Livv
Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. b, 25 novembre 2025, n° 25/04261

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 25/04261

25 novembre 2025

N° RG 25/04261 - N° Portalis DBVX-V-B7J-QMFB

N° RG 25/04830 - N° Portalis DBVX-V-B7J-QNB3

Décision du

Tribunal Judiciaire de LYON

Procédure accélérée au fond

du 12 mai 2025

RG : 25/02178

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 25 Novembre 2025

APPELANTE (RG 25/04261) ET INTIMEE (RG 25/04830) :

Mme [C] [Y]

née le 31 Janvier 1960 à [Localité 11]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant toque : 475

ayant pour avocats plaidants Me Valéry BRISSON et Anthony LATHUILLE-NICOLLET de la SELAS GRANT THORNTON SOCIETE D'AVOCATS AKILYS, avocats au barreau de LYON

INTIMEES (RG 25/04261) ET APPELANTES (RG 25/04830) :

La société CAB

[Adresse 1]

[Localité 5]

La société BIOGROUP RHONE-ALPES anciennement dénommée la société UNILIANS BIOGROUP

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentées par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, avocat posulant toque : 938

ayant pour avocat plaidant Me Adrienne DUCOS de la SAS SEGIF - d'ASTORG, FROVO ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,

INTIME (RG 25/04830) :

M. [L] [H]

né le 01 Avril 1977 à [Localité 10]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant toque : 475

ayant pour avocats plaidants Me Valéry BRISSON et Anthony LATHUILLE-NICOLLET de la SELAS GRANT THORNTON SOCIETE D'AVOCATS AKILYS, avocats au barreau de LYON

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 22 Septembre 2025

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Septembre 2025

Date de mise à disposition : 25 Novembre 2025

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Cab exerce une activité de laboratoire de biologie médicale et fait partie du réseau de laboratoires de biologie médicale Biogroup.

Le 31 juillet 2020, les associés biologistes de la société Dyomedea-Neolab, dont Mme [C] [Y] et M. [L] [H], ont cédé à la société Biogroup, par l'intermédiaire de sa filiale, la société Unilians, 49,02% du capital et des droits de vote et 73,55% des droits financiers.

À cette occasion, un pacte d'associés a été signé entre la société Unilians d'une part, M. [H] et Mme [Y] d'autre part, ces derniers poursuivant leur exercice et conservant une participation au sein de la société Dyomedea-Neolab à hauteur de 0,51% du capital et 0,34% des droits financiers pour Mme [Y] et 0,91% du capital et 0,575% des droits financiers pour M. [H].

Le pacte d'associés comporte une promesse d'achat des titres Dyomedea-Neolab, consentie par la société Unilians à M. [H] et Mme [Y]. Le prix des actions des associés ayant exercé la promesse d'achat (le prix d'exercice PA) est déterminable selon une formule définie à l'article 3.6.3 du pacte d'associés.

Le 1er juin 2021, une fusion a été opérée entre la société Unilians et la société Dyomedea-Neolab par absorption de la première par la seconde qui a pris la dénomination d'Unilians Biogroup puis, en 2025, de Biogroup Rhône-Alpes. Par l'effet de cette fusion, la société Cab, principale associée de la société Unilians absorbée, est devenue l'associée principale de la société Dyomedea-Neolab, désormais dénommée Biogroup Rhône-Alpes.

Dans le courant de l'année 2023, Mme [Y] et M. [H] ont notifié la résiliation de leur conventions d'exercice libéral avec la société Unilians Biogroup et ont levé leurs promesses d'achat.

Les parties n'étant pas parvenues à se mettre d'accord sur le prix d'exercice PA, Mme [Y] et M. [H] ont, par acte introductif d'instance du 11 février 2025, assigné la société Cab et la société Unilians Biogroup devant le président du tribunal judiciaire de Lyon statuant selon la procédure accélérée au fond pour voir ordonner une expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil afin de procéder à l'évaluation des titres qu'ils détiennent dans la société Unilians Biogroup.

