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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 20 novembre 2025, n° 24/04301

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/04301

20 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 20 NOVEMBRE 2025

N° RG 24/04301 - N° Portalis DBV3-V-B7I-WUAG

AFFAIRE :

S.A.S. LA DIBITERIE

C/

[P] [S]-[R]

Monsieur [T] [R]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 21 Juin 2024 par le Président du TJ de NANTERRE

N° RG : 24/710

Expéditions exécutoires

Copies certifiées conformes délivrées le : 20/11/25

à :

Me Maria eugenia BOHABONAY BORIBA, avocat au barreau de PARIS, C2176

Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES,643

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. LA DIBITERIE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

N° RCS PONTOISE : 922 507 082

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentant : Me Maria eugenia BOHABONAY BORIBA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2176

APPELANTE

****************

Madame [P] [S]-[R]

née le 15 Octobre 1990 à [Localité 10] (93)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Monsieur [T] [R]

née le 24 Octobre 1999 à [Localité 11]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Octobre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant M. Bertrand MAUMONT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseillère faisant fonction de présidente,

Monsieur Ulysse PARODI, Vice Président placé faisant fonction de conseiller

Monsieur Bertrand MAUMONT, Conseiller,

L'adjointe faisant fonction de Greffière, lors des débats : Madame Marion SEUS,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 30 janvier 2023, M. [T] [R] a donné à bail à la SAS La Dibiterie un local commercial situé [Adresse 5]) en vue " d'un usage de restaurant avec extraction, vente sur place et à emporter ".

Par acte du 1er février 2024, Mme [S]-[R], présentée comme bailleresse, a fait délivrer au preneur un commandement de payer visant la clause de résiliation de plein droit insérée au contrat de bail, portant sur un arriéré de loyers de 8 978 euros.

Arguant qu'elle ne pourrait pas exercer convenablement son activité en raison du caractère défectueux du système d'extraction, la société La Dibiterie, a, par acte de commissaire de justice délivré le 7 février 2024, assigné M. [R] et Mme [S]-[R] aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Par acte de commissaire de justice délivré le 1er mars 2024, la société La Dibiterie a fait assigner Mme [S]-[R] en opposition à commandement devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

En date du 15 mars 2024, Mme [S]-[R] a fait signifier à la société La Dibiterie une sommation de faire visant la clause résolutoire, lui enjoignant :

- d'exploiter de manière permanente et continue les lieux loués,

- d'exploiter les lieux loués à usage de restaurant exclusivement sans livraison à domicile,

- de cesser la cuisson au feu de bois.

Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 21 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a notamment :

- ordonné une mesure d'expertise, tous droits et moyens des parties réservés, et commis pour y procéder Monsieur [G] [L] ['] avec mission pour lui de :

- se rendre sur les lieux en présence des parties et de leurs conseils ou après les avoir dûment convoquées ; se faire communiquer, dans le délai qu'il estimera utile de fixer, tous documents et pièces qu'il jugera nécessaires à l'exercice de sa mission, visiter les lieux et les décrire

- examiner les désordres allégués par la société La Dibiterie, notamment aux termes de son assignation et des constat et rapport en date du 18 octobre 2023, les décrire en indiquant leur importance et leur étendue,

- rechercher la cause des désordres,

- indiquer leurs conséquences quant à l'usage des lieux loués qui peut être attendu ou quant à la conformité à la destination du bail,

- donner son avis sur les solutions appropriées pour y remédier et en évaluer le coût et la durée,

- donner au juge tous éléments techniques et de fait de nature à lui permettre de déterminer la nature et l'importance des préjudices subis par la demanderesse et proposer une base d'évaluation,

- constater l'éventuelle conciliation des parties sans manquer dans ce cas d'en aviser le juge chargé du contrôle des expertises,

- faire toutes observations utiles au règlement du litige,

[']

- fixé à la somme de 4 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par la société La Dibiterie entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de ce tribunal, [Adresse 1], dans le délai de 6 semaines à compter de la présente ordonnance, sans autre avis ;

- dit que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

- débouté Mme [S]-[R] de sa demande en constatation de la résiliation du bail par le jeu de la clause de résiliation de plein droit ;

- condamné la société La Dibiterie à payer à Mme [S]-[R] la somme provisionnelle de 7 211 euros au titre du droit d'entrée et du dépôt de garantie ;

- débouté Mme [S]-[R] du surplus de sa demande en paiement de provision ;

- débouté Mme [S]-[R] de sa demande en paiement en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à la charge provisoire de la société La Dibiterie ;

- rappelé que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.

