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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 21 novembre 2025, n° 25/00367

BOURGES

Arrêt

Autre

CA Bourges n° 25/00367

21 novembre 2025

SM/OC

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

- SELARL AVELIA AVOCATS

- SELARL EMMANUELLE RODDE

- SCP LIERE-JUNJAUD-LEFRANC-DEMONT

EXPÉDITION TJ

LE : 21 NOVEMBRE 2025

COUR D'APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2025

N° RG 25/00367 - N° Portalis DBVD-V-B7J-DXKH

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de CHATEAUROUX en date du 25 Février 2025

PARTIES EN CAUSE :

I - Mme [Z] [K] veuve [P]

née le 20 Juin 1959 à [Localité 13]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par la SELARL AVELIA AVOCATS, avocat au barreau de CHATEAUROUX

timbre fiscal acquitté

APPELANTE suivant déclaration du 09/04/2025

II - M. [G] [I]

né le 03 Octobre 1950 à [Localité 14]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par la SELARL EMMANUELLE RODDE, avocat au barreau de CHATEAUROUX

timbre fiscal acquitté

INTIMÉ

III - S.A.R.L. FERRE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:

[Adresse 2]

[Localité 6]

N° SIRET : 482 954 914

Représentée par la SCP LIERE-JUNJAUD-LEFRANC-DEMONT, avocat au barreau de CHATEAUROUX

timbre fiscal acquitté

INTIMÉE

IV - Mme [C] [P]

née le 13 Avril 1971 à [Localité 11]

[B] [W] [O] - [Localité 8] (POLYNESIE FRANCAISE)

non représentée

à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiés suivant actes de commissaire de justice des 25/04/2025 et 24/09/2025 ayant été transformés en procès-verbal de recherches infructueuses

INTIMÉE

V - M. [L] [P]

né le 16 Février 1968 à [Localité 9]

[Adresse 4]

non représenté

auquel la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiés suivant actes de commissaire de justice des 25/04/2025, 25/06/2025 et 22/09/2025 remis à étude

INTIME

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Octobre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre

M. Richard PERINETTI Conseiller

Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseillère

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSÉ

M et Mme [P] ont fait réaliser des travaux de rénovation et d'agrandissement de leur maison sous la maîtrise d'oeuvre et la coordination sécurité protection de la santé de M. [I], architecte.

Le lot n°1 correspondant à des travaux de terrassement, voies et réseaux divers, gros-oeuvre, démolition, clôture et espaces verts a été confié à la SARL Ferré suivant deux marchés du 17 octobre 2011.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 28 août 2012, la SARL Ferré a résilié le marché.

Par ordonnance de référé du 21 novembre 2012, le juge des référés, saisi par les époux [P] qui invoquaient de nombreuses malfaçons, a ordonné une expertise avec mission notamment de procéder aux constatations nécessaires au prononcé de la réception.

Par ordonnance du 21 février 2014, la mission de l'expert a été étendue à l'établissement des comptes entre M et Mme [P] et la SARL Ferré.

1- Après dépôt du rapport d'expertise de M. [U] le 21 avril 2015, M et Mme [P] ont fait assigner M. [I] et la SARL Ferré devant le tribunal de grande instance de Châteauroux par actes des 21 septembre et 27 octobre 2015, aux fins d'indemnisation de leurs préjudices (instance n° 15/1368).

Par jugement du 31 janvier 2017, l'expertise n'ayant pas été rendue commune à M. [I], le tribunal a ordonné une nouvelle expertise confiée à M. [U].

L'expert a déposé son second rapport le 15 mars 2019.

L'instance a été radiée par ordonnance du juge de la mise en état du 9 juillet 2020.

2- Par actes du 15 février 2023, M et Mme [P] ont fait assigner M. [I] et la SARL Ferré aux fins de voir prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage au 11 mai 2013 et la résolution judiciaire du contrat les liant à ces derniers, et en indemnisation de leur préjudice sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (instance n° RG 23/195).

M. [P] est décédé le 27 juin 2023 laissant pour lui succéder ses deux enfants issus d'une précédente union, M. [L] [P] et Mme [C] [P], et sa veuve Mme [K] épouse [P].

Par conclusions d'incident du 29 juin 2023, la SARL Ferré a :

- à titre principal sollicité la jonction des instances 15/1368 et 23/195 et a soulevé la péremption de l'instance unique ;

- à titre subsidiaire, soulevé la péremption de l'instance 15/1368 et la prescription ou la forclusion des demandes formées contre elle par les époux [P].

L'instance a été retirée du rôle par ordonnance du juge de la mise en état du 5 décembre 2023.

Par actes des 24 et 25 juillet 2024, Mme [P] a fait appeler en intervention forcée M. [L] [P] et Mme [C] [P].

Par conclusions d'incident du 31 octobre 2024, la SARL Ferré a maintenu ses prétentions.

M. [I] s'est associé à ses demandes, tandis que Mme [P] concluait au rejet des demandes de la SARL Ferré et au prononcé de la réception de l'ouvrage au 11 mai 2013, subsidiairement, à voir dire que la réception tacite est intervenue à cette date.

Par ordonnance du 25 février 2025, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Châteauroux a :

- Débouté la SARL Ferré et M. [I] de leurs demandes de jonction des instances enregistrées sous les n° 15/1368 et 23/195 et de leurs demandes subséquentes de constat de la péremption de l'instance unique résultant de cette jonction ;

- Déclaré recevable et bien fondée l'exception de péremption de l'instance 15/1368 opposée par la société Ferré et M. [I] ;

- Prononcé la réception judiciaire des travaux réalisés par la société Ferré à la date du 28 août 2012 ;

- Déclaré irrecevables les demandes de résolution judiciaire et de dommages et intérêts contre la société Ferré et M. [I] ;

- Condamné Mme [P] aux dépens dont distraction au profit de la SCP Rodde ;

- Condamné Mme [P] à payer à la société Ferré la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [P] à verser à M. [I] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant déclaration du 9 avril 2025, Mme [P] a relevé appel partiel de cette ordonnance, le limitant aux seuls dispositions relatives au prononcé de la réception judiciaire et à la forclusion de l'action, les dispositions relatives à la péremption de l'instance enregistrée sous le numéro 15/01368 n'étant pas contestées.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 22 septembre 2025, Mme [P] demande à la cour de :

Vu les articles 1792-6 et s. du code civil ;

Vu les deux rapports d'expertise ;

Vu les pièces versées aux débats ;

INFIRMER l'ordonnance dont appel en ses dispositions querellées ;

EN CONSEQUENCE,

INFIRMER l'ordonnance de mise en état du 25 février 2025 en ce qu'elle a fixé la réception judiciaire des travaux réalisés par la SARL FERRE à la date du 28/08/2012 ;

INFIRMER l'ordonnance de mise en état du 25/02/2025 en ce qu'elle a déclaré les demandes de Mme [P] en conséquence irrecevables ;

INFIRMER l'ordonnance de mise en état du 25/02/2023 en ce qu'elle condamné Mme [P] à verser les sommes de 1.500 € et 1.000 € respectivement à la SARL FERRE et à M [G] [I], ainsi qu'aux entiers dépens ;

STATUANT A NOUVEAU,

FIXER la réception judiciaire des travaux réalisés par la SARL FERRE au domicile de

Mme [P] à la date du 11 mai 2023 ;

SUBSIDIAIREMENT,

DIRE ET JUGER que la réception tacite des travaux est intervenue à la date du 11 mai 2013 ;

DECLARER en conséquence les demandes de Mme [P] recevables ;

CONDAMNER la SARL FERRE - in solidum avec M [I] - à verser à Mme [P] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la SARL FERRE - in solidum avec M [I] - aux dépens de l'incident et de l'appel, dont distraction au profit de la SELARL AVELIA, avocat conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions signifiées le 1er août 2025, la SARL Ferré demande pour sa part à la cour de :

CONFIRMER en toutes ses dispositions l'ordonnance de mise en état rendue par le Juge de la mise en état de [Localité 10] le 25 février 2025 sous le numéro RG 23/00195.

DEBOUTER Mme [Z] [K] veuve [P] de l'intégralité de ses demandes.

Et y ajoutant,

CONDAMNER Mme [Z] [K] veuve [P] à payer à la SARL FERRE la

somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER Mme [Z] [K] veuve [P] aux entiers dépens de l'appel.

Aux termes de ses conclusions signifées le 23 juillet 2025, M. [I] présente les demandes suivantes :

Confirmer la décison du juge de la mise en état,

Condamner Mme [P] à lui verser une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux dépens dont distraction au profit de la SCP Rodde.

M. [L] [P] et Mme [C] [P] n'ont pas constitué avocat.

Il est expressément fait référence aux conclusions des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 septembre 2025.

MOTIFS

Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile dans sa version applicable à la cause, l'instance ayant été introduite avant le 1er septembre 2024, le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non recevoir. Lorsque la fin de non recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non recevoir.

En l'espèce, la fin de non recevoir tirée de la prescription ou de la forclusion de l'action nécessitait au préalable que le juge de la mise en état se prononce sur la fixation de la date à laquelle les travaux étaient en état d'être receptionnés.

Sur la réception

Selon l'article 1792-6 du code civil, ' la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve ; elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement ; elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.'

La réception judiciaire suppose de déterminer la date à laquelle l'ouvrage était en état d'être reçu.

La date de la réception ne peut être fixée par le juge au jour où le maitre de l'ouvrage a manifesté sans équivoque l'intention d'occuper les lieux sans rechercher si l'ouvrage n'était pas en état d'être reçu à une date antérieure (Cass, 3ème Civ, 14 janvier 1998).

L'importance des malfaçons peut constituer un obstacle au prononcé de la réception judiciaire (Cass, 3ème Civ., 11 janvier 2012, n°10-26.898).

En l'espèce, pour fixer la date de la réception au 28 août 2012, le juge de la mise en état a rappelé que le fait que les époux [P] n'avaient pas réemménagé dans leur maison à la date de la résiliation du marché par l'entreprise Ferré n'était pas de nature à faire obstacle à la fixation de la réception à cette date , 'à laquelle Mme [P] reconnaissait elle-même qu'ils étaient en état d'être reçus, qu'ils n'étaient affectés que de désordres ne compromettant pas la solidité ni la destination de la maison et que cette dernière était en conséquence habitable'.

Mme [P] admet avoir conclu que les travaux étaient en état d'être reçus mais conteste le fait que la maison était habitable, soutenant que celle-ci était alors dépourvue de système d'assainissement, les réseaux EP et [Localité 12] étant de surcroît mal posés et non raccordés au tout-à-l'égout de la municipalité.

Les conclusions signifiées pour le compte de M et Mme [P] énonçaient : ' Que si les travaux de la SARL Ferré n'étaient pas terminés au jour où elle a résilié le marché, ceux qui avaient été réalisés étaient néanmoins en état d'être reçus avec réserves, après que l'expert soit venu sur place, pour confirmer l'existence des désordres, lister les travaux non réalisés et chiffrer les reprises urgentes qu'il a évaluées à la seule somme de 2.724,00 € et qui ont été réalisées par la SOBTP avant reprise de possession des lieux par les époux [P] le 11 mai 2013".

Il ressort sans ambiguïté de ces écritures que selon les maitres d'ouvrage, les travaux exécutés par la SARL Ferré étaient en état d'être reçus avec réserves et que les reprises urgentes ne s'élevaient qu'à 2724 €, travaux réalisés par la société SOBTP, les maîtres d'ouvrage ayant alors pour but de voir fixer la réception au 28 août 2012 et n'invoquant nullement une inhabitabilité en raison des reprises des réseaux, dont ils estimaient le coût comme étant mineur, les termes 'évalués à la seule somme de 2 724 €' laissant entendre qu'ils ne considéraient pas ces reprises comme constituant un obstacle à la réception.

Il est rappelé que selon le principe de l'Estoppel, nul ne peut se contredire aux dépens d'autrui.

Mme [P] ne saurait donc revenir sur ses propres conclusions, énoncées ci-dessus, pour soutenir désormais que la maison n'était pas habitable au jour de la résiliation du chantier par la SARL Ferré, le 22 août 2012 et que la réception ne pouvait être prononcée à cette date.

Mme [P] invoque néanmoins le rapport d'expertise de 2015, repris dans le rapport de 2019 [et ayant en tout état de cause valeur de renseignements même si la première instance s'est trouvée périmée (Civ 2ème, 21 avril 1982)], selon lequel 'dans la limite de 2.724,00 HT, l'expert donne son accord pour réaliser ces travaux au plus vite afin que la maison puisse être habitée' (page 58 du rapport de 2015 et 105 du rapport de 2019)

Il n'est toutefois pas démontré que ces travaux ont été réalisés en urgence et avant que M et Mme [P] réintègrent leur maison le 13 mai 2013, alors même qu'ils ont été facturés par la société SOBTP 5 mois plus tard suivant facture du 29 octobre 2013 (Annexe factures SOBTP dans le rapport de 2019).

Par ailleurs, concernant l'assainissement, le rapport d'expertise indique (p 44 du rapport de 2015) que les réseaux [Localité 12]/EV sont à refaire pour raccorder les annexes mais ne précise pas si les défauts constatés rendent inutilisables les salle de bains et cuisine de la maison. Il constate ensuite un défaut de raccordement de la dépendance (pages 18 à 20) mais nullement de la maison principale.

Par conséquent il ressort de l'ensemble de ces observations que la réception peut être fixée au 28 août 2012, conformément aux conclusions initiales des époux [P] qui entendaient voir fixer une réception avec réserves à cette date, ce qu'a exactement décidé le juge de la mise en état.

Sur la forclusion de l'action

L'action des époux [P] est soumise au délai de forclusion de 10 ans prévu à l'article 1792-4-3 du code civil et a pour point de départ le 28 août 2012.

Selon l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrormpt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

L'article 2242 du même code prévoit que l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

Ainsi, le délai décennal de garantie est interrompu par une assignation en référé jusqu'au jour de l'ordonnance de référé, le nouveau délai décennal commençant à courir à compter de cette date.

C'est par des motifs que la cour adopte que le premier juge a dit que le délai décennal avait été interrompu à l'égard de la SARL Ferré par l'assignation en référé du 30 octobre 2012 jusqu'à l'ordonnance du 21 novembre 2012 mais qu'il ne l'avait pas été à l'égard de M. [I].

Il a également à bon droit relevé que les interruptions relevant de l'instance périmée étaient sans effet.

Enfin il en a exactement déduit que l'action s'est donc trouvée forclose le 29 août 2022 à l'égard de M. [I] et le 22 novembre 2022 à l'égard de la SARL Ferré, l'ordonnance devant dès lors être confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action engagée par Mme [P] par assignation du 15 février 2023.

Sur les autres demandes

Mme [P] succombant en son appel, supportera les dépens de la présente instance et versera à M. [I] et à la SARL Ferré la somme de 1 000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile .

Les dispositions de l'ordonnance entreprise sont confirmées sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du 25 février 2025 ;

Y ajoutant ;

Condamne Mme [P] à verser à la SARL Ferré une somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [P] à verser à M. [I] une somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [P] aux dépens qui pourront être recouvrés selon l'article 699 du code de procédure civile.

L'arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par V. SERGEANT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

V. SERGEANT O. CLEMENT

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