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CA Amiens, ch. économique, 20 novembre 2025, n° 24/04333

AMIENS

Autre

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CA Amiens n° 24/04333

20 novembre 2025

ARRET



[G]

C/

[H]

OG

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ

Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 24/04333 - N° Portalis DBV4-V-B7I-JGYI

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE BOULOGNE-SUR-MER DU 03 NOVEMBRE 2020

ARRET DE LA COUR DE CASSATION DE [Localité 5] DU DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur [K] [G] (Demandeur à la saisine)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Raphaël TACHON de la SCP WABLE - TRUNECEK - TACHON - AUBRON BLG, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER, substitué par Me Romain BRONGNIARD, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER,

APPELANT

DEMANDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

ET

Monsieur [M] [H]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Hélène CAMIER de la SELARL LX AVOCATS, avocat au barreau d'AMIENS, substituée par Me TURPIN, avocat au barreau d'AMIENS

Ayant pour avocat plaidant Me Sophie GRAUX, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER

INTIME

DEFENDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L'affaire est venue à l'audience publique du 11 septembre 2025 devant la cour composée de Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre, Présidente, Mme Florence MATHIEU et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l'audience, la cour était assistée de Madame Elise DHEILLY, greffière.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 804 du Code de procédure civile et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 20 novembre 2025, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 20 novembre 2025, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre et Madame Elise DHEILLY, greffière.

*

* *

DECISION :

Suivant acte en date du 12 juin 2019, M. [K] [G] a cédé à M. [M] [H] la pleine propriété de 100 actions composant l'intégralité du capital social de la société "Le Sleeping" exploitant un fonds de commerce d'hôtel-café-restaurant dont il était gérant, moyennant le prix total de 70.000 euros.

Les parties se sont accordées sur un règlement en trois chèques (l'un de 50.000 euros et deux autres de 10.000 euros) lors de la signature de l'acte.

Seul un chèque de 50000 euros a été encaissé après qu'un premier chèque du même montant ait été retourné impayé et les deux chèques de 10000 euros ont été rejetés pour motif de perte.

Se prévalant de la révélation d'un passif après la cession et de paiements effectués avec la carte bancaire de la société mais étrangers à son activité, M. [H] a assigné M. [G] devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer le 19 juin 2020 aux fins de voir annuler la cession des parts sociales sur le fondement du dol.

Par un jugement en date du 7 janvier 2021, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société "Le Sleeping".

Par un jugement en date du 3 novembre 2020, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a prononcé l'annulation de la cession d'actions et a condamné M. [G] à rembourser à M. [H] la somme de 50.000 euros, tout en déboutant ce dernier de sa demande de dommages et intérêts. M. [G] a été condamné au paiement d'une somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.

M. [G] a interjeté appel de cette décision et par un arrêt en date du 15 septembre 2022, la cour d'appel de Douai a infirmé en toutes ses dispositions le jugement dont appel, et statuant à nouveau a débouté M. [H] de sa demande tendant à voir annuler la cession des parts sociales et de sa demande de remboursement de la somme de 50.000 euros, tout en déboutant M. [G] de sa demande de dommages et intérêts.

Par un arrêt en date du 18 septembre 2024, la Cour de cassation a cassé et annulé sauf en ce qu'il déboute M. [G] de sa demande de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 15 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai, remis sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Amiens.

M. [G] a procédé à la saisine de la cour d'appel d'Amiens le 22 novembre 2024.

Aux termes de ses conclusions en date du 13 mai 2025, M. [G] demande à la cour de réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de débouter M. [H] de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions et de juger n'y avoir lieu à annulation de la cession de parts. A titre subsidiaire dans l'hypothèse d'une annulation de la cession de parts il demande à la cour au vu de la liquidation judiciaire de la société Le Sleeping, de la disparition des parts sociales et de l'impossibilité d'une restitution en nature de condamner M. [H] à lui payer la somme de 90000 euros, valeur des parts sociales lors de leur vente par M. [H] à Mme [C]. En tout état de cause, il demande à la cour de condamner M. [H] au paiement de la somme de 4800 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner au paiement des entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions en date du 11 avril 2025, M. [H] demande à la cour de confirmer le jugement rendu le 3 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer excepté en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau de condamner M. [G] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts. En toutes hypothèses, il demande que M. [G] soit débouté de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions et condamné à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers frais et dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Sophie Graux.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Les premiers juges ont considéré que certaines informations essentielles sur la situation financière de la société Le Sleeping avaient été dissimulées lors de la cession des actions notamment au regard de la situation du passif mais également quant au redressement fiscal dont elle faisait l'objet alors même que si M. [H] avait eu connaissance de l'intégralité du passif il n'aurait probablement pas contracté, les informations cachées ayant été volontairement dissimulées alors qu'elles avaient un caractère déterminant dans la décision de contracter.

La cour d'appel au contraire a considéré qu'en l'absence de toutes démarches de l'acquéreur pour se renseigner sur la situation financière de l'entreprise, le silence du vendeur sur l'existence des dettes ou des contrats liant la société avec des tiers ne constitue pas une dissimulation volontaire de la situation financière de l'entreprise caractérisant un dol et qu'en outre les seuls éléments fiscaux faisant état au titre d'un contrôle fiscal d'une somme restant à payer de 2588 euros n'étaient pas de nature à influer sur la décision de l'acquéreur.

La Cour de cassation a considéré qu'en se déterminant par des motifs tirés de ce que le cessionnaire aurait dû se renseigner avant la cession sur la situation financière de la société qui sont impropres à exclure l'existence d'une réticence dolosive laquelle rend toujours excusable l'erreur provoquée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

M. [G] soutient que M. [H] prétend faussement à un dol par la dissimulation d'un passif alors qu'en fait il a usé de manoeuvres frauduleuses visant à commettre à son encontre une escroquerie tout d'abord en faisant rejeter le chèque de 50000 euros dès la signature de l'acte de cession puis en faisant opposition aux autres chèques. Il ajoute qu'en cours de procédure, le 27 octobre 2020, la société Le Sleeping représentée par M. [H] a cédé le fonds de commerce exploité pour le prix de 90000 euros alors même que M. [H] sollicitait l'annulation de la cession des parts et a cédé les parts. Il fait observer en outre que la société Le Sleeping a fait l'objet d'une liquidation judiciaire définitive et d'une radiation.

Il soulève l'absence de dol et rappelle que le manquement à une obligation d'information précontractuelle d'information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence si ne s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d'une erreur déterminante provoquée par celui-ci.

Il fait valoir qu'il ressort de l'acte de cession de parts sociales que M. [H] a été informé et a accepté la reprise des dettes de la société et des pertes et en particulier qu'il a pris connaissance du bordereau de situation fiscale et de la somme de 24520 euros due mais également de la dette de TVA pour 21000 euros, et qu'afin de faire face à d'éventuelles charges complémentaires M. [H] a négocié une diminution conséquente du prix de vente passant de 130000 euros à 80000 euros puis 70000 euros.

Il conteste toute dissimulation du prêt de 30000 euros contracté auprès de la banque Bred, qui lui aurait été préjudiciable dès lors qu'il en est caution et indique que ce prêt destiné à financer l'acquisition d'équipement, souscrit au sein de la banque détenant les comptes de la société et dont le solde dû est de 8780,64 euros, était bien inscrit en comptabilité raison pour laquelle il a été payé jusqu'en juin 2020.

Il conteste également tout usage de la carte bancaire de la société qui a été remise au cessionnaire.

Enfin il fait valoir que M. [H] ne peut arguer d'une erreur par lui commise dès lors que il n'est pas un acquéreur profane dans la mesure où il est titulaire de différents mandats sociaux, que l'expert-comptable rédacteur de l'acte de cession atteste qu'il a établi un compte de résultat provisionnel sans que pressé l'acquéreur ne juge bon de faire établir une situation intermédiaire alors que l'absence de garantie de passif devait conduire à une vigilance accrue.

Il considère que seule la légèreté dont M. [H] a fait preuve l'a conduit à ne pas s'informer sur des éléments basiques.

M. [H] reconnaît avoir été informé préalablement à la cession de la dette relative à la TVA mais indique que postérieurement à la cession il a dû faire face aux relances de nombreux créanciers antérieurs à la cession et qu'il a découvert que le passif de la société comprenait également un redressement fiscal de 40055 euros consécutif à une vérification de comptabilité réalisée entre le 11 octobre 2018 et le 7 mars 2019 auquel s'est ajouté le passif de contrats souscrits antérieurement à la cession ainsi que d'un prêt de 3.0000 euros souscrit en 2015.

Il ajoute avoir constaté des règlements étrangers à l'activité de la société postérieurement à la cession pour lesquels il a déposé plainte.

Il rappelle qu'aux termes de l'acte de cession ne lui ont été remis qu'un exemplaire des statuts de la société et un extrait des inscriptions au registre du commerce et des sociétés de moins de trois mois avant la date de la signature.

Il soutient que M. [G] a volontairement dissimulé ces informations qu'il connaissait indiscutablement et a dissimulé les dettes dont la connaissance était déterminante du consentement à la cession, faits constitutifs d'un dol justifiant l'annulation de la cession.

Il ajoute que la clause insérée au contrat selon laquelle le cessionnaire sera tenu des dettes à compter de ce jour a pu lui faire croire que seules les dettes à naître postérieurement à la cession avaient vocation à être prises en charge par la société.

Il fait valoir qu'aucun compte prévisionnel comprenant les dettes n'est versé aux débats.

Il conteste être le signataire des écrits qui lui sont opposés aux termes desquels il reconnaîtrait accepter une ristourne sur le prix de la cession en contrepartie de l'acceptation de charges complémentaires et être responsable de la carte bancaire de la société à compter du 13 juin 2019.

Il fait valoir que face à la situation obérée de la scoiété il n'a eu d'autre choix que de céder le fonds de commerce dont le prix de 90000 euros ne concerne pas la cession des actions.

En application de l'article 1137 du code civil constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des cocontractants d'une information dont il sait le cacratère déterminant pour l'autre partie.

En application de l'article 1139 du code civil l'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable.

En l'espèce M. [H] reproche au cédant des actions de lui avoir dissimulé intentionnellement des dettes antérieures à la cession incombant à la société et en premier lieu un redressement fiscal d'un montant de 40500 euros mais également un passif découlant de contrats antérieurs qu'il n'a découvert qu'au seul vu des demandes en paiement lui étant parvenues ainsi qu'un prêt d'un montant initial de 30000 euros.

Il convient de relever qu'une grande partie du redressement fiscal concernait selon les documents produits aux débats la TVA et que M. [H] reconnaît en avoir eu connaissance à hauteur de 21000 euros en signant le bordereau de situation fiscale et en mentionnant expressément reconnaître avoir connaissance de cette dette fiscale.

Par ailleurs M. [H] ne peut sérieusement prétendre avoir été induit en erreur et avoir pu supposer qu'il rachetait les parts d'une société sans être concerné à compter du jour de la cession, par les charges supportées par la société.

Aussi les échéances du prêt d'équipement, mais également les échéances impayées de contrat de financement Lease Com ou Locam ne sauraient constituer un passif dissimulé, étant observé au demeurant que les échéances impayées sont postérieures de plusieurs mois à la cession pour le contrat Lease com et de date indéterminée pour le second alors que le prêt d'équipement a toujours été réglé.

Seule la révélation d'un complément de redressement d'environ 6288 euros déduction faite de la TVA, de contraintes URSSAF ou d'une dette auprès de l' ASP ou encore auprès de l'AGIRC ARRCO ou le non paiement de factures chubb ou Radio ( 1033,44 et 1598,03 euros) antérieures à la cession pourrait constituer une dissimulation dolosive si toutefois la dissimulation intentionnelle était établie.

Or il résulte d'une attestation en date du 18 juin 2019 que M. [H] reconnaît que sur une évaluation initiale des parts de la société à un montant de 130000 euros il a obtenu un prix de vente de 80000 euros plus une ristourne de 10000 euros pour faire face aux éventuelles charges supplémentaires.

Il ne peut nier ainsi avoir eu connaissance de l'existence d'un passif existant ou à venir le redressement fiscal ayant été notifié à une date proche de la cession.

Si M. [H] conteste en être l'auteur, outre le fait que cette attestation contient jusqu'au numéro de sa carte nationale d'identité la cour détient un élément de comparaison avec la mention signée de la reconnaissance de l'information sur la dette de TVA qu'il ne conteste pas avoir rédigée et signée et il est manifeste qu'il est l'auteur des deux écrits.

Par ailleurs l'utilisation frauduleuse de la carte bancaire de la société n'est nullement établie par le seul dépôt de plainte de M;[H] qui reconnaît avoir attesté le 13 juin 2019 prendre sous sa responsabilité la carte bancaire de la société alors qu'il le nie à présent.

Aucune réticence dolosive ayant pu déterminer le consentement de M. [H] ne peut en conséquence être retenue.

Il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la cession.

Au regard de cette infirmation il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts formée par M. [H].

Il ne peut être par ailleurs statué sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [G] la Cour de cassation n'ayant pas cassé l'arrêt sur ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de condamner M.[H] aux entiers dépens de première instance et d'appel et de le condamner à payer à M. [G] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 septembre 2024,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer des chefs de l'annulation de la cession d'actions et de la condamnation subséquente en remboursement et du chef des dépens et des frais irrépétibles .

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;

Déboute M. [M] [H] de sa demande d'annulation de la cession, de sa demande de remboursement du prix de cession et de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne M. [M] [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Le condamne à payer à M. [K] [G] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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