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CA Rouen, ch. civ. et com., 20 novembre 2025, n° 25/00567

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 25/00567

20 novembre 2025

N° RG 25/00567 - N° Portalis DBV2-V-B7J-J4HZ

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 20 NOVEMBRE 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

24/00328

Tribunal judiciaire d'Evreux du 06 novembre 2024

APPELANTE :

S.A.R.L. PARISTANBUL SARL PARISTANBUL

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée et assistée par Me Pierre DELANNAY de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau d'EURE

INTIMEE :

S.C.I. LITTORAL

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée et assistée par Me Jamellah BALI de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD, avocat au barreau d'EURE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 septembre 2025 sans opposition des avocats devant Mme MENARD-GOGIBU, conseillère, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme VANNIER, présidente de chambre

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 11 septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 novembre 2025 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 20 novembre 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme VANNIER, présidente de chambre et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 22 mai 2012, la SCI Gaulle-JM a donné à bail à usage commercial à la société COE, un local commercial sis au [Adresse 7], pour une durée de neuf ans à compter du 1er juin 2012.

Par acte authentique du 3 mai 2014, la société COE a cédé ce fonds de commerce, en ce compris le droit au bail des locaux, à effet du 3 mai 2014, à la SARL Paristanbul. Cette société exerce dans les locaux une activité de restaurant, pizzeria, vente à emporter.

La société Gaulle-JM a cédé le local commercial à la SCI Littoral suivant acte authentique du 31 août 2021.

La société Paristanbul étant défaillante dans ses obligations de paiement, la société Littoral lui a fait délivrer le 9 janvier 2024 un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire portant sur une somme de 2.025 euros au titre de loyers et charges impayés.

Par acte du 31 juillet 2024, la SCI Littoral a fait assigner la société Paristanbul devant le président du tribunal judiciaire d'Evreux statuant en référé notamment aux fins de constater l'acquisition de la clause résolutoire, d'ordonner l'expulsion de la société Paristanbul et de la condamner au paiement de loyers impayés.

Par ordonnance du 6 novembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evreux a :

- constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 9 février 2024 ;

- condamné la société Paristanbul à restituer les lieux situés à [Adresse 8] [Localité 1], [Adresse 6] dans le mois de la signification de la décision ainsi rendue ;

- ordonné, passé ce délai, son expulsion et de celle de tous occupants de son fait par les voies légales, au besoin avec l'assistance de la force publique ;

- condamné la société Paristanbul à payer à la société Littoral, à titre provisionnel en deniers et quittances :

* 2.706,25 euros au titre des loyers et charges échus au jour de la résiliation ;

* une indemnité mensuelle d'occupation de 681,25 euros à compter du 1er mars 2024 et jusqu'à la date de libération effective des lieux ;

- constaté que la société Paristanbul a réglé la somme de 2.990 euros entre le 9 janvier 2024 et le 29 mars 2024, à déduire des condamnations provisionnelles ;

- dit que les sommes échues porteront intérêts à compter du jour de la présente ordonnance et que les indemnités mensuelles à échoir porteront intérêts du jour de leur exigibilité ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ainsi rendue ;

- condamné la société Paristanbul aux dépens de l'instance, y compris le coût du commandement de payer du 9 janvier 2024, les frais de levée d'un état des inscriptions prises sur le fonds de commerce du locataire et les frais de notification aux éventuels créanciers inscrits ;

- condamné la société Paristanbul à payer à la société Littoral la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Paristanbul a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 14 février 2025.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 5 septembre 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Paristanbul qui demande à la cour de :

- réformer et infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 6 novembre 2024 par le président du tribunal judiciaire d'Evreux ;

- ce faisant, réformer et infirmer l'ordonnance de référé en ce que le tribunal a :

* constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 9 février 2024 ;

* condamné la société Paristanbul à restituer les lieux situés à [Adresse 8] ([Adresse 4]), [Adresse 6] dans le mois de la signification de la décision ainsi rendue ;

* ordonné, passé ce délai, son expulsion et de celle de tous occupants de son fait par les voies légales, au besoin avec l'assistance de la force publique ;

* condamné la société Paristanbul à payer à la société Littoral, à titre provisionnel en deniers et quittances :

**2.706,25 euros au titre des loyers et charges échus au jour de la résiliation ;

**une indemnité mensuelle d'occupation de 681,25 euros à compter du 1er mars 2024 et jusqu'à la date de libération effective des lieux ;

