CA Versailles, ch. soc. 4-6, 20 novembre 2025, n° 23/02265
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/02265 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WAK6
AFFAIRE :
[A] [R]
C/
S.A. [F] GESTION
...
S.A.R.L. JARDINERY DE [Localité 9]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F 21/00336
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sophie CORMARY de
la SCP HADENGUE et Associés
Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [A] [R]
née le 07 Août 1962 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 substitué par Me Marie PIRIOU avocate au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
S.A. [F] GESTION
N° SIRET : 393 36 5 5 23
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 154 -
S.A.R.L. JARDINERY DE [Localité 9]
N° SIRET : 305 06 4 7 01
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 154 -
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Tiphaine PETIT, Vice-présidente placée,
Madame Odile CRIQ, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
A compter du 6 février 2007, Mme [A] [R] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée, à temps partiel à hauteur de 28 heures hebdomadaires (soit 121,33 heures mensuelles), en qualité d'employée administrative outre des tâches annexes ou accessoires (rangement, nettoyage...), par la SARL Jardinery de [Localité 9] qui est spécialisée dans le commerce de détail (fleurs, graines, animaux de compagnie etc), emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des jardineries et graineteries. Le lieu de travail était chez magasin vert [Adresse 1].
Le salaire était de 9,85 euros du taux horaire pour une durée de travail de 28 heures soit un total brut de 1 467,80 euros.
La société Jardinery de [Localité 9] est une filiale détenue par la SA [F] Gestion, dirigée par M.[U] [F]. C'est ce dernier qui a signé le contrat de travail précité en sa qualité de directeur.
Le 9 décembre 2009, Mme [A] [R] a été engagée par contrat à durée indéterminée à 'temps complet', comme indiqué à l'entête du contrat, catégorie employée, à 8 heures par semaine, en qualité d'assistante administrative, moyennant une rémunération mensuelle brute de 400 euros pour une durée mensuelle de 34 heures 2/3, par la SA [F] gestion, employant mois de 11 salariés et relevant de la convention collective des prestataires de services secteur tertiaire. Le lieu de travail était situé au [Adresse 3].
Mme [A] [R] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 6 mai 2020 sans discontinuité jusqu'à son licenciement.
Par courrier daté du 25 mai 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier un avertissement.
Par courrier daté du 9 juin 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier une mise en garde.
Par courrier daté du 19 octobre 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier un avertissement
Mme [A] [R] a adressé à son employeur, pour chacune de ces sanctions, des observations sur les avertissements et mise en garde.
Le 6 avril 2021, Mme [A] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency, afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur produisant les effets d'un licenciement nul pour discrimination en raison de son état de santé et harcèlement moral, une requalification de son temps de travail à temps partiel en temps complet, ainsi que le versement des indemnités afférentes, ce à quoi les sociétés se sont opposées.
Par avis réitérés des 20 mai 2020, 26 juin 2020, 4 février 2022, le médecin du travail a émis l'avis suivant ' la reprise du travail ne paraît pas envisageable actuellement' et par avis d'inaptitude du 3 octobre 2022, il a conclu ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'.
Par lettre du 12 octobre 2022, la SA [F] gestion a informé Mme [A] [R] que ' Suite à l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 3 octobre 2022, nous avons recherché un poste de reclassement à vous proposer, conforme aux préconisations du médecin du travail et compatibles avec votre état de santé. Le médecin du travail indiquait; ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'. La société [F] gestion ne disposant pas d'autres sites que celui où vous travaillez et étant l'unique salariée de l'entreprise, nous avons interrogé la médecin du travail afin d'obtenir des précisions sur le reclassement préconisé. Le médecin du travail répondait les 11 et 12 octobre que vous étiez inapte à tout poste dans l'entreprise sans obligation de reclassement. Nous sommes au regret de vous informer que nous sommes dans l'impossibilité de vous reclasser faute de poste compatible avec les préconisations initiales du médecin du travail et son avis des 11 et 12 octobre 2022. Nous restons à votre disposition pour vous préciser les motifs rendant impossible votre reclassement'.
Par lettre datée du 17 octobre 2022, la SA [F] gestion a informé Mme [A] [R] que ' Suite à l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 3 octobre 2022 et l'impossibilité de vous reclasser pour les raisons que nous vous avons précisées par courrier du 12 octobre 2022, nous vous informons que nous envisageons de rompre votre contrat de travail pour impossibilité de reclassement en raison de votre inaptitude. Nous vous prions de bien vouloir vous présenter le 26 octobre 2022 à 11h à mon bureau au siège de l'entreprise, [Adresse 5] (rez-de-chaussée droite) pour un entretien sur une éventuelle mesure. Vous avez la possibilité de vous faire assister lors de cet entretien par une personne de votre choix appartenant au personnel de la société ou par un conseiller extérieur à l'entreprise choisi sur une liste établie par la Préfet.[.....]' .
Mme [A] [R] a été licenciée le 31 octobre 2022 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
' Nous vous avons convoqué à un entretien préalable fixé au 26 octobre 2022 auquel vous ne vous êtes pas présentée. Nous vous informons, par la présente, de notre décision de vous licencier en raison de votre inaptitude à occuper votre emploi, constatée le 3 octobre 2022 par le médecin du travail et en raison de l'impossibilité de vous reclasser. En effet, les recherches qui ont été menées en vue de votre reclassement, tenant compte des conclusions du médecin du travail, n'ont pas permis de trouver un autre emploi approprié à vos capacités parmi les emplois disponibles. Plus précisément, comme nous vous l'avons indiqué dans notre lettre du 12 octobre 2022, le médecin du travail indiquait: ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'. La SA [F] gestion ne disposant pas d'autres sites que celui où vous travaillez et étant l'unique salariée de l'entreprise, nous avons interrogé la médecine du travail afin d'obtenir des précisions sur le reclassement préconisé. Le médecin du travail répondait les 11 et 12 octobre que vous étiez apte à tout poste dans l'entreprise sans obligation de reclassement'. Votre contrat de travail prend fin à la date d'envoi de cette lettre soit le 28 octobre 2022. De ce fait, vous n'effectuerez pas de préavis et ne bénéficierez pas d'indemnité compensatrice de préavis.[...]'
Par jugement rendu le 12 juin 2023, notifié le 12 juillet 2023, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
déboute Mme [A] [R] de l'intégralité de ses demandes
déboute la SA [F] Gestion de sa demande reconventionnelle.
Le 25 juillet 2023, Mme [A] [R] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 mars 2025, Mme [A] [R] demande à la cour de :
infirmer le jugement en date du 12 juin 2023 en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau,
A titre principal,
juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [R] doit produire les effets d'un licenciement nul et subsidiairement les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
condamner conjointement et solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, à payer à Mme [A] [R] 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, en réparation du préjudice lié au harcèlement moral, et subsidiairement, à 27 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
A titre subsidiaire,
juger recevable la demande en nullité du licenciement
juger que le licenciement notifié à Mme [A] [R] par lettre en date du 30 octobre 2022 est nul
En conséquence,
condamner conjointement et solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, à payer à Mme [A] [R] des dommages et intérêts à hauteur de 54 000 euros pour licenciement
En tout état de cause,
juger recevable la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet
requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er septembre 2018
En conséquence,
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement de 25 519,70 bruts à titre de rappel de salaire à compter du 1er septembre 2018, sur un temps plein et 2 551,90 euros bruts au titre des congés payés afférents
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement de 5 205,62 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 520,56 euros bruts à titre de congés payés y afférents et subsidiairement, 4 518,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 451,80 euros bruts à titre de congés payés
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement des sommes de :
1 997,12 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement
22 000 suros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la discrimination par la maladie
6 070 euros bruts à titre de rappel congés payés
4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les éventuels d'exécution forcée.
Selon leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 mars 2025, la SA [F] gestion et la société Jardinery de [Localité 9], aux droits de laquelle intervient la SA [F] gestion demandent à la cour de :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société [F] Gestion est l'employeur exclusif de Mme [A] [R]
En conséquence,
ordonner la mise hors de cause de la société Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la société [F] Gestion n'a commis aucun fait de harcèlement moral au sein de l'entreprise ayant eu pour conséquence une dégradation continue des conditions de travail de la salariée
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la société [F] Gestion n'a commis aucun manquement grave à ses obligations contractuelles
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses demandes financières et de dommages et intérêts pour harcèlement moral
à titre subsidiaire, fixer la moyenne des 12 derniers mois de salaire à la somme de 2 189,51 euros
constater que Mme [A] [R] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice particulier
limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaires bruts soit la somme de 6 568,53 euros
prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle tendant à obtenir la nullité du licenciement
à titre subsidiaire, constater que le licenciement pour inaptitude est parfaitement légitime et justifiée
en conséquence, débouter Mme [A] [R] de sa demande de nullité de licenciement
prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle tendant le paiement des congés payés durant son arrêt maladie
à titre subsidiaire, constater que Mme [A] [R] a trop perçu la somme de 1 374,44 euros au titre des congés payés acquis avant l'arrêt maladie
limiter le montant dû au titre de l'indemnité de congés payés acquis durant l'arrêt maladie à la somme de 4 830,24 euros
ordonner la compensation des sommes dues respectivement par la société [F] Gestion et Mme [A] [R] au titre des indemnités de congé payé
réformer le jugement déféré en ce qu'il a omis de statuer sur la recevabilité de la demande de requalification du contrat de travail formée par Mme [A] [R]
prononcer l'irrecevabilité de la demande de requalification du contrat de travail
à titre subsidiaire, constater que la demande de requalification et des rappels de salaires afférents est infondée
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses rappels de salaires afférents
réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SA [F] gestion de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance
condamner Mme [A] [R] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
condamner Mme [A] [R] à payer à la société [F] Gestion la somme de 5 000 suros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens en cause d'appel.
Le 31 octobre 2024, la SARL Jardinery de [Localité 9] a été radiée suite à la transmission universelle du patrimoine à [F] gestion.
Par ordonnance rendue le 2 avril 2025, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par soit-transmis du 29 octobre 2025, les parties ont été invitées à adresser une note en délibéré sur les questions suivantes:
' Il résulte des écritures (page 48) de la SA [F] gestion que ' par ailleurs, la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la SA [F] gestion a cédé son activité de jardinerie, animalerie et bricolage à la société Les jardins de [Localité 9] en juillet 2021" et que ' la jardinery de [Localité 9] a conservé une simple activité de conseil et d'apporteur d'affaires aux entreprises, sans personnel, activité qui sera absorbée par la SA [F] gestion dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine, le 31 octobre 2024".
Il résulte des écritures (page 29) de Mme [R] que « la modification unilatérale de ses fonctions est définitivement actée du fait de la cession du fonds de commerce de la Jardinery de [Localité 9] au 1er septembre 2021 » et que « d'autres salariés rattachés à la société [F] gestion qui travaillaient pour le compte de la Jardinery de [Localité 9] ont été basculés sur la Jardinery de [Localité 9], avant la vente du fonds de commerce. C'est le cas de Mesdames [H], [I] et [X], salariés de la société [F] gestion et qui ont vu leur contrat de travail transféré au sein de la Jardinery de [Localité 9] juste avant la cession du fonds de commerce le 1 er septembre 2021 ».
Il y a donc lieu de s'interroger sur :
- L'éventuel transfert du contrat de travail de Mme [R] vers la société Les jardins de
[Localité 9] et les conséquences juridiques à en tirer
- A défaut de transfert, l'absence de rupture du contrat de travail signé entre Mme [R] et la société La jardinery de [Localité 9] jusqu'au 31 octobre 2024, date de la transmission universelle de patrimoine et sur les conséquences juridiques à en tirer'.
Par notes des 3 et 4 novembre 2025, les parties ont adressé leurs observations par RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par ailleurs et contrairement à ce que soutient la SA [F] Gestion, un salarié peut invoquer des faits de harcèlement moral alors qu'il se trouve en arrêt maladie, à charge pour lui de produire des pièces démontrant la réalité des faits invoqués. Par ailleurs, il sera rappelé que des faits de harcèlement peuvent être commis pendant un arrêt de travail.
Mme [P] [G] invoque les faits suivants:
- le comportement de son employeur à son encontre
- la succession de sanctions pour des faits non fondés et/ou prescrits pendant son arrêt maladie
- la modification unilatérale de ses fonctions essentielles
- des mesures discriminatoires prises à son encontre pendant son arrêt maladie
- la dégradation de ses conditions de travail qui ont porté atteinte à ses droits et à sa santé.
Sur le changement de comportement de l'employeur
Elle reproche à M.[U] [F], son employeur au sein de la société Jardinery de [Localité 9] et de la SA [F] gestion:
- la formulation de reproches
- des réflexions sur son embonpoint
- le contrôle de son travail et de ses horaires.