Par jugement du 12 mai 2025, le président du tribunal judiciaire a principalement :

- déclaré la juridiction territorialement et matériellement compétente,

- rejeté les demandes de Mme [Y],

- ordonné une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et désigne pour y procéder la société Eight advisory France, avec pour mission de procéder à l'évaluation des titres de la société Unilians Biogroup détenus par M. [H] en faisant application de la formule contractuelle déterminée par les parties dans le pacte d'associés de la société et son annexe expertise du 31 juillet 2020,

- dit que les frais d'expertise seront partagés par moitié entre d'une part les sociétés Cab et Unilians Biogroup et d'autre part M. [H],

- condamné les sociétés Cab et Unilians Biogroup aux dépens,

- condamné la société Cab à payer à M. [H] la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par une déclaration du 26 mai 2025, Mme [Y] a relevé appel du jugement, intimant les sociétés Cab et Unilians Biogroup. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n° 25/4261.

Par une déclaration du 13 juin 2025 visant le chef de dispositif relatif à la compétence, les sociétés Cab et Unilians Biogroup ont relevé appel du jugement, intimant Mme [Y] et M. [H]. Elles ont été autorisées à assigner ces derniers à jour fixe à l'audience du 1er septembre 2025 reportée au 22 septembre 2025. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG n° 25/4830.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2025 dans la procédure RG n° 25/4830, la société Cab et la société Biogroup Rhône-Alpes, anciennement dénommée Unilians Biogroup (les sociétés), demandent à la cour de :

- juger qu'elles sont recevables en leurs demandes,

- juger que le président du tribunal judiciaire de Lyon est incompétent pour connaître du présent litige au profit du président du tribunal judiciaire de Colmar,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par la présidente du tribunal judiciaire de Lyon ce qu'elle s'est déclarée compétente pour trancher le litige,

- renvoyer l'affaire devant le président du tribunal judiciaire de Colmar,

- condamner Mme [Y] et M. [H] à leur payer, chacun, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 15 juillet 2025 dans la procédure RG n° 25/4830, Mme [Y] et M. [H] demandent à la cour de :

- juger que le président du tribunal judiciaire de Lyon est compétent pour connaître du présent litige,

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu par le président du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il s'est déclaré compétent pour trancher le litige,

- débouter les sociétés de l'ensemble de leurs demandes,

En tout état de cause,

- condamner solidairement les sociétés à verser à M. [H] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés à verser à Mme [Y] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les sociétés aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 15 juillet 2025 dans le cadre de la procédure RG n° 25/4261, Mme [Y] demande à la cour de :

- juger son appel recevable,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de désignation d'un expert sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil,

En conséquence,

- ordonner une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et désigner pour y procéder, la société Eight advisory France ou tout autre expert qu'il lui plaira, avec pour mission, connaissance prise de tous documents utiles qui lui seront transmis par les parties après les avoir convoquées ainsi que leurs conseils, de procéder à l'évaluation des titres de la société Unilians biogroup qu'elle détient, en faisant application de la formule contractuelle déterminée par les parties dans le pacte d'associés de la société et son annexe expertise du 31 juillet 2020,

- impartir à l'expert désigné un délai de deux mois à compter du prononcé du jugement pour déposer son rapport définitif, qui sera précédé d'un pré-rapport avec indication aux parties d'un délai pour formuler leurs observations, auxquelles il devra répondre,

- juger que les frais d'expertise seront partagés à parts égales entre les sociétés Cab et Unilians biogroup, d'une part, et elle, d'autre part,

En tout état de cause,

- condamner solidairement les sociétés Cab et Unilians biogroup à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les sociétés Cab et Unilians biogroup aux entiers dépens.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 15 septembre 2025 dans le cadre de la procédure RG n° 25/4261, les sociétés demandent à la cour de :

- juger que les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil ne sont pas remplies,

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de désignation d'un expert sur le fondement de cet article,

A titre subsidiaire,

- surseoir à statuer dans l'attente sur la question de la validité de la levée de la promesse d'achat de Mme [Y],

A titre infiniment subsidiaire,

- désigner M. [S] [X] pour procéder à la mesure d'expertise des titres de la société Biogroup Rhône-Alpes détenus par Mme [Y],

En tout état de cause,

- condamner Mme [Y] à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture du 15 septembre 2025 rendue dans l'instance RG n° 25/4830 a été révoquée par une ordonnance du même jour. La nouvelle clôture est intervenue le 22 septembre 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIVATION

1. Jonction

Il apparaît conforme à une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des procédures enregistrées au répertoire général sous les numéros RG n° 25/4261 et RG n° 25/4830.

