CA Grenoble, ch. com., 6 novembre 2025, n° 24/02806
GRENOBLE
Autre
Autre
N° RG 24/02806
N° Portalis DBVM-V-B7I-MLHH
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL CDMF AVOCATS
la SCP LSC AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 06 NOVEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° RG 23/04485)
rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble
en date du 27 mai 2024
suivant déclaration d'appel du 19 juillet 2024
APPELANTE :
SELARL [S] [A], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Jean-Luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Rebecca BRAZZOLOTTO, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉS :
Mme [B] [N] épouse [T]
née le 21 novembre 1944 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
M. [C] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Cédric LENUZZA de la SCP LSC AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Mme Céline PAYEN, Conseillère,
Assistés lors des débats de Fabien OEUVRAY, greffier.
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T], venant aux droits de Mme [R] [N], sont propriétaires d`un local commercial situé [Adresse 4].
2. Ce local a été donné à bail commercial à la Snc Faure et Forest, aux droits de laquelle vient désormais la Selarl [S] [A], aux fins de l'exploitation d'une officine de pharmacie.
3. Par exploit de commissaire de justice du 17 janvier 2014, la locataire a sollicité le renouvellement du bail, à compter du 1er avril 2014 pour une durée de 9 années pour se terminer le 31 mars 2023, ce que les bailleurs ont accepté suivant acte du 17 avril 2014. Le bail a ainsi été renouvelé le 11 juillet 2014, à compter du 1er avril 2014 pour se terminer le 31 mars 2023.
4. Par exploit du 19 décembre 2022, la Selarl [S] [A] a délivré aux bailleurs une offre de renouvellement du bail aux mêmes conditions et clauses pour une durée de 9 années.
5. Par acte du 16 mars 2023, Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] ont accepté le principe du renouvellement du bail aux mêmes conditions à compter du 1er avril 2023, sauf à voir fixer le prix du nouveau loyer à la valeur locative qu'ils estiment à 66.000 euros par an hors taxe et hors charges, au lieu de 39.070,44 euros. Le preneur n'a pas donné suite.
6. Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] ont réitéré leur demande, selon mémoire préalable à la saisine du juge des loyers envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 29 juin 2023.
7. Par acte d'huissier en date du 18 août 2023, les bailleurs ont fait assigner le preneur devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Grenoble, notamment afin de fixer à 66.000 euros HT et hors charges par an le prix du loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2023.
8. Par jugement du 27 mai 2024, le juge des loyers commerciaux a :
- dit qu'il y a lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé entre d'une part, Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] et d'autre part, la Selarl [S] [A] concernant le local situé [Adresse 4] ;
- avant dire-droit, ordonné une expertise et désigné pour y procéder Mme [G] [V], [Adresse 2] qui aura pour mission de :
1° se rendre sur place [Adresse 4], entendre les parties, leurs conseils, consulter tous documents utiles,
2° procéder à une évaluation de la valeur locative des locaux donnés à bail à la date du renouvellement du 1er avril 2023,
3° donner toutes indications utiles à la solution du litige,
4° en référer au juge en cas de difficulté ;
- dit que l'expert devra déposer son rapport au secrétariat greffe du tribunal judiciaire de Grenoble avant le 27 mars 2025 et ne pourra excéder ce délai à moins d'une autorisation du juge ;
- dit que Mme [B] [N] épouse [T] et M.[C] [T] devront consigner à la régie du tribunal judiciaire de Grenoble une somme de 2.500 euros à valoir sur la rémunération définitive de l'expert, avant le 27 juillet 2024 ;
- dit que, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, la Selarl [S] [A] devra continuer à payer les loyers échus au prix ancien ;
- réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
9. La société [S] [A] a interjeté appel de cette décision le 19 juillet 2024 en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel, à l'exception de celle ayant dit que, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, la Selarl [S] [A] devra continuer à payer les loyers échus au prix ancien.
10. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 3 juillet 2025.