Par déclaration reçue au greffe le 6 juillet 2024, la société La Dibiterie a interjeté appel de cette ordonnance uniquement en ce qu'elle a condamné la société La Dibiterie à payer à Mme [S]-[R] la somme provisionnelle de 7 211 euros au titre du droit d'entrée et du dépôt de garantie.

Par ordonnance d'irrecevabilité partielle du 30 avril 2025, le magistrat délégué par le premier président a :

- déclaré irrecevables les conclusions déposées le 24 mars 2025 par la société La Dibiterie en ce qu'elles répondent à l'appel incident formé par Mme [S]-[R] et M. [R], ainsi que les pièces numéros 10 à 23 communiquées à leur soutien,

- invité la société La Dibiterie à régulariser auprès du greffe de nouvelles conclusions expurgées des réponses à l'appel incident et dit qu'à défaut, la cour sera saisie des conclusions de l'appelante telles que notifiées le 14 octobre 2024,

- dit que la société La Dibiterie supportera les dépens de l'incident,

- rejeté la demande de Mme [S]-[R] et M. [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 14 octobre 2024 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société La Dibiterie demande à la cour au visa des articles 4, 5 et 700 du code de procédure civile, de :

' - déclarer recevable et bien fondée la société La Dibiterie en son appel,

y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre du 21 juin 2024 en ce qu'il a : condamné la société SAS La Dibiterie à payer à Madame [P] [S]-[R] la somme provisionnelle de 7 211 euros au titre du droit d'entrée et du dépôt de garantie ;

statuant à nouveau :

- juger que la société La Dibiterie a payé l'intégralité des droits d'entrée et du dépôt de garantie,

Par conséquent,

- débouter Mme [S]-[R] et M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [S]-[R] et M. [R] solidairement au paiement d'une somme de 2 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [S]-[R] et M. [R] solidairement aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 28 avril 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [R] et Mme [S]-[R] demandent à la cour, au visa de l'article L. 145-41 du code de commerce, de :

' - déclarer la société La Dibiterie mal fondée en son appel et l'en débouter,

- mettre hors de cause M. [T] [R],

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société La Dibiterie à payer la somme de 7 211 euros au titre du reliquat du droit d'entrée et du dépôt de garantie ;

à titre d'appel incident,

- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses autres dispositions, et notamment en ce qu'elle a ordonné une expertise, débouté Mme [S]-Chabanede sa demande de constatation de la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire de plein droit, et du surplus de sa demande en paiement par provision,

et statuant à nouveau :

- débouter la société La Dibiterie de sa demande d'expertise ;

- constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée audit bail à effet au 1er mars 2024 ou au 15 avril 2024 et la résiliation de plein droit du bail commercial,

- ordonner l'expulsion de la société La Dibiterie ainsi que tous occupants de son chef des lieux loués sis [Adresse 4] et [Adresse 5] à [Localité 8] avec le concours de la force publique, si besoin est,

- autoriser Mme [S]-[R] à faire entreposer les meubles et effets personnels qui seraient trouvés dans les lieux dans tel garde meubles de son choix, et ce aux frais, risques et périls de la société La Dibiterie ;

- autoriser, passé le délai d'un mois, Mme [S]-[R] à faire vendre par tel commissaire-priseur de son choix lesdits meubles et effets aux frais de la société La Dibiterie, faute par elle d'avoir réglé la totalité des frais de garde-meubles ;

- condamner à titre provisionnel la société La Dibiterie au paiement à Mme [P] [S]-[R] d'une somme de 37 219 euros au titre des loyers et taxes dus au 3 février 2025 et au paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux en application de l'article VIII B) Indemnité d'occupation du contrat de bail,

- condamner la société La Dibiterie à payer à Madame [P] [S]-[R] la somme de 515,21 euros, au titre des frais de commandement, de saisie conservatoire, de levée de l'état des privilèges et nantissements et de sommation,