2. Sur l'exception d'incompétence soulevée

Les sociétés font valoir essentiellement que :

- la clause attributive de juridiction du pacte d'associés est réputée non écrite en vertu de l'article 48 du code de procédure civile, faute pour les parties d'avoir contracté en qualité de commerçants ; elle est donc inopposable ;

- il est de jurisprudence constante que l'option de compétence prévue à l'alinéa 2 de l'article 42 du même code n'est offerte aux demandeurs qu'en cas de pluralité de défendeurs réels et sérieux ;

- en l'espèce, la seule partie défenderesse à la procédure à l'encontre de laquelle des demandes sérieuses sont formées par Mme [Y] et M. [H] est la société Cab qui a son siège social dans le ressort du tribunal judiciaire de Colmar ;

- seule la société Cab est partie au pacte d'associés et engagée aux termes de la promesse d'achat ;

- aucune demande n'est réellement formée à l'encontre de la société Unilians Biogroup dans l'acte introductif d'instance, à l'exception de demandes tenant aux frais d'expertise et aux dépens, alors qu'il est expressément prévu dans l'annexe expertise du pacte d'associés que les frais d'expertise « seront supportés par moitié par chacune des parties concernées », à savoir la société Cab d'une part, Mme [Y] et M. [H] d'autre part ;

- la résiliation des conventions d'exercice libéral conclues avec la société Unilians Biogroup est un événement extérieur, étranger à l'objet du litige et à la qualification de défendeur réel et sérieux de cette société ;

- la faculté de substitution prévue au pacte d'associés, qui n'a pas été exercée, ne saurait conférer à la société Biogroup Rhône-Alpes la qualité de partie au présent litige ni, par suite, de défendeur réel et sérieux;

- il importe peu que, dans une autre affaire concernant le même pacte d'associés, le président du tribunal judiciaire de Lyon se soit, par erreur, déclaré territorialement compétent.

Mme [Y] et M. [H] répliquent que :

- dans une autre affaire concernant le même pacte d'associés, les sociétés ont expressément soulevé l'incompétence du président du tribunal de commerce de Lyon au profit du président du tribunal judiciaire de Lyon, qui s'est déclaré compétent ;

- les sociétés tentent d'attraire les contentieux liés à l'exécution du pacte d'associés devant les juridictions de [Localité 9], espérant des décisions plus favorables, les conclusions de l'expert désigné dans les précédentes affaires leur étant défavorables ;

- en application de l'article 42 du code de procédure civile, ils disposaient de la faculté de choisir la juridiction compétente du lieu du siège social de la société Cab ou de la société Unilians Biogroup ;

- cette dernière est une partie réelle et sérieuse au litige ;

- elle est contractuellement concernée par la mise en 'uvre des promesses d'achat visées au pacte d'associés car l'élément déclencheur de la mise en 'uvre de ces promesses est la résiliation des conventions d'exercice libéral conclues avec elle ;

- le pacte prévoit que la société Cab a la faculté de se substituer à tout moment la société Unilians Biogroup pour l'exécution de la promesse d'achat ; elle est donc directement concernée par la procédure d'expertise.

Réponse de la cour

Selon l'article 48 du code de procédure civile, toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.

La clause d'attribution de compétence insérée dans le pacte d'associés est rédigée ainsi qu'il suit : « L'expert sera désigné par le président du tribunal de commerce de Lyon ».

Les parties s'entendent pour considérer que la désignation du président du tribunal de commerce est une erreur de rédaction, compte tenu de la compétence exclusive et d'ordre public du tribunal judiciaire résultant de l'article L. 721-5, alinéa 1er, du code de commerce.

