Cass. com., 26 novembre 2025, n° 24-17.990
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
VIGNEAU
Rapporteur :
Graff-Daudret
Avocat général :
Bonthoux
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 juin 2024), par un acte authentique du 14 janvier 2014, la société civile immobilière BCLP (la bailleresse) a donné à bail à la société Nouvelle Papeterie Camps (la société), devenue la société Coindor, des locaux commerciaux, pour un loyer annuel HT de 69 060 euros.
2. Par le même acte, Mme [X] s'est rendue caution solidaire des engagements de la société envers la bailleresse.
3. Par jugement du 7 mai 2019, la société Coindor a été mise en liquidation judiciaire.
4. Le 2 juin 2022, la bailleresse, se fondant sur l'acte de cautionnement, a pris une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur des biens immobiliers appartenant à la caution, dénoncée à Mme [X], le 8 juin 2022, en garantie de la somme de 152 964,38 euros.
5. Le 21 juin 2022, Mme [X] a assigné la bailleresse devant le juge de l'exécution, aux fins de voir ordonner la mainlevée de l'inscription de l'hypothèque judiciaire provisoire et la voir décharger de son engagement de caution.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La bailleresse fait grief à l'arrêt de déclarer le cautionnement souscrit par Mme [X] à son profit le 14 janvier 2014 manifestement disproportionné à ses biens et revenus, au regard de son patrimoine au jour de la conclusion du cautionnement et de dire, en conséquence, qu'elle ne peut se prévaloir du cautionnement et d'ordonner la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise le 2 juin 2022 au service de la publicité foncière, alors « que l'appréciation de la disproportion du cautionnement par rapport aux biens et revenus de la caution se fait au jour de la conclusion de l'acte ; que lorsque des cautionnements antérieurs viennent affecter les biens et revenus de la caution, l'extinction totale ou partielle de l'obligation principale garantie par ces cautionnements antérieurs doit être prise en compte pour apprécier l'étendue des biens et revenus de la caution et, partant apprécier la disproportion avec l'engagement de caution nouvellement souscrit ; que pour juger disproportionné l'engagement de la caution souscrit le 14 janvier 2014, la cour d'appel a retenu, comme venant grever l'étendue des biens et revenus de la caution, les obligations de couverture issues de cautionnements antérieurs, conclus en 2004, 2005 et 2008, au jour de leurs souscriptions respectives, sans tenir compte des remboursements total ou partiels de l'obligation principale intervenus dans l'intervalle, de sorte qu'elle n'a pas retenu l'étendue des obligations de couverture de chacune de ces obligations au jour de la conclusion du cautionnement litigieux ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié la disproportion invoquée au jour de la conclusion du cautionnement litigieux, a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa version applicable au jour de la souscription de l'acte. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, alors applicable :
7. Aux termes de ce texte, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
8. La disproportion de l'engagement de la caution, personne physique, telle que prévue par ce texte, doit être appréciée en prenant en considération l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution antérieurement souscrits, pour autant que ces cautionnements ne soient pas, en tout ou partie, éteints.
9. Le montant de ces engagements s'entend des sommes restant dues au titre de l'obligation principale qu'ils garantissent.
10. Pour dire le cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, l'arrêt énonce que l'appréciation de la disproportion manifeste s'apprécie en fonction des montants déjà garantis par la caution, au moment de la souscription du cautionnement litigieux, indépendamment des sommes pour lesquelles elle est, in fine, actionnée. Il en déduit qu'il est inopérant d'indiquer que la caution ne justifie pas avoir été actionnée dans la limite des cautionnements.
11. En statuant ainsi, alors que seul le montant des sommes restant dues au titre des concours garantis devait être pris en considération pour apprécier, à la date de l'engagement litigieux, le montant des engagements souscrits antérieurement par la caution, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juin 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne Mme [X], épouse [O], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [X], épouse [O], et la condamne à payer à la société BCLP la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le vingt-six novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.