propres modèles de VAE en gamme similaire.

A titre subsidiaire :

Si, par impossible, la Cour estimait que les éléments produits aux débats par la société DECATHLON FRANCE ne permettent pas d'évaluer avec une précision suffisante l'ampleur du préjudice résultant des pratiques de concurrence déloyale commises par la société INTERSPORT FRANCE,

JUGER qu'il y a lieu d'ordonner une expertise judiciaire afin d'évaluer ce préjudice,

Et à cette fin,

DESIGNER tel Expert qu'il plaira à la Cour, avec pour mission :

de déterminer, à partir des données commerciales et comptables de la société INTERSPORT FRANCE, le chiffre d'affaires généré par les ventes en ligne des deux modèles de vélos à assistance électrique concernés (E-CITY LTD NAKAMURA et E-CLIFF LTD NAKAMURA) au cours de la période litigieuse (septembre 2021 ' mars 2022), et d'apprécier l'effet des campagnes promotionnelles successives sur les volumes vendus ;

de croiser ces données notamment avec l'évolution du chiffre d'affaires, des marges et des volumes vendus de produits équivalents commercialisés par la société DECATHLON FRANCE sur la même période ;

de situer ces évolutions respectives dans le contexte général du marché français des vélos à assistance électrique, en s'appuyant notamment sur les données de référence publiées par l'Observatoire français du Cycle, ou toute autre source sectorielle ou statistique jugée utile ;

de chiffrer à partir de là l'avantage commercial indu que les pratiques commerciales qualifiées de trompeuses ont pu procurer à la société INTERSPORT FRANCE, notamment en termes de chiffre d'affaires, de parts de marché, de volume de clientèle captée ou fidélisée, et de compétitivité économique ;

d'estimer corrélativement le manque à gagner ou la perte de marge nette subie par la société DECATHLON FRANCE du fait de ces pratiques ;

et plus généralement, de fournir à la Cour d'appel tout élément utile à l'évaluation du préjudice économique et de l'avantage concurrentiel indûment perçu par la société INTERSPORT FRANCE dans le cadre des pratiques litigieuses.

JUGER que l'affaire sera rappelée à l'audience et par devant la Cour d'appel de PARIS afin qu'il soit statué sur la liquidation du préjudice de la société DECATHLON FRANCE, après exécution de la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par la Cour.

Dans tous les cas :

FAIRE INTERDICTION à la société INTERSPORT FRANCE, sous une astreinte de 150 000 € par infraction constatée, pour chaque produit et chaque opération publicitaire concernés :

d'assortir la vente d'un produit sur son site e-commerce de l'indication de « QUANTITES LIMITEES » lorsque cela sera fait de façon trompeuse et injustifiée ;

de proroger sans prévenir des opérations promotionnelles de vente à prix réduit telle que celle dénommée « LE MOIS INTERSPORT » stipulant l'indication de « QUANTITES LIMITEES » dès lors que cette opération est présentée au public comme étant à durée déterminée, et qu'il n'est spécifié aucune éventualité de prolongation au-delà de l'échéance affichée ;

de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet en indiquant un prix de référence qui n'est ni réel ni loyal dès lors qu'il s'agit d'une nouveauté jamais commercialisée auparavant sur son site audit prix de référence ;

de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet en indiquant un prix de référence qu'elle ne sera pas en mesure de pratiquer réellement à l'issue de la période promotionnelle en raison d'un épuisement du stock du produit concerné ; de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet au travers d'opérations promotionnelles successives dont la durée est censée être limitée, sans que le produit concerné ne soit jamais vendu entretemps à son prix de référence affiché ; de mettre en vente à prix barré un produit sur son site Internet en indiquant qu'il s'agit d'un prix pratiqué uniquement sur Internet, à titre d'exemple par la mention « PRIX WEB » affichée sur son site, alors que ce même prix barré est également celui offert aux consommateurs dans des magasins INTERSPORT ;

de réaliser une publicité sur son site mentionnant « DESTOCKAGE MASSIF jusqu'au ... » ou toute autre mention équivalente qui donne l'impression, par cette opération de promotion coordonnée à l'échelle nationale, que le consommateur bénéficie d'une réduction de prix comparable à celle des soldes, et notamment juste avant ou juste après la période nationale officielle des soldes d'hiver ou d'été.