Par ailleurs, aucune des parties n'ayant la qualité de commerçant, cette clause est réputée non écrite, de sorte que le premier juge a retenu à juste titre qu'il convient de faire application des dispositions de l'article 42 du code de procédure civile.

La faculté ouverte au demandeur, par l'alinéa 2 de cet article, s'il y a plusieurs défendeurs, de saisir à son choix la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux, ne peut être mise en oeuvre qu'autant qu'une action personnelle et directe est exercée contre le défendeur dont la demeure se trouve dans le ressort de la juridiction saisie (2e Civ., 3 avril 2025, pourvoi n° 23-14.336).

Il appartient aux juges du fond de rechercher, dès lors que ce point est discuté, si l'extension de compétence territoriale est justifiée par l'assignation d'un défendeur réel et sérieux.

En l'espèce, c'est vainement que les sociétés soutiennent qu'aucune demande n'est réellement formée dans l'acte introductif d'instance à l'encontre de la société Unilians Biogroup, devenue Biogroup Rhône-Alpes, et que celle-ci ne peut être qualifiée de défendeur réel et sérieux, alors que la mesure d'expertise sollicitée au contradictoire des sociétés Cab et Biogroup Rhône-Alpes a pour objet de procéder à l'évaluation des titres de la seconde détenus par Mme [Y] et M. [H].

En outre, il ne peut être soutenu que la résiliation des conventions d'exercice libéral conclues avec la société Unilians Biogroup est un événement étranger à l'objet du litige, alors que le motif de cette résiliation, s'agissant de Mme [Y], est discuté et que cette discussion est susceptible d'avoir une incidence sur l'issue du litige.

Force est de relever en outre, qu'à l'occasion d'une instance engagée par d'autres associés devant le tribunal de commerce de Lyon, les sociétés avaient soulevé l'incompétence de la juridiction commerciale et demandé, conformément à l'article 75 du code de procédure civile, que l'affaire soit portée devant le président du tribunal judiciaire de Lyon qu'elles estimaient donc nécessairement compétent.

Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la juridiction territorialement compétente.

3. Sur la demande d'expertise

Mme [Y] fait valoir essentiellement que :

- il ne relève pas de la compétence du président du tribunal judiciaire saisi en procédure accélérée au fond sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil d'apprécier la validité de la levée de la promesse d'achat ;

- conformément au pacte d'associés, elle a exercé sa promesse d'achat le 19 décembre 2023 après avoir notifié à la société Unilians Biogroup la résiliation de la convention d'exercice libéral ;

- les sociétés Cab et Unilians Biogroup n'ont jamais remis en cause sa levée de la promesse d'achat ;

- aux termes du pacte d'associés, le départ en retraite ne prévaut pas sur la faculté de démissionner ;

- elle a démissionné en raison d'une dégradation de ses conditions d'exercice professionnel et n'a pas fait valoir ses droits à la retraite ; à 64 ans, elle ne peut prétendre à une retraite à taux plein ; si elle a été radiée du tableau de l'ordre des pharmaciens, en l'absence d'exercice à un instant T, elle n'exclut pas de demander sa réinscription à tout moment ;

- sa demande d'expertise est justifiée par l'existence d'un différend entre les parties concernant le prix de cession des titres objet de la promesse d'achat.

Les sociétés répliquent essentiellement :

à titre principal, que :

- le président du tribunal judiciaire était compétent pour trancher la contestation relative à la validité de l'exercice de la promesse d'achat de Mme [Y], laquelle porte précisément sur les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil ;

- en effet, en l'absence de validité de la levée de la promesse d'achat, il n'y a aucune nécessité de procéder à l'évaluation des titres et les conditions d'application de l'article ne sont pas réunies ;

- Mme [Y] a résilié sa convention d'exercice libéral sans préciser s'il s'agissait d'une démission ou d'un départ à la retraite ; or, la cessation complète de son activité professionnelle à l'âge de 64 ans constitue à l'évidence un départ à la retraite ;

- par conséquent, en application des articles 1.1 et 3.6.2 du pacte d'associés, elle ne pouvait exercer sa promesse d'achat qu'à compter de la date à laquelle elle a cessé de faire partie des effectifs de la société Unilians Biogroup, soit le 30 juin 2024 ;