* constaté que la société Paristanbul a réglé la somme de 2.990 euros entre le 9 janvier 2024 et le 29 mars 2024, à déduire des condamnations provisionnelles ;

* dit que les sommes échues porteront intérêts à compter du jour de la présente ordonnance et que les indemnités mensuelles à échoir porteront intérêts du jour de leur exigibilité ;

* ordonné l'exécution provisoire de la décision ainsi rendue ;

* condamné la société Paristanbul aux dépens de l'instance, y compris le coût du commandement de payer du 9 janvier 2024, les frais de levée d'un état des inscriptions prises sur le fonds de commerce du locataire et les frais de notification aux éventuels créanciers inscrits ;

* condamné la société Paristanbul à payer à la société Littoral la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

À titre principal,

- juger que la clause résolutoire a été mise en 'uvre de mauvaise foi par la société Littoral ;

- constater l'existence de contestations sérieuses faisant obstacle à la mise en 'uvre de la clause résolutoire.

Par conséquent :

- juger que la clause résolutoire ne peut produire effet et se trouve donc paralysée ;

- juger inopposable et irrecevable le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 9 janvier 2024 ;

- déclarer nul et non avenu le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 9 janvier 2024 ;

- par conséquent, juger que la clause résolutoire ne peut produire effet ;

- débouter la société Littoral de sa demande d'acquisition de la clause résolutoire et, partant, d'expulsion.

Concernant le manquement à l'obligation de délivrance :

- juger que la société Littoral a manqué à son obligation de délivrance ;

- juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire du 9 janvier 2024 a été délivré de mauvaise foi ;

- prononcer la nullité de ce commandement de payer ;

- en toute hypothèse, débouter la société Littoral de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- juger que la dette locative est soldée ;

- octroyer, si besoin rétroactivement, des délais de 24 mois à la société Paristanbul pour acquitter sa dette locative, conformément aux dispositions de l'article 1343-5 du code civil.

Y faisant droit :

- suspendre les effets de la clause résolutoire attachée au commandement de payer délivré le 9 janvier 2024 ;

- juger que la dette locative est soldée de sorte que la clause résolutoire est réputée n'avoir jamais joué.

En toute hypothèse :

- condamner la société Littoral aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- condamner la société Littoral à verser à la société Paristanbul une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 ;

- débouter la société Littoral de sa demande au titre de l'article 700 et des dépens.

Vu les conclusions du 9 septembre 2025 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et prétentions de la société Littoral qui demande à la cour de :

- débouter la société Paristanbul de toutes ses demandes, fins et prétentions, avec toutes conséquences de droit.

En conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evreux.

Y ajoutant,

- débouter la société Paristanbul de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ;

- condamner la société Paristanbul à payer à la société Littoral une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Paristanbul aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2025.

Le conseil de la SCI Littoral a déposé à l'audience les conclusions du 9 septembre 2025 indiquant les avoir notifiées par le RPVA ce même jour à 11h20.

A ces conclusions remises à l'audience est annexé un message RPVA du 9 septembre 2025 adressé au greffe de la chambre civile et commerciale et à la SARL Paristanbul à 11h20 mentionnant pour objet « dépôt conclusions intimé » étant ajouté « à la suite des conclusions d'appelante notifiées le 5 septembre 2025, je notifie des conclusions d'intimée n° 3 » .Ce message précise toutefois au titre des pièces jointes : « Pas de pièce jointe » ce qui explique que lesdites conclusions n'apparaissent pas sur le RPVA.

La SARL Paristanbul a indiqué ne pas faire de difficultés quand bien même le greffe n'avait pas trouvé trace desdites conclusions sur le RPVA.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'acquisition de la clause résolutoire

Moyens des parties

La SARL Paristanbul soutient que :

* la clause résolutoire a été mise en 'uvre de mauvaise foi par la SCI Littoral qui ne peut pas s'en prévaloir : l'assignation a été délivrée aux fins d'acquisition de la clause résolutoire pour la somme de 345 euros ; le bailleur avait connaissance de la situation locative au regard des travaux importants engagés dans le centre-ville de [Localité 9] qui ont eu pour conséquence une baisse considérable d'activité et des difficultés à pouvoir régler le loyer ; le bail ne prévoit pas d'appels de provision mensuelle de charges, le bailleur a créé artificiellement une dette lors de la délivrance du commandement ;

* un commandement de payer visant la clause résolutoire est irrégulier dès lors qu'il porte notamment sur des provisions pour charges non prévues au bail ; aucun accord n'existe à ce titre entre les parties ; il s'agit à tout le moins d'une contestation sérieuse faisant obstacle à la mise en 'uvre de la clause résolutoire et à son acquisition ;

* la clause résolutoire ne prévoit pas sa mise en 'uvre à ce titre ; elle se limite à prévoir le défaut de paiement du loyer et de ses accessoires, mais non pas des charges ;

* il ne s'agit pas de dire que le bail ne prévoit pas de mettre à la charge du preneur des charges mais que le bail ne prévoit pas de provision mensuelle pour charges ;

* le bailleur a manqué à son obligation de délivrance ; les toilettes sont régulièrement bouchées en raison d'un problème d'évacuation inhérent à l'immeuble que le propriétaire ne souhaite pas régler ; elle doit désormais faire face à de fréquentes infiltrations d'eau dans le restaurant ; le gestionnaire du bien en a été informé, aucune mesure n'a été prise par le bailleur.

La SCI Littoral réplique que :

* la SARL Paristanbul rencontre des difficultés financières récurrentes puisque cela fait la deuxième procédure qu'elle est contrainte de mettre en 'uvre ;

* la mauvaise foi est du côté du preneur qui ne règle ses loyers que sous le coup de procédures judiciaires ; la SARL Paristanbul a déjà fait l'objet d'une procédure en résiliation de bail qui s'est soldée par un accord et donc par de la bienveillance du bailleur ; quelques mois après, le locataire a connu à nouveau des impayés ; l'appelante a connu des difficultés financières, bien avant la réalisation des travaux ;

* les charges sont appelées mensuellement depuis de nombreux mois, la seule régularisation de 254,40 euros n'a pu mettre en péril la SARL Paristanbul ; les charges sont des accessoires du montant du loyer ; elle appelle une provision mensuelle de 109 euros qui correspond à la quote-part de taxe foncière incombant à l'occupant, aucune autre charge n'a été refacturée et aucune régularisation n'a été effectuée depuis le début du bail ;

* elle prend connaissance des difficultés liées aux sanitaires à la lecture des conclusions d'appelante du 30 juillet 2025, alors que les factures datent de septembre 2021, janvier et juillet 2023 ; aucune demande d'intervention ne lui a été adressée par le locataire ; quant aux infiltrations, l'événement est un dégât des eaux postérieur au présent litige et qui a fait l'objet d'une déclaration de sinistre auprès de l'assureur du bailleur dès que la SARL Paristanbul lui a fait part de la situation ; la mise en 'uvre de la clause résolutoire début 2024 ne peut être remise en cause avec une exception d'inexécution soulevée en juin / juillet 2025.

Réponse de la cour

L'article 834 du code de procédure civile dispose que, 'dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.'

La juridiction des référés n'est toutefois pas tenue de caractériser l'urgence pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du droit au bail.

L'article L 145-41 du code de commerce dispose que 'toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'

A titre liminaire, la cour rappelle qu'il ne relève pas des pouvoirs du juge des référés de prononcer la nullité du commandement de payer. Il ne peut que déterminer si les éventuelles irrégularités, invoquées à l'encontre du commandement, sont susceptibles de constituer un moyen de contestation sérieuse faisant obstacle au constat de la résolution du bail.

En application du texte précité, tout bailleur qui entend se prévaloir de la clause résolutoire doit mettre en 'uvre cette disposition contractuelle de bonne foi.

Faute d'avoir payé ou contesté les causes du commandement de payer dans le délai imparti, prévu au bail, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement de payer. L'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.

La clause résolutoire est d'interprétation stricte, elle ne peut être mise en oeuvre, et être déclarée acquise, que pour un manquement à une stipulation expresse du bail rappelée au commandement d'avoir à s'y conformer.

Un commandement de payer visant la clause résolutoire délivré pour une somme supérieure à la dette véritable reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due.

Le commandement du 9 janvier 2024 visant la clause résolutoire insérée au bail a été délivré pour paiement de la somme de 2025 euros en principal au titre des loyers et provisions pour charges des mois de novembre et décembre 2023 et du mois de janvier 2024 soit pour chaque mois le loyer de 572,25 euros, les provisions pour charges de 109 euros.

Les termes de la clause résolutoire sont reproduits dans l'acte extra-judiciaire comme suit : « Il est expressément convenu qu'à défaut de paiement d'un seul terme de loyer, du montant des accessoires et du coût du commandement à son échéance ou d'exécution d'une seule des conditions du bail et un mois après un simple commandement de payer ou quinze jours après sommation d'exécuter demeurée infructueuse, le bail sera résilié si bon semble au bailleur sans qu'il soit besoin de remplir de formalité judiciaire, nonobstant toutes consignations ou offres réelles postérieures au délai ci-dessus, le preneur devant, en outre supporter personnellement les frais de procédure engagés ce à quoi il s'oblige.

Il suffira d'une simple ordonnance de référé et exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel pour obtenir l'expulsion des lieux loués. »

L' acte extra-judiciaire précise que « A défaut de satisfaire au présent commandement, et le délai d'un mois expiré, le demandeur entendra si bon lui semble, se prévaloir de la clause résolutoire insérée au bail. »

Il est stipulé au bail commercial du 22 mai 2012 à la rubrique intitulée Charges et Conditions au point 6°) du paragraphe III que le preneur s'engage à « rembourser, dans les quinze jours de la demande, au bailleur ou de son mandataire, les charges accessoires, prestations, taxes et fournitures à sa charge en vertu des présentes, savoir chauffage, électricité en fonction des surfaces louées (') toutes les charges locatives ('), selon les décomptes qui seront fournis ('). » et au point suivant « de supporter l'impôt foncier afférent aux locaux loués sur la base des quantièmes définis sur le règlement de copropriété. »

Il est prévu que le bail est « consenti et accepté moyennant un loyer annuel de 6240 euros HT payable mensuellement d'avance. »

Sans qu'il soit besoin d'interpréter le bail, ce que le juge des référés ne peut pas faire, les charges sont des accessoires et la clause résolutoire insérée au bail énoncée plus haut vise le défaut de paiement des accessoires.

Mais le bail du 22 mai 2012 liant les parties ne prévoit pas d'appel mensuel de provisions pour charges de sorte qu'en l'absence de stipulation expresse sur une provision de 109 euros par mois la clause résolutoire ne pouvait pas être mise en 'uvre pour leur défaut de paiement.

Le fait pour la SCI Littoral d'avoir réclamé par le commandement querellé des provisions pour charges qui ne sont pas contractuellement prévues ne caractérise pas pour autant sa mauvaise foi dès lors qu'elle produit des factures adressées à la SARL Paristanbul au titre des mois de novembre et décembre 2017 qui en font mention et qu'il apparaît de la précédente procédure qu'étaient réclamés à la SARL Paristanbul non seulement un arriéré de loyers mais également un arriéré de provisions pour charges, sommes dont il n'est pas contesté qu'elles ont été réglées.

Bien que des charges hors provisions mensuelles soient dues par la SARL Paristanbul dans les conditions prévues par le bail, le commandement de payer du 9 janvier 2024 ne pouvait porter que sur les loyers des mois de novembre, décembre 2023 et janvier 2024 soit pour chaque mois 572,25 euros dont à déduire un crédit de 18,75 euros soit sur la somme de 1698 euros (572,25 x 3 ' 18,75) et il apparaît de l'historique du compte du locataire arrêté au 1er avril 2024 que les causes du commandement n'ont pas été réglées dans le mois de sa délivrance, la SARL Paristanbul restant redevable après paiement des sommes de 680 et 1000 euros les 9 janvier et 2 février 2024 de la somme de 18 euros et du coût du commandement de payer le 10 février 2024.

La mauvaise foi imputée au bailleur s'appréciant au moment de la délivrance du commandement de payer le 9 janvier 2024, l'allégation de mauvaise foi de la SCI Littoral lorsqu'elle a assigné la SARL Paristanbul le 31 juillet 2024 est sans portée.

La SARL Paristanbul justifie que des travaux ont été engagés à [Localité 9] pour réaménager le quartier de la gare, travaux ayant débuté en février 2023 pour s'achever en avril 2025 étant fait état dans l'article de presse de « la fermeture ponctuelle de la [Adresse 10] à la circulation en juillet 2023 selon l'avancement des travaux de réalisation d'un giratoire. »

Il n'apparaît pas des pièces produites par la SARL Paristanbul qu'elle s'est rapprochée du bailleur avant la délivrance du commandement de payer pour s'ouvrir de difficultés financières liées à ces travaux ce qui exclut toute mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance de cet acte extra-judiciaire.

En application des dispositions de l'article 1719 du Code civil, « le bailleur est tenu d'une obligation de délivrance en mettant à la disposition du preneur un bien conforme à sa destination contractuelle. Cette obligation demeure tout au long du bail et il ne peut y être dérogé. »

L'article 1720 du même code dispose que « le bailleur doit faire pendant la durée du bail toutes les réparations devenues nécessaires autres que locatives. »

Pour démontrer le manquement de la SCI Littoral à son obligation de délivrance, la SARL Paristanbul verse aux débats, d'une part, trois factures de débouchage de toilettes et de canalisations en septembre 2021, janvier 2023 et juillet 2023 et, d'autre part, le constat de Maître [S], commissaire de justice à Evreux dressé les 3 et 17 juillet 2025 auquel sont jointes des photographies et la description du visionnage par la commissaire de justice de deux vidéos, le tout portant sur des infiltrations d'eau lors des fortes de pluie ainsi les 5 et 13 juin 2025.

Mais aucune pièce n'est produite sur des demandes qui auraient été faites au bailleur de remédier à des désordres en lien avec des problèmes d'évacuation ayant donné lieu aux interventions de débouchage en 2021, en janvier et juillet 2023. Quant aux infiltrations d'eau constatées en juillet 2025, elles ne sont pas contemporaines de la date de délivrance du commandement de payer.

Il n'apparaît pas de ces éléments que le local loué à la SARL Paristanbul présentait un état tel en janvier 2024 rendant impossible de l'utiliser pour exercer son activité.

Il s'ensuit que le moyen soutenant la mauvaise foi du bailleur pour avoir fait délivrer le commandement de payer au motif d'un manquement à l'obligation de délivrance sera rejeté.

Il résulte de tout ce qui précède avec l'évidence requise en référé que le commandement de payer a été valablement délivré le 9 janvier 2024 pour avoir paiement de la somme de 1716,75 euros au titre des loyers impayés outre celle de 132,23 euros au titre du coût de l'acte et il apparaît de l'historique du compte du locataire arrêté au 1er avril 2024 que les causes du commandement n'ont pas été réglées dans le mois de sa délivrance.

Par conséquent l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a constaté que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 9 février 2024.

Sur la demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire

La SARL Paristanbul fait valoir que :

* elle est un preneur de bonne foi ; elle a encore récemment engagé des dépenses pour des travaux de décoration et de publicité dans le commerce ; elle emploie quatre salariés ; elle procède à des versements mensuels de 1.000 euros ;

* depuis que l'appel a été formé, la dette n'a cessé de diminuer à tel point qu'il n'existe, au 5 septembre 2025, aucune dette locative ; elle a réglé systématiquement son loyer et a apuré sa dette locative chaque mois, jusqu'à l'effacer.

La SCI Littoral réplique que :

* la société SARL Paristanbul n'est pas un preneur de bonne foi, elle régularise sa situation financière lorsqu'elle est menacée d'une procédure judiciaire ; elle est dans une situation plus complexe qu'elle ne veut le dire, les bilans 2023 et 2024 ne sont pas versés aux débats ;

* sans procédure judiciaire, la SARL Paristanbul aurait laissé les impayés de loyers et charges s'accumuler, comme elle a pu le faire antérieurement ;

* l'intimée est une société familiale constituée de personnes physiques qui ont besoin de cette source de revenus que constituent les loyers ; elle est contrainte d'exposer des frais pour agir en justice ;

* suspendre la clause résolutoire et accorder des délais ne permettra pas à la SARL Paristanbul de respecter ses engagements comme l'a déjà démontré le passé ; depuis l'exigibilité de la dette soit depuis l'ordonnance de référé, la société Paristanbul a mis 11 mois pour apurer la dette.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L.145-41 alinéa 2 du code de commerce :« Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »

Par renvoi de ce texte aux dispositions de l'article 1343-5 du code civil, ces délais peuvent être consentis en tenant compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier, dans la limite de deux années.

Saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, la cour doit examiner la situation au jour où elle statue et peut accorder des délais de paiement rétroactifs et constater, le cas échéant, leur respect par le locataire.

Si la SARL Paristanbul s'interroge sur le montant des sommes réclamées par la SCI Littoral, il apparaît des décomptes produits que le loyer appelé depuis au moins septembre 2018 hors TVA l'a été avec la TVA à compter d'août 2024 soit un loyer de 699,45 euros outre une somme de 109 euros réclamée au titre des charges.

En tout état de cause, le jour où la cour statue, l'appelante ne doit plus aucune somme à la SCI Littoral dès lors qu'elle justifie avoir effectué un virement de 510 euros le 5 septembre 2025 soldant ainsi sa dette qui était de 484,38 euros le 2 septembre 2025, le loyer courant étant réglé.

Si le résultat de l'exercice 2023 s'avère négatif, le chiffre d'affaires de la SARL Paristanbul n'a pas sensiblement diminué en 2023 (108 535 euros) par rapport à celui de 2022 (121 035 euros). La SARL Paristanbul justifie employer des salariés et avoir effectué des dépenses pour des travaux de décoration et de publicité (panneau de lettres lumineuses, panneau LED double face, 2500 flyers).

Si la bailleresse fait valoir que la société est constituée par des personnes physiques qui ont besoin de cette source de revenus ce qui doit être entendu, elle ne justifie toutefois pas de besoins particuliers les concernant de sorte que les efforts de la SARL Paristanbul pour apurer sa dette locative en payant 900 euros en mars 2025 puis 1000 euros par mois jusqu'au 2 septembre 2025 justifient que lui soient accordés des délais rétroactifs, suspensifs de la clause résolutoire du bail, qui sont possibles en l'espèce puisque la résiliation du bail n'a pas été constatée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée.

Par conséquent, il convient d'accorder à la SARL Paristanbul un délai de paiement rétroactif jusqu'au 5 septembre 2025 et de constater que celui-ci ayant été respecté, la clause résolutoire n'a pas produit ses effets et est réputée ne pas avoir joué.

Compte tenu de l'évolution du litige, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a constaté la résiliation du contrat de bail commercial du fait de l'acquisition de la clause de résiliation de plein droit et ordonné l'expulsion de la SARL Paristanbul.

La clause résolutoire n'ayant pas produit ses effets, il convient d'infirmer l'ordonnance qui a condamné la SARL Paristanbul à payer à la SCI Littoral une indemnité d'occupation.

Sur les demandes accessoires

La procédure engagée par la SCI Littoral l'a été en raison de la défaillance de la SARL Paristanbul dans le paiement des loyers lui incombant alors qu'une précédente procédure avait déjà été engagée par la SCI Littoral qui s'était achevée par un accord. De surcroît la SARL Paristanbul ne s'est pas présentée en première instance sans en exposer le motif. Ce n'est que dans le cadre de l'instance en appel que la SARL Paristanbul a apuré sa dette de sorte que l'ordonnance sera confirmée du chef des dépens de première instance, y compris le coût du commandement de payer et du chef des frais irrépétibles accordés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour les mêmes motifs, la SARL Paristanbul supportera les dépens d'appel et l'équité commande de la condamner à payer la somme de 1500 euros à la SCI Littoral au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Vu l'évolution du litige,

Confirme l'ordonnance rendue le 6 novembre 2024 en ce qu'elle constate que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire étaient réunies au 9 février 2024 et en ce qu'elle condamne la SARL Paristanbul à payer à la SCI Littoral la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

L'infirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Accorde des délais rétroactifs jusqu'au 5 septembre 2025 à la SARL Paristanbul pour apurer les causes du commandement et ses suites,

Dit que par l'effet des délais rétroactifs accordés jusqu'au 5 septembre 2025 à la SARL Paristanbul pour apurer les causes du commandement et ses suites, la clause résolutoire du bail est réputée n'avoir jamais joué,

Déboute en conséquence la SCI Littoral de ses demandes tendant à la constatation de la résiliation du bail commercial, à l'expulsion de la SARL Paristanbul, au paiement d'une indemnité d'occupation,

Condamne la SARL Paristanbul à payer à la SCI Littoral la somme de 1500 euros pour ses frais irrépétibles exposés en appel,

Déboute la SARL Paristanbul de sa demande présentée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Paristanbul aux dépens d'appel.

La greffière, La présidente,

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