- condamner la société La Dibiterie au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire et dont distraction, pour ceux le concernant, directement au profit de Maître Philippe [Localité 9], sur le fondement de l'article 699 du cpc.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il résulte des articles 472 et 954, dernier alinéa, d'une part, que l'appelant principal irrecevable à conclure en réponse à un appel incident est réputé s'approprier les motifs de l'ordonnance entreprise relativement à la question tranchée, d'autre part, que la cour ne peut faire droit à la demande de l'appelant incident que dans la mesure où elle l'estime régulière, recevable et bien fondée (Rappr. Soc. 18 janv. 2023, n° 21-23.796 ; Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-20018 ; Civ. 2e, 6 sept. 2028, n° 17-18.150 ; Civ. 2e, 23 févr. 2017, n° 16-12.658) sans que le défaut de communication de pièces en cause d'appel ne la prive, à lui seul, de la connaissance des moyens et des prétentions de ce dernier (Civ. 2e, 3 déc. 2015, n° 14-25.413).

En l'espèce, en raison de l'ordonnance d'irrecevabilité partielle du 30 avril 2025, la société La Dibiterie n'a pas pu répondre à l'appel incident de Mme [S]-[R] et de M. [R] portant sur la mesure d'expertise et leur demande reconventionnelle visant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail.

Il s'ensuit que la cour statuera sur les mérites de l'appel incident en examinant la pertinence des motifs exposés par le premier juge et que la société La Dibiterie est réputée s'être appropriée, au regard des moyens développés par Mme [S]-[R] et M. [R] et des pièces qu'ils produisent.

Sur la mise hors de cause de M. [R]

Quoique signataire du bail litigieux, M. [R] indique avoir agi comme mandataire de Mme [S]-[R]. Il est produit le pouvoir rédigé par Mme [S]-[R] à cette fin et il apparaît que le commandement de payer du 1er février 2024 a été délivré à la société La Dibiterie à la seule demande de Mme [S]-[R].

Le premier juge a relevé, sans être contredit, que le local appartenait en réalité à Mme [S]-[R] depuis le 10 février 2022. Par ailleurs, alors que son appel porte uniquement sur la provision à laquelle elle a été condamnée, la société La Dibiterie ne relève aucune contradiction dans le fait que la provision a été allouée à Mme [S]-[R] et non à M. [R].

La présence de M. [R], en sa qualité de mandataire, n'apparaissant pas nécessaire dans le cadre du présent litige, il y a lieu de prononcer sa mise hors de cause.

Sur la demande d'expertise

La société La Dibiterie a saisi le premier juge d'une demande d'expertise, fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, à laquelle ce dernier a fait droit en s'appuyant sur un procès-verbal de constat dressé le 18 octobre 2023 par un commissaire de justice, mentionnant que le moteur du système d'extraction est en mode soufflerie et non en mode aspiration, ainsi qu'un rapport d'expertise privé établi le même jour signalant l'obstruction du réseau d'extraction du fait de la présence d'un clapet dans la gaine de rejet, ne permettant pas que puisse s'opérer la fonction extraction de la hotte.

Contestant l'existence d'un motif légitime propre à justifier l'expertise, Mme [S]-[R] s'appuie sur la note aux parties établie par l'expert dans laquelle il explique que la hotte fonctionne normalement et affirme que " l'allégation du dysfonctionnement de la hotte aspirante de la cuisine est inexacte ". Elle relève par ailleurs des contradictions dans les déclarations de la société La Dibiterie s'agissant de la période d'arrêt de ses activités et considère, en tout état de cause, que ses allégations sont fausses, dans la mesure où il résulte des pièces versées aux débats que sa locataire a pu exploiter sans difficulté les locaux jusqu'au mois de décembre 2023, date à laquelle elle aurait simplement décidé de cesser d'exploiter son restaurant.

Sur ce,

Selon l'article 145 du code de procédure civile " s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ".

L'application de ces dispositions suppose que soit constatée l'existence d'un procès non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés par les défendeurs, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.

En l'espèce, dans son assignation du 7 février 2024 (pièce [S]-[R] n° 26), la société La Dibiterie indique envisager une action au fond, fondée sur la non-exécution de l'obligation du bailleur de délivrer les locaux en l'état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués.

Elle y indique que la date de prise d'effet du bail a été reportée au 15 février 2023 en raison de travaux à réaliser au niveau des réseaux de gaine, pour l'installation de l'extraction en toiture d'immeuble et une mise en conformité ; qu'elle a été informée de la fin partielle de ces travaux seulement le 1er avril 2023 ; que le système d'extraction installé était néanmoins défectueux et a cessé de fonctionner le 15 avril 2023 ; qu'elle ne pouvait exercer son activité normalement subissant les reproches des voisins pour nuisances olfactives ; et que le réseau électrique présentait également des dysfonctionnements.

Il n'est pas contesté que le 18 octobre 2023, la société La Dibiterie a missionné un commissaire de justice, accompagné d'un expert aéraulique pour faire constater la situation concernant le réseau d'extraction et le compteur électrique.

Selon l'ordonnance entreprise, le procès-verbal du commissaire de justice mentionne que le moteur du système d'extraction est en mode soufflerie, non aspiration, et le rapport d'expertise vient constater que le réseau d'extraction est obstrué par la présence d'un clapet dans la gaine de rejet, empêchant la fonction extraction.

Mme [S]-[R] ne reproche pas au premier juge d'avoir dénaturé ces pièces. Or, celles-ci suffisent en elles-mêmes à justifier une expertise judiciaire notamment afin d'identifier la cause et l'intensité des désordres allégués.

Au surplus, il convient de relever que dans sa note aux parties du 2 mars 2025 (pièce [S]-[R] n° 25), l'expert ne se borne pas à indiquer qu' " en l'état, l'allégation du dysfonctionnement de la hotte aspirante de la cuisine de la demanderesse est inexacte " : il précise que " l'historique des évènements de ce litige semble très complexe avec plusieurs intervenants ", que " le restaurant étant relié hydrauliquement et électriquement aux réseaux de l'immeuble, toute modification de part et d'autre peut impacter le fonctionnement de chaque partie " et qu' " une vérification de sa communication avec le réseau hydraulique de l'immeuble s'impose ". De même, s'agissant de l'installation électrique, et alors qu'il lui a été remis le certificat de conformité dont se prévaut Mme [S]-[R] devant la cour (pièce n° 29), il indique : " l'allégation sur les anomalies de fonctionnement de l'installation électrique s'avère vraie mais une analyse du réseau électrique par un professionnel serait nécessaire ".

C'est pourquoi, eu égard à ces conclusions provisoires, il apparaît pertinent de permettre la poursuite des opérations d'expertise, à la fois pour vérifier l'efficacité du système d'extraction des fumées pour un usage de restauration - et non simplement le déclenchement de la hotte - et les causes des éventuels désordres, y compris en ce qui concerne les anomalies relevées s'agissant de l'installation électrique.

Enfin, même en présence d'une demande de résiliation du bail, une action fondée sur la violation par le bailleur de ses obligations n'apparaît pas manifestement vouée à l'échec, compte tenu de l'existence potentielle d'un trouble de jouissance, de nature à justifier l'allocation de dommages et intérêts ; or, l'issue d'un tel litige peut effectivement dépendre de la mesure d'instruction sollicitée.

L'ordonnance entreprise sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire.

Sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire et la demande d'expulsion

Pour rejeter la demande reconventionnelle de Mme [S]-[R] visant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, soit en suite du commandement de payer du 1er février 2024 demeuré infructueux, soit sur la base de la sommation de faire du 15 mars 2024, le premier juge a retenu l'existence de contestations sérieuses.

Il estime, tout d'abord, que la demande de mise en jeu de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers se heurte au fait qu'il existe des indices laissant sérieusement supposer que la société La Dibiterie n'était pas en mesure d'exercer son activité de restauration, en raison d'un dysfonctionnement affectant le système d'extraction des fumées de cuisson.

Il retient, ensuite, s'agissant des injonctions adressées à la société La Dibiterie, que la première tenant à l'obligation d'exploiter de manière permanente et continue les lieux loués ne pouvait s'opérer qu'à la condition que le système d'extraction soit réparé, obligation dont la bailleresse ne justifie pas s'être libérée, malgré la mise en demeure du 14 novembre 2023 ; et que concernant les deux autres injonctions, il n'était versé aucun élément selon lequel la société La Dibiterie aurait poursuivi, au-delà du délai d'un mois imparti, une activité de livraison à domicile ou de fourniture d'une restauration comprenant une cuisson au feu de bois.

Mme [S]-[R] fait valoir que le système d'extraction des fumées fonctionne et qu'au vu des obligations qui pèsent sur le bailleur, elle n'a pas à répondre du dysfonctionnement de la hotte installée par la société La Dibiterie ou du défaut d'entretien de celle-ci. Elle estime que les nuisances qui lui ont été rapportées sont essentiellement dues à la préparation par la société La Dibiterie du " Dibi ", plat traditionnel sénégalais, qui est une préparation de viande grillée au feu de bois, ainsi qu'à l'absence de nettoyage de la hotte. Elle ajoute que la société La Dibiterie a continué à nier, malgré toutes les preuves fournies, avoir cuisiné au feu de bois et avoir exploité les lieux pendant des mois, et ce jusqu'au mois décembre 2023, date à laquelle elle a décidé de cesser l'exploitation de son restaurant.

Sur ce,

En application des dispositions de l'article 834 du code de procédure civile, la juridiction des référés, sans nécessité de caractériser l'urgence, peut constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail, en l'absence de contestation sérieuse.

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Aux termes de l'article 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

Compte tenu du rapport de proportionnalité exigé entre la sanction prise par une partie et les manquements reprochés à l'autre (1ère Civ., 12 mai 2016, n° 15-20.834), la suspension des loyers n'est admise qu'en cas d'impossibilité totale d'utiliser les locaux (3ème Civ, 5 nov. 2003, n° 02-10.964) ou lorsque les lieux ne peuvent plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, spécialement lorsqu'il s'agit d'un bail commercial (3ème Civ., 23 mai 2013, n° 11-26095).

Au cas d'espèce, la société La Dibiterie a conclu un bail commercial (pièce [S]-[R] n° 3) portant sur la location d'un local " à usage de restauration avec extraction ", contenant une clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit du bail en cas de " manquement du preneur à l'une quelconque de ses obligations contractuelles ", à l'issue d'un délai d'un mois, après mise en demeure d'exécuter signifiée par acte d'huissier de justice, et restée sans effet.

Mme [S]-[R] a signifié un commandement de payer le 1er février 2024, réclamant la somme de 8978 euros en principal, au titre des arriérés de loyers et de charges accumulés entre février et avril 2023, puis entre novembre 2023 et janvier 2024.

Mme [S]-[R] produit l'attestation d'un ancien locataire ayant également loué le " local à usage de restauration avec extraction " (pièce [S]-[R] n° 18 - contrat de bail) jusqu'au mois de janvier 2023, qui indique que le système d'extraction lui a " permis de cuisiner et d'exploiter [son] commerce paisiblement ". De même, le gérant d'une autre société exploitant un local adjacent dans le même immeuble, atteste que son système d'extraction est fonctionnel et qu'il lui a permis de cuisiner correctement, en continuité, depuis son installation (pièce [S]-[R] n° 30).

Toutefois, mis en perspective avec les premières conclusions de l'expert, ces éléments n'excluent pas que des désordres affectant le réseau d'extraction propre au local occupé par la société La Dibiterie, aient pu survenir à la suite de travaux réalisés dans l'immeuble ou, à tout le moins, au cours de l'exécution du bail. Les investigations préconisées par l'expert judiciaire sont de nature à clarifier ce point.

Par ailleurs, le constat du commissaire de justice ainsi que le rapport d'expertise du 18 octobre 2023, mentionnés précédemment, constituent des indices sérieux propres à établir l'existence, à une date donnée, d'un dysfonctionnement affectant le système d'extraction.

Il reste que pour faire obstacle à la mise en 'uvre de la clause résolutoire du bail, l'exception d'inexécution suppose une impossibilité d'exploiter les lieux loués conformément à leur destination, la charge de la preuve incombant au locataire.

Or, les pièces produites par la société La Dibiterie en première instance, ne suffisent pas à démontrer que l'établissement aurait était fermé, à un moment donné, en raison des dysfonctionnements allégués.

En outre, les déclarations de la société La Dibiterie sur les périodes d'arrêt de ses activités sont contradictoires : alors que dans ses conclusions de premières instances (ordonnance, p. 2) et dans son assignation au fond (pièce [S]-[R] n° 5, p. 12) elle affirme n'avoir jamais pu exercer l'activité pour laquelle elle avait loué les locaux, en dehors d'une brève période de 15 jours, entre le 1er et le 15 avril 2023 (ordonnance, p. 2), elle fait état, dans sa mise en demeure adressée le 14 novembre 2023, d'un arrêt des activités " depuis le 30 juin 2023 " sans d'ailleurs s'expliquer sur les conditions d'exploitation du restaurant sur la période antérieure, alors qu'à cette époque le système d'extraction n'était pas censé fonctionner correctement.

Surtout, Mme [S]-[R] produit des pièces contredisant la thèse selon laquelle les dysfonctionnements allégués auraient empêché l'exploitation commerciale des lieux loués. En effet, non seulement les avis clients publiés sur internet entre le 30 mars 2023 et le 26 décembre 2024 (pièce [S]-[R] n° 28) tendent à démontrer que le restaurant était ouvert à la clientèle durant cette période, mais en outre certaines publicités et vidéos (pièces [S]-[R] n° 9 et n° 10) mises en ligne par la société La Dibiterie, permettent de considérer que les désordres allégués n'empêchaient pas d'utiliser les cuisines. Ces éléments ne permettent pas, en somme, de retenir l'existence d'une contestation sérieuse quant au fait suffisamment établi par ailleurs que le restaurant a été exploité pendant une durée bien supérieure à 15 jours.

Ainsi, contrairement à la solution retenue par le premier juge, il apparaît que l'exception d'inexécution ne se présente pas comme une contestation sérieuse à même de faire obstacle à la mise en 'uvre de la clause résolutoire du bail.

Sans qu'il soit nécessaire d'examiner le sérieux des contestations formulées en suite de la sommation de faire du 15 mars 2024, il convient de tirer toutes les conséquences du fait que le commandement de payer, délivré dans les formes prévues à l'article L. 145-41 du code de commerce, est demeuré infructueux et que le bail s'est ainsi trouvé résilié de plein droit un mois après, soit le 2 mars 2024 à 00 heure.

L'obligation de la locataire ainsi que de celle de tous occupants de son chef de quitter les lieux n'étant elle-même pas contestable, il y a lieu d'accueillir la demande d'expulsion, si besoin avec le concours de la force publique.

Les meubles se trouvant sur place devront être déposés et séquestrés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire, conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.

Sur le paiement provisionnel de la dette locative et de l'indemnité d'occupation

Pour limiter la provision à la somme de 7211 euros, le premier juge a considéré que la locataire était légitime à s'exonérer du paiement des loyers dans la mesure où elle était dans l'impossibilité d'exercer son activité commerciale prévue au contrat de bail, et a évalué le montant de la provision en tenant compte de sommes dues au titre du droit d'entrée et du dépôt de garantie que la locataire ne justifiait pas avoir réglées.

La société La Dibiterie fait grief au premier juge d'avoir ainsi violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile, en tenant compte dans le calcul de la provision de sommes dont Mme [S]-[R] ne prétendait pas être créancière, tenant au dépôt de garantie et aux droits d'entrée. Elle explique que selon un arrangement qui avait pour objet de faciliter la transition entre les locataires tout en permettant au bailleur de conclure un nouveau bail sans formaliser une cession de bail, elle a directement réglé à l'ancien locataire une somme de 8 000 euros qui, en tout état de cause, n'a pas être incluse dans le montant de la provision.

Au titre de son appel incident, Mme [S]-[R] sollicite le règlement d'une provision d'un montant de 37 219 euros sur la base du " décompte de la créance locative au 3 février 2025 " qu'elle verse aux débats.

Sur ce,

Il résulte de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, que le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Le montant de la provision pouvant être allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

S'il n'appartient pas à la juridiction des référés d'ordonner la compensation de créances réciproques qui ne seraient ni liquides, ni exigibles, elle conserve en revanche le pouvoir d'apprécier si l'éventualité d'une compensation entre lesdites créances est de nature à rendre sérieuse ou non la contestation de l'obligation invoquée par la partie qui demande une provision.