- par suite, sa levée d'option du 19 décembre 2023, exercée prématurément, est nulle et non avenue ;

- Mme [Y] a exercé sa promesse d'achat fin 2023 pour bénéficier des résultats exceptionnels de 2022 résultant de l'activité de dépistage du Covid-19, le prix d'exercice PA étant basé sur les résultats de l'exercice social clos avant la levée d'option ;

à titre subsidiaire, que :

- si la cour devait juger que le président du tribunal n'était pas compétent pour statuer sur la question de la validité de la levée de la promesse d'achat, elle ordonnerait le sursis à statuer dans l'attente d'une décision du juge du fond sur cette question ;

- en effet, en pareille hypothèse, il n'est pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice que l'expert soit désigné.

Réponse de la cour

L'alinéa 3 de l'article 3.6.2 du pacte d'associés, relatif aux conditions d'exercice de la promesse d'achat, stipule que « toute contestation par l'associé principal ou l'associé biologiste concerné du prix d'exercice PA sera tranchée par recours à l'expert dans les conditions prévues par l'annexe expertise ».

Cette annexe prévoit que « l'expert agira en qualité de mandataire commun des parties concernées conformément aux dispositions de l'article 1843-4 du code civil ».

L'article 1843-4 du code civil dispose :

I . ' Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

II. ' Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

En premier lieu, la décision par laquelle le président du tribunal, saisi en application de l'article 1843-4 du code civil, refuse de désigner un expert est susceptible d'appel (Com., 25 mai 2022, pourvoi n° 20-14.352).

En second lieu, le président du tribunal appelé à désigner un expert sur le fondement de ce texte doit vérifier que les conditions de sa saisine sont réunies. Lorsqu'il est saisi sur le fondement de la convention des parties, il doit s'assurer, d'une part, que la convention prévoit bien qu'un expert doit être désigné dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil, et d'autre part, que l'ensemble des conditions prévues par cette convention pour recourir à l'expert sont remplies.

En l'espèce, ainsi qu'il a été énoncé plus avant, le pacte d'associés prévoit bien la désignation d'un expert dans les conditions de l'article 1843-4 du code civil.

En outre, l'article 3.6.2 précité du pacte d'associés, relatif aux conditions d'exercice de la promesse d'achat, énonce, en ses aliénas 1er et 3, que « Chaque associé biologiste aura la faculté (et non l'obligation) de lever la promesse d'achat par l'envoi à l'associé principal d'une notification d'exercice signée par ce dernier (« la notification d'exercice PA »), soit (i) dans les quatre-vingt-dix (90) jours calendaires à compter de la date de départ non fautif et au plus tard le 31 décembre 2023, soit (ii) au cours du premier semestre des années 2024 à 2029 inclus, soit à compter du 1er janvier 2030. [...] Toute contestation par l'associé principal ou l'associé biologiste concerné du prix d'exercice PA sera tranchée par recours à l'expert dans les conditions prévues par l'annexe expertise ».

Il résulte de cet article que la désignation d'un expert suppose la levée de la promesse d'achat par l'associé biologiste dans les délais prévus à l'alinéa 1er et plus particulièrement, s'agissant de l'hypothèse (i), « dans les quatre-vingt-dix (90) jours calendaires à compter de la date de départ non fautif et au plus tard le 31 décembre 2023 », de sorte que c'est à juste titre que le président du tribunal s'est assuré que les modalités d'exercice de la promesse d'achat par Mme [Y] étaient conformes à ces dispositions.

Aux termes de l'article 1.1 du pacte d'associés, intitulé « Définitions », la « date de départ non fautif » désigne « la date à laquelle ledit départ est réputé être intervenu », soit notamment:

« (i) pour un départ ou une mise à la retraite, la date à laquelle l'associé biologiste concerné cesse de faire partie des effectifs (salariés ou non) de la société ou de toute filiale ;

[...]

(vi) en cas de démission [...] (à l'initiative de l'associé biologiste concerné), (a) à la date de la première présentation à la société ou à sa filiale concernée de la lettre de démission [...] ».

Mme [Y] a, par courrier recommandé du 13 décembre 2023 adressé à la société Unilians Biogroup, « notifi[é] la résiliation de la convention d'exercice libéral en date du 31 juillet 2020 [la liant à cette société] avec effet au 30 juin 2024, soit moyennant le respect du délai de prévenance contractuel d'au moins 6 mois et ce, conformément aux stipulations de l'article 3 de ladite convention ».

Elle a ensuite, par courrier du 19 décembre 2023, notifié à la société Cab, « en application de l'article 3.6 du pacte d'associés [...], la levée de la promesse d'achat consentie [...] audit article » et l'a invitée à lui « notifier, en retour, dans les dix (10) jours ouvrés de la présente,[...] le prix d'exercice PA aux fins de mise en 'uvre de l'acquisition promise de [s]es titres ».

Par un courrier du 14 mars 2024, la société Cab lui a notifié, « en application de l'article 3.6.2 du pacte d'associés [...] le prix d'exercice PA des 67'993 actions de préférence de catégorie 1 (ADP 1) et 107'672 actions de préférence de catégorie 2 (ADP 2) de la société Unilians Biogroup [...] objet de [sa] notification d'exercice PA », précisant que « par application des dispositions de l'article 3.6.3 du pacte, ce prix d'exercice PA s'établirait à 1'018'698 euros [...] ».

Il ressort de ces échanges que Mme [Y] n'a fait état à aucun moment d'un départ à la retraite, lequel ne peut se déduire ni de son âge à la date de résiliation de la convention d'exercice libéral, ni du fait qu'elle n'exerce pas d'activité professionnelle depuis cette date.

Par ailleurs, en notifiant à Mme [Y] un prix d'exercice PA en application de l'article 3.6.2 du pacte d'associés, la société Cab a nécessairement considéré que les conditions de levée de la promesse d'achat étaient réunies.

Il en résulte que c'est à tort que le premier juge a considéré qe Mme [Y] est partie à la retraite le 30 juin 2024, que la cessation effective de ses fonctions date de 2024 et qu'en conséquence, sa levée d'option est intervenue prématurément et se trouve dépourvue de tout effet en application de l'article 1.1 du pacte d'associés.

Les conditions prévues par le pacte d'associés pour recourir à l'expert étant réunies, la cour, par infirmation du jugement déféré, fait droit à la demande de Mme [Y] tendant à voir ordonner une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil.

Il convient de désigner en qualité d'expert la société Eight advisory France, déjà désignée pour procéder à l'évaluation des titres détenus par M. [H].

4. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est confirmé en ce qu'il condamne les sociétés aux dépens et à payer à M. [H] la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Par infirmation du jugement s'agissant des frais irrépétibles exposés par Mme [Y] en première instance, les sociétés sont condamnées à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, ajoutant au jugement, les sociétés, partie perdante en appel, sont condamnées aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] et M. [H] la somme de 2000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la jonction des procédures enregistrées au répertoire général sous les numéros RG n° 25/4261 et RG n° 25/4830,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il rejette les demandes de Mme [Y],

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Ordonne une mesure d'expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et désigne pour y procéder la société Eight advisory France, avec pour mission de procéder à l'évaluation des titres de la société Biogroup Rhône-Alpes (anciennement Unilians Biogroup) détenus par Mme [Y] en faisant application de la formule contractuelle déterminée par les parties dans le pacte d'associés signés entre cette dernière et la société Unilians et son annexe expertise du 31 juillet 2020,

Dit que les frais d'expertise seront partagés par moitié entre, d'une part, les sociétés Cab et Biogroup Rhône-Alpes et, d'autre part, Mme [Y],

Condamne in solidum les sociétés Cab et Biogroup Rhône-Alpes à payer à Mme [Y] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en première instance et en appel,

Condamne in solidum les sociétés Cab et Biogroup Rhône-Alpes à payer à M. [H] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'il a dû exposer en appel,

Condamne in solidum les sociétés Cab et Biogroup Rhône-Alpes aux dépens d'appel.

La greffière La présidente

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site