CA Montpellier, 2e ch. civ., 6 novembre 2025, n° 25/00644
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 6 NOVEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 25/00644 - N° Portalis DBVK-V-B7J-QRHF
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 23 JANVIER 2025
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE MONTPELLIER
N° RG 22/05551
APPELANTE :
SCI MABOUYA RCS de Reims n°514 556 935 prise en la personne de son gérant en exercice domicilié es qualité au siège social sis
[Adresse 16]
[Localité 5]
Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me RICHAUD
INTIMES :
Monsieur [W] [N]
né le 21 Juin 1948 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me JULIE
Madame [F] [C] épouse [N]
née le 05 Juin 1958 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me JULIE
Monsieur [T] [V]
né le 13 Août 1957 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Aurore BURGER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEGERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Madame [H] [I] épouse [V]
née le 12 Mars 1958 à [Localité 8] (IRLANDE)
de nationalité Irlandaise
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représenté par Me Aurore BURGER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEGERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.C.P CATHERINE SCHIN-OUA-SIRON-SCHAPIRA, [O] [Y] ET MURIELLE ZAIRE-BELLEMARE, immatriculée au RCS de FORT DE FRANCE sous le n° 441 277 829, dont le siège social est [Adresse 15] [Localité 9] (France), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 15]
[Localité 9]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 01 Septembre 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par le même article, devant la cour composée de :
Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseillère
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Salvatore SAMBITO
Le délibéré initialement prévu le 30 octobre 2025 a été prorogé au 6 novembre 2025 ; les parties en ayant été préalablement avisés;
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte authentique signé le 28 février 2003, par-devant Maître [R] [P], notaire associé au sein de la SCP Georges Shin-Oua-Siron- Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira- [R] [P], M. Jean-Louis [N] et Mme [F] [C] épouse [N] ont acquis auprès de M. [T] [V] et de Mme [H] [I] épouse [V] un terrain sur lequel y a été édifiée une maison à usage d'habitation comprenant notamment une piscine à débordement avec son deck en bois et un portillon donnant à la plage, sise [Adresse 14], sur la commune de [Localité 17] en Martinique et cadastrée K [Cadastre 2] lieudit Désert, et ce, moyennant un prix de vente de 440.000 euros.
Par acte authentique signé le 19 octobre 2009, par-devant Maître [O] [Y], notaire associé au sein de la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira et [O] [Y], la S.C.I. Mabouya a acquis le même bien immobilier auprès des époux [N], au prix de 900.000 euros.
Par un arrêt en date du 16 décembre 2022 la Cour administrative d'appel de Bordeaux, annulant le jugement rendu par le tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021, a imposé à la SCI Mabouya de remettre sans délai les lieux en l'état sous astreinte pour occupation irrégulière du domaine maritime public à raison de l'implantation d'une piscine en béton armé, d'un deck en bois, d'un escalier d'accès à la plage et d'une clôture en bois qui empiétent en partie sur la parcelle K[Cadastre 1], située [Adresse 10] à [Localité 17] et faisant partie de ce domaine maritime.
Par acte de commissaire de justice en date du 14 décembre 2022, la SCI Mabouya a fait assigner M. [W] [N] et Mme [F] [N] devant le tribunal judiciaire de Montpellier aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 407.567, 24 € au titre de la garantie d'éviction due par les vendeurs en application des articles 1603 et 1626 du code civil à la suite des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait des travaux de destruction et de remise en état imposés par la juridiction administrative et de la perte de valeur du bien. Cette procédure a été enregistrée sous le n° RG 22/5551.
Par actes de commissaire de justice délivrés les 9 et 10 février 2023, les époux [N] ont fait assigner en intervention forcée M. [T] [V], Mme [H] [I] épouse [V], ainsi que la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira-[O]-[Y] et Murielle Zaire-Bellemare, l'étude notariale chargée de la vente du bien, devant le Tribunal judiciaire de Montpellier afin de voir condamner à titre principal solidairement les époux [V] et subsidiairement la SCP notariale à les relever et garantir des condamnations qui pourraient intervenir à leur encontre. Cette procédure a été enregistrée sous le n° de RG 23/732.
Le 15 septembre 2023, les deux instances ont été jointes par mention au dossier.
Saisi par les époux [N] d'un incident tendant à la prescription de l'action de la SCI Mabouya, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier par ordonnance en date du 23 janvier 2025 a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la SCI Mabouya,
- débouté la SCI Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la S.C.P.,
- condamné la S.C.I. Mabouya aux dépens, avec distraction au profit de Maître Stéphanie Caumil Haegel,
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N],
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V],
- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration au greffe du 31 janvier 2025, la SCI Mabouya a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 août 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SCI Mabouya demande à la Cour de :
* dire et juger la société Mabouya recevable et bien fondée en son appel à l'encontre de l'ordonnance rendue le 23 janvier 2025 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier,
* Y faisant droit, infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- declare irrecevable comme prescrite l'action en justice intentee par la SCI Mabouya
- 'déboute' la SCI Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la SCI Mabouya au versement de la somme de 2.000,00 € au profit des époux [N] en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamne la SCI Mabouya au versement de la somme de 2.000,00 € au profit des époux [V] en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procedure Civile,
- condamne la SCI Mabouya aux entiers dépens.
* rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée par la société Mabouya,
* déclarer cette dernière recevable en son action,
* renvoyer l'affaire devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier aux fins de poursuite de l'instance au fond,
* condamner les époux [N] au versement de la somme de 3.000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépetibles exposés par la société Mabouya dans le cadre de l'incident de prescription,
* condamner les époux [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Yann Garrigue conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 28 août 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] demandent à la Cour de :
* confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la SCI Mabouya,
* confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la SCI Mabouya de l'intégralité de ses demandes,
* subsidiairement et en cas de réformation,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la SCP notariale,
Et ce faisant,
- déclarer recevables les appels en garantie formés par les époux [N],
- renvoyer l'affaire pour le fond devant le tribunal judiciaire,
* En tout état de cause,
- débouter la S.C.I. Mabouya de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la S.C.I. Mabouya à la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 mai 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] demandent à la Cour de :
* déclarer les époux [V] bien fondés et recevables en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
* confirmer l'ordonnance rendue le 23 janvier 2025 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier ence que ledit Juge a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la société Mabouya,
- débouté la société Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la S.C.P.,
- condamné la S.C.I. Mabouya aux dépens, avec distraction au profit de Maître Stéphanie Caumil Haegel,
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N],
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V],
- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
* Statuant à nouveau,
- débouter la S.C.I. Mabayou de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- débouter les époux [N] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner la S.C.I. Mabayou à régler aux époux [V] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la S.C.I. Mabayou aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 25 avril 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira-[O]-[Y] et Murielle Zaire-Bellemare demande à la Cour de :
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il a déclaré prescrite l'action judiciaire de la SCI Mabouya,
- condamner la SCI Mabouya à lui payer la somme de 1.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La SCI Mabouya fait valoir que le juge de la mise en état en déclarant irrecevable comme prescrite l'action qu'elle a intentée à l'encontre des époux [N] a méconnu le droit positif applicable en la matière et en premier lieu l'article 2233-2°du code civil aux termes duquel la prescription ne court pas à l'égard d'une action en garantie jusqu'à ce que l'éviction a lieu, la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers susceptible de l'évincer ne suffisant pas à lui permettre d'agir en garantie, l'éviction supposant une trouble actuel et non simplement éventuel, selon la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, de sorte qu'aucune action en garantie ne peut être engagée tant qu'aucune procédure judiciaire n'a été intentée par le tiers, seule cette dernière étant constitutive de l'éviction ouvrant droit à l'exercice de l'action en garantie. Elle expose qu'en conséquence, la seule mention dans l'acte de vente de "la zone des 50 pas géométriques", à la supposer suffisamment explicite pour que l'acquéreur soit conscient d'un risque d'éviction ne suffit pas à caractériser un trouble actuel et ce, d'autant que l'acte soulignait expressément que le bien immobilier n'était frappé d'aucune demande de destruction d'ouvrage.
Elle ajoute qu'il importe donc peu que la SCI Mabouya soit considérée ou non comme une professionnelle de l'immobilier, le délai de prescription de l'action en garantie n'ayant pu commencé à courir qu'à compter du 2 juillet 2020, date de la requête du Préfet de la Martinique devant le tribunal administratif et aux termes de laquelle il sollicitait qu'il soit fait injonction à la SCI Mabouya de remettre les lieux en l'état et de procéder à l'enlèvement des ouvrages édifiés sur la domaine public maritime. Elle conteste en tout état de cause avoir la qualité d'une professionnelle de l'immobilier dés lors qu'elle n'a pas acquis le bien à des fins professionnelles mais uniquement dans un cadre familial afin de l'occuper personnellement.
