CA Rennes, 3e ch. com., 25 novembre 2025, n° 24/06802
RENNES
Arrêt
Autre
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N° 358
N° RG 24/06802 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VPLE
(Réf 1ère instance : 2023008327)
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 7]
C/
S.A. MONINVEST
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me SIROT
Me VERRANDO
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC [Localité 8]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Mme Constance DESMORAT, Conseiller,
GREFFIERS :
M. Sébastien TOULLEC, lors des débats, et Mme Frédérique HABARE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Octobre 2025
devant Mme Constance DESMORAT, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 7]
immatriculée au RCS d'[Localité 5] sous le numéro 786 148 791, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre SIROT de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
S.A. MONINVEST
immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n° 401 566 278, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
FAITS ET PROCEDURE
La société Moninvest est associée indéfiniment responsable de la société civile immobilière Breka dont elle détient 65% des parts sociales.
Suivant acte authentique en date du 2 septembre 2008, la société Breka a acquis des terrains à bâtir situés à [Localité 6].
L'achat a été financé par des emprunts, formalisés dans le même acte, contractés auprès de la société HSBC France, la Société Générale, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine et la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] (ci-après le Crédit Mutuel).
Cette dernière a ainsi prêté la somme de 350 000 euros remboursable en 144 mensualités au taux révisable de 5.25 % l'an.
Le 27 juillet 2011, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Moninvest et désigné la société [C] en qualité de mandataire judiciaire et M. [X] [O] en qualité d'administrateur. Le plan de continuation a été arrêté le 30 janvier 2013.
Par jugement du 24 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Breka et désigné la société [C], prise en la personne de M. [H] [C], en qualité de mandataire judiciaire.
Par lettre recommandée du 16 novembre 2017, le Crédit Mutuel a déclaré sa créance au passif de la société Breka pour la somme de 360 868.33 euros à titre hypothécaire.
Le 9 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné la liquidation judiciaire de la société Breka et désigné la société [C], prise en la personne de M. [H] [C], en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 9 novembre 2018, la créance du Crédit Mutuel a été admise au passif de la société Breka pour la somme de 360 838,33 euros à titre hypothécaire.
A la suite de la vente du bien immobilier dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, le Crédit Mutuel a reçu la somme de 162 957,15 euros puis la somme de 7 720.97 euros. Le solde de la créance a été déclaré irrécouvrable par la société [C], ès qualités.
Par lettre recommandée en date du 16 janvier 2020, le Crédit Mutuel a mis la société Moninvest en demeure de payer la somme de 146 928,90 euros correspondant à sa part du solde du montant de l'emprunt.
Par lettre du 14 mai 2020, la société Moninvest a décliné la mise en demeure du Crédit Mutuel en raison de la procédure de redressement judiciaire ouverte à son égard.
Par jugement du 8 août 2023, le tribunal de commerce de Nantes a constaté l'exécution du plan de continuation de la société Moninvest et mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire.
Par lettre du12 septembre 2023, le Crédit Mutuel a mis la société Moninvest en demeure de payer la somme de 132 079,18 euros
Le 12 octobre 2023, le Crédit Mutuel a assigné la société Moninvest devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins de condamnation au paiement de la somme de 127 734.67 euros avec intérêts conventionnels au taux de 2% l'an à compter du 29 décembre 2023 à titre principal.
Par jugement du 9 décembre 2024, le tribunal de commerce de Nantes a :
- Jugé le caractère inopposable à l'égard de la société Moninvest de la créance dont se prévaut la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7], compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la société Moninvest,
- Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et moyens,
- Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] aux entiers dépens dont frais de Greffe liquidés à 69.59 euros toutes taxes comprises.
Le 20 décembre 2024, le Crédit Mutuel a interjeté appel de ce jugement.
Les dernières conclusions de la société Moninvest sont en date du 13 juin 2025, celles du Crédit Mutuel en date du 16 septembre 2025.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Suivant ses dernières conclusions, le Crédit Mutuel demande à la cour de :
- Juger le Crédit Mutuel recevable et bien fondée en son appel formé à l'encontre du jugement rendue le 9 décembre 2024 par le tribunal de commerce de Nantes,
Y faisant droit :
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que le Crédit Mutuel justifie détenir à l'encontre de la société Moninvest une créance certaine, liquide et exigible, d'un montant de 127.734,67 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2% l'an, dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Moninvest de sa demande de condamnation de le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens,
- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a
- Jugé inopposable à l'égard de la société Moninvest la créance détenue à l'encontre de cette dernière par le Crédit Mutuel « compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Moninvest »,
- Débouté le Crédit Mutuel de sa demande de condamnation de la société Moninvest à lui régler la somme de 127.734,67 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2% l'an, dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Débouté le Crédit Mutuel de sa demande de condamnation de la société Moninvest à lui régler la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,
- Condamné le Crédit Mutuel aux entiers dépens de première instance.
Statuant de nouveau :
- Déclarer le Crédit Mutuel recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
Y faisant droit :
- Condamner la société Moninvest à régler au Crédit Mutuel la somme de 127.734,67 euros, outre intérêts conventionnels au taux de 2% l'an dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Juger mal fondée la société Moninvest en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- L'en débouter
- Condamner la société Moninvest à payer au Crédit Mutuel la somme de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Moninvest à payer au Crédit Mutuel la somme de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL RACINE, avocats aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Suivant ses dernières conclusions, la société Moninvest demande à la cour de:
- Recevoir la société Moninvest en ses écritures, les dire bien fondées et y faisant droit,
- Confirmer le jugement du 9 décembre 2024 rendu par le tribunal de commerce de Nantes dont appel, en ce qu'il a :
- Jugé le caractère inopposable à l'égard de la société Moninvest de la créance dont se prévaut le Crédit Mutuel, compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la société Moninvest,
- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et moyens,
- Condamné le Crédit Mutuel aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à 69,59 euros toutes taxes comprises.
Ce faisant :
- Rejeter les demandes formées par le Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest,
En tout état de cause :
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,
- Condamner le Crédit Mutuel au règlement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Moninvest,
- Condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens de première instance et d'appel en vertu de l'article 699 du code de procédure civile, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
1- Sur l'opposabilité de la créance
Le créancier de la personne morale détient à l'encontre des associés tenus indéfiniment au passif social à raison de leur part une créance éventuelle dont la mise en jeu est subordonnée à une préalable et vaine poursuite de la personne morale.
Article 1857 du code civil
A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
L'associé qui n'a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible.
Article 1858 du code civil
Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.
Article L.622-7 alinéa 1 du code de commerce
I. - Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires.
De même, il emporte, de plein droit, inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du code civil pendant la période d'observation et l'exécution du plan, sauf si le bien objet du gage est compris dans une cession d'activité décidée en application de l'article L. 626-1.
Il fait enfin obstacle à la conclusion et à la réalisation d'un pacte commissoire.
Le Crédit Mutuel fait valoir que le fait générateur de sa créance sur la société Moninvest est postérieur au jugement de redressement judiciaire de cette dernière de sorte qu'il ne lui était pas nécessaire de déclarer sa créance au passif de celle-ci.
La société Moninvest réplique que la créance du Crédit Mutuel est née du contrat de prêt conclu avec la société Breka, antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de sorte que la créance devait être déclarée.
Il y a lieu de préciser que les parties ne contestent pas que le Crédit Mutuel n'a pas déclaré sa créance au passif de la société Moninvest lors du placement en redressement judiciaire de cette dernière le 27 juillet 2011.
Le créancier d'une société civile immobilière détient à l'encontre des associés, tenus indéfiniment du passif social à raison de leur part, une créance éventuelle dont la mise en jeu est subordonnée à une préalable et vaine poursuite de la personne morale. Une créance née d'un contrat de prêt consenti à la société civile immobilière doit être déclarée au passif du redressement judiciaire des associés, peu important l'antériorité de l'ouverture de cette procédure collective par rapport à celle de la société civile immobilière.
La créance du Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest a pour origine le contrat de prêt conclu entre l'établissement bancaire et la société Breka le 2 septembre 2008.
Il en découle que le Crédit Mutuel devait déclarer sa créance au passif de la société Moninvest lorsque celle-ci a été placée en redressement judiciaire le 27 juillet 2011 ce qu'elle n'a pas fait.
La sanction de l'absence de déclaration d'une créance au passif du débiteur par le créancier est l'inopposabilité de la créance pendant l'exécution du plan et à l'issue de celui-ci lorsqu'il a été exécuté.
Article L.622-26 du code de commerce en vigueur du 14 mai 2009 au 17 février 2014
A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d'ouverture ou, pour les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 du code du travail, de l'expiration du délai pendant lequel les créances résultant du contrat de travail sont garanties par ces institutions. Pour les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié, il court à compter de la réception de l'avis qui leur est donné. Par exception, le délai est porté à un an pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité.
Le plan de continuation de la société Moninvest a été adopté le 30 janvier 2013 et considéré exécuté le 8 août 2023, la société Moninvest étant redevenue in bonis.
Il s'ensuit que la créance dont se prévaut le Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest est inopposable à cette dernière.
Le jugement sera confirmé.
3- Sur les frais et dépens
Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
Le Crédit Mutuel, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Crédit Mutuel sera également condamné à payer à la société Moninvest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement,
Y ajoutant
Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] aux dépens d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] à payer à la société anonyme Moninvest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes des parties.
Le Greffier, Le Président,
ARRÊT N° 358
N° RG 24/06802 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VPLE
(Réf 1ère instance : 2023008327)
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 7]
C/
S.A. MONINVEST
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me SIROT
Me VERRANDO
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à : TC [Localité 8]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller,
Assesseur : Mme Constance DESMORAT, Conseiller,
GREFFIERS :
M. Sébastien TOULLEC, lors des débats, et Mme Frédérique HABARE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Octobre 2025
devant Mme Constance DESMORAT, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Novembre 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 7]
immatriculée au RCS d'[Localité 5] sous le numéro 786 148 791, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Pierre SIROT de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
S.A. MONINVEST
immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n° 401 566 278, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
FAITS ET PROCEDURE
La société Moninvest est associée indéfiniment responsable de la société civile immobilière Breka dont elle détient 65% des parts sociales.
Suivant acte authentique en date du 2 septembre 2008, la société Breka a acquis des terrains à bâtir situés à [Localité 6].
L'achat a été financé par des emprunts, formalisés dans le même acte, contractés auprès de la société HSBC France, la Société Générale, la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Anjou et du Maine et la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] (ci-après le Crédit Mutuel).
Cette dernière a ainsi prêté la somme de 350 000 euros remboursable en 144 mensualités au taux révisable de 5.25 % l'an.
Le 27 juillet 2011, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Moninvest et désigné la société [C] en qualité de mandataire judiciaire et M. [X] [O] en qualité d'administrateur. Le plan de continuation a été arrêté le 30 janvier 2013.
Par jugement du 24 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Nantes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Breka et désigné la société [C], prise en la personne de M. [H] [C], en qualité de mandataire judiciaire.
Par lettre recommandée du 16 novembre 2017, le Crédit Mutuel a déclaré sa créance au passif de la société Breka pour la somme de 360 868.33 euros à titre hypothécaire.
Le 9 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné la liquidation judiciaire de la société Breka et désigné la société [C], prise en la personne de M. [H] [C], en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 9 novembre 2018, la créance du Crédit Mutuel a été admise au passif de la société Breka pour la somme de 360 838,33 euros à titre hypothécaire.
A la suite de la vente du bien immobilier dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, le Crédit Mutuel a reçu la somme de 162 957,15 euros puis la somme de 7 720.97 euros. Le solde de la créance a été déclaré irrécouvrable par la société [C], ès qualités.
Par lettre recommandée en date du 16 janvier 2020, le Crédit Mutuel a mis la société Moninvest en demeure de payer la somme de 146 928,90 euros correspondant à sa part du solde du montant de l'emprunt.
Par lettre du 14 mai 2020, la société Moninvest a décliné la mise en demeure du Crédit Mutuel en raison de la procédure de redressement judiciaire ouverte à son égard.
Par jugement du 8 août 2023, le tribunal de commerce de Nantes a constaté l'exécution du plan de continuation de la société Moninvest et mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire.
Par lettre du12 septembre 2023, le Crédit Mutuel a mis la société Moninvest en demeure de payer la somme de 132 079,18 euros
Le 12 octobre 2023, le Crédit Mutuel a assigné la société Moninvest devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins de condamnation au paiement de la somme de 127 734.67 euros avec intérêts conventionnels au taux de 2% l'an à compter du 29 décembre 2023 à titre principal.
Par jugement du 9 décembre 2024, le tribunal de commerce de Nantes a :
- Jugé le caractère inopposable à l'égard de la société Moninvest de la créance dont se prévaut la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7], compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la société Moninvest,
- Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et moyens,
- Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] aux entiers dépens dont frais de Greffe liquidés à 69.59 euros toutes taxes comprises.
Le 20 décembre 2024, le Crédit Mutuel a interjeté appel de ce jugement.
Les dernières conclusions de la société Moninvest sont en date du 13 juin 2025, celles du Crédit Mutuel en date du 16 septembre 2025.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Suivant ses dernières conclusions, le Crédit Mutuel demande à la cour de :
- Juger le Crédit Mutuel recevable et bien fondée en son appel formé à l'encontre du jugement rendue le 9 décembre 2024 par le tribunal de commerce de Nantes,
Y faisant droit :
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que le Crédit Mutuel justifie détenir à l'encontre de la société Moninvest une créance certaine, liquide et exigible, d'un montant de 127.734,67 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2% l'an, dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Moninvest de sa demande de condamnation de le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens,
- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a
- Jugé inopposable à l'égard de la société Moninvest la créance détenue à l'encontre de cette dernière par le Crédit Mutuel « compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Moninvest »,
- Débouté le Crédit Mutuel de sa demande de condamnation de la société Moninvest à lui régler la somme de 127.734,67 euros, outre intérêts au taux conventionnel de 2% l'an, dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Débouté le Crédit Mutuel de sa demande de condamnation de la société Moninvest à lui régler la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,
- Condamné le Crédit Mutuel aux entiers dépens de première instance.
Statuant de nouveau :
- Déclarer le Crédit Mutuel recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
Y faisant droit :
- Condamner la société Moninvest à régler au Crédit Mutuel la somme de 127.734,67 euros, outre intérêts conventionnels au taux de 2% l'an dus à compter du 29 décembre 2023 jusqu'à complet paiement,
- Juger mal fondée la société Moninvest en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- L'en débouter
- Condamner la société Moninvest à payer au Crédit Mutuel la somme de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Moninvest à payer au Crédit Mutuel la somme de 3.000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SELARL RACINE, avocats aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Suivant ses dernières conclusions, la société Moninvest demande à la cour de:
- Recevoir la société Moninvest en ses écritures, les dire bien fondées et y faisant droit,
- Confirmer le jugement du 9 décembre 2024 rendu par le tribunal de commerce de Nantes dont appel, en ce qu'il a :
- Jugé le caractère inopposable à l'égard de la société Moninvest de la créance dont se prévaut le Crédit Mutuel, compte-tenu de l'absence de toute déclaration de créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la société Moninvest,
- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes, fins et moyens,
- Condamné le Crédit Mutuel aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés à 69,59 euros toutes taxes comprises.
Ce faisant :
- Rejeter les demandes formées par le Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest,
En tout état de cause :
Et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,
- Condamner le Crédit Mutuel au règlement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Moninvest,
- Condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens de première instance et d'appel en vertu de l'article 699 du code de procédure civile, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
DISCUSSION
1- Sur l'opposabilité de la créance
Le créancier de la personne morale détient à l'encontre des associés tenus indéfiniment au passif social à raison de leur part une créance éventuelle dont la mise en jeu est subordonnée à une préalable et vaine poursuite de la personne morale.
Article 1857 du code civil
A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
L'associé qui n'a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible.
Article 1858 du code civil
Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.
Article L.622-7 alinéa 1 du code de commerce
I. - Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires.
De même, il emporte, de plein droit, inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du code civil pendant la période d'observation et l'exécution du plan, sauf si le bien objet du gage est compris dans une cession d'activité décidée en application de l'article L. 626-1.
Il fait enfin obstacle à la conclusion et à la réalisation d'un pacte commissoire.
Le Crédit Mutuel fait valoir que le fait générateur de sa créance sur la société Moninvest est postérieur au jugement de redressement judiciaire de cette dernière de sorte qu'il ne lui était pas nécessaire de déclarer sa créance au passif de celle-ci.
La société Moninvest réplique que la créance du Crédit Mutuel est née du contrat de prêt conclu avec la société Breka, antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de sorte que la créance devait être déclarée.
Il y a lieu de préciser que les parties ne contestent pas que le Crédit Mutuel n'a pas déclaré sa créance au passif de la société Moninvest lors du placement en redressement judiciaire de cette dernière le 27 juillet 2011.
Le créancier d'une société civile immobilière détient à l'encontre des associés, tenus indéfiniment du passif social à raison de leur part, une créance éventuelle dont la mise en jeu est subordonnée à une préalable et vaine poursuite de la personne morale. Une créance née d'un contrat de prêt consenti à la société civile immobilière doit être déclarée au passif du redressement judiciaire des associés, peu important l'antériorité de l'ouverture de cette procédure collective par rapport à celle de la société civile immobilière.
La créance du Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest a pour origine le contrat de prêt conclu entre l'établissement bancaire et la société Breka le 2 septembre 2008.
Il en découle que le Crédit Mutuel devait déclarer sa créance au passif de la société Moninvest lorsque celle-ci a été placée en redressement judiciaire le 27 juillet 2011 ce qu'elle n'a pas fait.
La sanction de l'absence de déclaration d'une créance au passif du débiteur par le créancier est l'inopposabilité de la créance pendant l'exécution du plan et à l'issue de celui-ci lorsqu'il a été exécuté.
Article L.622-26 du code de commerce en vigueur du 14 mai 2009 au 17 février 2014
A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d'ouverture ou, pour les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 du code du travail, de l'expiration du délai pendant lequel les créances résultant du contrat de travail sont garanties par ces institutions. Pour les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié, il court à compter de la réception de l'avis qui leur est donné. Par exception, le délai est porté à un an pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité.
Le plan de continuation de la société Moninvest a été adopté le 30 janvier 2013 et considéré exécuté le 8 août 2023, la société Moninvest étant redevenue in bonis.
Il s'ensuit que la créance dont se prévaut le Crédit Mutuel à l'encontre de la société Moninvest est inopposable à cette dernière.
Le jugement sera confirmé.
3- Sur les frais et dépens
Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
Le Crédit Mutuel, partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Crédit Mutuel sera également condamné à payer à la société Moninvest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement,
Y ajoutant
Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] aux dépens d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7] à payer à la société anonyme Moninvest la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les autres demandes des parties.
Le Greffier, Le Président,