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Décisions

CA Poitiers, ch. soc., 20 novembre 2025, n° 21/02515

POITIERS

Arrêt

Autre

CA Poitiers n° 21/02515

20 novembre 2025

ARRET N° 315

N° RG 21/02515

N° Portalis DBV5-V-B7F-GLC4

[P]

C/

[10]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2025

Décision déférée à la cour : jugement du 7 juillet 2021 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de TULLE.

APPELANT :

Monsieur [G] [P]

né le 22 août 1977 à [Localité 5]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Thibaud VIDAL de la SAS VIDAL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Christelle BRAULT, avocate au barreau de POITIERS.

INTIMÉE :

[10]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Dispensée de comparution par email en date du 2 janvier 2025.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 7 janvier 2025, en audience publique, devant :

Madame Ghislaine BALZANO, conseillère qui a présenté son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Françoise CARRACHA, présidente,

Madame Ghislaine BALZANO, conseillère,

Monsieur Nicolas DUCHATEL, conseiller.

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE ; lors de la mise à disposition au greffe : Stéphane BASQ.

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE.

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt, initialement prévu pour être rendu le 3 avril 2025, a été prorogé au 20 novembre 2025.

- Signé par Madame Françoise CARRACHA, présidente, et par Monsieur Stéphane BASQ, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [G] [P], infirmier libéral conventionné, a fait l'objet de la part des services de la [7], ci-après désignée la [10], d'un contrôle administratif de ses facturations portant sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 dont les résultats lui ont été notifiés le 12 septembre 2019.

Il a été entendu à sa demande le 23 septembre 2019 par M. [W] [V], en qualité d'enquêteur assermenté de la [10] agréé par le directeur général de la [6], lequel a dressé un procès-verbal d'audition.

Le 14 octobre 2019, la [10] a notifié à M. [P] un indu d'un montant de 9 006,93 euros.

M. [P] a contesté cette décision :

devant la commission de recours amiable, laquelle a rejeté son recours par décision du 3 juillet 2020 ;

par requête reçue au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle le 3 septembre 2020, lequel, par jugement rendu le 7 juillet 2021 :

a débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes ;

l'a condamné à rembourser à la [10] la somme de 9 006,93 euros au titre de l'existence d'un indu correspondant aux résultats d'un contrôle administratif de ses facturations sur la période du 1er janvier 2018 au 31décembre 2018 ;

a condamné M. [P] au paiement des dépens ;

a rejeté le surplus des demandes.

M. [P] a interjeté appel de cette décision, qui lui a été notifiée le 13 juillet 2021, par lettre recommandée avec avis de réception expédiée au greffe de la cour le 3 août 2021.

Les parties ont été convoquées à l'audience de la chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers du 3 septembre 2024, à laquelle elle a été renvoyée à l'audience du 7 janvier 2025.

A cette audience, M. [P], représenté par son conseil, s'en est remis oralement à ses conclusions reçues au greffe le 13 juin 2024, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, aux termes desquelles il demande à la cour :

In limine litis :

de juger, uniquement dans le cas où le juge judiciaire s'estimerait incompétent, que la solution du litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, à savoir l'appréciation de la légalité de l'agrément définitif en date du 12 décembre 2014 délivré à M. [V] ;

En conséquence :

de décider de la transmission au juge administratif d'une question préjudicielle relative à la légalité de cet agrément ;

de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge administratif ;

En tout état de cause,

de juger que la notification d'indu a été établie au terme d'une procédure irrégulière ;

de juger qu'elle est insuffisamment motivée ;

de juger que les griefs ne sont ni établis ni fondés ;

de juger que la [8] ne rapporte pas la preuve des paiements dont elle réclame la répétition ;

En conséquence,

d'infirmer et réformer le jugement de première instance ;

d'annuler la procédure de contrôle d'activité ;

d'annuler la notification d'indu litigieuse en date du 14 octobre 2019 par laquelle la [9] réclame à M. [P] la répétition de la somme de 9 006,93 euros ;

d'annuler la décision de la commission de recours amiable en date du 3 juillet 2020 rejetant la contestation de M. [P] et confirmant cet indu ;

de rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions de la [10] ;

de mettre à la charge de la [9] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à payer à M. [P] ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Dispensée de comparution, la [10] s'en est remise à ses conclusions reçues au greffe le 6 janvier 2025, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, aux termes desquelles elle demande à la cour :

de juger que les prestations dont la demande de remboursement est contestée par M. [P] concernent des sommes indûment perçues par lui pour des facturations de déplacements non dus, de majorations et d'actes non prescrits, d'actes non conformes à la [11], non conformes à la prescription, au-delà de la prescription, des non-respects de la règle de cumul des actes et de la falsification de prescription et des doubles-facturations ;

de juger que les facturations sont non conformes à la [11] ;

de juger que les facturations sont non conformes à la prescription ;

de juger que les facturations ont été faites au-delà de la prescription ;

de juger que les facturations de majorations et d'actes ont été effectuées sans prescription ;

de juger des non-respects de la règle de cumul des actes ;

de juger qu'une prescription a été falsifiée ;

de juger que des déplacements ont été facturés et remboursés alors qu'ils n'étaient pas dus ;

de juger de l'existence de doubles-facturations ;

Dès lors :

de juger que M. [P] a indument perçu la somme de 9 006,93 euros et de le condamner à rembourser cette somme à la caisse ;

de confirmer le jugement du tribunal judiciaire en date du 07 juillet 2021 ;

de débouter M. [P] de son recours et de le condamner aux dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la régularité du contrôle et les demandes subséquentes

Au soutien de ses demandes tendant à l'irrégularité du contrôle, M. [P] invoque notamment les dispositions de l'article 49 du code de procédure civile et il fait valoir :

que, sauf à ce que la cour constate l'irrégularité de l'agrément définitif de M. [V], agent ayant procédé au contrôle, la question de la régularité de cet agrément relève de la compétence du juge administratif puisqu'il s'agit d'une décision administrative ;

que si la [10] affirme que l'agent ayant procédé au contrôle disposait d'un agrément en date du 12 décembre 2014, elle ne verse aux débats qu'une publication mentionnant cet agrément au bulletin officiel en date du 15 novembre 2015 mais dans laquelle la décision d'agrément elle-même n'est pas reproduite ;

qu'il n'est en conséquence pas en mesure d'apprécier la régularité de cet acte au regard des dispositions des articles L.114-10 du code de la sécurité sociale et des articles 2 à 4 de l'arrêté du 5 mai 2014.

En réponse, la [10] fait valoir :

que le contrôle a été effectué par Mme [N] et Mme [H] qui sont des agents agréés et assermentés ;

que l'agrémentation et l'assermentation ne sont prévues que pour les contrôles conduisant à la réalisation de procès-verbaux de constatations ou d'audition, soit à des enquêtes de terrain, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il s'agit d'un contrôle de la bonne application de la réglementation issu de traitement automatisé de données ;

que M. [V] pouvait procéder à l'audition de M. [P] s'agissant d'un agent agrée et assermenté devant le tribunal d'instance de Tulle comme le démontrent sa carte d'identité professionnelle, le procès-verbal de son assermentation et la publication de son agrément au bulletin officiel du ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Sur ce, il résulte des dispositions de l'article 49 alinéa 2 du code de procédure civile que lorsque « la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ».

S'agissant du contrôle d'activité mené par un agent de l'assurance maladie, l'article L.114-10 alinéa 1er du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, prévoit que les « directeurs des organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ou du service des allocations et prestations mentionnées au présent code confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale ou par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations, le contrôle du respect des conditions de résidence et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Des praticiens conseils et auditeurs comptables peuvent, à ce titre, être assermentés et agréés dans des conditions définies par le même arrêté. Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire ».

Selon l'arrêté du 30 juillet 2004 fixant les conditions d'agrément des agents des organismes de sécurité sociale chargés du contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, tel que modifié par l'arrêté du 18 décembre 2006, la demande d'agrément comporte deux phases :

la demande d'autorisation provisoire d'exercer accompagnée d'un dossier administratif ;

la demande d'agrément définitif délivré lorsque la manière de servir des agents et leurs aptitudes professionnelles sont jugées satisfaisantes.

L'arrêté du 5 mai 2004 fixant les conditions d'agrément des agents et des praticiens conseils chargés du contrôle de l'application des législations de sécurité sociale prévoit par ailleurs que l'agrément définitif « est délivré et notifié par la ou les caisses nationales à l'agent ou au praticien conseil concerné et à son employeur ».

Lorsque le contrôle de tarification est diligenté à l'égard d'un professionnel de santé, l'obligation d'agrément et d'assermentation prescrite par ce texte ne s'applique aux agents qui procèdent, sur le fondement de l'article L.133-4 du code de la sécurité sociale, au contrôle de l'application des règles de tarification ou de facturation par un professionnel de santé que lorsqu'ils mettent en 'uvre des prérogatives de puissance publique. Tel est le cas notamment lorsqu'ils procèdent à une audition (2e Civ., 16 mars 2023, pourvoi n° 21-11.470).

En cas de contestation, il appartient au juge de rechercher si l'agent chargé du contrôle disposait bien de l'agrément et de l'assermentation prévue par l'article L.114-10 du code de la sécurité sociale (2e Civ., 12 mai 2021, pourvoi n° 20-11.941).

L'irrégularité ou l'omission de la formalité d'agrément ou d'assermentation prive les agents de leur pouvoir de contrôle et, dès lors, entraîne la nullité de tous les actes postérieurs qui en sont la conséquence (2e Civ., 7 septembre 2023, pourvoi n° 20-17433).

S'agissant de la charge de la preuve de l'habilitation de l'agent chargé du contrôle, « l'administration étant seule en mesure d'établir l'agrément et l'assermentation des agents qu'elle désigne pour effectuer les contrôles, il appartient au juge, si cette qualité ne ressort pas des éléments produits en défense, de mettre en 'uvre ses pouvoirs généraux d'instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction,

en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur » (CE, 17 novembre 2017, n° 400976).

En matière de procédure civile, si le juge peut toujours inviter une partie à fournir des éléments de nature à l'éclairer, il n'a pas pour autant à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve.

En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que les résultats du contrôle administratif diligenté par la [10] à l'égard de M. [P] lui ont été notifiés le 12 septembre 2019 et que celui-ci a été entendu, à sa demande, le 23 septembre 2019 par M. [W] [V].

En procédant à cette audition, dont il a dressé procès-verbal, cet agent a mis en 'uvre des prérogatives de puissance publique pour lesquelles il devait être régulièrement agréé et assermenté.

Or, et alors que M. [P] a, dès la première instance, reproché à la [10] de ne pas justifier de l'agrément et de l'assermentation des agents ayant procédé au contrôle, et a, en cause d'appel, de nouveau reproché à l'organisme d'assurance maladie de ne pas produire la décision d'agrément de M. [V], la [10] n'a pas jugé utile de produire cette pièce qu'elle seule peut verser aux débats et ce, pour des raisons qu'elle n'explicite pas.

La cour observe à cet égard que ni l'acte de publication de l'agrément de l'agent chargé du contrôle, ni la carte d'identité professionnelle de M. [V], selon lesquels l'agrément définitif lui a été délivré le 12 décembre 2014, ni le procès-verbal de serment qu'il a prêté devant la juridiction compétente ne permettent à M. [P], et par voie de conséquence à la cour, de vérifier que l'agrément définitif est régulier en la forme ou si sa régularité soulève une contestation sérieuse.

Dès lors, et dans la mesure où saisie d'une contestation quant à la régularité de cet agrément, la cour ne peut pas passer outre la négligence délibérée de la [10] dans la communication de cet acte pour considérer qu'il serait régulier, il apparaît que la question de la régularité de cet acte ne soulève pas de difficulté sérieuse en ce qu'il ne peut qu'être constaté que l'intimée ne rapporte pas la preuve de sa régularité.

En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de transmettre au juge administratif une question préjudicielle relative à la légalité de cet agrément, la décision déférée sera infirmée en toutes ses dispositions et :

d'une part, la procédure de contrôle d'activité de M. [P] et les actes subséquents seront annulés ;

d'autre part, la [10] sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

2- Sur les dépens et les demandes accessoires

La [10], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, de sorte que la décision déférée sera infirmée de ce chef.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [P] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l 'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Dit n'y avoir lieu de transmettre au juge administratif une question préjudicielle relative à la légalité de l'agrément définitif de M. [W] [V].

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

Annule la procédure de contrôle d'activité de M. [G] [P] et les actes subséquents.

Déboute la [10] de l'ensemble de ses demandes.

Y ajoutant :

Condamne la [10] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Condamne la [10] à payer à M. [G] [P] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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