Il résulte de l'article 1728 du code civil que le preneur à bail est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.

En l'espèce, Mme [S]-[R] produit un décompte présentant l'encours de la dette de loyers au mois de novembre 2024 ([S]-[R] n° 21) incluant une somme de 7 211 euros correspondant au solde non réglé d'un droit d'entrée de 35 000 euros.

La société La Dibiterie produit une facture de la société King Donuts, en date du 19 janvier 2023 d'un montant de 8 000 euros portant sur une " avance droit de cession au bail pour local commercial " et des captures d'écran de virements réalisés au profit de la société King Donuts, à hauteur de ce montant (pièces La Dibiterie n° 5, 5bis et 5ter).

Alors que le contrat de bail prévoit qu'un droit d'entrée de 35 000 euros sera versé au bailleur à titre de droit d'entrée, aucun élément ne permet d'établir que les règlements effectués par la société La Dibiterie au profit de l'ancien locataire au titre d'un " droit de cession au bail " participeraient en réalité de l'exécution de l'obligation lui incombant de régler à Mme [S]-[R] un " droit d'entrée " d'un montant total de 35 000 euros.

La contestation formulée à ce titre n'est pas sérieuse.

Toutefois, il appartient à la cour de déterminer, en considération des éléments qui sont dans les débats, le montant non sérieusement contestable de la créance de Mme [S]-[R] au regard de la créance dont pourrait se prévaloir la société La Dibiterie au titre des désordres allégués.

Or, à cet égard, il existe des éléments sérieux tirés des constats réalisés le 18 octobre 2023 et de la mise en demeure adressée par la locataire le 14 novembre 2023 laissant penser que la société La Dibiterie a subi, à l'occasion de l'exploitation de son restaurant, un trouble de jouissance possiblement imputable à la carence de son bailleur et ne relevant pas des réparations locatives, justifiant de limiter le montant de la provision allouée.

Aussi, sans préjudice du fond de l'affaire, convient-il de limiter le montant non sérieusement contestable de la créance de Mme [S]- [R] au titre de la dette locative au 29 février 2024, soit 10 000 euros, sur la base du décompte produit.

Pour les mêmes motifs, il y a lieu de réduire le montant de la provision due au titre de l'indemnité d'occupation, laquelle correspond à la fois à la contrepartie de la jouissance des locaux et au préjudice subi par le propriétaire du fait de la privation de la libre disposition des lieux. Celle-ci sera fixée au montant non sérieusement contestable de 1 100 euros à compter du mois de mars 2024, jusqu'à libération effective des lieux.

L'ordonnance entreprise sera réformée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société La Dibiterie succombant pour l'essentiel, supportera les dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de commandement, de saisie-conservatoire, de levée de l'état des privilèges et nantissements, en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile.

Il n'y a pas lieu d'y inclure les frais de la sommation de faire du 15 mars 2024, exposés alors que le bail s'est trouvé résilié avant cette date, en suite du commandement de payer du 1er février 2024.

En outre, l'équité commande de condamner la société La Dibiterie à indemniser Mme [S]-[R] de ses frais irrépétibles, dans la limite de 2 500 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a ordonné une mesure d'expertise,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce la mise hors de cause de M. [T] [R],

Constate l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 30 janvier 2023 et la résiliation de ce bail à la date du 2 mars 2024,

Ordonne, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société La Dibiterie et celle de tous occupants de son chef des locaux loués, situés [Adresse 5],

Ordonne que les meubles se trouvant sur place soient déposés dans un lieu choisi par la bailleresse aux frais, risques et péril de la locataire conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

Condamne la société La Dibiterie à payer à Mme [P] [S]-[R] la somme provisionnelle de 10 000 euros au titre des loyers et charges impayés,

Condamne la société La Dibiterie à payer à la société La Dibiterie à titre de provision, une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 1 100 euros à compter du 2 mars 2024 jusqu'à libération effective des lieux loués,

Condamne la société La Dibiterie aux dépens de première instance et d'appel,

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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