Les époux [N] soutiennent au contraire que le point de départ du délai de prescription quinquennale court en vertu de l'article 2224 du code civil et selon une jurisprudence constante en matière immobilière à la date de la signature du contrat dès lors que l'action est fondée sur les clauses du contrat de vente, cette jurisprudence exigeant que l'ignorance de l'acquéreur soit légitime pour la sanctionner et apprécie cette légitimité plus strictement lorsqu'il est question d'un professionnel de l'immobilier, ce qui est le cas de la SCI Mabouya dont l'objet social est la location non résidentielle et dont l'occupation personnelle du bien est contredite par le tournage d'une série télévisée qui a eu lieu dans le bien immobilier en cause. Ils font valoir que la SCI Mabouya était donc supposée connaître au regard des mentions figurant dans l'acte notarié que l'immeuble ligieux se trouvait sur le domaine public par essence inaliénable. Ils ajoutent qu'il n'y a pas en réalité d'éviction du bien cédé puisqu'il a seulement été interdit à la SCI Mabouya d'empièter sur le domaine public, la piscine n'ayant pas été construite sur le terrain cédé mais bien sur le domaine public.
Les époux [V] font valoir de même qu'en déclarant prescrite l'action de la SCI Mabouya, le juge de la mise en état a fait une exacte application du droit applicable dès lors que selon les articles L. 3111-2 et L.5111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la zone des 50 pas géométriques visée dans l'acte de vente faisant partie du domaine public maritime inaliénable. Ils exposent que la doctrine et la jurisprudence ont toujours assimilé le trouble actuel et non éventuel invoqué par l'appelante comme une juste crainte d'une éviction et que la jurisprudence citée par l'appelante qui fait dépendre la qualification du trouble actuel de l'existence d'une action en justice intentée par le tiers est critiquable au regard de la jurisprudence constante antérieure qui ne retenait pas la manifestation d'intention d'un tiers de faire valoir son droit sur la chose vendue comme devant prendre la forme exclusivement d'une action en justice. Ils considèrent que les clauses contenues dans l'acte sont suffisament explicites, claires et précises et ce d'autant plus pour un professionnel de l'immobilier, tel que l'appelante.
La S.C.P. Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira, [O] [Y] et Murielle Zaire-Bellemare conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise qui a fait une juste application des dispositions de l'article 2224 du code civil en situant le point de départ de la prescription à la date de l'acte de notarié du 19 octobre 2019 qui a informé les parties de la connaissance par l'acquéreur de l'empiètement du bien acuqis sur le domaine public, peu important la décision de condamnation de la cour administrative aux fins de remise en état.
Il ressort de l'assignation introductive d'instance au fond que la SCI Mabouya fonde son action sur la garantie d'éviction fondée sur les dispositions de l'article 1626 du code civil lequel consacre l'obligation du vendeur de garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu.
L'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort cependant de l'article 2233-2° du même code, que la prescription ne court pas à l'égard d'une action en garantie jusqu'à ce que l'éviction ait lieu.
L'éviction suppose, comme le fait valoir à juste titre l'appelante, un trouble actuel et non simplement éventuel et la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir en garantie contre son vendeur.
En l'espèce, la SCI Mabouya justifie que par un arrêt en date du 16 décembre 2022, la Cour administrative d'appel de Bordeaux, annulant le jugement rendu par le tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021, lui a imposé, à la suite d'une requête en date du 2 juillet 2020 du préfet de la Martinique, de remettre sans délai les lieux en l'état sous astreinte pour occupation irrégulière du domaine maritime public à raison de l'implantation d'une piscine en béton armé, d'un deck en bois, d'un escalier d'accès à la plage et d'une clôture en bois qui empiétent en partie sur la parcelle K[Cadastre 1], située [Adresse 10] à [Localité 17] et faisant partie de ce domaine maritime. Il ressort des pièces produites que ces constructions font partie de celles visées à l'acte de vente comme faisant partie de la propriété vendue par les époux [N].
L'acte de vente du 19 octobre 2009 du bien en cause entre les époux [N], vendeurs et la SCI Mabouya, acquéreur comporte en page 21 une clause insérée dans le paragraphe concernant l'origine de propriété du bien immobilier , clause selon laquelle il est rappelé les termes d'un acte de propriété antérieur du 10 octobre 1976 qui prévoit que ' Le vendeur et l'acquéreur déclarent avoir parfaite connaissance que l'immeuble présentement vendu est situé sur la zone des 50 pas géométriques et déclarent faire solidairement leur affaire personnelle de toutes démarches éventuelles auprès des services de l'Etat en régularisation de tout titre de propriété et déchargent le notaire soussigné de toute responsabilité à ce sujet.
....
Suivant certificat délivré le 15 juin 2009 demeuré annexé aux présentes après mention, le maire de la commune de [Localité 17] a certifié que le bien immobilier objet des présentes, n'est frappé d'aucune demande de destruction d'ouvrage'
A supposer même qu'une telle clause soit considérée comme ayant valablement et suffisamment informé la SCI Mayouba de ce que partie du bien vendu se situait sur le domaine public maritime et donc de l'existence d'un droit au profit de l'Etat, susceptible de l'évincer, cette connaissance ne pouvait à elle seule permettre à la SCI Mabouya de mettre en jeu la garantie d'éviction à l'encontre de son vendeur, avant que l'Etat ne fasse valoir sa propre prétention, le simple risque éventuel ou crainte d'une éviction ne pouvant constituer un trouble actuel que lorsque le tiers manifeste clairement son intention de faire valoir son droit sur le bien, étant relevé que l'empiètement du bien immobilier en infraction avec le droit public maritime existait depuis plus de 30 ans à la date d'acquisition de ce bien par la SCI Mabouya sans réaction de l'Etat.
Il importe peu dans le cadre du débat sur la prescription de l'action en garantie d'éviction de savoir si la SCI Mabouya s'est comportée au moment de la vente comme un acheteur professionnel ou non.
C'est donc seulement à la date de la requête préfectorale du 2 juillet 2020 que la SCI Mabouya a pu avoir connaissance de manière claire d'une menace actuelle d'éviction de la part de l'Etat.
La SCI Mabouya ayant assigné les époux [N] en garantie d'éviction par acte introductif d'instance du 14 décembre 2022, soit avant le 2 juillet 2025, date d'expiration du délai de prescription quinquennale, son action est donc parfaitement recevable.
Ainsi, quand bien même la SCI Mabouya a pris connaissance de l'empiétement du bien sur le domaine maritime public dès la conclusion de l'acte de vente du 19 octobre 2009, c'est à tort que la premier juge a situé à cette dernière date le point de départ de l'action intentée à l'encontre des époux [N] et a déclaré irrecevable comme prescrite cette action. C'est donc également à tort qu'il a déclaré sans objet du fait de la prescription de cette action l'appel en garantie formé par les époux [N] à l'encontre de leurs propres vendeurs, les époux [V] et de l'étude notariale.
Il convient d'infirmer la décision entreprise à ce titre et statuant à nouveau de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les intimés, de déclarer recevable comme non prescrite l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya à l'encontre des époux [N] et par voie de conséquence de déclarer également recevables les appels en garantie subséquentes formées par les époux [N] et les époux [V].
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L'équité ne commande pas de faire bénéficier les parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. Les époux [N] et [V] succombant à l'instance, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a condamné la SCI Mabouya à leur payer la somme de 2.000 € en vertu de ces dispositions et statuant à nouveau, leur demande formée à ce titre sera rejetée. Pour les mêmes motifs, leur demande formée en cause d'appel sera également rejetée. Il en sera de même de la demande formée en cause d'appel par la la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira- [O] [Y] et Murielle Zaire-Bellemare.
Les époux [N] qui succombent à l'instance d'incident supporteront les dépens tant de première instance, la décision entreprise devant être infirmée en ce qu'elle a fait supporter les dépens à la SCI Mabouya, que de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya ;
- Déclare, en conséquence, recevable comme non prescrite l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya à l'encontre de M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] ;
- Déclare par voie de conséquence recevables les appels en garantie subséquentes formées par M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] et par M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] ;
- Rejette les demandes formées par M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N], ainsi que M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] aux dépens de première instance relatifs à l'incident ;
et y ajoutant,
- Rejette les demandes formées par les parties en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] aux dépens de l'instance d'appel relatifs à l'incident ;
- Renvoie les parties devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier pour la suite de la procédure.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre civile
ARRET DU 6 NOVEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 25/00644 - N° Portalis DBVK-V-B7J-QRHF
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du 23 JANVIER 2025
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE MONTPELLIER
N° RG 22/05551
APPELANTE :
SCI MABOUYA RCS de Reims n°514 556 935 prise en la personne de son gérant en exercice domicilié es qualité au siège social sis
[Adresse 16]
[Localité 5]
Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me RICHAUD
INTIMES :
Monsieur [W] [N]
né le 21 Juin 1948 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me JULIE
Madame [F] [C] épouse [N]
née le 05 Juin 1958 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me JULIE
Monsieur [T] [V]
né le 13 Août 1957 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représenté par Me Aurore BURGER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEGERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Madame [H] [I] épouse [V]
née le 12 Mars 1958 à [Localité 8] (IRLANDE)
de nationalité Irlandaise
[Adresse 12]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représenté par Me Aurore BURGER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me DEGERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.C.P CATHERINE SCHIN-OUA-SIRON-SCHAPIRA, [O] [Y] ET MURIELLE ZAIRE-BELLEMARE, immatriculée au RCS de FORT DE FRANCE sous le n° 441 277 829, dont le siège social est [Adresse 15] [Localité 9] (France), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 15]
[Localité 9]
Représentée par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 01 Septembre 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 914-5 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 SEPTEMBRE 2025, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par le même article, devant la cour composée de :
Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre
Madame Nelly CARLIER, Conseillère
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Salvatore SAMBITO
Le délibéré initialement prévu le 30 octobre 2025 a été prorogé au 6 novembre 2025 ; les parties en ayant été préalablement avisés;
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.
*
* *
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte authentique signé le 28 février 2003, par-devant Maître [R] [P], notaire associé au sein de la SCP Georges Shin-Oua-Siron- Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira- [R] [P], M. Jean-Louis [N] et Mme [F] [C] épouse [N] ont acquis auprès de M. [T] [V] et de Mme [H] [I] épouse [V] un terrain sur lequel y a été édifiée une maison à usage d'habitation comprenant notamment une piscine à débordement avec son deck en bois et un portillon donnant à la plage, sise [Adresse 14], sur la commune de [Localité 17] en Martinique et cadastrée K [Cadastre 2] lieudit Désert, et ce, moyennant un prix de vente de 440.000 euros.
Par acte authentique signé le 19 octobre 2009, par-devant Maître [O] [Y], notaire associé au sein de la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira et [O] [Y], la S.C.I. Mabouya a acquis le même bien immobilier auprès des époux [N], au prix de 900.000 euros.
Par un arrêt en date du 16 décembre 2022 la Cour administrative d'appel de Bordeaux, annulant le jugement rendu par le tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021, a imposé à la SCI Mabouya de remettre sans délai les lieux en l'état sous astreinte pour occupation irrégulière du domaine maritime public à raison de l'implantation d'une piscine en béton armé, d'un deck en bois, d'un escalier d'accès à la plage et d'une clôture en bois qui empiétent en partie sur la parcelle K[Cadastre 1], située [Adresse 10] à [Localité 17] et faisant partie de ce domaine maritime.
Par acte de commissaire de justice en date du 14 décembre 2022, la SCI Mabouya a fait assigner M. [W] [N] et Mme [F] [N] devant le tribunal judiciaire de Montpellier aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 407.567, 24 € au titre de la garantie d'éviction due par les vendeurs en application des articles 1603 et 1626 du code civil à la suite des préjudices qu'elle estime avoir subi du fait des travaux de destruction et de remise en état imposés par la juridiction administrative et de la perte de valeur du bien. Cette procédure a été enregistrée sous le n° RG 22/5551.
Par actes de commissaire de justice délivrés les 9 et 10 février 2023, les époux [N] ont fait assigner en intervention forcée M. [T] [V], Mme [H] [I] épouse [V], ainsi que la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira-[O]-[Y] et Murielle Zaire-Bellemare, l'étude notariale chargée de la vente du bien, devant le Tribunal judiciaire de Montpellier afin de voir condamner à titre principal solidairement les époux [V] et subsidiairement la SCP notariale à les relever et garantir des condamnations qui pourraient intervenir à leur encontre. Cette procédure a été enregistrée sous le n° de RG 23/732.
Le 15 septembre 2023, les deux instances ont été jointes par mention au dossier.
Saisi par les époux [N] d'un incident tendant à la prescription de l'action de la SCI Mabouya, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier par ordonnance en date du 23 janvier 2025 a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la SCI Mabouya,
- débouté la SCI Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la S.C.P.,
- condamné la S.C.I. Mabouya aux dépens, avec distraction au profit de Maître Stéphanie Caumil Haegel,
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N],
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V],
- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration au greffe du 31 janvier 2025, la SCI Mabouya a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 août 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SCI Mabouya demande à la Cour de :
* dire et juger la société Mabouya recevable et bien fondée en son appel à l'encontre de l'ordonnance rendue le 23 janvier 2025 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier,
* Y faisant droit, infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
- declare irrecevable comme prescrite l'action en justice intentee par la SCI Mabouya
- 'déboute' la SCI Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la SCI Mabouya au versement de la somme de 2.000,00 € au profit des époux [N] en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamne la SCI Mabouya au versement de la somme de 2.000,00 € au profit des époux [V] en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procedure Civile,
- condamne la SCI Mabouya aux entiers dépens.
* rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée par la société Mabouya,
* déclarer cette dernière recevable en son action,
* renvoyer l'affaire devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier aux fins de poursuite de l'instance au fond,
* condamner les époux [N] au versement de la somme de 3.000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépetibles exposés par la société Mabouya dans le cadre de l'incident de prescription,
* condamner les époux [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Yann Garrigue conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 28 août 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] demandent à la Cour de :
* confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la SCI Mabouya,
* confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la SCI Mabouya de l'intégralité de ses demandes,
* subsidiairement et en cas de réformation,
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la SCP notariale,
Et ce faisant,
- déclarer recevables les appels en garantie formés par les époux [N],
- renvoyer l'affaire pour le fond devant le tribunal judiciaire,
* En tout état de cause,
- débouter la S.C.I. Mabouya de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la S.C.I. Mabouya à la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 mai 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] demandent à la Cour de :
* déclarer les époux [V] bien fondés et recevables en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
* confirmer l'ordonnance rendue le 23 janvier 2025 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier ence que ledit Juge a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en justice intentée par la société Mabouya,
- débouté la société Mabouya de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré sans objet les appels en garantie formés par les époux [N] contre les époux [V] et la S.C.P.,
- condamné la S.C.I. Mabouya aux dépens, avec distraction au profit de Maître Stéphanie Caumil Haegel,
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N],
- condamné la S.C.I. Mabouya à payer la somme de 2.000 euros à M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V],
- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
* Statuant à nouveau,
- débouter la S.C.I. Mabayou de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- débouter les époux [N] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner la S.C.I. Mabayou à régler aux époux [V] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la S.C.I. Mabayou aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 25 avril 2025, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira-[O]-[Y] et Murielle Zaire-Bellemare demande à la Cour de :
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il a déclaré prescrite l'action judiciaire de la SCI Mabouya,
- condamner la SCI Mabouya à lui payer la somme de 1.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
La SCI Mabouya fait valoir que le juge de la mise en état en déclarant irrecevable comme prescrite l'action qu'elle a intentée à l'encontre des époux [N] a méconnu le droit positif applicable en la matière et en premier lieu l'article 2233-2°du code civil aux termes duquel la prescription ne court pas à l'égard d'une action en garantie jusqu'à ce que l'éviction a lieu, la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers susceptible de l'évincer ne suffisant pas à lui permettre d'agir en garantie, l'éviction supposant une trouble actuel et non simplement éventuel, selon la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, de sorte qu'aucune action en garantie ne peut être engagée tant qu'aucune procédure judiciaire n'a été intentée par le tiers, seule cette dernière étant constitutive de l'éviction ouvrant droit à l'exercice de l'action en garantie. Elle expose qu'en conséquence, la seule mention dans l'acte de vente de "la zone des 50 pas géométriques", à la supposer suffisamment explicite pour que l'acquéreur soit conscient d'un risque d'éviction ne suffit pas à caractériser un trouble actuel et ce, d'autant que l'acte soulignait expressément que le bien immobilier n'était frappé d'aucune demande de destruction d'ouvrage.
Elle ajoute qu'il importe donc peu que la SCI Mabouya soit considérée ou non comme une professionnelle de l'immobilier, le délai de prescription de l'action en garantie n'ayant pu commencé à courir qu'à compter du 2 juillet 2020, date de la requête du Préfet de la Martinique devant le tribunal administratif et aux termes de laquelle il sollicitait qu'il soit fait injonction à la SCI Mabouya de remettre les lieux en l'état et de procéder à l'enlèvement des ouvrages édifiés sur la domaine public maritime. Elle conteste en tout état de cause avoir la qualité d'une professionnelle de l'immobilier dés lors qu'elle n'a pas acquis le bien à des fins professionnelles mais uniquement dans un cadre familial afin de l'occuper personnellement.
Les époux [N] soutiennent au contraire que le point de départ du délai de prescription quinquennale court en vertu de l'article 2224 du code civil et selon une jurisprudence constante en matière immobilière à la date de la signature du contrat dès lors que l'action est fondée sur les clauses du contrat de vente, cette jurisprudence exigeant que l'ignorance de l'acquéreur soit légitime pour la sanctionner et apprécie cette légitimité plus strictement lorsqu'il est question d'un professionnel de l'immobilier, ce qui est le cas de la SCI Mabouya dont l'objet social est la location non résidentielle et dont l'occupation personnelle du bien est contredite par le tournage d'une série télévisée qui a eu lieu dans le bien immobilier en cause. Ils font valoir que la SCI Mabouya était donc supposée connaître au regard des mentions figurant dans l'acte notarié que l'immeuble ligieux se trouvait sur le domaine public par essence inaliénable. Ils ajoutent qu'il n'y a pas en réalité d'éviction du bien cédé puisqu'il a seulement été interdit à la SCI Mabouya d'empièter sur le domaine public, la piscine n'ayant pas été construite sur le terrain cédé mais bien sur le domaine public.
Les époux [V] font valoir de même qu'en déclarant prescrite l'action de la SCI Mabouya, le juge de la mise en état a fait une exacte application du droit applicable dès lors que selon les articles L. 3111-2 et L.5111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la zone des 50 pas géométriques visée dans l'acte de vente faisant partie du domaine public maritime inaliénable. Ils exposent que la doctrine et la jurisprudence ont toujours assimilé le trouble actuel et non éventuel invoqué par l'appelante comme une juste crainte d'une éviction et que la jurisprudence citée par l'appelante qui fait dépendre la qualification du trouble actuel de l'existence d'une action en justice intentée par le tiers est critiquable au regard de la jurisprudence constante antérieure qui ne retenait pas la manifestation d'intention d'un tiers de faire valoir son droit sur la chose vendue comme devant prendre la forme exclusivement d'une action en justice. Ils considèrent que les clauses contenues dans l'acte sont suffisament explicites, claires et précises et ce d'autant plus pour un professionnel de l'immobilier, tel que l'appelante.
La S.C.P. Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira, [O] [Y] et Murielle Zaire-Bellemare conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise qui a fait une juste application des dispositions de l'article 2224 du code civil en situant le point de départ de la prescription à la date de l'acte de notarié du 19 octobre 2019 qui a informé les parties de la connaissance par l'acquéreur de l'empiètement du bien acuqis sur le domaine public, peu important la décision de condamnation de la cour administrative aux fins de remise en état.
Il ressort de l'assignation introductive d'instance au fond que la SCI Mabouya fonde son action sur la garantie d'éviction fondée sur les dispositions de l'article 1626 du code civil lequel consacre l'obligation du vendeur de garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu.
L'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il ressort cependant de l'article 2233-2° du même code, que la prescription ne court pas à l'égard d'une action en garantie jusqu'à ce que l'éviction ait lieu.
L'éviction suppose, comme le fait valoir à juste titre l'appelante, un trouble actuel et non simplement éventuel et la simple connaissance par l'acheteur de l'existence d'un droit au profit d'un tiers susceptible de l'évincer ne suffit pas à lui permettre d'agir en garantie contre son vendeur.
En l'espèce, la SCI Mabouya justifie que par un arrêt en date du 16 décembre 2022, la Cour administrative d'appel de Bordeaux, annulant le jugement rendu par le tribunal administratif de la Martinique du 7 juin 2021, lui a imposé, à la suite d'une requête en date du 2 juillet 2020 du préfet de la Martinique, de remettre sans délai les lieux en l'état sous astreinte pour occupation irrégulière du domaine maritime public à raison de l'implantation d'une piscine en béton armé, d'un deck en bois, d'un escalier d'accès à la plage et d'une clôture en bois qui empiétent en partie sur la parcelle K[Cadastre 1], située [Adresse 10] à [Localité 17] et faisant partie de ce domaine maritime. Il ressort des pièces produites que ces constructions font partie de celles visées à l'acte de vente comme faisant partie de la propriété vendue par les époux [N].
L'acte de vente du 19 octobre 2009 du bien en cause entre les époux [N], vendeurs et la SCI Mabouya, acquéreur comporte en page 21 une clause insérée dans le paragraphe concernant l'origine de propriété du bien immobilier , clause selon laquelle il est rappelé les termes d'un acte de propriété antérieur du 10 octobre 1976 qui prévoit que ' Le vendeur et l'acquéreur déclarent avoir parfaite connaissance que l'immeuble présentement vendu est situé sur la zone des 50 pas géométriques et déclarent faire solidairement leur affaire personnelle de toutes démarches éventuelles auprès des services de l'Etat en régularisation de tout titre de propriété et déchargent le notaire soussigné de toute responsabilité à ce sujet.
....
Suivant certificat délivré le 15 juin 2009 demeuré annexé aux présentes après mention, le maire de la commune de [Localité 17] a certifié que le bien immobilier objet des présentes, n'est frappé d'aucune demande de destruction d'ouvrage'
A supposer même qu'une telle clause soit considérée comme ayant valablement et suffisamment informé la SCI Mayouba de ce que partie du bien vendu se situait sur le domaine public maritime et donc de l'existence d'un droit au profit de l'Etat, susceptible de l'évincer, cette connaissance ne pouvait à elle seule permettre à la SCI Mabouya de mettre en jeu la garantie d'éviction à l'encontre de son vendeur, avant que l'Etat ne fasse valoir sa propre prétention, le simple risque éventuel ou crainte d'une éviction ne pouvant constituer un trouble actuel que lorsque le tiers manifeste clairement son intention de faire valoir son droit sur le bien, étant relevé que l'empiètement du bien immobilier en infraction avec le droit public maritime existait depuis plus de 30 ans à la date d'acquisition de ce bien par la SCI Mabouya sans réaction de l'Etat.
Il importe peu dans le cadre du débat sur la prescription de l'action en garantie d'éviction de savoir si la SCI Mabouya s'est comportée au moment de la vente comme un acheteur professionnel ou non.
C'est donc seulement à la date de la requête préfectorale du 2 juillet 2020 que la SCI Mabouya a pu avoir connaissance de manière claire d'une menace actuelle d'éviction de la part de l'Etat.
La SCI Mabouya ayant assigné les époux [N] en garantie d'éviction par acte introductif d'instance du 14 décembre 2022, soit avant le 2 juillet 2025, date d'expiration du délai de prescription quinquennale, son action est donc parfaitement recevable.
Ainsi, quand bien même la SCI Mabouya a pris connaissance de l'empiétement du bien sur le domaine maritime public dès la conclusion de l'acte de vente du 19 octobre 2009, c'est à tort que la premier juge a situé à cette dernière date le point de départ de l'action intentée à l'encontre des époux [N] et a déclaré irrecevable comme prescrite cette action. C'est donc également à tort qu'il a déclaré sans objet du fait de la prescription de cette action l'appel en garantie formé par les époux [N] à l'encontre de leurs propres vendeurs, les époux [V] et de l'étude notariale.
Il convient d'infirmer la décision entreprise à ce titre et statuant à nouveau de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les intimés, de déclarer recevable comme non prescrite l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya à l'encontre des époux [N] et par voie de conséquence de déclarer également recevables les appels en garantie subséquentes formées par les époux [N] et les époux [V].
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
L'équité ne commande pas de faire bénéficier les parties des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. Les époux [N] et [V] succombant à l'instance, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a condamné la SCI Mabouya à leur payer la somme de 2.000 € en vertu de ces dispositions et statuant à nouveau, leur demande formée à ce titre sera rejetée. Pour les mêmes motifs, leur demande formée en cause d'appel sera également rejetée. Il en sera de même de la demande formée en cause d'appel par la la SCP Catherine Schin-Oua-Siron-Schapira- [O] [Y] et Murielle Zaire-Bellemare.
Les époux [N] qui succombent à l'instance d'incident supporteront les dépens tant de première instance, la décision entreprise devant être infirmée en ce qu'elle a fait supporter les dépens à la SCI Mabouya, que de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya ;
- Déclare, en conséquence, recevable comme non prescrite l'action en garantie d'éviction formée par la SCI Mabouya à l'encontre de M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] ;
- Déclare par voie de conséquence recevables les appels en garantie subséquentes formées par M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] et par M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] ;
- Rejette les demandes formées par M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N], ainsi que M. [T] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] aux dépens de première instance relatifs à l'incident ;
et y ajoutant,
- Rejette les demandes formées par les parties en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M. [W] [N] et Mme [F] [C] épouse [N] aux dépens de l'instance d'appel relatifs à l'incident ;
- Renvoie les parties devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier pour la suite de la procédure.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE