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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 24 novembre 2025, n° 23/05722

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 23/05722

24 novembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 24 NOVEMBRE 2025

N° RG 23/05722 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NRYZ

S.A.S. AG JEAN [I]

c/

S.A.R.L. DOMFRANCE

S.E.L.A.R.L. [G] [P]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 juin 2023 (R.G. 20/04501) par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 19 décembre 2023

APPELANTE :

S.A.S. AG JEAN [I], immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le numéro 818 092 850, agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]

Représentée par Maître Stéphane GUITARD de la SELARL STEPHANE GUITARD, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. DOMFRANCE, immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le numéro 388 720 732, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

Représentée par Maître Stéphane MESURON de la SELARL CAPLAW, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

S.E.L.A.R.L. [G] [P], agissant es-qualité de mandataire judiciaire de la SARL DOMFRANCE, nommée à cette fonction selon jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 14 janvier 2025, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]

Représentée par Maître Stéphane MESURON de la SELARL CAPLAW, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 octobre 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérengère VALLEE, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

1. La SAS AG Jean [I] est propriétaire d'un ensemble immobilier situé à [Localité 11], [Adresse 13], figurant au cadastre section AI n°[Cadastre 5].

Par acte authentique du 04 septembre 2019, reçu par Maître [K] [Z], notaire à [Localité 14], la société AG Jean [I], bailleur, a consenti à la SARLU Domfrance, le preneur, un bail commercial portant sur un local situé dans le bâtiment A de l'ensemble immobilier précité, désigné dans ledit bail 'Lot 2", d'une superficie totale de 670 m² environ, dont 600 m² de surface de vente commerciale soumise à autorisation d'exploitation commerciale préalable, en vue d'y exploiter une activité de vente d'articles de literie, meubles meublants, linge de maison, articles de décoration sous l'enseigne Bordelaise de Literie.

Le bail a été conclu sous les deux conditions suspensives suivantes :

- l'obtention par le bailleur de l'autorisation administrative d'exploitation commerciale délivrée par la C.D.A.C (Commission départementale d'aménagement commercial). Cette condition a été stipulée dans le bail comme étant dans l'intéret exclusif du preneur, qui aura seul qualité à s'en prévaloir ou à y renoncer en cas de défaillance. Aucune échéance n'a été fixée pour l'accomplissement de cette condition.

- l'obtention par le preneur, dans un délai de 90 jours à compter du dépôt de la demande, de l'autorisation d'aménagement d'un [Localité 8] (établissement recevant du public) à déposer dans un délai de 30 jours à compter de la signature du bail.

La prise d'effet du bail a été fixée à la levée de la condition suspensive relative à l'obtention de l'autorisation d'aménagement d'un établissement recevant du public, et au plus tard 3 mois à compter de la signature de l'acte authentique.

Le bail a par ailleurs été conclu sous les conditions financières de versement par la société Domfrance, le jour de la signature du bail, d'un dépôt de garantie de 30 150 euros et d'un droit d'entrée de 72 000 euros TTC. Les chèques correspondant au paiement de ces sommes ont été remis par la société Domfrance à la société AG Jean [I] le jour de l'acte.

Le 12 décembre 2019, un état des lieux d'entrée contradictoire avec remise des clés des locaux a été réalisé par constat d'huissier.

Le 20 décembre 2019, la société AG Jean [I] a procédé à l'encaissement du chèque de 72 000 euros, lequel a été rejeté par la banque le 02 janvier 2020 pour défaut ou insuffisance de provision.

Par courrier du 20 janvier 2020, la société AG Jean [I] a mis en demeure la société Domfrance d'approvisionner ses comptes afin que le chèque rejeté soit honoré.

Considérant que la société AG Jean [I] avait commis divers manquement (manquement l'obligation de délivrance en raison d'une erreur dans le local livré qui se trouve dans le bâtiment C et non dans le bâtiment A, comportement de violence économique l'ayant contrainte à signer le bail commercial, non-réalisation des conditions suspensives lui incombant), la société Domfrance l'a mis en demeure le 29 janvier 2020 [I] de lui restituer les chèques remis lors de la signature et de lui rembourser l'ensemble des frais engagés supportés par ses soins, au motif que le bail commercial est nul et sans effet.

Aucun accord n'est intervenu entre les parties.

2. C'est dans ces conditions que par acte du 13 février 2020, la société Domfrance a fait assigner la société AG Jean [I] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d'annulation du bail commercial et de restitution des chèques. Pour sa part, la société AG Jean [I] a sollicité le rejet des demandes de la société Domfrance et la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 211.743,02 euros au titre des loyers, charges et droit d'entrée impayés.

Par ordonnance du 7 décembre 2020, le juge des référés a rejeté l'ensemble des demandes de la société Domfrance et de la société AG Jean [I], au motif qu'il existait une contestation sérieuse sur les termes et conditions du contrat de bail.

3. Par acte d'huissier de justice du 18 juin 2020, la société Domfrance a fait assigner la société AG Jean [I] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en annulation du bail commercial pour vice du consentement et restitution des chèques et des sommes versées.

4. Par jugement du 08 juin 2023, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- Prononcé la résilition du contrat de bail commercial signé par acte authentique le 04 septembre 2019 entre la SAS AG Jean [I], le bailleur, et la SARLU Domfrance le preneur, portant sur le local situé dans le bâtiment C de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 12], figurant au cadastre section AI N°[Cadastre 5],

- Débouté la SARLU Domfrance de ses demandes tendant à la nullite et à la caducite du bail commercial signé avec la SAS AG Jean [I] le 04 septembre 2019,

- Débouté la SAS AG Jean [I] de sa demande de résiliation judiciaire du bail commercial signé le 04 septembre 2019, aux torts exclusifs de la SARLU Domfrance,

- Condamné la SAS AG Jean [I] à restituer à la SARLU Domfrance, le chèque de 72 000 euros correspondant au droit d'entrée, ainsi que les sommes suivantes, avec intérêt légal à compter du présent jugement :

* la somme de 30 150 euros TTC percus au titre du dépôt de garantie

* la somme de 4 422 euros TTC au titre de la provision pour charge du 1er trimestre 2020

- Débouté la société Domfrance de ses autres chefs de demandes indemnitaires,

- Condamné la société Domfrance à payer à la société AG Jean [I] les sommes suivantes au titre de l'exécution du contrat de bail commercial jusqu'au quatrième trimestre 2020 inclus, soit jusqu'au 31 décembre 2020, avec intérêt légal à compter du présent jugement :

au titre des loyers correspondant a l'année 2020, sur lesquelles il conviendra de déduire la somme de 30 150 euros TTC déjà versée par la société Domfrance au titre du 1er trimestre 2020 les sommes de :

- 25 335,40 euros HT correspondant au 1er trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 2ème trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 3ème trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 4ème trimestre 2020

au titre du droit d'entrée calculé prorata temporis : 8 000 euros TTC, avec intérêt légal à compter du présent jugement

au titre du remboursement des frais d'huissier : la somme de 190,52 euros TTC

- Condamné la SAS AG Jean [I] à payer à la SARLU Domfrance la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la SAS AG Jean [I] aux entiers dépens,

- Débouté la SAS AG Jean [I] de sa demande à l'encontre de la SARLU Domfrance, de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens,

- Débouté la SAS AG Jean [I] de ses autres chefs de demandes indemnitaires,

- Dit qu'il n'y a pas lieu à ordonner l'exécution provisoire.

5. Par déclaration au greffe du 19 décembre 2023, la société AG Jean [I] a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Domfrance.

6. Par jugement du 14 janvier 2025, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Domfrance et désigné la Selarl [G] [P] en qualité de mandataire judiciaire.

Le 23 janvier 2025, la société AG Jean [I] a régulièrement déclaré sa créance.

Par acte de commissaire de justice du 05 mars 2025, la société AG Jean [I] a fait assigner en intervention forcée la Selarl [G] [P], en qualité de mandataire judiciaire de la société Domfrance.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

7. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 02 octobre 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société AG Jean [I] demande à la cour de :

Vu notamment le jugement dont appel, les articles 1103 et suivants du code civil, l'article L. 622-22 du code de commerce,

- Confirmer le jugement du 08 juin 2023 sur le prononcé de la résiliation du bail commercial signé par l'acte authentique du 04 septembre 2019 mais l'ordonner aux torts exclusifs de la société Domfrance,

- Réformer le jugement sur les condamnations prononcées sur la restitution du chèque de 72 000 euros et les sommes de 30 150 euros TTC et 4 422 euros TTC,

- Réformer le jugement sur les condamnations financières prononcées,

- Constater et fixer la créance de la société AG Jean [I] au passif du redressement judiciaire de la société Domfrance à la somme privilégiée de 211 743 euros,

- Condamner, constater et fixer la créance chirographaire de la société AG Jean [I] au passif du redressement judiciaire de la société Domfrance au montant de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre entiers dépens de première instance et d'appel.

8. Par dernières écritures notifiées par message électronique le 10 avril 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Domfrance et la Selarl [G] [P], ès-qualités, demandent à la cour de :

Vu les articles 548 et suivants du code de procédure civile,

Vu les articles 1304-5, 1229 alinéa 3 et 1230 du code civil,

- Déclarer la société AG Jean [I] recevable en son appel,

- Au fond, la débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- Déclarer la société Domfrance recevable et bien fondée en son appel incident,

A titre principal

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 08 juin 2023,

Statuant à nouveau,

- Prononcer la caducité du contrat de bail commercial reçu par acte authentique le 04 septembre 2019 entre la société AG Jean [I] et la société Domfrance, portant sur le local situé dans le bâtiment C de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 9] [Localité 2][Adresse 1], figurant au cadastre section AI N°[Cadastre 5],

- Condamner en conséquence la société AG Jean [I] à restituer le chèque de 72 000 euros au titre du droit d'entrée et à rembourser la somme de 30 150 euros au titre du dépôt de garantie outre 30 150 euros + 4 422 euros au titre du 1er trimestre de loyer et de charges payés d'avance, soit au total la somme de 64 722 euros augmentée des intérêts au taux légal depuis le 29 janvier 2020, date de la première mise en demeure,

A titre subsidiaire

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 08 juin 2023 en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat de bail commercial reçu par acte authentique le 04 septembre 2019 entre la société AG Jean [I] et la société Domfrance, portant sur le local situé dans le bâtiment C de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 10])[Adresse 1], figurant au cadastre section AI N°[Cadastre 5],

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 08 juin 2023 en ce qu'il a condamné la société AG Jean [I] à restituer à la société Domfrance, le chèque de 72 000 euros correspondant au droit d'entrée, ainsi que les sommes suivantes, avec intérêt légal à compter du jugement : la somme de 30 150 euros TTC perçue au titre du dépôt de garantie et la somme de 4 422 euros TTC au titre de la provision pour charge du 1er trimestre 2020, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Boreaux du 08 juin 2023 en ce qu'il a condamné la société Domfrance à payer à la société AG Jean [I] les sommes suivantes au titre de l'exécution du contrat de bail commercial jusqu'au quatrième trimestre 2020 inclus, soit jusqu'au 31 décembre 2020, avec intérêt légal à compter du jugement :

au titre des loyers correspondant à l'année 2020, sur lesquelles il conviendra de déduire la somme de 30 150 euros TTC déjà versée par la société Domfrance au titre du 1er trimestre 2020, les sommes de :

- 25 335,40 euros HT correspondant au 1er trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 2ème trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 3ème trimestre 2020

- 25 335,40 euros HT correspondant au 4ème trimestre 2020

au titre du droit d'entrée calculé prorata temporis : 8 000 euros TTC, avec intérêt légal à compter du présent jugement,

au titre du remboursement des frais d'huissier : la somme de 190,52 euros TTC

- Condamner la société AG Jean [I] au paiement d'une indemnité de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

9. L'ordonnance de clôture est intervenue le 06 octobre 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

10. La cour n'est plus saisie d'une demande en nullité du bail commercial pour vice du consentement. La société Domfrance maintient toutefois, par le biais d'un appel incident, sa demande de caducité du contrat qu'il convient donc d'examiner en premier lieu.

I- Sur la caducité du contrat

Moyens des parties

11. La société Domfrance critique le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la condition suspensive d'obtention par le bailleur de l'autorisation administrative d'exploitation commerciale était en réalité inutile puisque d'ores et déjà satisfaite dès le 28 janvier 2016, faisant valoir l'absence de production du certificat prescrit par l'article L. 752-23 du code de commerce.

S'agissant de la condition suspensive du preneur portant sur l'obtention d'une demande d'autorisation d'aménagement d'un [Localité 8] dans un délai de 90 jours à compter de son dépôt, elle se fonde sur l'article 1170 du code civil et considère que celle-ci est réputée non écrite, exposant à ce titre que cette obligation se rattache à l'obligation essentielle de délivrance conforme incombant à la société AG Jean [I], en qualité de bailleur, et qu'elle ne peut donc pas être mise à sa charge en qualité de locataire, ni faire l'objet d'aménagements conventionnels au risque de priver de sa substance l'obligation essentielle de délivrance sus-évoquée.

12. La société AG Jean [I] conclut au contraire à la confirmation du jugement sur ce point, faisant valoir, sur la réalisation de la condition suspensive lui incombant, liée à l'obtention de l'autorisation d'exploitation commerciale, que cette condition était déjà satisfaite puisque l'ensemble immobilier concerné bénéficiait déjà d'une autorisation transférable et divisible émanant d'une activité commerciale précédemment exploitée par la société Eurasie pour 1730 m² et que l'ouverture d'une activité différente, projetée par la société Domfrance, étant inférieure à 2000 m², ne nécessitait pas l'obtention d'une nouvelle autorisation.

Sur la condition suspensive d'obtention de l'autorisation d'aménagement d'un [Localité 8], elle maintient que cette condition incombe à la société Domfrance et que c'est à tort que cette dernière considère que cette condition incombe au bailleur au titre de son obligation de délivrance, exposant que l'obligation de délivrance de l'article 1719 du code civil n'est pas d'ordre public et que les parties peuvent y déroger et que tel est le cas dans le bail commercial litigieux. Elle ajoute que la société Domfrance n'ayant pas accompli les diligences contractuelles lui incombant, elle a empêché l'accomplissement de cette condition laquelle doit en conséquence être réputée accomplie.

Réponse de la cour

13. Aux termes de l'article 1102 du code civil, les parties à un contrat sont libres de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi, mais la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public.

Selon l'article 1103 du même code, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

14. En l'espèce, l'article 40 de l'acte authentique du 04 septembre 2019 prévoyait deux conditions suspensives :

- l'obtention par le bailleur pour le compte du preneur d'une autorisation d'exploitation commerciale délivrée par la C.D.A.C, purgée de tout recours, nécessaire à la création et l'exploitation d'un fonds de commerce d'une surface de vente de 600 m²,

- l'obtention par le preneur de l'autorisation d'aménagement d'un [Localité 8].

15. S'agissant de la condition suspensive d'obtention par le bailleur de l'autorisation administrative d'exploitation commerciale délivrée par la C.D.A.C, c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu que :

- la société AG Jean [I] justifie par la production de décisions émanant de la C.D.A.C de la Gironde que l'ensemble immobilier dont elle est propriétaire et dans lequel se situe le local litigieux, disposait d'ores et déjà d'une autorisation commerciale d'exploiter 1730 m² de surface de vente, précédemment destinée à l'exploitation d'un supermarché à l'enseigne Eurasie,

- qu'en vertu des dispositions de l'article L. 752-1 du code de commerce, le changement de secteur d'activité d'un commerce d'une surface de vente inférieure à 2000 m² n'est pas soumis à une autorisation d'exploitation commerciale, de sorte que sur les 1730 m² d'autorisation précitée, 600 m² pouvaient être affectés à l'exploitation de l'activité de la société Domfrance sans aucune nouvelle autorisation,

- que si l'acte authentique signé le 04 septembre 2019 ne comporte aucune indication sur l'existence de cette autorisation, il apparaît que la société Domfrance en avait été informée par courriel en date du 22 juillet 2019,

étant ajouté que contrairement à ce que prétend la société Domfrance, la condition suspensive prévue au contrat ne prévoit pas la délivrance du certificat visé par l'article L. 752-23 du code de commerce.

16. Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu'il a considéré que la condition suspensive incombant à la société AG Jean [I] avait été réalisée dans le délai de trois mois à compter de la signature de l'acte authentique.

17. S'agissant de la condition suspensive d'obtention par le preneur de l'autorisation d'aménagement d'un établissement recevant du public, c'est là encore par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a rappelé que si l'obligation de délivrance du bailleur, en ce qu'elle constitue une obligation essentielle, est considérée comme étant d'ordre public de sorte que les parties ne peuvent y déroger par convention, il est néanmoins admis en matière de bail commercial, que les autorisations prescrites par les autorités administratives puissent par stipulation expresse être mises à la charge du preneur.

18. C'est dès lors à bon droit que constatant que la société Domfrance s'était expressément engagée à réaliser la condition suspensive d'obtention de l'autorisation d'aménagement d'un ERP, le tribunal a retenu que dans le cadre du bail commercial litigieux, sa réalisation incombait, non pas à la société AG Jean [I] au titre de son obligation de délivrance, mais à la preneuse dont il était acquis qu'elle n'a accompli aucune diligence en ce sens, de sorte que la condition ayant été empêchée par la société Domfrance elle-même, elle est réputée accomplie en application des dispositions de l'article 1304 du code civil.

19. Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté la demande, formulée par la société Domfrance, de caducité du bail commercial, lequel est donc bien entré en vigueur à la date convenue par les parties.

II- Sur la résolution du bail

A- Sur les manquements des parties

20. La société AG Jean [I] fait valoir que si le tribunal a légitimement prononcé la résiliation du bail, celle-ci doit l'être expressément aux torts exclusifs du preneur du fait de son comportement et agissements.

21. Toutefois, force est de constater que l'appelante ne caractérise pas les agissements fautifs de la preneuse susceptibles d'entraîner la résiliation du bail à ses torts exclusifs, étant rappelé que la résolution du bail a été prononcée par le tribunal pour le motif, non critiqué en appel, du manquement grave de la société AG Jean [I] à son obligation de délivrance, celle-ci ayant mis à la disposition d'un tiers le local loué par la société Domfrance.

22. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution du bail à la date du 28 janvier 2021, date du constat par commissaire de justice de la mise à disposition du local au profit du tiers.

B- Sur les conséquences de la résolution du bail commercial

Moyens des parties

23. La société AG Jean [I] fait valoir qu'elle n'a jamais encaissé la somme de 30.150 euros remise par chèque par la société Domfrance au titre du dépôt de garantie, ni celle de 4.422 euros TTC au titre d'une provision sur charges, de sorte qu'elle ne saurait être condamnée à restituer lesdites sommes.

S'agissant du droit d'entrée de 72.000 euros, elle rappelle que le chèque afférent émis le 04 septembre 2019 n'a jamais pu être encaissé puisqu'il est revenu pour provision insuffisante et qu'il n'y a aucun intérêt juridique à la restitution d'un chèque qui n'est plus valable un an et 8 jours après son établissement.

Elle critique en outre la réduction opérée par le tribunal du droit d'entrée à une somme de 8.000 euros par un calcul prorata temporis, l'article 7 des conditions générales du bail prévoyant le versement par le preneur au bailleur au jour de la signature du bail, d'un droit d'entrée définitivement acquis à ce dernier d'un montant de 72.000 euros.

Elle estime enfin être débitrice de la somme de 139.550,40 euros au titre des loyers et charges impayés au jour du prononcé de la résilition judiciaire, outre de celle de 72.000 euros au titre du droit d'entrée, soit la somme de 211.743,04 euros correspondant à la créance qu'elle a déclarée. Elle conclut en conséquence à la réformation du jugement entrepris sur ce point et à la fixation de sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Domfrance à la somme privilégiée de 211.743,04 euros.

24. La société Domfrance sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas lieu de procéder à la restitution des sommes pour la période antérieure au 28 janvier 2021, faisant valoir que les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu qui n'a jamais été exécuté par le bailleur. Elle conclut au débouté du bailleur de ses demandes et à la condamnation de la société AG Jean [I] à lui restituer l'intégralité des sommes par elle reçues, soit 30.150 euros au titre du dépôt de garantie et 4.422 euros au titre du 1er trimestre de loyers et de charges payés d'avance.

Réponse de la cour

25. L'article 1229 du code civil dispose :

'La résolution met fin au contrat.

La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice.

Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.

Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.'

26. Le tribunal doit tout d'abord être approuvé en ce que, retenant que le bail commercial était entré en vigueur par la réalisation des conditions suspensives, de sorte que les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat de bail, jusqu'à la date de sa résiliation fixée au 28 janvier 2021, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu de procéder à la restitution des sommes pour la période antérieure.

27. En conséquence, c'est à bon droit que la société Domfrance a été condamnée à payer à la société AG Jean [I] les sommes dues au titre des loyers des quatre trimestres de l'année 2020.

28. La société AG Jean [I] ne démontrant pas plus en appel qu'en première instance la réalité des montants réclamés au titre des charges, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.

29. S'agissant de la somme de 30. 150 euros au titre du dépôt de garantie et de celle de 4.422 euros au titre d'une provision sur charges, la société Domfrance ne rapporte pas la preuve qui lui incombe en vertu de l'article 1353 du code civil de ce que ces sommes ont été dûment encaissées par la société AG Jean [I], qui le conteste.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la société AG Jean [I] à restituer lesdites sommes.

30. S'agissant enfin du droit d'entrée fixé contractuellement à la somme de 72.000 euros, c'est par une juste appréciation des faits de la cause que le premier juge a limité la somme due par la société Domfrance à 8.000 euros correspondant au droit d'entrée calculé prorata temporis sur une année, étant rappelé que le bail conclu le 04 septembre 2019 a été résilié judiciairement à la date du 28 janvier 2021 pour manquement grave du bailleur à ses obligations.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Il sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société AG Jean [I] à restituer à la société Domfrance le chèque non encaissé de 72.000 euros correspondant au droit d'entrée.

31. Enfin, le jugement n'est pas discuté en ce qu'il a condamné la société Domfrance à payer à la société AG Jean [I] la somme de 190,52 euros au titre du remboursement de la moitié des frais d'huissier d'état des lieux d'entrée conformément aux stipulations du bail commercial.

32. La société AG Jean [I], qui a régulièrement déclaré sa créance, est fondée à réclamer qu'en raison de la procédure de redressement judiciaire de la société Domfrance, les sommes mises à la charge de cette dernière soient inscrites au passif social de cette société.

III- Sur les dépens et les frais irrépétibles

33. Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

34. La société Domfrance, partie perdante en appel, en supportera les dépens. L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société AG Jean [I] à restituer à la société Domfrance la somme de 30.150 euros au titre du dépôt de garantie et celle de 4.422 euros au titre de la provision pour charges du 1er trimestre 2020 et en ce qu'il a dit qu'il convenait de déduire la somme précitée de 30.150 euros des loyers dus pour l'année 2020,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Déboute la société Domfrance de ses demandes de restitution des sommes de 30.150 euros au titre du dépôt de garantie et de 4.422 euros au titre de la provision pour charges du 1er trimestre 2020,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus sauf à préciser qu'en raison de la procédure de redressement judiciaire de la société Domfrance, les sommes de 101.341,60 euros au titre des loyers dus pour l'année 2020, 8.000 euros au titre du droit d'entrée calculé prorata temporis, 190,52 euros au titre du remboursement des frais d'huissier, seront inscrites au passif social de cette société,

Fixe les dépens d'appel au passif de la société Domfrance,

Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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