Mme [A] [R] produit:
- l'attestation de Mme [S], ex-assistante de Mme [A] [R] à la société Jardinery de [Localité 9] (pièce 40) dans laquelle elle déclare avoir vu Mme [A] [R] pleurer à plusieurs reprises suite aux reproches de M.[F], sans autre précision, de sorte que cette attestation ne saurait accréditer les reproches invoqués qui ne sont ni précisés ni datés.
- l'attestation de Mme [J], se présentant comme l'amie de Mme [A] [R] (pièce 52) qui ne fait qu'évoquer les propos tenus par Mme [A] [R] sans avoir été elle-même témoin direct, de sorte que cette attestation ne saurait accréditer les reproches invoqués par Mme [A] [R]. Il en est de même des attestations de Mme [E], amie (pièce 48), M.[Y], ami (pièce 49).
Elle reproche à M.[U] [F] le vouvoiement et le ton employé dans la phrase extraite de la mise en garde du 9 juin 2020 « Vous feignez de ne pas comprendre les raisons qui m'ont conduit à renforcer le contrôle de votre activité alors que je déplore depuis plusieurs mois une dérive inquiétante' » . Néanmoins, il ne peut être reproché à un employeur de vouvoyer sa salariée, peu importe qu'une relation amicale ancienne les unissait. Par ailleurs, les propos n'ont rien d'excessif, ni d'injurieux sur la forme. Le courriel adressé le 5 mai 2020 (pièce 4) par Mme [A] [R] à M.[U] [F] dans lequel elle le tutoie et lui reproche notamment de lui avoir 'raccroché au nez au bout de 34 secondes' ne constitue pas une preuve objective d'un quelconque dysfonctionnement de la part de l'employeur.
Elle reproche à M.[U] [F] de lui avoir demandé de badger après 13 ans de collaboration sans contrôle. Ne produisant aucun justificatif sur cette question, ce grief n'est pas matériellement établi.
Elle ne produit aucun justificatif sur les remarques liées à son embonpoint.
Elle invoque le refus de M.[U] [F] d'augmenter son temps de travail pour le passer de 4 à 5 jours travaillés alors que ses horaires allaient quasi-systématiquement au-delà de son horaire de temps partiel pour répondre au développement du rayon épicerie fine et à son travail de secrétariat juridique. Elle produit un courrier adressé à ' [U]' dans lequel elle invoque le sujet mais qui n'est pas daté, ni signé ni accompagné du moindre justificatif d'envoi. Les attestations de ses amies (pièces 48 et 49) sont inopérantes puisque ne faisant que retranscrire les dires de Mme [A] [R]. Si l'attestation de Mme [S] fait état de ce que Mme [A] [R] venait travailler en fonction de l'actualité les samedis ou dimanches et un mercredi sur deux (pièce 50), cela ne confirme pas sa demande de voir augmenter sa durée de travail qui, en tout état de cause, aurait nécessité une modification de son contrat de travail qui ne peut être imposée à un employeur. Il convient de relever que son bulletin de paie fait apparaître à partir de février 2013 une durée de travail de 121,33 heures mensuelles, payée 1467,80 euros, ce qui correspond au niveau paie au cumul des deux emplois.
L'absence de communication et l'impatience de son employeur à la sortie du confinement ne sont pas établies par la production de l'échange de courriels entre Mme [A] [R] et M.[U] [F] du 6 mai 2020 à l'occasion desquels chacun expose son point de vue sur la situation et son approche de la gestion de la crise sanitaire et ce, en des termes respectueux et courtois (pièce 4). Cela ne démontre ni problème de communication, ni impatience contestables ou critiquables de la part de l'employeur.
Ce grief n'est pas établi.
Sur la modification unilatérale de ses fonctions essentielles
Mme [A] [R] expose qu'elle n'a disposé d'aucune fiche de poste et que son dernier contrat au sein de la SA [F] gestion fait seulement état d'une fonction d'assistante administrative. Elle expose que depuis 2011, sa fonction essentielle est devenue progressivement le développement du rayon épicerie fine de la Jardinery avec l'accord et sous la subordination de M.[U] [F].
Elle produit une attestation de M.[Z], anciennement directeur de la société Jardinery de [Localité 9] de 1990 au 31 août 2017 qui écrit que: ' Mme [A] [R] occupait comme fonction essentielle, la responsabilité du rayon épicerie fine au sein de la société Jardinery de [Localité 9] depuis septembre 2011" (pièce 39). Les autres attestations d'anciens salariés de la société Jardinery de [Localité 9] (pièces 40, 53, 54) ainsi qu'un fournisseur (pièce 41) confirment cette fonction.
Il n'est pas contesté par Mme [A] [R], qu'à partir du 1er février 2013, elle poursuivra les activités initialement exercées tant au titre du premier contrat que du second, sous la seule autorité et subordination de la SA [F] Gestion, celle-ci devenant l'employeur unique de Mme [A] [R]. Ceci est confirmé par les bulletins de paie établis à partir de cette date par la seule SA [F] Gestion et qui font apparaître une ancienneté reprise au 6 février 2007, date de son embauche par la SARL Jardinery de [Localité 9], pour une durée mensuelle de travail de 121,33 heures rémunérées à hauteur de 1 928 euros bruts mensuels, correspondant au cumul des montants fixés au titre des deux contrats pour une durée de travail inférieure à celles des deux contrats de travail cumulés.
Mme [A] [R] ne peut pas invoquer un changement d'attributions au profit de tâches administratives dès lors qu'elle avait été recrutée selon les termes des deux contrats de travail en qualité d'employée administrative pour le premier et assistante administrative pour le second.
La cession du fonds de commerce de la SARL Jardinery de [Localité 9] est donc sans effet sur son statut de salariée de la SA [F] Gestion et il n'y avait pas lieu de transférer son contrat de travail au repreneur du fonds. Si Mme [A] [R] justifie qu'elle a continué de travailler dans le cadre de l'activité de la SARL Jardinery de [Localité 9], ce qui lui fait dire qu'il s'agit d'un prêt de main d'oeuvre illicite tout en évoquant, sans autre démonstration, le terme de co-employeur, pour autant, cette situation n'accrédite pas le grief invoqué de modification unilatérale de fonctions dès lors que ce sont les tâches administratives qu'elle conteste alors même que cela correspondait aux fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée.
Enfin et contrairement à ce que soutient Mme [A] [R], celle-ci a toujours exercé des fonctions administratives et bénéficiait de l'aide soit de Mme [M], ancienne secrétaire juridique, jusqu'au départ à la retraite de celle-ci, soit de M.[K], comptable, jusqu'au départ de celui-ci en 2017. Par ailleurs, avant son arrêt de travail, Mme [A] [R] n'a jamais évoqué une quelconque difficulté à exercer ses fonctions administratives notamment en termes de formation, ce d'autant qu'elle avait été recrutée en qualité d'employée et d'assistance administrative.
Ce grief n'est pas établi.
Sur les sanctions disciplinaires
Sur l'avertissement du 25 mai 2020 pour non-respect des horaires de travail et pour un abandon de poste du 5 mai 2020
L'avertissement est libellé comme suit:
' Madame,
Nous avons traversé pour notre principale filiale Jardinerie de [Localité 9] depuis le début du confinement des périodes difficiles pour éviter la faillite puis maintenir l'activité, entretenir les animaux et les végétaux.
Lorsque nous avons été autorisés à ouvrir à nouveau l'ensemble de la jardinerie, nous avons mis en place pour l'ensemble des sociétés dont [F] Gestion, les mesures nécessaires à la protection et à la sécurité des salariés, avec achat de gel hydroalcooliques, gants, la mise à disposition de masques en tissus, puis l'achat de 7500 masques chirurgicaux ainsi que la désinfection des locaux plusieurs fois par jours par une société extérieure.
Vous deviez reprendre votre poste à partir du mois de mai aux horaires habituels.
Vous avez décidé sans me prévenir au préalable de ne venir travailler que les matins de 7h30 à 9h30, horaire que vous m'avez imposé au prétexte que les conditions sanitaires n'auraient pas été mises en place pour garantir votre sécurité.
Je vous rappelle qu'outre les mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire de tous, vous travaillez seule dans un bureau et n'utilisez pas les transports en commun pour vous venir travailler.
Le 5 mai vous avez quitté votre poste sans y être autorisée au motif de I'arrivée d'une collègue sans masque alors que vous portiez un masque et que vous étiez dans votre bureau personnel fermé et situé à plusieurs mètres de distance de son poste de travail.
Votre attitude est constitutive d'un manquement à vos obligations qui nous amènent à vous notifier un avertissement.
Nous vous prions de croire, Madame, en I'expression de nos salutations distinguées'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit le courriel adressé à M.[U] [F] le 5 mai 2020 sur son départ précipité (pièce 4) et la lettre adressée le 8 juin 2020 en réponse à la sanction aux fins de la voir annuler (pièce 8).
La sanction est matériellement établie.
Sur la mise en garde du 9 juin 2020
Elle est libellée comme suit:
' Votre lettre du 3 juin dernière appelle la mise au point suivante:
Vous indiquez avoir quitté l'entreprise le 5 mai car, en tant que personne à risque, vous vous estimiez en danger malgré toutes les mesures de prévention mises en place.
Or, nous n'avons reçu aucun certificat d'isolement établi par votre médecin justifiant votre situation. Vous nous avez adressé un arrêt de travail « classique » (au demeurant incomplet) que vous justifiez par « une grande fatigue physique et morale » que vous attribuez à mon changement de comportement à votre endroit.
Il m'apparaît donc indispensable de vous rappeler que vous avez été engagée en qualité d'assistante administrative par la société [F] gestion.
Vos fonctions consistent pour l'essentiel dans :
- La rédaction des PV des assemblées des filiales de [F] Gestion
- L'envoi des convocations aux assemblées générales
- L'envoi aux actionnaires des informations concernant les dividendes et les déclarations fiscales
- L'édition des quittances des loyers et le suivi des paiements
- L'édition et l'envoie de factures diverses et le suivi des paiements.
Vous prétendez vous efforcez d'effectuer votre travail depuis votre domicile. Or, les seules tâches que vous pouvez être à même d'effectuer à votre domicile concernent la gestion du rayon terroir mais qui ne relèvent pas de vos missions principales et que j'avais accepté de vous confier à la condition qu'elle ne s'effectue pas au détriment de votre activité principale.
A ce sujet, je maintiens que nous ne sommes jamais convenus que vous vous présenteriez avant l'ouverture magasin pour récupérer les chiffres et les cadenciers du rayon. Vous m'avez imposé votre décision.
Vous feignez de ne pas comprendre les raisons qui m'ont conduit à renforcer le contrôle de votre activité alors que je déplore depuis plusieurs mois une dérive inquiétante.
Voici des exemples de manquements découverts récemment durant votre absence :
- non établissements des PV pour 3 SCl en 2019;
- non suivi du paiement d'une facture émise par [F] Gestion le 14/02/2020 pour la société Figa N° 447 pour un montant de 8 777,52 € et qui n'était toujours pas payée à fin avril sans qu'aucune relance n'ait été envoyée;
- non suivi du paiement de la facture émise par SCI [F] et Cie le 28/02/2018 pour la société carrefour proximité France N° 231 pour un montant de 24 962,40 €; cette facture demeure impayée sans qu'aucune relance n'ait été faite;
- La balance des loyers de la SCI [Adresse 4] montre un compte débiteur au 31 mars 2020 de 223 332,61 € sans trace de relances (au 31 décembre 2019, la balance affichait déjà un solde débiteur de 168 152,72 € ..) ;
- La feuille de présence de l' AG du [Adresse 4] du 21/05/2019 n'est toujours pas signée par Madame [B] [F] à ce jour;
- Le pouvoir de l'assemblée de LG du [Adresse 4] du 15 mai 2018 est incomplet
- il manque de nombreux dossiers de PV d AG dans les boites à archives pour les années 2018 et 2019 ...
L'avertissement qui vous a été notifié est justifié comme l'est la mise en garde que je vous adresse concernant la qualité de votre travail pour laquelle j'attends une substantielle amélioration'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit la lettre qu'elle a adressée le 23 juin 2020 en réponse, aux fins de voir annuler la sanction (pièce 10). Elle produit également un courriel adressé le 19 juin 2020 par M.[L] [K], comptable, à Mme [A] [R] où il lui confirme que ' lorsque j'exerçait mon activité de comptable au sein de la société [F] Gestion je te fournissait les données nécessaires à l'élaboration des convocations et des procès-verbal concernant les assemblées générales des différentes SCI. En effet, ces données sont extraites des documents comptable et pour cela il est nécessaire d'avoir de bonnes connaissances en la matière. Je tiens à préciser qu'à l'époque ou Madame [M] exerçait ses fonctions et établissait ces documents elle faisait appel à moi afin de lui fournir toutes ces informations. D'autre part l'outil comptable est aussi indispensable afin de contrôler l'arrêté des charges à la fin de chaque exercice concernant les SCI'.
Mme [A] [R] relève que la société ne justifie d'aucune plainte émanant de client mécontent de ses prestations et en tout état de cause, relève que les manquements cités sont soit trop anciens soit déjà couverts par l'avertissement du 25 mai 2020.
La mise en garde est matériellement établie.
Sur la lettre du 4 juillet 2020 valant renouvellement des sanctions
Mme [A] [R] invoque la lettre que M.[U] [F] lui a adressée en réponse à ses lettres de contestation des sanctions. Si M.[U] [F] lui indique maintenir les sanctions, ce courrier ne peut en tant que tel constituer une sanction.
Cette sanction n'est pas établie.
Sur l'avertissement pour des manquements à la prestation de travail du 19 octobre 2020
Il est libellé comme suit:
' Nous avons reçu ces derniers jours des mails de vos contacts nous informant de graves manquements
dans votre travail:
1-en 2019 vous avez adressé l'avis d'échéance du loyer du 2ème trimestre pour la SCI [F]
et CIE à Carrefour France pour un montant de 30 531.78 € alors que cette société avait vendu son fond à la société Lozano distribution, vente dont vous avez été informée.
La société Lozano distribution vous a contactée par mail le 5 octobre 2019 vous demandant la quittance du second trimestre, mail que je vous joins auquel vous n'avez jamais répondu. Ce mail
aurait dû engendrer une réponse de votre part et une régularisation immédiate de la situation.
Nous vous joignons les échanges de mail ainsi que les copies des avis d'échéance.
Enfin, vous avez omis de changer sur les avis d'échéance nos coordonnées ce qui nous rendait injoignables.
2-nous avons reçu un mail de Maître [N] [W] qui nous dresse une liste de documents manquants que vous auriez dû lui transmettre, mail que je vous joins.
Ces deux éléments sont constitutifs d'un manquement à vos obligations professionnelle.
Nous sommes donc amenés à vous notifier un nouvel avertissement'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit la lettre qu'elle a adressée le 10 novembre 2020 en réponse et aux fins de voir annuler la sanction (pièce 16).
Elle relève que les faits reprochés datent de 17 mois et ne sont pas fondés. Elle produit l'attestation de M.[K] (pièce 46) qui écrit que ' (...) Lors du déménagement des bureaux de la SA [F] Gestion dans les locaux de la SARL Jardinery de [Localité 9], M.[U] [F] n'a pas voulu dans un soucis d'économie que la SA [F] Gestion ai un numéro de téléphone distinct de celui de la SARL Jardinery de [Localité 9]. Il n'a pas aussi jugé utile de mettre en place une messagerie vocale pour informer d'éventuels interlocuteurs.
Enfin, elle soutient que les reproches portaient exclusivement sur des tâches de secrétariat juridique pour lesquelles elle n'avait aucune compétence ni contrôle interne depuis 2017 et qui ne constituaient pas ses fonctions principales. Elle relève que ces sanctions lui ont été notifiées pendant son arrêt maladie. Néanmoins, sans préjuger du bien-fondé de cette sanction, il convient de rappeler qu'un arrêt maladie ne fait pas obstacle à l'engagement d'une procédure disciplinaire pour des faits antérieurs audit arrêt de travail.
La sanction est matériellement établie.
Sur les mesures discriminatoires prises à l'encontre de Mme [A] [R] en raison de sa maladie
Mme [A] [R] reproche à son employeur de:
- lui avoir retiré des jours de carence en mai 2020 qui ne lui seront remboursés qu'après ses réclamations: elle ne produit aucun élément.
- lui avoir payé par chèque ses salaires alors qu'ils lui étaient payés par virement depuis son engagement en 2007 comme pour tous les salariés: elle produit un courriel du 6 novembre 2020 dans lequel elle indique ne pas comprendre le refus de la SA [F] Gestion de la payer par virement comme cela était fait depuis 15 ans (pièce 21).
Néanmoins, le paiement par chèque ne saurait suffire à démontrer une discrimination au sens de l'article L1132-1 du code du travail.
Ce grief n'est pas établi.
Sur l'atteinte à ses droits et à sa santé
Mme [A] [R] invoque une dégradation de ses conditions de travail à l'origine de ses troubles dépressifs, de nature à compromettre son avenir professionnel à l'âge de 59 ans et produit l'attestation de Mme [T], psychologue du 10 mars 2021 (pièce 24).
Outre le fait que Mme [T] n'est pas médecin, elle ne fait que retranscrire les dires de Mme [A] [R] lorsqu'elle fait le lien entre son état dépressif et des problèmes professionnels, n'en ayant pas été témoin direct. Par ailleurs, sans remettre en cause le bien-fondé des arrêts de travail produits aux débats, pour autant ils sont insuffisants à démontrer un lien entre la situation professionnelle de Mme [A] [R] et son état de santé.
Au vu des éléments matériellement établis (sanctions), il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
- Sur l'avertissement du 25 mai 2020:
Contrairement à ce que Mme [A] [R] soutient, celle-ci n'a pas été sanctionnée pour les mêmes faits. En effet, si M.[U] [F] évoque dans le courriel du 6 mai 2020 (pièce 4) les faits du 5 mai, il n'est pas question à ce stade d'une sanction.
Par ailleurs, Mme [A] [R] ne conteste pas avoir imposé à son employeur sa décision de ne venir travailler que de 7h30 à 9h30 au motif qu'elle est une personne à risque. Or, elle ne justifie d'aucun certificat médical le démontrant. Par ailleurs, M.[U] [F] justifie par le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 mai 2020 que Mme [A] [R] bénéficiait d'un bureau cloisonné, isolé de ses collègues et à l'écart de la clientèle, les autres postes de travail se situant à plusieurs mètres de distance, outre la mise à disposition pour les salariés de gel hydroalcoolique et de masques. L'huissier a également constaté la mise à disposition de désinfectant à proximité du distributeur de boissons, l'affichage de toutes les mesures recommandées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus dans de multiples zones, sur les portes et des panneaux, la présence de stock de bidons de gel hydroalcoolique, la mise en place de mesures de protection et de distanciation dans l'espace magasin, un marquage au sol pour la clientèle, l'équipement des caisses d'une protection (pièce 79).
Ainsi, le reproche formulé à l'encontre de Mme [A] [R] de ne pas reprendre ses horaires habituels de travail et son départ injustifié le 5 mai justifient l'avertissement prononcé à son encontre.
- Sur la mise en garde du 9 juin 2020:
Il convient de constater que s'agissant :
- du non établissement des PV pour 3 SCl en 2019: Mme [A] [R] l'avait reconnu dans son courriel du 19 mai 2019
- le non suivi du paiement d'une facture émise par [F] Gestion le 14/02/2020 pour la société Figa N° 447 pour un montant de 8 777,52 € et qui n'était toujours pas payée à fin avril sans qu'aucune relance n'ait été envoyée: non établi
- non suivi du paiement de la facture émise par SCI [F] et Cie le 28/02/2018 pour la société carrefour proximité France N° 231 pour un montant de 24 962,40 €; cette facture demeure impayée sans qu'aucune relance n'ait été faite: non établi
- La balance des loyers de la SCI [Adresse 4] montre un compte débiteur au 31 mars 2020 de 223 332,61 € sans trace de relances (au 31 décembre 2019, la balance affichait déjà un solde débiteur de 168 152,72 € ..): constaté par huissier (pièce 79)
- La feuille de présence de l' AG du [Adresse 4] du 21/05/2019 n'est toujours pas signée par Madame [B] [F] à ce jour: constatée par huissier (pièce 79)
- Le pouvoir de l'assemblée de LG du [Adresse 4] du 15 mai 2018 est incomplet: constaté par huissier (pièce 79)
- il manque de nombreux dossiers de PV d AG dans les boites à archives pour les années 2018 et 2019 ...: constaté par huissier (pièce 79).
Sur les sept reproches formulés, deux seulement ne sont pas établis, de sorte que la mise en garde consistant à demander la salariée de se ressaisir et a exécuter ses tâches est justifiée.
- Sur l'avertissement du 19 octobre 2020
La SA [F] Gestion produit :
- le courriel du 23 septembre 2020 de la chargée de gestion locative de Carrefour informant M.[U] [F] que la SA [F] Gestion leur était redevable d'une somme de 30 531,78 euros prélevée à tort au titre d'un loyer puisque Carrefour avait cédé le fonds de commerce depuis le 1er février 2019 (pièce 25)
- le courriel de la société Lozano distribution [Localité 10], locataire, adressé le 11 septembre 2019 à Mme [A] [R] dans lequel la société se plaint de ne pas avoir eu de réponse à son courrier, de ne pas avoir reçu l'échéance du 2ème trimestre et fait remarquer que le n numéro de téléphone indiqué sur les avis d'échéance n'existe pas (pièce 25)
- le courriel du 21 septembre 2020 de Maître [N] [W] réclamant un certain nombre de procès-verbaux du directoire et du conseil de surveillance (pièce 25).
Si les faits reprochés datent de plus de deux mois, l'employeur justifie en avoir eu connaissance dans le délai de deux mois avant le prononcé de la sanction.
Par ailleurs, il est établi qu'il appartenait à Mme [A] [R] d'assurer le suivi administratif et juridique de la SA [F] Gestion et des autres sociétés du groupe, comme le confirme elle-même Mme [A] [R] dans ses échanges de mails avec M.[U] [F] (pièce 15) ainsi que les attestations produites par la SA [F] Gestion émanant de M.[C] [F], père de M.[U] [F] et président du conseil de surveillance associé (pièce 55), locataires, syndic ou gestionnaires de fonds de commerce gérés par la SA [F] Gestion (pièces 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 64), du commissaire aux comptes (pièce 63), Mme [V] [F], soeur de M.[U] [F] et associée(pièce 58), de salariés de la SA [F] Gestion (pièce 78) et la copie de courriers ou courriels signés par Mme [A] [R] et adressés à différentes sociétés notamment pour leurs déclarations fiscales (pièces 55, 58, 59,65, 66, 67, 68, 69, 70).
Il convient de constater que les faits sont objectivement fondés.
Ainsi, l'employeur justifie ces sanctions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Mme [A] [R] sera déboutée de ce chef par confirmation du jugement ainsi que de ses demandes au titre de la nullité du licenciement.
Sur la demande en requalification du contrat de travail
La SA [F] Gestion soulève l'irrecevabilité de la demande additionnelle de Mme [A] [R], au motif que dans sa requête initiale devant le conseil des prud'hommes, Mme [A] [R] avait circonscrit son action à une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.
Mme [A] [R] ne conteste pas avoir expressément formulé cette demande postérieurement à sa saisine initiale du conseil des prud'hommes ni que la SA [F] Gestion avait soulevé l'irrecevabilité d'une telle demande sur laquelle le Conseil n'avait pas statué. Elle estime que le fait d'avoir indiqué dans sa requête que son employeur avait refusé de la passer à 5 jours de travail au lieu de 4 pour lui permettre de répondre au travail demandé vaut demande en requalification d'un contrat à temps partiel en contrat à temps complet.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, ' A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
Selon l'article 565 du code précité, ' Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.
Selon l'article 566 du code précité, ' Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.
Selon l'article 70 du code précité, 'Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout'.
Une demande additionnelle n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, si dans sa requête initiale produite aux débats, Mme [A] [R] évoque dans ses développements d'une part, le fait qu'elle avait souhaité augmenter son temps de travail, sans aucune mention des horaires, et d'autre part, le refus de son employeur de la faire passer à 5 jours au lieu de 4, sans aucune mention des horaires, à aucun moment elle n'a sollicité la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps complet. Sa requête initiale n'avait pour seul objet que la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur en raison de faits de harcèlement et de discrimination en raison de son état de santé.
Il convient de rappeler qu'une demande de rappels de salaires, de paiement d'heures supplémentaires et/ou complémentaires ne tendent pas aux mêmes fins qu'une demande en requalification d'un CDD en CDI ni n'en est l'accessoire, la conséquence ou le complément (Cass.soc.25-06-2025 n° 23-18.889 FS-B), de sorte que cette demande additionnelle est irrecevable.
Sur la demande en résiliation judiciaire
Sur le fond
A titre subsidiaire, Mme [A] [R] soutient que la SA [F] Gestion a commis des faits fautifs d'une gravité suffisante pour justifier sa demande.
Elle invoque les faits suivants:
- le refus de l'employeur d'augmenter ses heures de travail en considération des tâches qui lui étaient dévolues dans les deux structures
- la suspicion non fondée de son employeur pendant son arrêt maladie
- les difficultés à se faire payer pendant son arrêt maladie
- une succession de sanctions sur un domaine pour lequel elle n'avait aucune formation.
Il convient de rappeler que l'ensemble de ces griefs n'ont pas été retenus lors de l'examen des faits de harcèlement moral.
Elle invoque également sa relation contractuelle pour le compte de la SARL Jardinery de [Localité 9] alors qu'elle est restée rattachée à la SA [F] Gestion contrairement aux autres salariés - ce qui ne lui a pas permis de voir transférer son contrat de travail auprès du cessionnaire du fonds de commerce de la Jardinery. En tout état de cause, elle estime que la SA [F] Gestion a commis une faute en la faisant travailler pour le compte et sous la subordination de la SARL Jardinery de [Localité 9] en violation des règles sur le prêt de main d''uvre visées aux articles L8241-1 et suivants du code du travail.
La SA [F] gestion explique que, jusqu'au 31 janvier 2013, Mme [A] [R] cumulait son emploi d'agent administratif au sein de la société Jardinery de [Localité 9] pour une durée de travail de 121,33 heures ( 28 heures par semaine) rémunérée à hauteur de 1 467,80 euros et son emploi d'assistante administrative au sein de la SA [F] gestion pour une durée mensuelle de 34,65 heures (8 heures par semaine) moyennant une rémunération brute de 400 euros soit un salaire global de 1 867,80 euros; qu'à compter du 1er février 2013, Mme [A] [R] a accepté d'être rattachée exclusivement à la SA [F] gestion, de sorte que la SA [F] gestion est devenue l'employeur exclusif de Mme [A] [R], celle-ci conservant une durée de travail à temps partiel sur la base de 28 heures par semaine (121,33 heures par mois) pour une rémunération équivalente à celle perçue par ses deux emplois précédents cumulés.
Comme le rappelle la SA [F] gestion, celle-ci détenait 96% du capital social de la société Jardinery de [Localité 9].
Il n'est pas contesté par la société que Mme [A] [R] a continué de travailler dans le cadre de l'activité de la SARL Jardinery de [Localité 9]. La société évoque une mise à disposition et une activité accessoire pour la Jardinery de [Localité 9] alors même que Mme [A] [R] était salariée au sein de la SA [F] Gestion. La société soutient qu'il s'agit d'un prêt de main d'oeuvre licite au sein d'un groupe de sociétés.
En réponse, Mme [A] [R] soutient que ce prêt de main d''uvre d'une société mère
à une filiale a été opéré en violation des règles visées aux articles 8241-1 et suivants du code du travail; que le prêt de main d''uvre entre les sociétés est obligatoirement à but non lucratif; que toute opération de mise à disposition comprend le salaire versé, les charges sociales correspondantes et éventuellement les frais professionnels sans aucune marge pour la société prêteuse; que le salarié concerné doit donner son accord pour travailler au sein de la société emprunteuse; que ce type de prestation de service nécessite d'incorporer un avenant dans le contrat de travail, signé par le salarié; qu'aucun de ces éléments n'est produit aux débats.
Selon l'article L8241-2 du code du travail dans sa version applicable en 2013, ' Les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif sont autorisées.
Dans ce cas, les articles L. 1251-21 à L. 1251-24, L. 2313-3 à L. 2313-5 et L. 5221-4 du présent code ainsi que les articles L. 412-3 à L. 412-7 du code de la sécurité sociale sont applicables.
Le prêt de main-d''uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :
1° L'accord du salarié concerné ;
2° Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l'identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse ;
3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d'exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.
A l'issue de sa mise à disposition, le salarié retrouve son poste de travail ou un poste équivalent dans l'entreprise prêteuse sans que l'évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt.
Les salariés mis à disposition ont accès aux installations et moyens de transport collectifs dont bénéficient les salariés de l'entreprise utilisatrice.
Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.
La mise à disposition ne peut affecter la protection dont jouit un salarié en vertu d'un mandat représentatif.
Pendant la période de prêt de main-d''uvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l'entreprise prêteuse n'est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse.
Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise prêteuse sont consultés préalablement à la mise en 'uvre d'un prêt de main-d''uvre et informés des différentes conventions signées.
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'entreprise prêteuse est informé lorsque le poste occupé dans l'entreprise utilisatrice par le salarié mis à disposition figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnée au second alinéa de l'article L. 4154-2.
Le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise utilisatrice sont informés et consultés préalablement à l'accueil de salariés mis à la disposition de celle-ci dans le cadre de prêts de main-d''uvre.
L'entreprise prêteuse et le salarié peuvent convenir que le prêt de main-d''uvre est soumis à une période probatoire au cours de laquelle il peut y être mis fin à la demande de l'une des parties. Cette période probatoire est obligatoire lorsque le prêt de main-d''uvre entraîne la modification d'un élément essentiel du contrat de travail. La cessation du prêt de main-d''uvre à l'initiative de l'une des parties avant la fin de la période probatoire ne peut, sauf faute grave du salarié, constituer un motif de sanction ou de licenciement'.
Il convient de rappeler que, même limitée, la SARL Jardinery de [Localité 9] a conservé une activité jusqu'au 31 octobre 2024, date de la transmission universelle du patrimoine à la SA [F] Gestion. S'agissant d'une personne morale distincte de la SA [F] Gestion, l'activité de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] devait nécessairement remplir les conditions de l'article L.8241-6 précité. À savoir:
- l'accord préalable et explicite du salarié, matérialisé par la signature d'un avenant au contrat de travail.
- la signature d'une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice
- la consultation préalable des représentants du personnel.
Faute de remplir ces conditions, le prêt de main d'oeuvre illicite sera retenu et justifie, sans besoin d'évoquer les autres moyens, la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, au regard de ce qui précède, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la SARL Jardinery de [Localité 9].
Sur les conséquences financières
Sur la demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'article L.1235-3 du code du travail modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017, applicable aux licenciements postérieurs au 24 septembre 2017 et donc au présent litige, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, et en l'absence de réintégration de celui-ci dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par un barème.
Il résulte de ce barème que, lorsque le licenciement est opéré par une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés et que le salarié a 15 ans d'ancienneté dans la société comme en l'espèce, l'indemnité doit être comprise entre 3 et 13 mois de salaire brut.
La valeur du salaire de référence correspond à la moyenne des salaires bruts perçus tous les mois par l'employé. Le calcul est effectué à partir des paiements des 12 derniers mois précédant le licenciement. Un autre mode de calcul peut aussi prendre en compte le dernier trimestre de travail de l'employé. Quelle que soit la formule choisie, elle doit inclure tous les bonus et primes perçus pendant les derniers mois de travail considérés. Est pris en compte la période antérieure à l'arrêt de travail soit de mai 2019 à avril 2020. Tenant compte du salaire brut, des différentes primes et heures complémentaires, le salaire de référence s'élève à 2 193,52 euros bruts.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant du salaire de référence, de son âge ( 60 ans), de son ancienneté et des conséquences du licenciement à son égard tel qu'il résulte des pièces fournies, Mme [A] [R] justifiant être toujours inscrite à pôle emploi au 16 mars 2024 il y a lieu de condamner la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 22 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis
L'inaptitude n'étant pas professionnelle, Mme [A] [R] ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis conformément à l'article L1226-14 du code du travail. .
Sur le rappel d'indemnité de licenciement
Dès lors que cette demande repose sur la requalification rejetée de son contrat de travail à temps complet, Mme [A] [R] sera déboutée de sa demande.
Sur la demande complémentaire au titre des congés payés
Mme [A] [R] invoque la jurisprudence de la cour de cassation du 13 septembre 2023, eu égard à l'article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur le droit au repos, et réclame le paiement des congés payés acquis pendant son arrêt maladie. La SA [F] Gestion conteste le montant demandé et réduit le reliquat restant dû à 1 374,44 euros.
Les modalités de calcul étant différentes selon qu'il s'agit des congés payés acquis avant l'arrêt de travail et ceux postérieurs, il convient d'examiner séparément les deux périodes.
sur la période avant suspension pour maladie
Il convient de constater que le bulletin de paie de mai 2020 fait apparaître 23,54 jours de congés acquis non pris ( 3,50 au titre de la période 2018/2019 et 20,04 au titre de la période 2019/2020) alors que Mme [A] [R] fait état de 24 jours sans autre précision ni justificatif.
C'est sur la base de 23,54 jours qu'aurait dû être calculée l'indemnité compensatrice des congés payés non pris avant l'arrêt maladie. Or, la société a, par erreur, continué de comptabiliser et de mentionner les congés payés acquis après le 1er juin 2020 pour un total de 49 jours et a calculé sur cette base l'indemnité versée suite au licenciement.
Néanmoins, sur la base de 23,54 jours et un salaire de référence de 2 193,52 euros bruts, la SA [F] Gestion devait à Mme [A] [R] 2 632,22 euros ( et non 2 349,56 euros comme soutenu par la société sur la base d'un salaire de référence inférieur) soit un trop perçu de 1 091,77 euros.
Sur la période de suspension pour maladie
Dans l'arrêt n°22-17340 du 13 septembre 2023, la cour de cassation a jugé que 'le salarié dont le
contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail, pour cause de maladie non professionnelle, peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période'.
Dans son arrêt n°22-10529 du 13 septembre 2023, la cour de cassation a dit que ' le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé'.
Selon l'article L3141-5 du code du travail, ' Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congé payé ;
2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ;
3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38 ;
4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44 ;
5° Les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque ;
7° Les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n'ayant pas un caractère professionnel'.
NOTA ' Conformément au II de l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d'acquisition des droits à congés, les dispositions du 7° du présent article sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d'entrée en vigueur de ladite loi.
Toutefois, pour la même période, les congés supplémentaires acquis en application des dispositions mentionnées au premier alinéa ne peuvent, pour chaque période de référence mentionnée à l'article L. 3141-10 du code du travail, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de vingt-quatre jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions du même code dans leur rédaction antérieure à ladite loi.
Toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l'octroi de jours de congé en application dudit II doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi'.
Il résulte de ce texte que la période d'arrêt maladie ouvre droit à congés payés à hauteur de 2 jours par mois ( 8% du salaire). Ainsi, du 1er juin 2020 au 30 octobre 2022 (29 mois), les congés acquis sont de 58 jours (2 jours/mois), chiffre confirmé par Mme [A] [R]. Sur la base du salaire de référence de 2 193,52 euros bruts, Mme [A] [R] peut prétendre à la somme de 5 088,96 euros bruts au titre des congés payés acquis durant l'arrêt maladie de Mme [A] [R]. Déduction faite du trop perçu précité, la SA [F] Gestion sera condamnée à payer le solde restant dû de 3 997,20 euros bruts.
Sur la demande de solidarité
Selon l'article 1310 du code de procédure civile, ' La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas'.
En l'espèce, la mise à disposition de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] n'a donné lieu à aucune convention. Aucune demande n'a été formulée au titre du prêt de main d'oeuvre illicite. En conséquence, il n'y a pas lieu de retenir la solidarité entre la SARL Jardinery de [Localité 9] et la SA [F] Gestion.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de condamner la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens
Il convient de condamner la SA [F] Gestion aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Montmorency du 12 juin 2023 en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination et de ses demandes afférentes dont la nullité du licenciement;
Infirme pour le surplus;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Rejette la demande de mise hors de cause de la SARL Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la SA [F] Gestion ;
Dit qu'à compter du 1er février 2013, la SA [F] Gestion est l'unique employeur de Mme [A] [R] ;
Dit que la mise à disposition à compter du 1er février 2013 de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] constitue un prêt illicite de main d'oeuvre;
Fait droit à la demande de Mme [A] [R] en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SA [F] Gestion ;
Dit que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Dit irrecevable la demande additionnelle de Mme [A] [R] en requalification du contrat de travail;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 22 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 997,20 euros au titre du solde restant dû d'indemnité de congés payés;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA [F] Gestion aux dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-6
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/02265 - N° Portalis DBV3-V-B7H-WAK6
AFFAIRE :
[A] [R]
C/
S.A. [F] GESTION
...
S.A.R.L. JARDINERY DE [Localité 9]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Juin 2023 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : F 21/00336
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sophie CORMARY de
la SCP HADENGUE et Associés
Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [A] [R]
née le 07 Août 1962 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 substitué par Me Marie PIRIOU avocate au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
S.A. [F] GESTION
N° SIRET : 393 36 5 5 23
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 154 -
S.A.R.L. JARDINERY DE [Localité 9]
N° SIRET : 305 06 4 7 01
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentant : Me Sylvie DERACHE-DESCAMPS de la SELARL DERACHE-DESCAMPS SUDRE, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 154 -
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Septembre 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,
Madame Tiphaine PETIT, Vice-présidente placée,
Madame Odile CRIQ, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
A compter du 6 février 2007, Mme [A] [R] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée, à temps partiel à hauteur de 28 heures hebdomadaires (soit 121,33 heures mensuelles), en qualité d'employée administrative outre des tâches annexes ou accessoires (rangement, nettoyage...), par la SARL Jardinery de [Localité 9] qui est spécialisée dans le commerce de détail (fleurs, graines, animaux de compagnie etc), emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des jardineries et graineteries. Le lieu de travail était chez magasin vert [Adresse 1].
Le salaire était de 9,85 euros du taux horaire pour une durée de travail de 28 heures soit un total brut de 1 467,80 euros.
La société Jardinery de [Localité 9] est une filiale détenue par la SA [F] Gestion, dirigée par M.[U] [F]. C'est ce dernier qui a signé le contrat de travail précité en sa qualité de directeur.
Le 9 décembre 2009, Mme [A] [R] a été engagée par contrat à durée indéterminée à 'temps complet', comme indiqué à l'entête du contrat, catégorie employée, à 8 heures par semaine, en qualité d'assistante administrative, moyennant une rémunération mensuelle brute de 400 euros pour une durée mensuelle de 34 heures 2/3, par la SA [F] gestion, employant mois de 11 salariés et relevant de la convention collective des prestataires de services secteur tertiaire. Le lieu de travail était situé au [Adresse 3].
Mme [A] [R] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 6 mai 2020 sans discontinuité jusqu'à son licenciement.
Par courrier daté du 25 mai 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier un avertissement.
Par courrier daté du 9 juin 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier une mise en garde.
Par courrier daté du 19 octobre 2020, Mme [A] [R] s'est vu notifier un avertissement
Mme [A] [R] a adressé à son employeur, pour chacune de ces sanctions, des observations sur les avertissements et mise en garde.
Le 6 avril 2021, Mme [A] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency, afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur produisant les effets d'un licenciement nul pour discrimination en raison de son état de santé et harcèlement moral, une requalification de son temps de travail à temps partiel en temps complet, ainsi que le versement des indemnités afférentes, ce à quoi les sociétés se sont opposées.
Par avis réitérés des 20 mai 2020, 26 juin 2020, 4 février 2022, le médecin du travail a émis l'avis suivant ' la reprise du travail ne paraît pas envisageable actuellement' et par avis d'inaptitude du 3 octobre 2022, il a conclu ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'.
Par lettre du 12 octobre 2022, la SA [F] gestion a informé Mme [A] [R] que ' Suite à l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 3 octobre 2022, nous avons recherché un poste de reclassement à vous proposer, conforme aux préconisations du médecin du travail et compatibles avec votre état de santé. Le médecin du travail indiquait; ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'. La société [F] gestion ne disposant pas d'autres sites que celui où vous travaillez et étant l'unique salariée de l'entreprise, nous avons interrogé la médecin du travail afin d'obtenir des précisions sur le reclassement préconisé. Le médecin du travail répondait les 11 et 12 octobre que vous étiez inapte à tout poste dans l'entreprise sans obligation de reclassement. Nous sommes au regret de vous informer que nous sommes dans l'impossibilité de vous reclasser faute de poste compatible avec les préconisations initiales du médecin du travail et son avis des 11 et 12 octobre 2022. Nous restons à votre disposition pour vous préciser les motifs rendant impossible votre reclassement'.
Par lettre datée du 17 octobre 2022, la SA [F] gestion a informé Mme [A] [R] que ' Suite à l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 3 octobre 2022 et l'impossibilité de vous reclasser pour les raisons que nous vous avons précisées par courrier du 12 octobre 2022, nous vous informons que nous envisageons de rompre votre contrat de travail pour impossibilité de reclassement en raison de votre inaptitude. Nous vous prions de bien vouloir vous présenter le 26 octobre 2022 à 11h à mon bureau au siège de l'entreprise, [Adresse 5] (rez-de-chaussée droite) pour un entretien sur une éventuelle mesure. Vous avez la possibilité de vous faire assister lors de cet entretien par une personne de votre choix appartenant au personnel de la société ou par un conseiller extérieur à l'entreprise choisi sur une liste établie par la Préfet.[.....]' .
Mme [A] [R] a été licenciée le 31 octobre 2022 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
' Nous vous avons convoqué à un entretien préalable fixé au 26 octobre 2022 auquel vous ne vous êtes pas présentée. Nous vous informons, par la présente, de notre décision de vous licencier en raison de votre inaptitude à occuper votre emploi, constatée le 3 octobre 2022 par le médecin du travail et en raison de l'impossibilité de vous reclasser. En effet, les recherches qui ont été menées en vue de votre reclassement, tenant compte des conclusions du médecin du travail, n'ont pas permis de trouver un autre emploi approprié à vos capacités parmi les emplois disponibles. Plus précisément, comme nous vous l'avons indiqué dans notre lettre du 12 octobre 2022, le médecin du travail indiquait: ' inapte à tout poste dans l'entreprise [F] gestion. Apte au même poste dans un contexte organisationnel et géographique différent'. La SA [F] gestion ne disposant pas d'autres sites que celui où vous travaillez et étant l'unique salariée de l'entreprise, nous avons interrogé la médecine du travail afin d'obtenir des précisions sur le reclassement préconisé. Le médecin du travail répondait les 11 et 12 octobre que vous étiez apte à tout poste dans l'entreprise sans obligation de reclassement'. Votre contrat de travail prend fin à la date d'envoi de cette lettre soit le 28 octobre 2022. De ce fait, vous n'effectuerez pas de préavis et ne bénéficierez pas d'indemnité compensatrice de préavis.[...]'
Par jugement rendu le 12 juin 2023, notifié le 12 juillet 2023, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :
déboute Mme [A] [R] de l'intégralité de ses demandes
déboute la SA [F] Gestion de sa demande reconventionnelle.
Le 25 juillet 2023, Mme [A] [R] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Selon ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 mars 2025, Mme [A] [R] demande à la cour de :
infirmer le jugement en date du 12 juin 2023 en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau,
A titre principal,
juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [A] [R] doit produire les effets d'un licenciement nul et subsidiairement les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
condamner conjointement et solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, à payer à Mme [A] [R] 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, en réparation du préjudice lié au harcèlement moral, et subsidiairement, à 27 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
A titre subsidiaire,
juger recevable la demande en nullité du licenciement
juger que le licenciement notifié à Mme [A] [R] par lettre en date du 30 octobre 2022 est nul
En conséquence,
condamner conjointement et solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, à payer à Mme [A] [R] des dommages et intérêts à hauteur de 54 000 euros pour licenciement
En tout état de cause,
juger recevable la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet
requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er septembre 2018
En conséquence,
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement de 25 519,70 bruts à titre de rappel de salaire à compter du 1er septembre 2018, sur un temps plein et 2 551,90 euros bruts au titre des congés payés afférents
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et La Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement de 5 205,62 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 520,56 euros bruts à titre de congés payés y afférents et subsidiairement, 4 518,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 451,80 euros bruts à titre de congés payés
condamner solidairement les sociétés [F] Gestion et la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion, au paiement des sommes de :
1 997,12 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement
22 000 suros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la discrimination par la maladie
6 070 euros bruts à titre de rappel congés payés
4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les éventuels d'exécution forcée.
Selon leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 mars 2025, la SA [F] gestion et la société Jardinery de [Localité 9], aux droits de laquelle intervient la SA [F] gestion demandent à la cour de :
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société [F] Gestion est l'employeur exclusif de Mme [A] [R]
En conséquence,
ordonner la mise hors de cause de la société Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la société [F] Gestion
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la société [F] Gestion n'a commis aucun fait de harcèlement moral au sein de l'entreprise ayant eu pour conséquence une dégradation continue des conditions de travail de la salariée
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la société [F] Gestion n'a commis aucun manquement grave à ses obligations contractuelles
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses demandes financières et de dommages et intérêts pour harcèlement moral
à titre subsidiaire, fixer la moyenne des 12 derniers mois de salaire à la somme de 2 189,51 euros
constater que Mme [A] [R] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice particulier
limiter l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaires bruts soit la somme de 6 568,53 euros
prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle tendant à obtenir la nullité du licenciement
à titre subsidiaire, constater que le licenciement pour inaptitude est parfaitement légitime et justifiée
en conséquence, débouter Mme [A] [R] de sa demande de nullité de licenciement
prononcer l'irrecevabilité de la demande nouvelle tendant le paiement des congés payés durant son arrêt maladie
à titre subsidiaire, constater que Mme [A] [R] a trop perçu la somme de 1 374,44 euros au titre des congés payés acquis avant l'arrêt maladie
limiter le montant dû au titre de l'indemnité de congés payés acquis durant l'arrêt maladie à la somme de 4 830,24 euros
ordonner la compensation des sommes dues respectivement par la société [F] Gestion et Mme [A] [R] au titre des indemnités de congé payé
réformer le jugement déféré en ce qu'il a omis de statuer sur la recevabilité de la demande de requalification du contrat de travail formée par Mme [A] [R]
prononcer l'irrecevabilité de la demande de requalification du contrat de travail
à titre subsidiaire, constater que la demande de requalification et des rappels de salaires afférents est infondée
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses rappels de salaires afférents
réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SA [F] gestion de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance
condamner Mme [A] [R] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
condamner Mme [A] [R] à payer à la société [F] Gestion la somme de 5 000 suros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens en cause d'appel.
Le 31 octobre 2024, la SARL Jardinery de [Localité 9] a été radiée suite à la transmission universelle du patrimoine à [F] gestion.
Par ordonnance rendue le 2 avril 2025, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 septembre 2025.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
Par soit-transmis du 29 octobre 2025, les parties ont été invitées à adresser une note en délibéré sur les questions suivantes:
' Il résulte des écritures (page 48) de la SA [F] gestion que ' par ailleurs, la Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la SA [F] gestion a cédé son activité de jardinerie, animalerie et bricolage à la société Les jardins de [Localité 9] en juillet 2021" et que ' la jardinery de [Localité 9] a conservé une simple activité de conseil et d'apporteur d'affaires aux entreprises, sans personnel, activité qui sera absorbée par la SA [F] gestion dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine, le 31 octobre 2024".
Il résulte des écritures (page 29) de Mme [R] que « la modification unilatérale de ses fonctions est définitivement actée du fait de la cession du fonds de commerce de la Jardinery de [Localité 9] au 1er septembre 2021 » et que « d'autres salariés rattachés à la société [F] gestion qui travaillaient pour le compte de la Jardinery de [Localité 9] ont été basculés sur la Jardinery de [Localité 9], avant la vente du fonds de commerce. C'est le cas de Mesdames [H], [I] et [X], salariés de la société [F] gestion et qui ont vu leur contrat de travail transféré au sein de la Jardinery de [Localité 9] juste avant la cession du fonds de commerce le 1 er septembre 2021 ».
Il y a donc lieu de s'interroger sur :
- L'éventuel transfert du contrat de travail de Mme [R] vers la société Les jardins de
[Localité 9] et les conséquences juridiques à en tirer
- A défaut de transfert, l'absence de rupture du contrat de travail signé entre Mme [R] et la société La jardinery de [Localité 9] jusqu'au 31 octobre 2024, date de la transmission universelle de patrimoine et sur les conséquences juridiques à en tirer'.
Par notes des 3 et 4 novembre 2025, les parties ont adressé leurs observations par RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Par ailleurs et contrairement à ce que soutient la SA [F] Gestion, un salarié peut invoquer des faits de harcèlement moral alors qu'il se trouve en arrêt maladie, à charge pour lui de produire des pièces démontrant la réalité des faits invoqués. Par ailleurs, il sera rappelé que des faits de harcèlement peuvent être commis pendant un arrêt de travail.
Mme [P] [G] invoque les faits suivants:
- le comportement de son employeur à son encontre
- la succession de sanctions pour des faits non fondés et/ou prescrits pendant son arrêt maladie
- la modification unilatérale de ses fonctions essentielles
- des mesures discriminatoires prises à son encontre pendant son arrêt maladie
- la dégradation de ses conditions de travail qui ont porté atteinte à ses droits et à sa santé.
Sur le changement de comportement de l'employeur
Elle reproche à M.[U] [F], son employeur au sein de la société Jardinery de [Localité 9] et de la SA [F] gestion:
- la formulation de reproches
- des réflexions sur son embonpoint
- le contrôle de son travail et de ses horaires.
Mme [A] [R] produit:
- l'attestation de Mme [S], ex-assistante de Mme [A] [R] à la société Jardinery de [Localité 9] (pièce 40) dans laquelle elle déclare avoir vu Mme [A] [R] pleurer à plusieurs reprises suite aux reproches de M.[F], sans autre précision, de sorte que cette attestation ne saurait accréditer les reproches invoqués qui ne sont ni précisés ni datés.
- l'attestation de Mme [J], se présentant comme l'amie de Mme [A] [R] (pièce 52) qui ne fait qu'évoquer les propos tenus par Mme [A] [R] sans avoir été elle-même témoin direct, de sorte que cette attestation ne saurait accréditer les reproches invoqués par Mme [A] [R]. Il en est de même des attestations de Mme [E], amie (pièce 48), M.[Y], ami (pièce 49).
Elle reproche à M.[U] [F] le vouvoiement et le ton employé dans la phrase extraite de la mise en garde du 9 juin 2020 « Vous feignez de ne pas comprendre les raisons qui m'ont conduit à renforcer le contrôle de votre activité alors que je déplore depuis plusieurs mois une dérive inquiétante' » . Néanmoins, il ne peut être reproché à un employeur de vouvoyer sa salariée, peu importe qu'une relation amicale ancienne les unissait. Par ailleurs, les propos n'ont rien d'excessif, ni d'injurieux sur la forme. Le courriel adressé le 5 mai 2020 (pièce 4) par Mme [A] [R] à M.[U] [F] dans lequel elle le tutoie et lui reproche notamment de lui avoir 'raccroché au nez au bout de 34 secondes' ne constitue pas une preuve objective d'un quelconque dysfonctionnement de la part de l'employeur.
Elle reproche à M.[U] [F] de lui avoir demandé de badger après 13 ans de collaboration sans contrôle. Ne produisant aucun justificatif sur cette question, ce grief n'est pas matériellement établi.
Elle ne produit aucun justificatif sur les remarques liées à son embonpoint.
Elle invoque le refus de M.[U] [F] d'augmenter son temps de travail pour le passer de 4 à 5 jours travaillés alors que ses horaires allaient quasi-systématiquement au-delà de son horaire de temps partiel pour répondre au développement du rayon épicerie fine et à son travail de secrétariat juridique. Elle produit un courrier adressé à ' [U]' dans lequel elle invoque le sujet mais qui n'est pas daté, ni signé ni accompagné du moindre justificatif d'envoi. Les attestations de ses amies (pièces 48 et 49) sont inopérantes puisque ne faisant que retranscrire les dires de Mme [A] [R]. Si l'attestation de Mme [S] fait état de ce que Mme [A] [R] venait travailler en fonction de l'actualité les samedis ou dimanches et un mercredi sur deux (pièce 50), cela ne confirme pas sa demande de voir augmenter sa durée de travail qui, en tout état de cause, aurait nécessité une modification de son contrat de travail qui ne peut être imposée à un employeur. Il convient de relever que son bulletin de paie fait apparaître à partir de février 2013 une durée de travail de 121,33 heures mensuelles, payée 1467,80 euros, ce qui correspond au niveau paie au cumul des deux emplois.
L'absence de communication et l'impatience de son employeur à la sortie du confinement ne sont pas établies par la production de l'échange de courriels entre Mme [A] [R] et M.[U] [F] du 6 mai 2020 à l'occasion desquels chacun expose son point de vue sur la situation et son approche de la gestion de la crise sanitaire et ce, en des termes respectueux et courtois (pièce 4). Cela ne démontre ni problème de communication, ni impatience contestables ou critiquables de la part de l'employeur.
Ce grief n'est pas établi.
Sur la modification unilatérale de ses fonctions essentielles
Mme [A] [R] expose qu'elle n'a disposé d'aucune fiche de poste et que son dernier contrat au sein de la SA [F] gestion fait seulement état d'une fonction d'assistante administrative. Elle expose que depuis 2011, sa fonction essentielle est devenue progressivement le développement du rayon épicerie fine de la Jardinery avec l'accord et sous la subordination de M.[U] [F].
Elle produit une attestation de M.[Z], anciennement directeur de la société Jardinery de [Localité 9] de 1990 au 31 août 2017 qui écrit que: ' Mme [A] [R] occupait comme fonction essentielle, la responsabilité du rayon épicerie fine au sein de la société Jardinery de [Localité 9] depuis septembre 2011" (pièce 39). Les autres attestations d'anciens salariés de la société Jardinery de [Localité 9] (pièces 40, 53, 54) ainsi qu'un fournisseur (pièce 41) confirment cette fonction.
Il n'est pas contesté par Mme [A] [R], qu'à partir du 1er février 2013, elle poursuivra les activités initialement exercées tant au titre du premier contrat que du second, sous la seule autorité et subordination de la SA [F] Gestion, celle-ci devenant l'employeur unique de Mme [A] [R]. Ceci est confirmé par les bulletins de paie établis à partir de cette date par la seule SA [F] Gestion et qui font apparaître une ancienneté reprise au 6 février 2007, date de son embauche par la SARL Jardinery de [Localité 9], pour une durée mensuelle de travail de 121,33 heures rémunérées à hauteur de 1 928 euros bruts mensuels, correspondant au cumul des montants fixés au titre des deux contrats pour une durée de travail inférieure à celles des deux contrats de travail cumulés.
Mme [A] [R] ne peut pas invoquer un changement d'attributions au profit de tâches administratives dès lors qu'elle avait été recrutée selon les termes des deux contrats de travail en qualité d'employée administrative pour le premier et assistante administrative pour le second.
La cession du fonds de commerce de la SARL Jardinery de [Localité 9] est donc sans effet sur son statut de salariée de la SA [F] Gestion et il n'y avait pas lieu de transférer son contrat de travail au repreneur du fonds. Si Mme [A] [R] justifie qu'elle a continué de travailler dans le cadre de l'activité de la SARL Jardinery de [Localité 9], ce qui lui fait dire qu'il s'agit d'un prêt de main d'oeuvre illicite tout en évoquant, sans autre démonstration, le terme de co-employeur, pour autant, cette situation n'accrédite pas le grief invoqué de modification unilatérale de fonctions dès lors que ce sont les tâches administratives qu'elle conteste alors même que cela correspondait aux fonctions pour lesquelles elle avait été recrutée.
Enfin et contrairement à ce que soutient Mme [A] [R], celle-ci a toujours exercé des fonctions administratives et bénéficiait de l'aide soit de Mme [M], ancienne secrétaire juridique, jusqu'au départ à la retraite de celle-ci, soit de M.[K], comptable, jusqu'au départ de celui-ci en 2017. Par ailleurs, avant son arrêt de travail, Mme [A] [R] n'a jamais évoqué une quelconque difficulté à exercer ses fonctions administratives notamment en termes de formation, ce d'autant qu'elle avait été recrutée en qualité d'employée et d'assistance administrative.
Ce grief n'est pas établi.
Sur les sanctions disciplinaires
Sur l'avertissement du 25 mai 2020 pour non-respect des horaires de travail et pour un abandon de poste du 5 mai 2020
L'avertissement est libellé comme suit:
' Madame,
Nous avons traversé pour notre principale filiale Jardinerie de [Localité 9] depuis le début du confinement des périodes difficiles pour éviter la faillite puis maintenir l'activité, entretenir les animaux et les végétaux.
Lorsque nous avons été autorisés à ouvrir à nouveau l'ensemble de la jardinerie, nous avons mis en place pour l'ensemble des sociétés dont [F] Gestion, les mesures nécessaires à la protection et à la sécurité des salariés, avec achat de gel hydroalcooliques, gants, la mise à disposition de masques en tissus, puis l'achat de 7500 masques chirurgicaux ainsi que la désinfection des locaux plusieurs fois par jours par une société extérieure.
Vous deviez reprendre votre poste à partir du mois de mai aux horaires habituels.
Vous avez décidé sans me prévenir au préalable de ne venir travailler que les matins de 7h30 à 9h30, horaire que vous m'avez imposé au prétexte que les conditions sanitaires n'auraient pas été mises en place pour garantir votre sécurité.
Je vous rappelle qu'outre les mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire de tous, vous travaillez seule dans un bureau et n'utilisez pas les transports en commun pour vous venir travailler.
Le 5 mai vous avez quitté votre poste sans y être autorisée au motif de I'arrivée d'une collègue sans masque alors que vous portiez un masque et que vous étiez dans votre bureau personnel fermé et situé à plusieurs mètres de distance de son poste de travail.
Votre attitude est constitutive d'un manquement à vos obligations qui nous amènent à vous notifier un avertissement.
Nous vous prions de croire, Madame, en I'expression de nos salutations distinguées'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit le courriel adressé à M.[U] [F] le 5 mai 2020 sur son départ précipité (pièce 4) et la lettre adressée le 8 juin 2020 en réponse à la sanction aux fins de la voir annuler (pièce 8).
La sanction est matériellement établie.
Sur la mise en garde du 9 juin 2020
Elle est libellée comme suit:
' Votre lettre du 3 juin dernière appelle la mise au point suivante:
Vous indiquez avoir quitté l'entreprise le 5 mai car, en tant que personne à risque, vous vous estimiez en danger malgré toutes les mesures de prévention mises en place.
Or, nous n'avons reçu aucun certificat d'isolement établi par votre médecin justifiant votre situation. Vous nous avez adressé un arrêt de travail « classique » (au demeurant incomplet) que vous justifiez par « une grande fatigue physique et morale » que vous attribuez à mon changement de comportement à votre endroit.
Il m'apparaît donc indispensable de vous rappeler que vous avez été engagée en qualité d'assistante administrative par la société [F] gestion.
Vos fonctions consistent pour l'essentiel dans :
- La rédaction des PV des assemblées des filiales de [F] Gestion
- L'envoi des convocations aux assemblées générales
- L'envoi aux actionnaires des informations concernant les dividendes et les déclarations fiscales
- L'édition des quittances des loyers et le suivi des paiements
- L'édition et l'envoie de factures diverses et le suivi des paiements.
Vous prétendez vous efforcez d'effectuer votre travail depuis votre domicile. Or, les seules tâches que vous pouvez être à même d'effectuer à votre domicile concernent la gestion du rayon terroir mais qui ne relèvent pas de vos missions principales et que j'avais accepté de vous confier à la condition qu'elle ne s'effectue pas au détriment de votre activité principale.
A ce sujet, je maintiens que nous ne sommes jamais convenus que vous vous présenteriez avant l'ouverture magasin pour récupérer les chiffres et les cadenciers du rayon. Vous m'avez imposé votre décision.
Vous feignez de ne pas comprendre les raisons qui m'ont conduit à renforcer le contrôle de votre activité alors que je déplore depuis plusieurs mois une dérive inquiétante.
Voici des exemples de manquements découverts récemment durant votre absence :
- non établissements des PV pour 3 SCl en 2019;
- non suivi du paiement d'une facture émise par [F] Gestion le 14/02/2020 pour la société Figa N° 447 pour un montant de 8 777,52 € et qui n'était toujours pas payée à fin avril sans qu'aucune relance n'ait été envoyée;
- non suivi du paiement de la facture émise par SCI [F] et Cie le 28/02/2018 pour la société carrefour proximité France N° 231 pour un montant de 24 962,40 €; cette facture demeure impayée sans qu'aucune relance n'ait été faite;
- La balance des loyers de la SCI [Adresse 4] montre un compte débiteur au 31 mars 2020 de 223 332,61 € sans trace de relances (au 31 décembre 2019, la balance affichait déjà un solde débiteur de 168 152,72 € ..) ;
- La feuille de présence de l' AG du [Adresse 4] du 21/05/2019 n'est toujours pas signée par Madame [B] [F] à ce jour;
- Le pouvoir de l'assemblée de LG du [Adresse 4] du 15 mai 2018 est incomplet
- il manque de nombreux dossiers de PV d AG dans les boites à archives pour les années 2018 et 2019 ...
L'avertissement qui vous a été notifié est justifié comme l'est la mise en garde que je vous adresse concernant la qualité de votre travail pour laquelle j'attends une substantielle amélioration'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit la lettre qu'elle a adressée le 23 juin 2020 en réponse, aux fins de voir annuler la sanction (pièce 10). Elle produit également un courriel adressé le 19 juin 2020 par M.[L] [K], comptable, à Mme [A] [R] où il lui confirme que ' lorsque j'exerçait mon activité de comptable au sein de la société [F] Gestion je te fournissait les données nécessaires à l'élaboration des convocations et des procès-verbal concernant les assemblées générales des différentes SCI. En effet, ces données sont extraites des documents comptable et pour cela il est nécessaire d'avoir de bonnes connaissances en la matière. Je tiens à préciser qu'à l'époque ou Madame [M] exerçait ses fonctions et établissait ces documents elle faisait appel à moi afin de lui fournir toutes ces informations. D'autre part l'outil comptable est aussi indispensable afin de contrôler l'arrêté des charges à la fin de chaque exercice concernant les SCI'.
Mme [A] [R] relève que la société ne justifie d'aucune plainte émanant de client mécontent de ses prestations et en tout état de cause, relève que les manquements cités sont soit trop anciens soit déjà couverts par l'avertissement du 25 mai 2020.
La mise en garde est matériellement établie.
Sur la lettre du 4 juillet 2020 valant renouvellement des sanctions
Mme [A] [R] invoque la lettre que M.[U] [F] lui a adressée en réponse à ses lettres de contestation des sanctions. Si M.[U] [F] lui indique maintenir les sanctions, ce courrier ne peut en tant que tel constituer une sanction.
Cette sanction n'est pas établie.
Sur l'avertissement pour des manquements à la prestation de travail du 19 octobre 2020
Il est libellé comme suit:
' Nous avons reçu ces derniers jours des mails de vos contacts nous informant de graves manquements
dans votre travail:
1-en 2019 vous avez adressé l'avis d'échéance du loyer du 2ème trimestre pour la SCI [F]
et CIE à Carrefour France pour un montant de 30 531.78 € alors que cette société avait vendu son fond à la société Lozano distribution, vente dont vous avez été informée.
La société Lozano distribution vous a contactée par mail le 5 octobre 2019 vous demandant la quittance du second trimestre, mail que je vous joins auquel vous n'avez jamais répondu. Ce mail
aurait dû engendrer une réponse de votre part et une régularisation immédiate de la situation.
Nous vous joignons les échanges de mail ainsi que les copies des avis d'échéance.
Enfin, vous avez omis de changer sur les avis d'échéance nos coordonnées ce qui nous rendait injoignables.
2-nous avons reçu un mail de Maître [N] [W] qui nous dresse une liste de documents manquants que vous auriez dû lui transmettre, mail que je vous joins.
Ces deux éléments sont constitutifs d'un manquement à vos obligations professionnelle.
Nous sommes donc amenés à vous notifier un nouvel avertissement'.
Mme [A] [R] conteste le bien-fondé de cette sanction et produit la lettre qu'elle a adressée le 10 novembre 2020 en réponse et aux fins de voir annuler la sanction (pièce 16).
Elle relève que les faits reprochés datent de 17 mois et ne sont pas fondés. Elle produit l'attestation de M.[K] (pièce 46) qui écrit que ' (...) Lors du déménagement des bureaux de la SA [F] Gestion dans les locaux de la SARL Jardinery de [Localité 9], M.[U] [F] n'a pas voulu dans un soucis d'économie que la SA [F] Gestion ai un numéro de téléphone distinct de celui de la SARL Jardinery de [Localité 9]. Il n'a pas aussi jugé utile de mettre en place une messagerie vocale pour informer d'éventuels interlocuteurs.
Enfin, elle soutient que les reproches portaient exclusivement sur des tâches de secrétariat juridique pour lesquelles elle n'avait aucune compétence ni contrôle interne depuis 2017 et qui ne constituaient pas ses fonctions principales. Elle relève que ces sanctions lui ont été notifiées pendant son arrêt maladie. Néanmoins, sans préjuger du bien-fondé de cette sanction, il convient de rappeler qu'un arrêt maladie ne fait pas obstacle à l'engagement d'une procédure disciplinaire pour des faits antérieurs audit arrêt de travail.
La sanction est matériellement établie.
Sur les mesures discriminatoires prises à l'encontre de Mme [A] [R] en raison de sa maladie
Mme [A] [R] reproche à son employeur de:
- lui avoir retiré des jours de carence en mai 2020 qui ne lui seront remboursés qu'après ses réclamations: elle ne produit aucun élément.
- lui avoir payé par chèque ses salaires alors qu'ils lui étaient payés par virement depuis son engagement en 2007 comme pour tous les salariés: elle produit un courriel du 6 novembre 2020 dans lequel elle indique ne pas comprendre le refus de la SA [F] Gestion de la payer par virement comme cela était fait depuis 15 ans (pièce 21).
Néanmoins, le paiement par chèque ne saurait suffire à démontrer une discrimination au sens de l'article L1132-1 du code du travail.
Ce grief n'est pas établi.
Sur l'atteinte à ses droits et à sa santé
Mme [A] [R] invoque une dégradation de ses conditions de travail à l'origine de ses troubles dépressifs, de nature à compromettre son avenir professionnel à l'âge de 59 ans et produit l'attestation de Mme [T], psychologue du 10 mars 2021 (pièce 24).
Outre le fait que Mme [T] n'est pas médecin, elle ne fait que retranscrire les dires de Mme [A] [R] lorsqu'elle fait le lien entre son état dépressif et des problèmes professionnels, n'en ayant pas été témoin direct. Par ailleurs, sans remettre en cause le bien-fondé des arrêts de travail produits aux débats, pour autant ils sont insuffisants à démontrer un lien entre la situation professionnelle de Mme [A] [R] et son état de santé.
Au vu des éléments matériellement établis (sanctions), il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
- Sur l'avertissement du 25 mai 2020:
Contrairement à ce que Mme [A] [R] soutient, celle-ci n'a pas été sanctionnée pour les mêmes faits. En effet, si M.[U] [F] évoque dans le courriel du 6 mai 2020 (pièce 4) les faits du 5 mai, il n'est pas question à ce stade d'une sanction.
Par ailleurs, Mme [A] [R] ne conteste pas avoir imposé à son employeur sa décision de ne venir travailler que de 7h30 à 9h30 au motif qu'elle est une personne à risque. Or, elle ne justifie d'aucun certificat médical le démontrant. Par ailleurs, M.[U] [F] justifie par le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 mai 2020 que Mme [A] [R] bénéficiait d'un bureau cloisonné, isolé de ses collègues et à l'écart de la clientèle, les autres postes de travail se situant à plusieurs mètres de distance, outre la mise à disposition pour les salariés de gel hydroalcoolique et de masques. L'huissier a également constaté la mise à disposition de désinfectant à proximité du distributeur de boissons, l'affichage de toutes les mesures recommandées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus dans de multiples zones, sur les portes et des panneaux, la présence de stock de bidons de gel hydroalcoolique, la mise en place de mesures de protection et de distanciation dans l'espace magasin, un marquage au sol pour la clientèle, l'équipement des caisses d'une protection (pièce 79).
Ainsi, le reproche formulé à l'encontre de Mme [A] [R] de ne pas reprendre ses horaires habituels de travail et son départ injustifié le 5 mai justifient l'avertissement prononcé à son encontre.
- Sur la mise en garde du 9 juin 2020:
Il convient de constater que s'agissant :
- du non établissement des PV pour 3 SCl en 2019: Mme [A] [R] l'avait reconnu dans son courriel du 19 mai 2019
- le non suivi du paiement d'une facture émise par [F] Gestion le 14/02/2020 pour la société Figa N° 447 pour un montant de 8 777,52 € et qui n'était toujours pas payée à fin avril sans qu'aucune relance n'ait été envoyée: non établi
- non suivi du paiement de la facture émise par SCI [F] et Cie le 28/02/2018 pour la société carrefour proximité France N° 231 pour un montant de 24 962,40 €; cette facture demeure impayée sans qu'aucune relance n'ait été faite: non établi
- La balance des loyers de la SCI [Adresse 4] montre un compte débiteur au 31 mars 2020 de 223 332,61 € sans trace de relances (au 31 décembre 2019, la balance affichait déjà un solde débiteur de 168 152,72 € ..): constaté par huissier (pièce 79)
- La feuille de présence de l' AG du [Adresse 4] du 21/05/2019 n'est toujours pas signée par Madame [B] [F] à ce jour: constatée par huissier (pièce 79)
- Le pouvoir de l'assemblée de LG du [Adresse 4] du 15 mai 2018 est incomplet: constaté par huissier (pièce 79)
- il manque de nombreux dossiers de PV d AG dans les boites à archives pour les années 2018 et 2019 ...: constaté par huissier (pièce 79).
Sur les sept reproches formulés, deux seulement ne sont pas établis, de sorte que la mise en garde consistant à demander la salariée de se ressaisir et a exécuter ses tâches est justifiée.
- Sur l'avertissement du 19 octobre 2020
La SA [F] Gestion produit :
- le courriel du 23 septembre 2020 de la chargée de gestion locative de Carrefour informant M.[U] [F] que la SA [F] Gestion leur était redevable d'une somme de 30 531,78 euros prélevée à tort au titre d'un loyer puisque Carrefour avait cédé le fonds de commerce depuis le 1er février 2019 (pièce 25)
- le courriel de la société Lozano distribution [Localité 10], locataire, adressé le 11 septembre 2019 à Mme [A] [R] dans lequel la société se plaint de ne pas avoir eu de réponse à son courrier, de ne pas avoir reçu l'échéance du 2ème trimestre et fait remarquer que le n numéro de téléphone indiqué sur les avis d'échéance n'existe pas (pièce 25)
- le courriel du 21 septembre 2020 de Maître [N] [W] réclamant un certain nombre de procès-verbaux du directoire et du conseil de surveillance (pièce 25).
Si les faits reprochés datent de plus de deux mois, l'employeur justifie en avoir eu connaissance dans le délai de deux mois avant le prononcé de la sanction.
Par ailleurs, il est établi qu'il appartenait à Mme [A] [R] d'assurer le suivi administratif et juridique de la SA [F] Gestion et des autres sociétés du groupe, comme le confirme elle-même Mme [A] [R] dans ses échanges de mails avec M.[U] [F] (pièce 15) ainsi que les attestations produites par la SA [F] Gestion émanant de M.[C] [F], père de M.[U] [F] et président du conseil de surveillance associé (pièce 55), locataires, syndic ou gestionnaires de fonds de commerce gérés par la SA [F] Gestion (pièces 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 64), du commissaire aux comptes (pièce 63), Mme [V] [F], soeur de M.[U] [F] et associée(pièce 58), de salariés de la SA [F] Gestion (pièce 78) et la copie de courriers ou courriels signés par Mme [A] [R] et adressés à différentes sociétés notamment pour leurs déclarations fiscales (pièces 55, 58, 59,65, 66, 67, 68, 69, 70).
Il convient de constater que les faits sont objectivement fondés.
Ainsi, l'employeur justifie ces sanctions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Mme [A] [R] sera déboutée de ce chef par confirmation du jugement ainsi que de ses demandes au titre de la nullité du licenciement.
Sur la demande en requalification du contrat de travail
La SA [F] Gestion soulève l'irrecevabilité de la demande additionnelle de Mme [A] [R], au motif que dans sa requête initiale devant le conseil des prud'hommes, Mme [A] [R] avait circonscrit son action à une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.
Mme [A] [R] ne conteste pas avoir expressément formulé cette demande postérieurement à sa saisine initiale du conseil des prud'hommes ni que la SA [F] Gestion avait soulevé l'irrecevabilité d'une telle demande sur laquelle le Conseil n'avait pas statué. Elle estime que le fait d'avoir indiqué dans sa requête que son employeur avait refusé de la passer à 5 jours de travail au lieu de 4 pour lui permettre de répondre au travail demandé vaut demande en requalification d'un contrat à temps partiel en contrat à temps complet.
Selon l'article 564 du code de procédure civile, ' A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
Selon l'article 565 du code précité, ' Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.
Selon l'article 566 du code précité, ' Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.
Selon l'article 70 du code précité, 'Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout'.
Une demande additionnelle n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, si dans sa requête initiale produite aux débats, Mme [A] [R] évoque dans ses développements d'une part, le fait qu'elle avait souhaité augmenter son temps de travail, sans aucune mention des horaires, et d'autre part, le refus de son employeur de la faire passer à 5 jours au lieu de 4, sans aucune mention des horaires, à aucun moment elle n'a sollicité la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps complet. Sa requête initiale n'avait pour seul objet que la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur en raison de faits de harcèlement et de discrimination en raison de son état de santé.
Il convient de rappeler qu'une demande de rappels de salaires, de paiement d'heures supplémentaires et/ou complémentaires ne tendent pas aux mêmes fins qu'une demande en requalification d'un CDD en CDI ni n'en est l'accessoire, la conséquence ou le complément (Cass.soc.25-06-2025 n° 23-18.889 FS-B), de sorte que cette demande additionnelle est irrecevable.
Sur la demande en résiliation judiciaire
Sur le fond
A titre subsidiaire, Mme [A] [R] soutient que la SA [F] Gestion a commis des faits fautifs d'une gravité suffisante pour justifier sa demande.
Elle invoque les faits suivants:
- le refus de l'employeur d'augmenter ses heures de travail en considération des tâches qui lui étaient dévolues dans les deux structures
- la suspicion non fondée de son employeur pendant son arrêt maladie
- les difficultés à se faire payer pendant son arrêt maladie
- une succession de sanctions sur un domaine pour lequel elle n'avait aucune formation.
Il convient de rappeler que l'ensemble de ces griefs n'ont pas été retenus lors de l'examen des faits de harcèlement moral.
Elle invoque également sa relation contractuelle pour le compte de la SARL Jardinery de [Localité 9] alors qu'elle est restée rattachée à la SA [F] Gestion contrairement aux autres salariés - ce qui ne lui a pas permis de voir transférer son contrat de travail auprès du cessionnaire du fonds de commerce de la Jardinery. En tout état de cause, elle estime que la SA [F] Gestion a commis une faute en la faisant travailler pour le compte et sous la subordination de la SARL Jardinery de [Localité 9] en violation des règles sur le prêt de main d''uvre visées aux articles L8241-1 et suivants du code du travail.
La SA [F] gestion explique que, jusqu'au 31 janvier 2013, Mme [A] [R] cumulait son emploi d'agent administratif au sein de la société Jardinery de [Localité 9] pour une durée de travail de 121,33 heures ( 28 heures par semaine) rémunérée à hauteur de 1 467,80 euros et son emploi d'assistante administrative au sein de la SA [F] gestion pour une durée mensuelle de 34,65 heures (8 heures par semaine) moyennant une rémunération brute de 400 euros soit un salaire global de 1 867,80 euros; qu'à compter du 1er février 2013, Mme [A] [R] a accepté d'être rattachée exclusivement à la SA [F] gestion, de sorte que la SA [F] gestion est devenue l'employeur exclusif de Mme [A] [R], celle-ci conservant une durée de travail à temps partiel sur la base de 28 heures par semaine (121,33 heures par mois) pour une rémunération équivalente à celle perçue par ses deux emplois précédents cumulés.
Comme le rappelle la SA [F] gestion, celle-ci détenait 96% du capital social de la société Jardinery de [Localité 9].
Il n'est pas contesté par la société que Mme [A] [R] a continué de travailler dans le cadre de l'activité de la SARL Jardinery de [Localité 9]. La société évoque une mise à disposition et une activité accessoire pour la Jardinery de [Localité 9] alors même que Mme [A] [R] était salariée au sein de la SA [F] Gestion. La société soutient qu'il s'agit d'un prêt de main d'oeuvre licite au sein d'un groupe de sociétés.
En réponse, Mme [A] [R] soutient que ce prêt de main d''uvre d'une société mère
à une filiale a été opéré en violation des règles visées aux articles 8241-1 et suivants du code du travail; que le prêt de main d''uvre entre les sociétés est obligatoirement à but non lucratif; que toute opération de mise à disposition comprend le salaire versé, les charges sociales correspondantes et éventuellement les frais professionnels sans aucune marge pour la société prêteuse; que le salarié concerné doit donner son accord pour travailler au sein de la société emprunteuse; que ce type de prestation de service nécessite d'incorporer un avenant dans le contrat de travail, signé par le salarié; qu'aucun de ces éléments n'est produit aux débats.
Selon l'article L8241-2 du code du travail dans sa version applicable en 2013, ' Les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif sont autorisées.
Dans ce cas, les articles L. 1251-21 à L. 1251-24, L. 2313-3 à L. 2313-5 et L. 5221-4 du présent code ainsi que les articles L. 412-3 à L. 412-7 du code de la sécurité sociale sont applicables.
Le prêt de main-d''uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :
1° L'accord du salarié concerné ;
2° Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l'identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse ;
3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d'exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.
A l'issue de sa mise à disposition, le salarié retrouve son poste de travail ou un poste équivalent dans l'entreprise prêteuse sans que l'évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt.
Les salariés mis à disposition ont accès aux installations et moyens de transport collectifs dont bénéficient les salariés de l'entreprise utilisatrice.
Un salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé une proposition de mise à disposition.
La mise à disposition ne peut affecter la protection dont jouit un salarié en vertu d'un mandat représentatif.
Pendant la période de prêt de main-d''uvre, le contrat de travail qui lie le salarié à l'entreprise prêteuse n'est ni rompu ni suspendu. Le salarié continue d'appartenir au personnel de l'entreprise prêteuse ; il conserve le bénéfice de l'ensemble des dispositions conventionnelles dont il aurait bénéficié s'il avait exécuté son travail dans l'entreprise prêteuse.
Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise prêteuse sont consultés préalablement à la mise en 'uvre d'un prêt de main-d''uvre et informés des différentes conventions signées.
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'entreprise prêteuse est informé lorsque le poste occupé dans l'entreprise utilisatrice par le salarié mis à disposition figure sur la liste de ceux présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés mentionnée au second alinéa de l'article L. 4154-2.
Le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, les délégués du personnel de l'entreprise utilisatrice sont informés et consultés préalablement à l'accueil de salariés mis à la disposition de celle-ci dans le cadre de prêts de main-d''uvre.
L'entreprise prêteuse et le salarié peuvent convenir que le prêt de main-d''uvre est soumis à une période probatoire au cours de laquelle il peut y être mis fin à la demande de l'une des parties. Cette période probatoire est obligatoire lorsque le prêt de main-d''uvre entraîne la modification d'un élément essentiel du contrat de travail. La cessation du prêt de main-d''uvre à l'initiative de l'une des parties avant la fin de la période probatoire ne peut, sauf faute grave du salarié, constituer un motif de sanction ou de licenciement'.
Il convient de rappeler que, même limitée, la SARL Jardinery de [Localité 9] a conservé une activité jusqu'au 31 octobre 2024, date de la transmission universelle du patrimoine à la SA [F] Gestion. S'agissant d'une personne morale distincte de la SA [F] Gestion, l'activité de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] devait nécessairement remplir les conditions de l'article L.8241-6 précité. À savoir:
- l'accord préalable et explicite du salarié, matérialisé par la signature d'un avenant au contrat de travail.
- la signature d'une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice
- la consultation préalable des représentants du personnel.
Faute de remplir ces conditions, le prêt de main d'oeuvre illicite sera retenu et justifie, sans besoin d'évoquer les autres moyens, la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, au regard de ce qui précède, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la SARL Jardinery de [Localité 9].
Sur les conséquences financières
Sur la demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'article L.1235-3 du code du travail modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017, applicable aux licenciements postérieurs au 24 septembre 2017 et donc au présent litige, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, et en l'absence de réintégration de celui-ci dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par un barème.
Il résulte de ce barème que, lorsque le licenciement est opéré par une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés et que le salarié a 15 ans d'ancienneté dans la société comme en l'espèce, l'indemnité doit être comprise entre 3 et 13 mois de salaire brut.
La valeur du salaire de référence correspond à la moyenne des salaires bruts perçus tous les mois par l'employé. Le calcul est effectué à partir des paiements des 12 derniers mois précédant le licenciement. Un autre mode de calcul peut aussi prendre en compte le dernier trimestre de travail de l'employé. Quelle que soit la formule choisie, elle doit inclure tous les bonus et primes perçus pendant les derniers mois de travail considérés. Est pris en compte la période antérieure à l'arrêt de travail soit de mai 2019 à avril 2020. Tenant compte du salaire brut, des différentes primes et heures complémentaires, le salaire de référence s'élève à 2 193,52 euros bruts.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant du salaire de référence, de son âge ( 60 ans), de son ancienneté et des conséquences du licenciement à son égard tel qu'il résulte des pièces fournies, Mme [A] [R] justifiant être toujours inscrite à pôle emploi au 16 mars 2024 il y a lieu de condamner la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 22 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis
L'inaptitude n'étant pas professionnelle, Mme [A] [R] ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis conformément à l'article L1226-14 du code du travail. .
Sur le rappel d'indemnité de licenciement
Dès lors que cette demande repose sur la requalification rejetée de son contrat de travail à temps complet, Mme [A] [R] sera déboutée de sa demande.
Sur la demande complémentaire au titre des congés payés
Mme [A] [R] invoque la jurisprudence de la cour de cassation du 13 septembre 2023, eu égard à l'article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sur le droit au repos, et réclame le paiement des congés payés acquis pendant son arrêt maladie. La SA [F] Gestion conteste le montant demandé et réduit le reliquat restant dû à 1 374,44 euros.
Les modalités de calcul étant différentes selon qu'il s'agit des congés payés acquis avant l'arrêt de travail et ceux postérieurs, il convient d'examiner séparément les deux périodes.
sur la période avant suspension pour maladie
Il convient de constater que le bulletin de paie de mai 2020 fait apparaître 23,54 jours de congés acquis non pris ( 3,50 au titre de la période 2018/2019 et 20,04 au titre de la période 2019/2020) alors que Mme [A] [R] fait état de 24 jours sans autre précision ni justificatif.
C'est sur la base de 23,54 jours qu'aurait dû être calculée l'indemnité compensatrice des congés payés non pris avant l'arrêt maladie. Or, la société a, par erreur, continué de comptabiliser et de mentionner les congés payés acquis après le 1er juin 2020 pour un total de 49 jours et a calculé sur cette base l'indemnité versée suite au licenciement.
Néanmoins, sur la base de 23,54 jours et un salaire de référence de 2 193,52 euros bruts, la SA [F] Gestion devait à Mme [A] [R] 2 632,22 euros ( et non 2 349,56 euros comme soutenu par la société sur la base d'un salaire de référence inférieur) soit un trop perçu de 1 091,77 euros.
Sur la période de suspension pour maladie
Dans l'arrêt n°22-17340 du 13 septembre 2023, la cour de cassation a jugé que 'le salarié dont le
contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail, pour cause de maladie non professionnelle, peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période'.
Dans son arrêt n°22-10529 du 13 septembre 2023, la cour de cassation a dit que ' le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé'.
Selon l'article L3141-5 du code du travail, ' Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congé payé ;
2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ;
3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38 ;
4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44 ;
5° Les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque ;
7° Les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n'ayant pas un caractère professionnel'.
NOTA ' Conformément au II de l'article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d'acquisition des droits à congés, les dispositions du 7° du présent article sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d'entrée en vigueur de ladite loi.
Toutefois, pour la même période, les congés supplémentaires acquis en application des dispositions mentionnées au premier alinéa ne peuvent, pour chaque période de référence mentionnée à l'article L. 3141-10 du code du travail, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de vingt-quatre jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions du même code dans leur rédaction antérieure à ladite loi.
Toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l'octroi de jours de congé en application dudit II doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi'.
Il résulte de ce texte que la période d'arrêt maladie ouvre droit à congés payés à hauteur de 2 jours par mois ( 8% du salaire). Ainsi, du 1er juin 2020 au 30 octobre 2022 (29 mois), les congés acquis sont de 58 jours (2 jours/mois), chiffre confirmé par Mme [A] [R]. Sur la base du salaire de référence de 2 193,52 euros bruts, Mme [A] [R] peut prétendre à la somme de 5 088,96 euros bruts au titre des congés payés acquis durant l'arrêt maladie de Mme [A] [R]. Déduction faite du trop perçu précité, la SA [F] Gestion sera condamnée à payer le solde restant dû de 3 997,20 euros bruts.
Sur la demande de solidarité
Selon l'article 1310 du code de procédure civile, ' La solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas'.
En l'espèce, la mise à disposition de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] n'a donné lieu à aucune convention. Aucune demande n'a été formulée au titre du prêt de main d'oeuvre illicite. En conséquence, il n'y a pas lieu de retenir la solidarité entre la SARL Jardinery de [Localité 9] et la SA [F] Gestion.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de condamner la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens
Il convient de condamner la SA [F] Gestion aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du conseil des prud'hommes de Montmorency du 12 juin 2023 en ce qu'il a débouté Mme [A] [R] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination et de ses demandes afférentes dont la nullité du licenciement;
Infirme pour le surplus;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Rejette la demande de mise hors de cause de la SARL Jardinery de [Localité 9] aux droits de laquelle intervient la SA [F] Gestion ;
Dit qu'à compter du 1er février 2013, la SA [F] Gestion est l'unique employeur de Mme [A] [R] ;
Dit que la mise à disposition à compter du 1er février 2013 de Mme [A] [R] au profit de la SARL Jardinery de [Localité 9] constitue un prêt illicite de main d'oeuvre;
Fait droit à la demande de Mme [A] [R] en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SA [F] Gestion ;
Dit que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Dit irrecevable la demande additionnelle de Mme [A] [R] en requalification du contrat de travail;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 22 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 997,20 euros au titre du solde restant dû d'indemnité de congés payés;
Condamne la SA [F] Gestion à payer à Mme [A] [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SA [F] Gestion aux dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente et par Madame FIORE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente