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Décisions

CA Poitiers, ch. soc., 20 novembre 2025, n° 22/00733

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 22/00733

20 novembre 2025

ARRET N° 306

N° RG 22/00733

N° Portalis DBV5-V-B7G-GP65

[H]

C/

[16]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2025

Décision déférée à la cour : jugement du 7 février 2022 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de NIORT.

APPELANTE :

Madame [M] [H] épouse [Y], comparante,

née le 12 août 1962 à [Localité 8] (37)

[Adresse 5]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Assistée par Me Ana Cristina COIMBRA de la SELARL DE MAITRE COIMBRA, avocate au barreau de BORDEAUX.

INTIMÉE :

[16]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Marion LE LAIN, substituée par Me Christelle BRAULT, de la SELARL 1927 AVOCATS, avocates au barreau de POITIERS.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 7 janvier 2025, en audience publique, devant :

Madame Ghislaine BALZANO, conseillère qui a présenté son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Françoise CARRACHA, présidente,

Madame Ghislaine BALZANO, conseillère,

Monsieur Nicolas DUCHATEL, conseiller.

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE ; lors de la mise à disposition au greffe : Monsieur Stéphane BASQ.

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 27 mars 2025. A cette date le délibéré a été prorogé au 20 novembre 2025.

- Signé par Madame Françoise CARRACHA, présidente, et par Monsieur Stéphane BASQ, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 3 janvier 2019, la [6] (ci-après [10]) Poitou a notifié à Mme [M] [H] épouse [Y] (ci-après Mme [Y]) une contrainte émise le même jour au titre des cotisations sociales et majorations de retard des années 2016 et 2017 pour un montant total de 19.281,89 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2019, Mme [Y] a formé opposition à cette contrainte devant le pôle social du tribunal de grande instance de Niort en soulevant plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité et en sollicitant son annulation.

Par jugement rendu le 7 février 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Niort a :

dit n'y avoir lieu à jonction des dossiers enregistrés sous les numéros 19/00013 et 19/00014 ;

dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation pour transmission au Conseil Constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par Mme [Y] concernant l'article L.111-1 du code de la sécurité sociale ;

dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation pour transmission au Conseil Constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par Mme [Y] concernant les articles L.723-1, L.723-2 et L.725-3 du code rural et de la pêche maritime au titre de la liberté d'adhésion et d'assurance, ainsi que de la passation de marché public de services ;

dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation pour transmission au Conseil Constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité déposées par Mme [Y] concernant l'article L.723-2 du code rural et de la pêche maritime au titre du principe d'égalité et du droit de propriété ;

rejeté la demande de sursis à statuer ;

rejeté la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne ;

débouté Mme [Y] de sa demande de communication de pièces ;

validé la contrainte du 3 janvier 2019 pour un montant de 9.796 euros au titre des cotisations de l'année 2017 ;

condamné Mme [Y] à verser à la [14] la somme de 9.796 euros au titre des cotisations pour l'année 2017 ;

dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire.

Mme [Y] a interjeté appel de cette décision, qui lui a été notifiée le 7 mars 2022, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour le 14 mars 2022.

Les parties ont été convoquées à l'audience de la chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers du 7 janvier 2025.

A cette audience, Mme [Y], représentée par son conseil, s'en est remise à ses conclusions reçues par RPVA le 25 octobre 2024 et visées par le greffe à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, aux termes desquelles elle demande à la cour d'appel de :

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

rejette la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne ;

la déboute de sa demande de communication de pièces ;

valide la contrainte du 3 janvier 2019 pour un montant de 9.796 euros au titre des cotisations de l'année 2017 ;

la condamne à verser à la [14] la somme de 9.796 euros au titre des cotisations pour l'année 2017 ;

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile (en ce qu'il la déboute),

Statuant à nouveau,

ordonner la jonction des recours portant les numéros RG 22/00734 et 22/00733,

enjoindre à l'intimée d'avoir à :

justifier de sa forme juridique précise et de sa personnalité morale ;

justifier de sa date d'immatriculation ;

justifier d'un agrément lui permettant de pratiquer une activité d'assurance ;

verser aux débats un contrat ou un acte d'adhésion la liant à l'appelant ;

verser aux débats tous les documents et éléments d'information et calcul permettant à l'appelant d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son éventuelle obligation (la nature et le montant des cotisations réclamées ainsi que la période concernée et le détail des montants en principal, intérêts et autres),

surseoir à statuer sur le surplus en attendant cette communication,

Subsidiairement, pour le cas où la cour ne ferait pas droit à la précédente demande,

Et en tout état de cause,

Avant dire droit sur le fond,

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le mémoire annexé,

transmettre à la cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « Les dispositions des articles L.111-2-1 du code de sécurité sociale et L.723-1, L.723-2 et L.725-3 du code rural français satisfont-elles à toutes les conditions requises pour justifier la notion d'intérêt général permettant de déroger aux dispositions des directives 92/49/CE et 92/96/CE ' » ;

surseoir à statuer jusqu'à décision définitive sur le renvoi préjudiciel,

Subsidiairement, pour le cas où la cour ne ferait pas droit à la précédente demande,

Et en tout état de cause,

annuler la contrainte litigieuse,

opposer une fin de non-recevoir à la demande de validation de la contrainte par la [14],

En tout état de cause,

débouter l'intimée de toutes demandes, fins et conclusions contraires à celles de l'appelante et notamment de sa demande de validation de la contrainte litigieuse,

condamner l'intimée à lui payer la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner l'intimée aux entiers dépens.

La [14] s'en est remise à ses conclusions reçues par RPVA le 21 novembre 2024 et visées par le greffe à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, aux termes desquelles elle demande à la cour :

A titre principal,

de confirmer purement et simplement en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

de débouter Mme [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

A titre incident,

de réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas validé intégralement la contrainte du 3 janvier 2019 eu égard à la violation des dispositions de l'article 5 du code de procédure civile par les premiers juges ;

Statuant de nouveau,

de condamner Mme [Y] à régler à la [14] la somme de 19.281,89 euros au titre des cotisations impayées des années 2016 et 2017, des majorations et des pénalités de retard ;

En tout état de cause :

de condamner Mme [Y] à payer à la [14] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

de condamner Mme [Y] aux entiers dépens d'appel dont distraction est requise dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Marion Le Lain, avocat ;

de rappeler que l'exécution provisoire est de droit.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la jonction

Mme [Y] sollicite la jonction de ce dossier portant le numéro RG 22/733 avec celui portant le numéro RG 22/734 qui porte sur les cotisations de 2014 à 2018, au motif que le premier dossier, qui porte sur les cotisations de 2016 et 2017, fait doublon.

Contrairement à ce que soutient la [10], d'une part, ces deux dossiers concernent bien Mme [Y] seule, d'autre part, la demande de jonction ne relève pas de la compétence du conseiller de la mise en état, s'agissant d'une procédure orale sans représentation obligatoire dans laquelle il n'y a pas de conseiller de la mise en état.

Pour autant, la jonction des dossiers 22/733 et 22/734 n'est pas opportune, car contrairement à ce qu'affirme l'appelante, les contestations n'ont pas le même objet. En effet, le dossier 22/733 porte sur une opposition à contrainte et le dossier 22/734 porte sur la contestation d'une mise en demeure postérieure à cette contrainte et ne concerne donc pas les mêmes cotisations.

La demande de jonction sera donc rejetée.

Sur la question préjudicielle

Mme [Y] fait valoir essentiellement que :

le monopole de la sécurité sociale a été supprimé par les directives 92/49/CEE et 92/96/CEE, transposées en droit national par les lois du 4 janvier 1994 et du 8 août 1994 et l'ordonnance du 19 avril 2001 qui ont autorisé respectivement les sociétés d'assurance privée, les institutions de prévoyance et les caisses de sécurité sociale à couvrir l'intégralité des risques sociaux ;

le régime de sécurité sociale français n'est pas un régime légal, mais un régime professionnel au sens de l'arrêt Podesta de la CJUE du 25 mai 2000, de sorte que les organismes gestionnaires ne sont pas exclus du champ d'application des troisièmes directives sur les assurances ;

en application des directives 92/49/CEE et 92/96/CEE, la [9] considère que pour qu'une disposition nationale puisse entraver l'exercice du droit d'établissement et de la libre prestation de services, il faut notamment qu'elle poursuive un objectif d'intérêt général, lequel doit être interprété restrictivement s'agissant d'une exception aux principes fondamentaux de la libre circulation ;

la France refuse d'appliquer la jurisprudence de la CJUE au recouvrement des cotisations et contributions sociales obligatoires, mais cette mesure nationale n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi ;

l'inclusion par la France de la totalité de sa législation de sécurité sociale dans la liste des dispositions d'intérêt général constitue un abus du recours à la notion d'intérêt général.

Elle conclut qu'il convient de demander à la CJUE si les dispositions des articles L.111-2-1 du code de sécurité sociale et L.723-1, L.723-2 et L.725-3 du code rural français satisfont à toutes les conditions requises pour justifier la notion d'intérêt général permettant de déroger aux dispositions des directives 92/49/CE et 92/96/CE.

La [14] répond qu'elle est un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public et participe, comme les autres caisses de sécurité sociale, au régime français de sécurité sociale fondé sur la solidarité nationale et non sur la poursuite d'un but lucratif ; que les régimes de sécurité sociale sont exclus du champ d'application de la directive CE 92/49, la CJUE admettant que l'intérêt général impose l'affiliation obligatoire aux régimes nationaux de sécurité sociale ; que la directive 92/96, qui renvoie à la directive CE 79/267, prévoit expressément qu'elle ne s'applique pas aux assurances comprises dans le régime légal de sécurité sociale ; qu'ainsi, aucune disposition de droit européen ne fait obstacle à la mise en place par les Etats d'un système d'assurances sociales reposant sur le principe de la solidarité nationale qu'ils sont libres d'organiser ; que les Etats peuvent ainsi rendre obligatoire l'affiliation à des régimes uniques d'assurance vieillesse et maladie ; que la directive 2005/29 CE n'a vocation à s'appliquer aux organismes chargés d'une mission d'intérêt général que pour les opérations secondaires de nature commerciale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle conclut que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de renvoi préjudiciel à la CJUE.

Sur ce,

L'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne rend obligatoire le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) lorsque la question est soulevée devant une juridiction dont la décision n'est pas susceptible d'un recours juridictionnel en droit interne.

En l'espèce, le présent arrêt est susceptible de pourvoi en cassation, de sorte que le renvoi préjudiciel n'est qu'une faculté.

En outre, même dans le cas où la saisine de la [9] serait obligatoire, les juridictions nationales ne sont pas tenues de renvoyer à la [9] la question préjudicielle soulevée si cette question n'est pas pertinente, c'est-à-dire lorsque la réponse à cette question ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige, ou que la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l'objet d'une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue ou que le point de droit en cause a été résolu par une jurisprudence établie de la Cour, ou lorsque la juridiction constate que l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

L'article L.111-2-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi du 26 janvier 2016 applicable au litige, dispose :

« I.-La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale.

La protection contre le risque et les conséquences de la maladie est assurée à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé. Chacun contribue, en fonction de ses ressources, au financement de cette protection.

L'Etat, qui définit les objectifs de la politique de santé publique, garantit l'accès effectif des assurés aux soins sur l'ensemble du territoire.

En partenariat avec les organisations représentatives des professionnels de santé et les associations agréées en application de l'article L.1114-1 du code de la santé publique, les organismes gestionnaires des régimes d'assurance maladie concourent, dans les conditions prévues à l'article L.1411-2 du même code, à la mise en 'uvre de la politique nationale de santé définie par l'Etat.

Chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l'assurance maladie.

II.-La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au c'ur du pacte social qui unit les générations. Le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu'ils ont tirés de leur activité.

Les assurés bénéficient d'un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent.

La Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, notamment par l'égalité entre les femmes et les hommes, par la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d'emploi, totale ou partielle, et par la garantie d'un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités.

La pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital. Elle suppose de rechercher le plein emploi ».

L'article L.723-1 du code rural et de la pêche maritime dispose :

« Les organismes de mutualité sociale agricole comprennent les caisses départementales et pluridépartementales de mutualité sociale agricole, la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ainsi que leurs associations et groupements mentionnés à l'article L.723-5. Sauf dispositions contraires du présent chapitre, ils sont soumis aux dispositions du livre Ier du code de la sécurité sociale.

Les caisses de mutualité sociale agricole sont dotées de la personnalité morale et sont constituées et fonctionnent conformément aux prescriptions du code de la mutualité, sous réserve des dispositions du présent code et du code de la sécurité sociale et des textes pris pour leur application ».

Aux termes de l'article L.723-2 :

« Les caisses de mutualité sociale agricole sont départementales ou pluridépartementales. Elles sont chargées de la gestion des régimes obligatoires de protection sociale des salariés et non salariés des professions agricoles. Elles assurent pour ces personnes l'attribution de la protection complémentaire en matière de santé prévue à l'article L.861-1 du code de la sécurité sociale. Elles peuvent être autorisées à gérer des régimes complémentaires d'assurance maladie, maternité, invalidité et de vieillesse pour les personnes non salariées des professions agricoles, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Elles peuvent accompagner toutes actions visant à favoriser la coordination et l'offre de soins en milieu rural.

Les statuts et règlements intérieurs des caisses de mutualité sociale agricole sont approuvés par l'autorité administrative ».

Selon l'article L.725-3 du même code, les caisses de mutualité sociale agricole sont chargées du recouvrement notamment des cotisations et des majorations et pénalités de retard dues au titre des régimes de protection sociale agricole dont elles assurent l'application, et peuvent à ce titre délivrer des contraintes qui comportent, à défaut d'opposition du débiteur, tous les effets d'un jugement.

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la [14] est, comme les autres caisses de [10], un organisme de droit privé chargé d'une mission de service public faisant partie de l'organisation statutaire de la sécurité sociale, et participe, avec les autres caisses de sécurité sociale, au régime légal français de sécurité sociale fondé sur la solidarité nationale. Elle ne poursuit aucun but lucratif et ne constitue pas une assurance ni une mutuelle relevant du code des assurances ou du code de la mutualité.

La directive 92/49/CEE invoquée, dite « troisième directive assurance non vie », est celle du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE.

Or par une décision du 26 mars 1996 (n°283/94, [P] et autres c/ [17]), la Cour de justice des communautés européennes, statuant sur une question préjudicielle posée par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Tarn-et-Garonne, a jugé que l'article 2, paragraphe 2, de la directive 92/49 doit être interprété en ce sens que des régimes de sécurité sociale, tels que les régimes légaux de sécurité sociale français sont exclus du champ d'application de la directive 92/49.

« En effet, cette disposition établit clairement qu'elle exclut du champ d'application de la directive non seulement les organismes de sécurité sociale, mais également les assurances et les opérations qu'ils effectuent à ce titre. En outre, les États membres ont conservé leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, et donc pour organiser des régimes obligatoires fondés sur la solidarité, régimes qui ne pourraient survivre si la directive qui implique la suppression de l'obligation d'affiliation devait leur être appliquée ».

De même, s'agissant de l'assurance-vie, la directive 92/96/CEE du Conseil du 10 novembre 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie, et modifiant les directives 79/267/CEE et 90/619/CEE, dite « troisième directive assurance vie », dispose en son article 2.3 que « la présente directive ne s'applique ni aux assurances et opérations ni aux entreprises et institutions auxquelles la directive 79/267/CEE ne s'applique pas, ni aux organismes cités à l'article 4 de celle-ci ». Or, cette première directive 79/267/CEE du 5 mars 1979 prévoit expressément, en son article 2.4, qu'elle ne concerne pas les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale. Ainsi, la directive 92/96 invoquée par l'appelante exclut expressément son application aux organismes de sécurité sociale, tels que la [10].

La Cour de cassation a d'ailleurs jugé que les dispositions de ces deux directives 92/49 et 92/96 des 18 juin 1992 et 10 novembre 1992 concernant l'assurance n'étaient pas applicables aux régimes légaux de sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d'une affiliation obligatoire des intéressés et de leurs ayants droit énoncée à l'article L.111-1 du code de la sécurité sociale, lesquels n'exercent pas une activité économique (2e Civ., 7 avril 2011, n° 10-15.689).

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la question préjudicielle posée par Mme [Y] n'est pas pertinente, dès lors que les directives 92/49 et 92/96 invoquées ne sont pas applicables au régime légal de sécurité sociale tel qu'organisé en France et fondé sur la solidarité nationale.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de transmission de la question à la [9].

Sur l'injonction de communiquer

Au regard de ce qui précède, et des dispositions des articles L.723-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la [10] de justifier de la forme juridique précise et de sa personnalité morale, de sa date d'immatriculation, d'un agrément lui permettant de pratiquer une activité d'assurance, de produire un contrat ou acte d'adhésion la liant à l'appelante, ainsi que les documents permettant de connaître la nature, la cause et l'étendue de son éventuelle obligation, dès lors que les dispositions du code de la mutualité invoquées par l'appelante ne sont pas applicables au présent litige, la [10] n'étant pas une assurance, mais un organisme de sécurité sociale institué par la loi, qui lui confère la personnalité morale, et auprès duquel l'affiliation est obligatoire pour les professions agricoles.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Y] de sa demande de communication de pièces.

Sur la validité de la contrainte

Pour s'opposer à la validation de la contrainte, Mme [Y] fait valoir que :

la [13] n'a pas qualité pour lui notifier une contrainte qu'elle n'a pas émise puisqu'elle a été émise par le directeur de la [15] ;

la [13] ne lui a pas adressé une mise en demeure préalable, étant ajouté que si la mise en demeure contestée dans le recours RG 22/734 est préalable à cette contrainte, alors il conviendrait d'en tirer toute conséquence et de ne pas valider la contrainte au regard des dispositions de l'article R.133-3 du code de la sécurité sociale ;

elle ne doit rien car elle n'a aucun lien juridique avec la [13] qui n'a pas justifié d'un bulletin d'adhésion ou d'un contrat ;

la contrainte ne comporte pas de détail précis tel qu'exigé par la jurisprudence de la Cour de cassation, l'intéressé devant avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de l'obligation.

La [14] répond tout d'abord qu'elle a bien qualité à agir et recouvrer les cotisations dues par Mme [Y], puisque la [12] et la [11] ont fait l'objet d'une fusion en 2010 pour devenir la [15], laquelle se nomme la [14] depuis le 1er janvier 2018.

Ensuite, elle fait valoir que la contrainte du 3 janvier 2019 rappelle les références des mises en demeure délivrées les 20 janvier 2017 et 26 janvier 2018, de sorte qu'elle permet à Mme [Y] de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation, à savoir :

nature : cotisations assurances sociales, accident du travail, allocations familiales, assurances vieillesse, CSG, CRDS'

cause : cotisations impayées, majorations et pénalités de retard ;

étendue : 11.506,55 euros correspondant à 9.796 euros en principal au titre des cotisations pour l'année 2017 outre 1.710,55 euros de majorations et pénalités de retard pour les années 2016 et 2017.

A l'appui de son appel incident, elle soutient que le premier juge, en ne validant pas l'intégralité de la contrainte, a statué ultra petita en considérant, à tort, que la mise en demeure du 20 janvier 2017 n'avait pas été régulièrement notifiée à Mme [Y], mais seulement à M. [Y], ce qui n'a pas été invoqué. Elle souligne que les mises en demeure ne sont pas soumises aux articles 640 à 694 du code de procédure civile puisqu'elles n'ont pas de caractère contentieux, et indique en tout état de cause produire la mise en demeure adressée à Mme [Y].

Sur ce,

L'article L.725-3 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable au litige, dispose :

« Les caisses de mutualité sociale agricole sont chargées du recouvrement des cotisations et des majorations et pénalités de retard dues au titre des régimes de protection sociale agricole dont elles assurent l'application.

Toute action de mise en recouvrement est précédée de l'envoi au cotisant d'une mise en demeure de régulariser sa situation. Le second alinéa de l'article L.244-2 du code de la sécurité sociale est applicable à cette mise en demeure.

Indépendamment de la procédure contentieuse prévue aux articles L.142-1 à L.144-2 du code de la sécurité sociale et de l'action en constitution de partie civile prévue aux articles 418 et 536 du code de procédure pénale, les caisses de mutualité sociale agricole peuvent recouvrer les cotisations et éventuellement les pénalités dues en utilisant l'une ou plusieurs des procédures suivantes :

1° La contrainte qui comporte, à défaut d'opposition du débiteur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, dans des délais et selon des conditions fixées par décret, tous les effets d'un jugement et qui confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire. Le délai de prescription de l'action en exécution de la contrainte non contestée et devenue définitive est celui mentionné au second alinéa de l'article L.244-9 du code de la sécurité sociale ;

2° L'état exécutoire signé par le préfet dans le cadre d'une procédure sommaire dont le recouvrement est effectué comme en matière de contributions directes. »

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation ; qu'à cette fin, il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice (2e Civ., 3 novembre 2016, n°15-20.433 ; 2e Civ., 7 avril 2022, n°20-19.130).

L'intimée produit les procès-verbaux du conseil d'administration du 31 mars 2017 et de l'assemblée générale du 30 mai 2017 de la [15] dont il ressort qu'à la suite de la création de la région Nouvelle Aquitaine, la [15], dont il n'est pas contesté qu'elle était née de la fusion en 2010 de la [12] avec la [11], a décidé de se renommer [14] à compter du 1er janvier 2018. Il convient en outre de préciser que seule la mise en demeure du 20 janvier 2017, désormais produite par la [10] à hauteur d'appel, a été délivrée par la [15]. Celle du 26 janvier 2018 et la contrainte du 3 janvier 2019 ont été délivrées par la [14]. A cet égard, si la contrainte mentionne par erreur qu'elle est émise par le directeur de la [15], elle comporte bien le logo de la [14] en haut à gauche, ainsi que la mention du nom et de l'adresse de la [14] en bas de page. La mention du directeur de la [15] résulte donc manifestement d'une erreur purement matérielle, puisqu'il est établi qu'à la date de la contrainte, la caisse se dénommait [14], et non plus [18]. C'est donc à tort que Mme [Y] prétend que la [14] n'avait pas qualité pour lui notifier la contrainte.

Par ailleurs, il est constant que Mme [Y], désormais retraitée, exerçait une activité d'agricultrice. La [10] étant la caisse du régime de sécurité sociale obligatoire des salariés et des non-salariés agricoles, Mme [Y] était obligatoirement affiliée à la [10], laquelle n'a donc pas à justifier d'un contrat ou d'un bulletin d'adhésion, puisque les parties ne sont pas dans une relation contractuelle.

La contrainte fait référence aux mises en demeures des 20 janvier 2017 (MD17001) et 26 janvier 2018 (MD18001), mentionne la période concernée, à savoir 2016 et 2017, le montant réclamé, soit 19.281,89 euros, ainsi que le détail suivant :

pour 2016 : 7.827 euros au titre des cotisations et 791,10 euros au titre des majorations de retard

pour 2017 : 9.796 euros au titre des cotisations et 867,79 euros au titre des majorations de retard.

La [14] produit les deux mises en demeure préalables des 20 janvier 2017 et 26 janvier 2018. S'agissant de la première, si devant le tribunal la [10] avait produit par erreur celle adressée à M. [Y] le 20 janvier 2017, elle produit bien en revanche devant la cour celle adressée à Mme [Y] le même jour (AR signé) (pièce 6).

Les deux mises en demeure comportent le détail des sommes réclamées par type de cotisations ou contributions et par année, de sorte que Mme [Y] est suffisamment informée, par les mises en demeure et la contrainte, de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation.

Enfin, c'est en vain que l'appelante se prévaut de sa contestation de la mise en demeure dans le dossier RG 22-734. En effet, la mise en demeure en question, qu'elle produit en pièce 3, est datée du 18 janvier 2019, donc postérieure à la contrainte. La comparaison des trois mises en demeure permet de constater qu'elles ne portent pas sur les mêmes cotisations, contributions ou majorations.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les contestations de Mme [Y] sont mal fondées et que la contrainte doit être validée pour son entier montant.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a validé la contrainte pour un montant de 9.796 euros au titre des cotisations de l'année 2017 et condamné Mme [Y] à verser à la [14] la somme de 9.796 euros au titre des cotisations pour l'année 2017. Statuant à nouveau, la cour validera la contrainte pour son entier montant, soit 19.281,89 euros, et condamnera Mme [Y] au paiement de cette somme au titre des cotisations impayées des années 2016 et 2017 et des majorations de retard.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige justifie de condamner Mme [Y], partie perdante, aux entiers dépens de première instance et d'appel. Il convient en revanche de rejeter la demande de distraction fondée sur l'article 699 du code de procédure civile qui n'est applicable qu'aux instances dans lesquelles la représentation par avocat est obligatoire, ce qui n'est pas le cas en matière de sécurité sociale.

Il n'est pas inéquitable de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la [10] et de condamner à ce titre Mme [Y] à lui payer la somme de 2.500 euros.

La demande relative à l'exécution provisoire de droit est sans objet s'agissant d'une décision susceptible de pourvoi en cassation, lequel n'est pas suspensif d'exécution.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de jonction.

Infirme le jugement rendu le 7 février 2022 (RG 19/00014) par le pôle social du tribunal judiciaire de Niort en ce qu'il a :

validé la contrainte du 3 janvier 2019 pour un montant de 9.796 euros au titre des cotisations de l'année 2017,

condamné Mme [M] [Y] à verser à la [14] la somme de 9.796 euros au titre des cotisations pour l'année 2017.

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs,

Valide la contrainte du 3 janvier 2019 pour l'intégralité de son montant, soit 19.281,89 euros, au titre des cotisations impayées des années 2016 et 2017 et des majorations de retard.

Condamne Mme [M] [H] épouse [Y] à payer à la [7] la somme de 19.281,89 euros au titre des cotisations impayées des années 2016 et 2017 et des majorations de retard,

Confirme le jugement en ses autres dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne Mme [M] [H] épouse [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Rejette la demande de distraction des dépens fondée sur l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne Mme [M] [H] épouse [Y] à payer à la [7] la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que la demande relative à l'exécution provisoire de droit est sans objet.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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