ORDONNER la publication judiciaire, dans cinq journaux nationaux au choix de la société DECATHLON FRANCE, du dispositif du jugement à intervenir, et ce, dans la limite d'un coût de publication de 2500 € par journal, que la société INTERSPORT FRANCE sera tenue d'avancer à la société DECATHLON FRANCE, dans un délai maximum de huit jours à compter de la signification qui lui sera faite de la décision.

AUTORISER la société DECATHLON FRANCE à procéder à la même publication dans cinq journaux nationaux supplémentaires de son choix, à condition d'en assumer le coût de publication additionnel qui en résulte.

DIRE que l'ensemble de ces publications devra intervenir dans un délai maximum de trois mois à compter de la date du jugement à intervenir.

Pour le surplus :

DEBOUTER la société INTERSPORT FRANCE de ses prétentions, en toutes fins, demandes et conclusions, y compris s'agissant de son appel incident ;

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à payer à la société DECATHLON FRANCE une somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE à rembourser à la société DECATHLON FRANCE le coût des constats d'huissiers qu'elle a versés aux débats afin d'établir la preuve des manquements constatés.

CONDAMNER la société INTERSPORT FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions numérotées 5 transmises le 29 septembre 2025, la société Intersport demande à la cour de :

RECEVOIR la société Intersport France dans l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et l'y déclarer bien fondée,

CONFIRMER le jugement du Tribunal d'Évry du 8 mars 2024 en ce qu'il a :

débouté la société Decathlon France de ses demandes au titre de la concurrence déloyale,

condamné la société Decathlon France à payer à la société Intersport France la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance,

L'INFIRMER en ce qu'il a :

débouté la société Intersport France de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Et statuant à nouveau sur ce point,

CONDAMNER la société Decathlon France à payer à la société Intersport France la somme de 50.000 euros sur le fondement des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil pour le caractère abusif de la procédure initiée,

En tout état de cause,

DÉBOUTER la société Decathlon France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER la société Decathlon France à payer à la société Intersport France la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le caractère manifestement abusif de son appel,

CONDAMNER la société Decathlon France à payer à la société Intersport France la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, CONDAMNER la société Decathlon France aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Grappotte-Bénétreau en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la concurrence déloyale résultant de pratiques commerciales trompeuses

La société Decathlon fait valoir en substance que les pratiques commerciales trompeuses mises en 'uvre par la société Intersport sur son site internet, entre septembre 2021 et mars 2022, reposent sur une stratégie commerciale concertée et répétée à savoir, l'affichage d'un prix de référence prétendument barré de 999,99 €, la mise en 'uvre continue de promotions successives pendant plus de 22 semaines, l'emploi systématique de mentions telles que « Quantités limitées », « Prix Web »,« Nouveauté », « Déstockage massif » dans des conditions trompeuses, sans jamais que le produit soit vendu à son prix de référence initial, ni que ces messages promotionnels soient objectivement fondés ; qu'il en est résulté une modification substantielle du comportement économique du consommateur moyen, ainsi qu'une distorsion manifeste de concurrence à son détriment, alors qu'elle commercialisait pendant la même période des produits similaires, à un prix transparent et stable ; que ces pratiques s'inscrivent dans le champ des pratiques commerciales trompeuses au sens des articles L. 121-2 à L. 121-4 du code de la consommation, et ont eu pour finalité manifeste d'altérer la perception du consommateur sur la valeur, la disponibilité et l'urgence d'achat des produits concernés.

La société Intersport conteste l'existence de pratiques commerciales trompeuses, soutenant pour l'essentiel que les opérations promotionnelles mises en 'uvre ne présentaient aucun caractère déloyal, que les prix de référence ont été pratiqués avant et après les opérations promotionnelles, lesquelles ont toujours été annoncées pour des durées suffisamment longues pour ne pas créer un sentiment d'urgence chez le consommateur.

Sur ce,

Selon l'article L.121-1 du code de la consommation, « Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. (...) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7 ».

L'article L. 121-2 du même code, dans sa version en vigueur jusqu'au 28 mai 2022 applicable à l'espèce, précise que « Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :

(')

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

(')

c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service (') ».

Selon l'article L. 121-4 du même code, « Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :

(')

7° De déclarer faussement qu'un produit ou un service ne sera disponible que pendant une période très limitée ou qu'il ne sera disponible que sous des conditions particulières pendant une période très limitée afin d'obtenir une décision immédiate et priver les consommateurs d'une possibilité ou d'un délai suffisant pour opérer un choix en connaissance de cause ;

(') »

La société Decathlon reproche tout d'abord à la société Intersport d'avoir fait figurer sur les pages de son site internet relatives aux vélos litigieux la mention « Quantités limitées », du 27 septembre au 24 octobre 2021 pour le E-city Ltd et du 16 au 29 novembre 2021 pour le E-Cliff Ltd alors que les ventes se sont poursuivies, sans cette mention, pendant plusieurs mois après la fin des périodes annoncées, et ce en violation des articles L. 121-2 2° et L. 121-4 7° du code de la consommation.

Cependant, la société Intersport soutient sans être utilement contredite que si elle fabrique les vélos litigieux dans l'usine française de sa filiale la Manufacture française du Cycle (MFC), les difficultés d'approvisionnement en composants et pièces détachées dans le contexte de la crise sanitaire, l'ont contrainte, sur la période litigieuse, à passer des commandes à ladite filiale en quantités limitées, ce dont elle justifie par la production des ordres d'achat passés les 25 août et 9 septembre 2021. Elle justifie en outre que les livraisons de ces ordres d'achat sont intervenues postérieurement aux dates de livraison initialement prévues, soit les 7 octobre et 19 novembre 2021 au lieu respectivement des 17 septembre et 8 octobre 2021, de sorte que le stock de vélos disponibles était effectivement limité par rapport aux ventes escomptées, et ce d'autant que l'opération « Le mois Intersport » rencontre chaque année un grand succès commercial et que la demande en vélos avec assistance électrique est en forte croissance (+30% en 2020, +43% en 2021), ce qui a au demeurant occasionné des pénuries en 2021 sur le marché du cycle compte tenu des difficultés d'approvisionnement en composants susmentionnées. Il résulte de ces éléments, sans qu'il puisse être tiré argument de ce que la société Intersport n'a pas communiqué le détail de ses commandes et quantités disponibles, jour après jour, sur la période incriminée, qu'il n'est pas démontré que les mentions « quantités limitées » figurant sur le site internet de la société Intersport du 27 septembre au 24 octobre 2021, pour le vélo E-City, et du 16 au 29 novembre 2021, pour le vélo E-Cliff, soient trompeuses au sens des articles L. 121-2 2° et L. 121-4 7° susvisés, relativement à la disponibilité desdits vélos sur ces périodes respectives.

La société Decathlon fait grief en deuxième lieu à la société Intersport d'apposer la mention «Nouveauté» sur un produit présenté simultanément comme remisé de 40 %, soit dès son lancement commercial en ligne, ce qui abolit selon elle toute logique économique de lancement à prix normal, puis de remise ultérieure et revient à créer artificiellement un avantage de prix trompeur, cette présentation délibérément équivoque altérant l'appréciation du produit par le consommateur.

La cour relève, comme le tribunal, qu'il est constant que les versions 2021 des vélos E-City Ltd et E-Cliff Ltd, qui présentent quelques modifications légères par rapport aux modèles antérieurs, ont été vendues en magasin respectivement à partir de juillet et octobre 2021, et n'ont été commercialisées en ligne respectivement qu'à compter de septembre et novembre 2021, de sorte que la mention « Nouveauté » portée pendant quelques semaines après leur mise en vente sur le site internet n'est pas trompeuse pour le consommateur, la pratique d'un prix attractif de lancement n'étant en outre pas illicite, ainsi que le reconnaît elle-même la société Decathlon.

La société Decathlon reproche en troisième lieu, au visa de l'article L. 121-2 du code de la consommation, le caractère trompeur de la durée annoncée de l'opération « Le mois Intersport » relativement au vélo E-City Ltd, présentée au public pour durer seulement 14 jours, du 28 septembre au 10 octobre 2021, et qui s'est prolongée à compter du 11 octobre.

La cour constate cependant qu'il n'est pas contesté que l'opération intitulée « Le mois Intersport » a concerné le vélo E-City Ltd du 27 septembre au 24 octobre 2021, soit pendant la durée d'un mois, la circonstance que cette promotion, proposée initialement seulement jusqu'au 10 octobre 2021, a été prolongée jusqu'à la fin de ladite opération, soit jusqu'à la fin de la période d'un mois correspondant à l'intitulé même de l'opération promotionnelle, ne suffisant pas à caractériser le caractère trompeur pour le consommateur.

La société Decathlon soutient en quatrième lieu que les prix de référence de 999,99 euros affichés dans les promotions des deux vélos litigieux n'ont aucune réalité, que les vélos électriques E-City Ltd et E-Cliff Ltd vendus en ligne l'année précédente, étaient techniquement et administrativement différents, de sorte que leurs prix respectifs ne sauraient constituer un prix de référence valable pour les modèles 2021, présentés comme « nouveauté », et que la société Intersport ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, qu'elle a facturé les prix de référence de façon habituelle avant le début des promotions, l'invocation d'un prix pratiqué par un concurrent ne pouvant pas davantage fonder un prix de référence valable au sens de l'article 4 de l'arrêté du 11 mars 2015.

L'arrêté du 11 mars 2015 relatif aux annonces de réduction de prix à l'égard du consommateur, dont il n'est pas contesté qu'il est applicable aux faits de l'espèce, l'article L.112-1-1 du code de la consommation, issu de l'ordonnance du 22 décembre 2021 qui a transposé en droit français la directive 2019/2161 du 27 novembre 2019, n'étant entré en vigueur qu'à compter du 28 mai 2022, énonce : « Toute annonce de réduction de prix est licite sous réserve qu'elle ne constitue pas une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L.120-1 du code de la consommation et qu'elle soit conforme aux exigences du présent arrêté. »

L'arrêté du 11 mars 2015 précise :

- « Lorsqu'une annonce de réduction de prix est faite dans un établissement commercial, l'étiquetage, le marquage ou l'affichage des prix réalisés conformément aux dispositions en vigueur doivent préciser, outre le prix réduit annoncé, le prix de référence qui est déterminé par l'annonceur et à partir duquel la réduction de prix est annoncée » (article 2)

- « L'annonceur doit pouvoir justifier de la réalité du prix de référence à partir duquel la réduction de prix est annoncée » (article 4).

En l'espèce, il n'est pas contesté que les prix de 999,99 euros étaient les prix habituels des vélos E-City et E-Cliff dans leurs versions 2020 vendues sur le site internet de la société Intersport en 2020 et au premier semestre de l'année 2021, ainsi qu'en justifie la société Intersport par la production de nombreuses factures. Il est en outre établi que la version 2020 des vélos E-City et E-Cliff est très proche de leurs versions respectives 2021, leurs caractéristiques principales n'ayant pas changé, les seules modifications portant, en ce qui concerne le vélo E-City, sur le porte bagages qui est soudé et non plus vissé ce qui entraîne une légère adaptation du cadre, et en ce qui concerne le vélo E-Cliff sur un changement de coloris, de sorte qu'il est admissible que le prix 2020 desdits vélos soit utilisé comme prix de référence dans la promotion de leurs versions 2021, identiques ou quasiment identiques, nonobstant le fait que les versions 2021 des vélos ont fait l'objet d'un nouveau rapport de conformité et portent un nouveau code de référence destiné à en faciliter la traçabilité. La société Intersport justifie en outre par la production de factures datées respectivement, du 24 juillet au 18 septembre 2021, et du 28 octobre au 5 novembre 2021, soit des périodes antérieures à celles où les prix promotionnels respectifs ont été pratiqués, que les vélos E-City Ltd et E-Cliff Ltd ont été vendus en magasin et sur internet au prix de 999,99 euros. Le grief relatif au fait que le prix de référence utilisé dans les promotions n'a pas été pratiqué de manière effective n'est donc pas caractérisé.

La société Decathlon reproche en cinquième lieu l'enchaînement d'opérations promotionnelles successives, entre le 28 septembre 2021 et le 5 mars 2022, sous différentes appellations, « Prix Web », « Black Friday », « Soldes », « Déstockages massifs », sans que les deux vélos litigieux soient vendus entre temps à leur prix de référence, caractérisant ainsi une pratique commerciale trompeuse constitutive de concurrence déloyale.

Il n'est cependant pas contesté que la mise en 'uvre d'opérations promotionnelles successives, chacune ayant une durée suffisamment longue, au moins une semaine, pour permettre au consommateur de comparer les produits et les prix avec ceux des concurrents et ne pas créer artificiellement un sentiment d'urgence, n'est pas en soi illicite, et il a été démontré que le prix de référence de 999,99 euros, affiché par la société Intersport au cours desdites opérations, était le prix pratiqué antérieurement, à partir duquel la réduction du prix est annoncée. Il n'est donc pas démontré une pratique commerciale trompeuse de ce chef.

La société Decathlon fait grief en sixième lieu à la société Intersport de l'indisponibilité du vélo E-City lorsqu'il est enfin affiché à son prix de référence, ce qui prive le consommateur de toute possibilité de vérifier la réalité du prix barré antérieur.

Il résulte cependant du procès-verbal de constat dressé par la société Decathlon le 15 avril 2022 que si le vélo E-City n'est en effet pas disponible en livraison, il est disponible pour un retrait en magasins « click and collect », dans plus de 25 magasins, la société Intersport justifiant de factures de vente à 999,99 euros sur cette période, de sorte que l'allégation selon laquelle les vélos E-City sont indisponibles manque en fait, la pratique d'un site marchand d'un franchiseur proposant au client final une option de « click and collect » dans le point de vente du franchisé étant licite, le produit vendu au prix affiché en ligne, déterminé par le franchiseur, provenant, soit du stock du franchiseur, soit de celui du franchisé qui a accepté les commandes en click and collect. Ce grief d'indisponibilité des vélos E-City à leur prix de référence après la fin de la période de promotion n'est donc pas caractérisé.

La société Decathlon reproche en septième lieu l'usage de la mention « Prix web » pour la vente du vélo E-City alors que le produit est vendu au même prix dans les magasins Intersport de sorte qu'il s'agit d'une fausse exclusivité trompeuse destinée à inciter à l'achat immédiat en ligne.

Cependant cette mention « prix web », qui ne comporte pas de mention d'exclusivité dudit prix, n'est pas trompeuse dès lors que le prix du vélo ainsi affiché est valable pour toute commande en ligne, quel que soit le mode de livraison choisi par le consommateur, à domicile ou en magasin, cet engagement vis-à-vis du consommateur de maintien du « prix web » même en cas de « click and collect » étant essentiel, compte tenu de ce que les prix pratiqués en magasin franchisés peuvent être différents de ceux pratiqués sur le site.

La société Decathlon reproche enfin, au visa de l'article L. 121-4 23° du code de la consommation, l'usage de la mention « Déstockage massif » pour la vente du vélo E-City, à compter du 10 février 2022, après la période des soldes, en maintenant une réduction de prix identique de 50%, donnant l'impression aux consommateurs qu'ils continuaient à bénéficier des soldes alors que leur période officielle venait de s'achever.

Selon l'article L. 121-4 du même code, « Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :

(')

23° Dans une publicité, de donner l'impression, par des opérations de promotion coordonnées à l'échelle nationale, que le consommateur bénéficie d'une réduction de prix comparable à celle des soldes, tels que définis à l'article L.310-3 du code de commerce, en dehors de leur période légale mentionnée au même article L.310-3 ».

Il n'est pas contesté qu'en dehors de la période des soldes les opérations promotionnelles ne sont pas règlementées et que le terme « déstockage massif » n'est pas en soi illicite, seul le caractère fictif d'une publicité donnant l'impression au consommateur qu'il bénéficie d'une réduction comparable à celle des soldes, alors que tel n'est pas le cas, étant réputée trompeuse au sens de l'article susvisé.

En l'espèce, il est établi que la réduction de prix de 50% par rapport au prix de référence de 999,99 euros, appliquée par la société Intersport, dans le cadre de l'opération « déstockage massif », du 10 au 20 février 2022, c'est-à-dire une durée suffisamment longue pour ne pas créer artificiellement un sentiment d'urgence chez le consommateur, est bien réelle, et que cette pratique n'est donc pas trompeuse au sens de la disposition susvisée.

Ainsi les griefs invoqués par la société Decathlon, pris isolément comme dans leur ensemble, ne caractérisent pas des pratiques commerciales trompeuses constitutives de concurrence déloyale à son détriment. L'ensemble de ses demandes sera donc rejeté et le jugement entrepris confirmé.

Sur le caractère abusif de la procédure

La société Intersport prétend que la procédure diligentée par la société Decathlon est abusive et demande sa condamnation à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts.

La société Intersport sera cependant déboutée de sa demande à ce titre, faute pour elle de rapporter la preuve d'une faute de la part de la société Decathlon, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense. Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Decathlon France aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre, la somme de 5 000 euros, à la société Intersport France.

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