Prétentions et moyens de la Selarl [S] [A] :
11. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 25 juillet 2024, elle demande à la cour, au visa des articles R 145-8, L 145-33 et L 145-34 du code de commerce :
- de réformer le jugement en ce qu'il a indiqué qu'il y avait lieu à déplafonnement du loyer renouvelé,
- de dire et juger que le loyer devra être fixé à la valeur plafonnée et indexée,
- à titre subsidiaire, de dire et juger que le montant du loyer devra être fixé à la valeur locative, soit 45.000 euros par an, à compter de la date de renouvellement et condamner le locataire au paiement de cette somme,
- de condamner les époux [T] à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
12. L'appelante expose :
13. - que le bail a stipulé une clause d'accession permettant aux bailleurs de devenir propriétaires des travaux réalisés par le preneur en cours de bail à son expiration ;
14. - que suite à un incendie survenu le 9 septembre 2014, le preneur a pris en charge des travaux comblant le vide du magasin et augmentant la surface utile située au premier étage d'environ 65 m² ;
15. - que le premier juge a commis une erreur concernant le déplafonnement du loyer, puisqu'il a retenu que ces travaux notables réalisés par le preneur ne constituent pas des travaux d'amélioration dès lors que l'assiette du bail n'a pas été modifiée et qu'ils ont porté sur une surface de réserve et de stockage ; qu'il aurait ainsi dû déduire de ce raisonnement une absence de déplafonnement ;
16. - que l'article R 145-8 du code de commerce prévoit que les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail renouvelé ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ; qu'en l'espèce, cet article n'est pas applicable dès lors qu'il n'est pas démontré que les travaux entrepris ensuite de l'incendie de la pharmacie n'ont pas été financés par le bailleur à travers un loyer réduit ou une franchise de loyer ;
17. - que si une clause d'accession a été stipulée pour intervenir à la fin du bail, il en résulte que lors du renouvellement, qui constitue un nouveau bail, le déplafonnement n'est acquis que si le preneur a modifié notablement les caractéristiques des locaux, et s'il s'agit d'améliorations significatives, assurant une meilleure adaptation des locaux à leur usage de pharmacie
(Civ 3 7 septembre 2022 n°21-16.613) ; que l'expert amiable [J] a rappelé ce principe dans son rapport du 27 mai 2023 ;
18. - en conséquence, que des travaux réalisés par le preneur n'augmentant pas la superficie accessible au public et ne modifiant pas l'assiette du bail, sont des travaux d'amélioration n'entraînant pas un déplafonnement du bail au cours duquel ils ont été effectués ;
19. - ainsi, qu'en l'absence de déplafonnement, l'organisation d'une expertise est inutile ;
20. - subsidiairement, si le jugement est confirmé sur le déplafonnement, que l'expertise est également inutile en raison des rapports amiables produits par les parties ;
21. - que le prix du loyer du bail renouvelé peut être alors fixé à 45.000 euros HT comme suggéré par le rapport [J], tenant compte d'éléments de référence sur la commune, pour un prix au m² pondéré de 250 euros, d'autant que le rapport de l'expert [X] mandaté par les bailleurs retient une valeur de 49.000 euros HT; que le prix de 66.000 euros retenu par l'expert judiciaire prend en compte une majoration de 35 % consécutive aux vecteurs de développement, qui ne peuvent entrer dans le calcul de la valeur locative, alors qu'il retient, sans cela, un prix de 49.000 euros HT.
Prétentions et moyens de M. et Mme [T] :
22. Selon leurs conclusions remises par voie électronique le 21 octobre 2024, ils demandent à la cour, au visa des articles L145-33 et L145-34 du code de commerce :
- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions reprises dans le dispositif de leurs conclusions ;
- de condamner l'appelante à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de la présente instance et de ses suites, y compris les frais d'expertise le cas échéant.
23. Ils soutiennent :
24. - que par application de l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, laquelle est, à défaut d'accord, déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
25. - que selon l'article L145-34 du code de commerce, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques, et qu'à défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié ;
26. - qu'en l'espèce, il y a eu une évolution notable des caractéristiques des locaux pendant la période de référence justifiant le déplafonnement du loyer, en raison des travaux réalisés par le preneur qui ont amélioré la capacité commerciale du local, en augmentant notablement les surfaces ;
27. - que suite à l'incendie, des travaux ont été pris en charge par l'assurance des bailleurs et non par le preneur comme retenu par erreur par l'expert [J] et le premier juge, puisque les bailleurs ont reversé les indemnités versées par leur assurance au preneur, qui ne justifie pas avoir payé les travaux sur ses propres deniers ;
28. - que ces travaux ont amélioré la présentation des locaux en façade, avec une augmentation de la surface d'exploitation, notamment la zone de vente et de préparation, pour porter la surface totale de 363 m² à 388 m²; que ces travaux ont permis de mettre le local aux normes de sécurité ;
29. - que peu importe ainsi que les travaux soient qualifiés de travaux d'amélioration ou de modifications notables, puisque le preneur n'a pas financé les travaux, alors que les caractéristiques des locaux ont été modifiées notablement ;
30. - que l'expertise est nécessaire puisque les parties ne s'entendent pas sur le prix du loyer, alors que les facteurs de commercialité et les prix pratiqués dans le voisinage confirment le prix de 66.000 euros HT sollicité par les concluants.
*****
31. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
32. Selon le premier juge, les travaux modifiant les caractéristiques des locaux, qu'ils soient réalisés par le bailleur ou le preneur, à condition dans ce dernier cas qu'ils aient fait accession au bailleur, peuvent constituer un motif de déplafonnement du loyer dès le premier renouvellement. En revanche, les travaux constituant une amélioration réalisée par le preneur ne peuvent être invoqués comme motif de déplafonnement que lors du second renouvellement qui suit la date de leur réalisation, lorsque le bailleur n'en aura pas pris la charge, directement ou indirectement, et qu'ils auront fait accession à la fin du bail au cours duquel ils ont été réalisés.
33. Il a retenu qu'en l'espèce, le bail objet du renouvellement a duré moins de 12 ans et demeure, par principe soumis à plafonnement, sauf à établir une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, comme le font valoir les bailleurs. Le contrat de bail initial en date du 1er octobre 1994 comporte, en son article 3, une clause 'travaux' prévoyant que les travaux réalisés par le preneur dans les lieux loués resteront la propriété du bailleur en fin de bail. Cette clause n'a pas été modifiée par l'avenant du 11 juillet 2014.
34. Pour le premier juge, il est constant, comme cela ressort des deux avis amiables d'experts produits par les parties, que les travaux réalisés par le preneur, après l'incendie du 9 septembre 2014 et dont les bailleurs n'ont pas eu la charge, en comblant le vide sur magasin, ont augmenté la surface utile située au premier étage d'environ 65 m2. Ces travaux sont donc notables. Néanmoins, ils ne sauraient être considérés comme des travaux d'amélioration, dès lors que l'assiette du bail n'est pas modifiée et qu'ils
portent sur une surface de réserve et de stockage. Il y a donc lieu à déplafonnement du loyer dès le premier renouvellement ayant suivi les travaux.
35. Les parties ne s'entendant pas sur le montant de la valeur locative, malgré les rapports d'expertise produits, le premier juge a, par conséquent, ordonné une mesure d'expertise judiciaire sur ce point.
36. La cour constate que selon le rapport d'expertise [X] réalisé à la demande des bailleurs, le local n'est pas concerné par le développement d'une autre partie de la commune d'[Localité 6], qui n'a concerné que le centre ville. Les facteurs locaux de commercialité n'ont pas été notablement modifiés. Le local se trouve dans un centre commercial, et suite à l'incendie survenu en 2014, des travaux ont été réalisés sur l'ensemble de ce centre. Concernant le local en cause, l'entresol n'existe plus, et la surface utile a été portée de 363 à 388 m² brut. La surface pondérée est de 251,69 m². La pharmacie bénéficie de trois vecteurs exceptionnels pouvant induire une incidence positive sur son activité : une enseigne d'angle de grande dimension visible depuis le [Adresse 5], un parking gratuit avec 200 emplacements, une surface utile proche de 400 m² ce qui est exceptionnel pour ce type d'activité.
37. Cet expert en a retiré que les caractéristiques ont été ainsi notablement modifiées, ce qui peut conduire à une majoration de la valeur locative de 33 %. Au regard des prix pratiqués dans le voisinage, se situant entre 110 et 150 euros/m², il a retenu un prix de 125 euros/m² HT, et une valeur annuelle de 49.000 euros HT, incluant une moyenne déterminée par la méthode de rendement à partir du marché des ventes. L'expert n'a pas fourni d'indication concernant la personne ayant financé les travaux nécessités par l'incendie. Il a noté que suite à l'incendie, les travaux n'ont été réalisés qu'au bout de plusieurs années, le preneur exerçant pendant ce temps dans un local provisoire.
38. Selon le rapport d'expertise [J], réalisé à la demande du preneur, il n'y a pas de modification des facteurs locaux de commercialité. Il retient une surface brute de 395,46 m² et une surface pondérée de 179,98 m². Suite à l'incendie, le preneur a procédé à l'agrandissement de l'étage du local pour environ 65 m², soit une augmentation d'environ 50 % de la surface de réserve et de stockage. A priori, ces travaux n'ont pas été financés par les bailleurs à travers un loyer réduit ou une franchise de loyer. Ces travaux constituent une modification notable des caractéristiques du local, et des améliorations significatives, qui devraient prévaloir sur une modification notable. Le déplafonnement du bail ne pourra intervenir que lors du second renouvellement selon la jurisprudence constante, l'article R145-8 du code de commerce (améliorations significative: 2nd renouvellement) prévalant sur l'article R145-3 (modification notable: 1er renouvellement). Le loyer plafonné est de 39.070 euros/an, et les valeurs de référence indiquent des loyers compris entre 99 euros et 314 euros/m². Il propose une valeur de 250 euros/m² pondéré, et ainsi un loyer annuel de 45.000 euros.
39. La cour relève que l'appelante ne produit aucune facture des travaux qu'elle aurait réalisés. Les intimés produisent, par contre, un devis du 22 mars 2018 concernant des travaux de rénovation du local, incluant la réalisation de cloisons, de toute l'installation électrique, la pose d'un monte-charge, pour un total de 116.067,60 euros TTC. Un devis de la même entreprise du 23 mars 2018 concerne les plans, le choix des entreprises et le suivi du chantier, pour 10.446 euros TTC. Ces devis sont établis au nom des bailleurs. Ces derniers ont reçu de leur assureur le 17 mai 2018 une indemnité de 87.050 euros suite à l'incendie. Il ne peut qu'être retenu que les travaux de réfection, incluant l'augmentation de la surface de stockage de 65 m² au premier étage, ont été supportés par les bailleurs, et non par le preneur qui n'en rapporte pas la preuve contraire.
40. Selon l'article L145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage. Il est renvoyé à des dispositions réglementaires devant préciser la consistance de ces éléments.
41. L'article R145-3 dispose ainsi que les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
42. L'article L145-34 du code de commerce apporte un tempérament au principe prévu par l'article L145-33, en édictant un principe de plafonnement des loyers commerciaux. Ainsi, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L112-2 du code monétaire et financier.
43. L'article R145-8 précise que du point de vue des obligations respectives des parties, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
44. La cour retire de ces éléments que les travaux supportés par les bailleurs ont constitué une modification notable des locaux donnés à bail, puisque s'ils n'ont pas augmenté la surface de vente, ils ont cependant permis une extension importante de la surface de stockage, ce qui constitue un élément important pour un commerce de pharmacie. L'expert commis par le preneur a ainsi noté une augmentation de 50 % de la surface de réserve et de stockage.
45. Il en résulte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu que le loyer du bail renouvelé doit être déplafonné.
46. Concernant la demande subsidiaire de l'appelante sollicitant la fixation du prix du bail renouvelé à 45.000 euros, et ainsi l'infirmation de la décision entreprise concernant l'organisation d'une expertise, la cour ne peut que confirmer la désignation de l'expert judiciaire, les parties présentant chacune des rapports qui ne sont pas concordants.
47. Il en ressort que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
48. Succombant en son appel, la société [S] [A] sera condamnée à payer aux intimés la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelante les frais de l'expertise ordonnée par le premier juge, qui a réservé les dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L145-33 et suivants, R145-3 et suivants du code de commerce ;
Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société [S] [A] à payer à M. et Mme [T] la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [S] [A] aux dépens d'appel ;
Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
N° Portalis DBVM-V-B7I-MLHH
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL CDMF AVOCATS
la SCP LSC AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 06 NOVEMBRE 2025
Appel d'un jugement (N° RG 23/04485)
rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble
en date du 27 mai 2024
suivant déclaration d'appel du 19 juillet 2024
APPELANTE :
SELARL [S] [A], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Jean-Luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE substitué par Me Rebecca BRAZZOLOTTO, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉS :
Mme [B] [N] épouse [T]
née le 21 novembre 1944 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
M. [C] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me Cédric LENUZZA de la SCP LSC AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Mme Céline PAYEN, Conseillère,
Assistés lors des débats de Fabien OEUVRAY, greffier.
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 septembre 2025, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T], venant aux droits de Mme [R] [N], sont propriétaires d`un local commercial situé [Adresse 4].
2. Ce local a été donné à bail commercial à la Snc Faure et Forest, aux droits de laquelle vient désormais la Selarl [S] [A], aux fins de l'exploitation d'une officine de pharmacie.
3. Par exploit de commissaire de justice du 17 janvier 2014, la locataire a sollicité le renouvellement du bail, à compter du 1er avril 2014 pour une durée de 9 années pour se terminer le 31 mars 2023, ce que les bailleurs ont accepté suivant acte du 17 avril 2014. Le bail a ainsi été renouvelé le 11 juillet 2014, à compter du 1er avril 2014 pour se terminer le 31 mars 2023.
4. Par exploit du 19 décembre 2022, la Selarl [S] [A] a délivré aux bailleurs une offre de renouvellement du bail aux mêmes conditions et clauses pour une durée de 9 années.
5. Par acte du 16 mars 2023, Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] ont accepté le principe du renouvellement du bail aux mêmes conditions à compter du 1er avril 2023, sauf à voir fixer le prix du nouveau loyer à la valeur locative qu'ils estiment à 66.000 euros par an hors taxe et hors charges, au lieu de 39.070,44 euros. Le preneur n'a pas donné suite.
6. Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] ont réitéré leur demande, selon mémoire préalable à la saisine du juge des loyers envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 29 juin 2023.
7. Par acte d'huissier en date du 18 août 2023, les bailleurs ont fait assigner le preneur devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Grenoble, notamment afin de fixer à 66.000 euros HT et hors charges par an le prix du loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2023.
8. Par jugement du 27 mai 2024, le juge des loyers commerciaux a :
- dit qu'il y a lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé entre d'une part, Mme [B] [N] épouse [T] et M. [C] [T] et d'autre part, la Selarl [S] [A] concernant le local situé [Adresse 4] ;
- avant dire-droit, ordonné une expertise et désigné pour y procéder Mme [G] [V], [Adresse 2] qui aura pour mission de :
1° se rendre sur place [Adresse 4], entendre les parties, leurs conseils, consulter tous documents utiles,
2° procéder à une évaluation de la valeur locative des locaux donnés à bail à la date du renouvellement du 1er avril 2023,
3° donner toutes indications utiles à la solution du litige,
4° en référer au juge en cas de difficulté ;
- dit que l'expert devra déposer son rapport au secrétariat greffe du tribunal judiciaire de Grenoble avant le 27 mars 2025 et ne pourra excéder ce délai à moins d'une autorisation du juge ;
- dit que Mme [B] [N] épouse [T] et M.[C] [T] devront consigner à la régie du tribunal judiciaire de Grenoble une somme de 2.500 euros à valoir sur la rémunération définitive de l'expert, avant le 27 juillet 2024 ;
- dit que, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, la Selarl [S] [A] devra continuer à payer les loyers échus au prix ancien ;
- réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
9. La société [S] [A] a interjeté appel de cette décision le 19 juillet 2024 en toutes ses dispositions reprises dans sa déclaration d'appel, à l'exception de celle ayant dit que, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, la Selarl [S] [A] devra continuer à payer les loyers échus au prix ancien.
10. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 3 juillet 2025.
Prétentions et moyens de la Selarl [S] [A] :
11. Selon ses conclusions remises par voie électronique le 25 juillet 2024, elle demande à la cour, au visa des articles R 145-8, L 145-33 et L 145-34 du code de commerce :
- de réformer le jugement en ce qu'il a indiqué qu'il y avait lieu à déplafonnement du loyer renouvelé,
- de dire et juger que le loyer devra être fixé à la valeur plafonnée et indexée,
- à titre subsidiaire, de dire et juger que le montant du loyer devra être fixé à la valeur locative, soit 45.000 euros par an, à compter de la date de renouvellement et condamner le locataire au paiement de cette somme,
- de condamner les époux [T] à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
12. L'appelante expose :
13. - que le bail a stipulé une clause d'accession permettant aux bailleurs de devenir propriétaires des travaux réalisés par le preneur en cours de bail à son expiration ;
14. - que suite à un incendie survenu le 9 septembre 2014, le preneur a pris en charge des travaux comblant le vide du magasin et augmentant la surface utile située au premier étage d'environ 65 m² ;
15. - que le premier juge a commis une erreur concernant le déplafonnement du loyer, puisqu'il a retenu que ces travaux notables réalisés par le preneur ne constituent pas des travaux d'amélioration dès lors que l'assiette du bail n'a pas été modifiée et qu'ils ont porté sur une surface de réserve et de stockage ; qu'il aurait ainsi dû déduire de ce raisonnement une absence de déplafonnement ;
16. - que l'article R 145-8 du code de commerce prévoit que les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail renouvelé ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge ; qu'en l'espèce, cet article n'est pas applicable dès lors qu'il n'est pas démontré que les travaux entrepris ensuite de l'incendie de la pharmacie n'ont pas été financés par le bailleur à travers un loyer réduit ou une franchise de loyer ;
17. - que si une clause d'accession a été stipulée pour intervenir à la fin du bail, il en résulte que lors du renouvellement, qui constitue un nouveau bail, le déplafonnement n'est acquis que si le preneur a modifié notablement les caractéristiques des locaux, et s'il s'agit d'améliorations significatives, assurant une meilleure adaptation des locaux à leur usage de pharmacie
(Civ 3 7 septembre 2022 n°21-16.613) ; que l'expert amiable [J] a rappelé ce principe dans son rapport du 27 mai 2023 ;
18. - en conséquence, que des travaux réalisés par le preneur n'augmentant pas la superficie accessible au public et ne modifiant pas l'assiette du bail, sont des travaux d'amélioration n'entraînant pas un déplafonnement du bail au cours duquel ils ont été effectués ;
19. - ainsi, qu'en l'absence de déplafonnement, l'organisation d'une expertise est inutile ;
20. - subsidiairement, si le jugement est confirmé sur le déplafonnement, que l'expertise est également inutile en raison des rapports amiables produits par les parties ;
21. - que le prix du loyer du bail renouvelé peut être alors fixé à 45.000 euros HT comme suggéré par le rapport [J], tenant compte d'éléments de référence sur la commune, pour un prix au m² pondéré de 250 euros, d'autant que le rapport de l'expert [X] mandaté par les bailleurs retient une valeur de 49.000 euros HT; que le prix de 66.000 euros retenu par l'expert judiciaire prend en compte une majoration de 35 % consécutive aux vecteurs de développement, qui ne peuvent entrer dans le calcul de la valeur locative, alors qu'il retient, sans cela, un prix de 49.000 euros HT.
Prétentions et moyens de M. et Mme [T] :
22. Selon leurs conclusions remises par voie électronique le 21 octobre 2024, ils demandent à la cour, au visa des articles L145-33 et L145-34 du code de commerce :
- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions reprises dans le dispositif de leurs conclusions ;
- de condamner l'appelante à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de la présente instance et de ses suites, y compris les frais d'expertise le cas échéant.
23. Ils soutiennent :
24. - que par application de l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, laquelle est, à défaut d'accord, déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
25. - que selon l'article L145-34 du code de commerce, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques, et qu'à défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié ;
26. - qu'en l'espèce, il y a eu une évolution notable des caractéristiques des locaux pendant la période de référence justifiant le déplafonnement du loyer, en raison des travaux réalisés par le preneur qui ont amélioré la capacité commerciale du local, en augmentant notablement les surfaces ;
27. - que suite à l'incendie, des travaux ont été pris en charge par l'assurance des bailleurs et non par le preneur comme retenu par erreur par l'expert [J] et le premier juge, puisque les bailleurs ont reversé les indemnités versées par leur assurance au preneur, qui ne justifie pas avoir payé les travaux sur ses propres deniers ;
28. - que ces travaux ont amélioré la présentation des locaux en façade, avec une augmentation de la surface d'exploitation, notamment la zone de vente et de préparation, pour porter la surface totale de 363 m² à 388 m²; que ces travaux ont permis de mettre le local aux normes de sécurité ;
29. - que peu importe ainsi que les travaux soient qualifiés de travaux d'amélioration ou de modifications notables, puisque le preneur n'a pas financé les travaux, alors que les caractéristiques des locaux ont été modifiées notablement ;
30. - que l'expertise est nécessaire puisque les parties ne s'entendent pas sur le prix du loyer, alors que les facteurs de commercialité et les prix pratiqués dans le voisinage confirment le prix de 66.000 euros HT sollicité par les concluants.
*****
31. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
32. Selon le premier juge, les travaux modifiant les caractéristiques des locaux, qu'ils soient réalisés par le bailleur ou le preneur, à condition dans ce dernier cas qu'ils aient fait accession au bailleur, peuvent constituer un motif de déplafonnement du loyer dès le premier renouvellement. En revanche, les travaux constituant une amélioration réalisée par le preneur ne peuvent être invoqués comme motif de déplafonnement que lors du second renouvellement qui suit la date de leur réalisation, lorsque le bailleur n'en aura pas pris la charge, directement ou indirectement, et qu'ils auront fait accession à la fin du bail au cours duquel ils ont été réalisés.
33. Il a retenu qu'en l'espèce, le bail objet du renouvellement a duré moins de 12 ans et demeure, par principe soumis à plafonnement, sauf à établir une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33, comme le font valoir les bailleurs. Le contrat de bail initial en date du 1er octobre 1994 comporte, en son article 3, une clause 'travaux' prévoyant que les travaux réalisés par le preneur dans les lieux loués resteront la propriété du bailleur en fin de bail. Cette clause n'a pas été modifiée par l'avenant du 11 juillet 2014.
34. Pour le premier juge, il est constant, comme cela ressort des deux avis amiables d'experts produits par les parties, que les travaux réalisés par le preneur, après l'incendie du 9 septembre 2014 et dont les bailleurs n'ont pas eu la charge, en comblant le vide sur magasin, ont augmenté la surface utile située au premier étage d'environ 65 m2. Ces travaux sont donc notables. Néanmoins, ils ne sauraient être considérés comme des travaux d'amélioration, dès lors que l'assiette du bail n'est pas modifiée et qu'ils
portent sur une surface de réserve et de stockage. Il y a donc lieu à déplafonnement du loyer dès le premier renouvellement ayant suivi les travaux.
35. Les parties ne s'entendant pas sur le montant de la valeur locative, malgré les rapports d'expertise produits, le premier juge a, par conséquent, ordonné une mesure d'expertise judiciaire sur ce point.
36. La cour constate que selon le rapport d'expertise [X] réalisé à la demande des bailleurs, le local n'est pas concerné par le développement d'une autre partie de la commune d'[Localité 6], qui n'a concerné que le centre ville. Les facteurs locaux de commercialité n'ont pas été notablement modifiés. Le local se trouve dans un centre commercial, et suite à l'incendie survenu en 2014, des travaux ont été réalisés sur l'ensemble de ce centre. Concernant le local en cause, l'entresol n'existe plus, et la surface utile a été portée de 363 à 388 m² brut. La surface pondérée est de 251,69 m². La pharmacie bénéficie de trois vecteurs exceptionnels pouvant induire une incidence positive sur son activité : une enseigne d'angle de grande dimension visible depuis le [Adresse 5], un parking gratuit avec 200 emplacements, une surface utile proche de 400 m² ce qui est exceptionnel pour ce type d'activité.
37. Cet expert en a retiré que les caractéristiques ont été ainsi notablement modifiées, ce qui peut conduire à une majoration de la valeur locative de 33 %. Au regard des prix pratiqués dans le voisinage, se situant entre 110 et 150 euros/m², il a retenu un prix de 125 euros/m² HT, et une valeur annuelle de 49.000 euros HT, incluant une moyenne déterminée par la méthode de rendement à partir du marché des ventes. L'expert n'a pas fourni d'indication concernant la personne ayant financé les travaux nécessités par l'incendie. Il a noté que suite à l'incendie, les travaux n'ont été réalisés qu'au bout de plusieurs années, le preneur exerçant pendant ce temps dans un local provisoire.
38. Selon le rapport d'expertise [J], réalisé à la demande du preneur, il n'y a pas de modification des facteurs locaux de commercialité. Il retient une surface brute de 395,46 m² et une surface pondérée de 179,98 m². Suite à l'incendie, le preneur a procédé à l'agrandissement de l'étage du local pour environ 65 m², soit une augmentation d'environ 50 % de la surface de réserve et de stockage. A priori, ces travaux n'ont pas été financés par les bailleurs à travers un loyer réduit ou une franchise de loyer. Ces travaux constituent une modification notable des caractéristiques du local, et des améliorations significatives, qui devraient prévaloir sur une modification notable. Le déplafonnement du bail ne pourra intervenir que lors du second renouvellement selon la jurisprudence constante, l'article R145-8 du code de commerce (améliorations significative: 2nd renouvellement) prévalant sur l'article R145-3 (modification notable: 1er renouvellement). Le loyer plafonné est de 39.070 euros/an, et les valeurs de référence indiquent des loyers compris entre 99 euros et 314 euros/m². Il propose une valeur de 250 euros/m² pondéré, et ainsi un loyer annuel de 45.000 euros.
39. La cour relève que l'appelante ne produit aucune facture des travaux qu'elle aurait réalisés. Les intimés produisent, par contre, un devis du 22 mars 2018 concernant des travaux de rénovation du local, incluant la réalisation de cloisons, de toute l'installation électrique, la pose d'un monte-charge, pour un total de 116.067,60 euros TTC. Un devis de la même entreprise du 23 mars 2018 concerne les plans, le choix des entreprises et le suivi du chantier, pour 10.446 euros TTC. Ces devis sont établis au nom des bailleurs. Ces derniers ont reçu de leur assureur le 17 mai 2018 une indemnité de 87.050 euros suite à l'incendie. Il ne peut qu'être retenu que les travaux de réfection, incluant l'augmentation de la surface de stockage de 65 m² au premier étage, ont été supportés par les bailleurs, et non par le preneur qui n'en rapporte pas la preuve contraire.
40. Selon l'article L145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage. Il est renvoyé à des dispositions réglementaires devant préciser la consistance de ces éléments.
41. L'article R145-3 dispose ainsi que les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération :
1° De sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ;
2° De l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ;
3° De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ;
4° De l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ;
5° De la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire.
42. L'article L145-34 du code de commerce apporte un tempérament au principe prévu par l'article L145-33, en édictant un principe de plafonnement des loyers commerciaux. Ainsi, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L112-2 du code monétaire et financier.
43. L'article R145-8 précise que du point de vue des obligations respectives des parties, les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
44. La cour retire de ces éléments que les travaux supportés par les bailleurs ont constitué une modification notable des locaux donnés à bail, puisque s'ils n'ont pas augmenté la surface de vente, ils ont cependant permis une extension importante de la surface de stockage, ce qui constitue un élément important pour un commerce de pharmacie. L'expert commis par le preneur a ainsi noté une augmentation de 50 % de la surface de réserve et de stockage.
45. Il en résulte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu que le loyer du bail renouvelé doit être déplafonné.
46. Concernant la demande subsidiaire de l'appelante sollicitant la fixation du prix du bail renouvelé à 45.000 euros, et ainsi l'infirmation de la décision entreprise concernant l'organisation d'une expertise, la cour ne peut que confirmer la désignation de l'expert judiciaire, les parties présentant chacune des rapports qui ne sont pas concordants.
47. Il en ressort que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
48. Succombant en son appel, la société [S] [A] sera condamnée à payer aux intimés la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'appelante les frais de l'expertise ordonnée par le premier juge, qui a réservé les dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L145-33 et suivants, R145-3 et suivants du code de commerce ;
Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société [S] [A] à payer à M. et Mme [T] la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [S] [A] aux dépens d'appel ;
Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente