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Décisions

CA Colmar, ch. 1 a, 19 novembre 2025, n° 23/03360

COLMAR

Arrêt

Autre

CA Colmar n° 23/03360

19 novembre 2025

MINUTE N° 467/25

Copie exécutoire à

- Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA

- Me Patricia CHEVALLIER -GASCHY

Le 19.11.2025

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 19 Novembre 2025

Numéro d'inscription au répertoire général : 1 A N° RG 23/03360 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IEXA

Décision déférée à la Cour : 21 Juillet 2023 par le Tribunal judiciaire de COLMAR - Chambre commerciale

APPELANT - INTIME INCIDEMMENT :

Monsieur [G] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me CREHANGE, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEES - APPELANTES INCIDEMMENT :

Société [11], société de droit italien

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 12]

[Localité 2] (ITALIE)

S.A.R.L. [7]

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentées par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me SCHUMACHER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Septembre 2025, en audience publique, un rapport de l'affaire ayant été présenté à l'audience, devant la Cour composée de :

M. WALGENWITZ, Président de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme RHODE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Mme Régine VELLAINE, cadre greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les assignations délivrées respectivement les 25 et 29 octobre 2012, par lesquelles M.'[G] [F] a fait citer la société de droit italien [11] et la SARL [7] devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance, devenu le 1er janvier 2020, par application de l'article 95 de la loi n°'2019-222 du 23 mars 2019 et de ses décrets d'application n°'2019-965 et 2019-966 du 18'septembre 2019, le tribunal judiciaire de Colmar, aux fins de les voir condamner in solidum à lui payer la somme de 222'438,35 euros au titre de la part variable de sa rémunération de gérant, la somme de 53'160,60 euros à titre de dommages et intérêts pour révocation de ses fonctions de gérant sans juste motif, la somme de 259'172 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de valeur des parts de la SARL [7], le tout augmenté des intérêts au taux légal à compter de l'assignation et avec capitalisation des intérêts, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution du jugement à intervenir par voie d'huissier, ainsi que des frais complémentaires liés à la passation de l'acte et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés par le décret n°'96-1080 du 12'décembre 1996, sans exclusion des droits de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier prévu à l'article 10 du décret, le tout sous bénéfice de l'exécution provisoire,

Vu les assignations en date des 10 et 21'décembre 2014, par lesquelles la société [11] a fait assigner la SARL [7] et M.'[G] [F] aux fins de voir prononcer la dissolution de la SARL [7], désigner M.'[J] [C] en qualité de liquidateur et condamner M.'[F] à supporter les entiers dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu la jonction des instances par ordonnance du juge de la mise en état en date du 19'novembre 2015,

Vu l'ordonnance rendue le 22'mai 2014, par laquelle le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales engagées par les parties,

Vu la reprise de l'instance par M.'[G] [F] le 26'juillet 2021,

Vu le jugement rendu le 21 juillet 2023 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance et qui a statué comme suit :

'DECLARE la demande de Monsieur [G] [F] au titre de la perte de valeur des parts sociales recevable ;

DEBOUTE Monsieur [G] [F] de l'intégralité de ses demandes ;

PRONONCE la dissolution anticipée de la SARL [7] ;

DESIGNE Monsieur [J] [C] en qualité de liquidateur de la SARL [7]; CONDAMNE Monsieur [G] [F] à supporter les entiers dépens ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Monsieur [G] [F] ;

CONDAMNE Monsieur [G] [F] à payer à la SARL [7] et la Société de droit italien [11] la somme de 4.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement.'

Vu l'appel interjeté par M. [G] [F] à l'encontre de ce jugement selon déclaration dématérialisée en date du 11'septembre 2023,

Vu la constitution d'intimées de la société [11] et de la SARL [7] en date du 16'février 2024,

Vu la décision du 3'juillet 2024, rejetant la demande de radiation du rôle de la présente affaire et disant que le sort des dépens de l'incident suivrait celui de la demande principale,

Vu les dernières conclusions en date du 9'décembre 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties et par lesquelles M.'[G] [F] demande à la cour de':

'Vu l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve et des obligations,

Vu l'article 1382 ancien du Code civil,

Vu l'article L223-22, L134-12 et L134-13 du Code du commerce,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces,

Statuant sur l'appel formé par Monsieur [G] [F] :

DIRE ET JUGER l'appel recevable et bien fondé,

INFIRMER le jugement rendu 21 juillet 2023 par le Tribunal judiciaire de COLMAR en ce qu'il :

- Déboute Monsieur [F] de l'intégralité de ses demandes ;

- Prononce la dissolution anticipée de la SARL [7] ;

- Désigne Monsieur [J] [C] en qualité de liquidateur de la SARL [7] ;

- Condamne Monsieur [F] à supporter les entiers dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

' sur la base d'un chiffre d'affaires de 3.562.407,93 euros :

CONDAMNER la société [11] à payer à Monsieur [G] [F] les sommes suivantes :

- 138.496,32 (cent trente-huit mille quatre cent quatre-vingt-seize virgule trente-deux) euros au titre de la part variable de sa rémunération de gérant,

- 53.160,60 (cinquante-trois mille cent soixante euros virgule soixante) euros d'indemnité à titre de dommages et intérêts pour la révocation de ses fonctions de gérant sans justes motifs,

- 783 107,00 (sept cent quatre-vingt-trois mille cent sept) euros au titre de dommages et intérêts pour la perte de valeur des parts de la société [8].

- 20.000,00 (vingt mille) euros au titre de dommages et intérêts résultant du préjudice moral subi par Monsieur [G] [F].

Statuant sur l'appel incident formé par la société [7] et la société [9]

DECLARER la société [7] et la société [9] mal fondées en appel incident,

En conséquence,

LE REJETER,

DEBOUTER la société [7] et la société [9] de leur appel incident et de l'ensemble de leurs demandes

REJETER la demande de condamnation de Monsieur [G] [F] au remboursement de la société [8] de la somme de 107.119 euros indûment prélevée sur ses comptes ;

En tout état de cause :

DIRE que ces sommes porteront intérêts au jour de la signification de la présente assignation, avec capitalisation des intérêts.

CONDAMNER [11] à la somme de 7.000 (sept mille) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER [11] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel'

et ce, en invoquant notamment':

- le refus de paiement de la part variable de sa rémunération, dans un contexte de fort accroissement de la valorisation de la filiale française de la société italienne [6], alors que cette dernière aurait validé le procès-verbal du 20 mars 2007 qui prévoit la rémunération et les commissions du concluant, bien que la société italienne ne l'ait pas signé, ce qui ne saurait pour autant invalider l'acte, étant donné la pratique établie entre les associés et l'exécution partielle de ce dernier,

- le rejet, par conséquent, de la demande reconventionnelle adverse de restitution de prélèvement indû, alors que la société [6] restait lui devoir d'importantes sommes,

- l'irrégularité de la révocation de ses fonctions de gérant, notamment en raison du non-respect de la procédure statutaire et notamment de la caducité de l'ordonnance du 17 janvier 2012 ayant désigné Me [Z] comme mandataire, à défaut de diligences dans le délai de sa désignation et du caractère abusif de la révocation qui est critiquée, au-delà du non-respect des règles statutaires, pour son absence de justes motifs,

- les préjudices subis en raison de ces violations, comprenant une perte de rémunération (notamment la part variable des commissions), un préjudice économique, moral et réputationnel lié à son éviction brutale, ainsi qu'une perte de la valeur de ses parts sociales dans la société [7] (devant être réparée sur la base de l'indemnisation d'un agent commercial en cas de rupture abusive des relations contractuelles), compte tenu de la dévalorisation de cette société [7], du fait des agissements reprochés à [9] au titre de ses obligations contractuelles et de bonne foi envers sa filiale française, notamment en prospectant directement des clients en France, la plaçant en difficulté pour exécuter ses propres obligations envers des tiers.

Vu les dernières conclusions en date du 8'août 2024, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties et par lesquelles la société [11] et la SARL [7] demandent à la cour de':

'Vu notamment les articles 4, 5, 31, 32, 463, 495 et 496 du Code de procédure civile, les articles 1315 et 1382 anciens du Code civil, l'article 1844-7, 5° du Code civil et les articles L. 223-21, L. 223-25, L. 223-29 et L. 237-1 du Code de commerce,

(...)

' Statuant sur I'appel formé par Monsieur [G] [F] à l'encontre du jugement rendu le 21 juillet 2023 par la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de Colmar,

- DEBOUTER Monsieur [G] [F] de son appel principal et de l'ensemble de ses demandes;

- CONFIRMER le jugement de la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de Colmar sauf en ce qu'il a':

o DECLARE la demande de Monsieur [G] [F] au titre de la perte de valeur des parts sociales recevable ;

- DECLARER recevables et bien fondées la société [7] SARL et la société [10]. en leur appel incident,

Y faisant droit,

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a :

o DECLARE recevable la demande de Monsieur [G] [F] au titre de la perte de valeur des parts sociales recevables'[sic]';

Statuant à nouveau du chef infirmé,

- DECLARER irrecevable la demande de Monsieur [G] [F] de condamner la société [10]. au paiement de la somme de 783.107 euros à titre de dommages et intérêts pour prétendue perte de valeur des parts de la société [8], pour défaut de qualité à agir ;

- Subsidiairement, CONFIRMER le jugement en ce qu'il l'a débouté du chef de cette demande de condamnation.

Subsidiairement, si la Cour devait faire droit à l'appel principal de Monsieur [G] [F] et entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société [10].

- ORDONNER la compensation des sommes qui seraient allouées à Monsieur [G] [F] au titre de la part variable de sa rémunération avec la somme de 107.219 euros indûment prélevée sur les comptes de la société [7] SARL';

' Constatant que le jugement n'a pas statué sur la demande de remboursement reconventionnelle de la société [7] SARL et de la société [10].

Réparant l'omission de statuer,

- CONDAMNER Monsieur [G] [F] au remboursement à la société [8] de la somme de 107.219 euros indûment prélevée sur ses comptes,

Par conséquent,

- COMPLETER le dispositif du jugement et ordonner qu'il sera fait mention de cet ajout en marge de la minute du jugement rendu le 21 juillet 2023 et des expéditions qui en seront délivrées';

En tout état de cause,

- DEBOUTER Monsieur [F] de l'ensemble de ses fins et conclusions,

- CONDAMNER Monsieur [G] [F] au paiement de la somme de 15.000 euros à la société [8] et la société [10]. chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- CONDAMNER Monsieur [G] [F] au paiement à la société [8] et la société [10]. aux entiers dépens de première instance et d'appel'

et ce, en invoquant notamment':

- l'absence de droit de l'appelant à percevoir une part variable de rémunération, car la résolution invoquée du 20 mars 2007 n'aurait jamais été valablement adoptée, à défaut d'avoir été votée par la majorité requise et en l'absence du représentant de [9], rendant la résolution nulle, sans que des décisions ultérieures n'aient jamais entériné un droit à commission qu'il n'appartient pas subsidiairement à la cour de fixer en se substituant indûment aux organes sociaux compétents,

- à titre plus subsidiaire, le caractère infondé, biaisé et arbitraire des montants réclamés à ce titre par M.'[F], reposant sur des éléments de chiffre d'affaires fantaisistes et contradictoires, avancés par l'appelant sans preuve suffisante, les pièces produites (tableaux non corroborés) étant établies par l'appelant lui-même et leur contenu aléatoire,

- plus subsidiairement encore, l'absence de responsabilité de la société [9] dans le défaut de paiement de commissions auxquelles M.'[F] n'avait pas droit et l'absence de manquement de cette société à ses obligations contractuelles envers [7], dès lors qu'elle aurait versé les sommes prévues et même apporté un soutien financier supplémentaire à [7], sans, qu'en outre, aucun lien de causalité ne soit démontré avec un préjudice allégué au titre du droit à rémunération variable,

- la régularité de la révocation de M.'[F], prononcée dans le respect des formes statutaires et notamment dans le cadre de la mission régulière de Me [Z] en tant que mandataire et non brutalement, à la suite d'une gestion défaillante, de prélèvements injustifiés dans les comptes de la société et de comportements contraires à l'intérêt social et les justes motifs étant établis,

- subsidiairement, l'absence de démonstration par M.'[F] d'un préjudice, en particulier de réputation, lié à une révocation dont le caractère brutal est contesté, la société [7] n'ayant fait que l'usage de ses droits, y compris sur le terrain pénal, sans en abuser et l'absence, en tout état de cause, de démonstration du quantum de ce préjudice, dont l'indemnisation serait, en outre, sollicitée deux fois,

- en tout état de cause, l'absence de faute imputable à la société [9] au titre de cette révocation,

- l'irrecevabilité de la demande indemnitaire de M.'[F] au titre de la perte de valeur des parts sociales, faute de préjudice personnel distinct du préjudice social qui aurait été subi par [7] et sans pouvoir se prévaloir, à la place de cette dernière, du statut d'agent commercial, par ailleurs contesté, de [9],

- en tout état de cause, l'absence de préjudice justifié à ce titre,

- l'existence fondant leur demande reconventionnelle, sur laquelle le tribunal aurait omis de statuer, de prélèvements injustifiés de l'appelant, pour lesquels les intimées demandent sa condamnation au remboursement de la somme de 107'219 euros.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 23'avril 2025,

Vu les débats à l'audience du 22 septembre 2025,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur le droit de M.'[F] à rémunération variable :

En application des dispositions de l'article L.'223-18 du code de commerce, la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est fixée soit par les statuts, soit par décision des associés (voir Com., 25'septembre 2012, pourvoi n° 11-22.754).

En l'espèce, M.'[F] soutient qu'en vertu d'un procès-verbal d'assemblée générale ordinaire du 20'mars 2007, il s'est vu octroyer, en sus de sa rémunération fixe, une part variable calculée en pourcentage du chiffre d'affaires de la SARL [7], reprochant à la société italienne [6], associée majoritaire, d'avoir refusé de lui verser cette part, alors même que la société [7] avait connu une forte progression de son activité.

Or, le procès-verbal d'assemblée générale ordinaire du 20 mars 2007, produit par l'appelant, n'est ni signé par l'associé majoritaire, ni enregistré, ni visé par l'expert-comptable chargé des registres et il résulte des pièces produites par la société [11] que le représentant de cette société, associée majoritaire de la SARL [7], M. [J] [C], se trouvait à cette date en Italie, de sorte qu'il ne pouvait matériellement avoir participé à ladite réunion, de sorte qu'en tout état de cause, la majorité requise pour l'adoption de la résolution relative à la rémunération de M.'[F], qui n'a lui-même pas participé au vote, n'était pas atteinte.

En conséquence, ce document ne peut être regardé comme la source d'une décision sociale régulière, fondant un droit au bénéfice de M.'[F].

En outre, aucune assemblée ultérieure n'a validé ou confirmé le principe d'une part variable de rémunération, les procès-verbaux de 2009 et 2010, non utilement contestés par M.'[F], n'ayant porté que sur une augmentation de la part fixe et le remboursement de frais 'sur justificatif.'

La seule circonstance que M. [F] ait intégré dans la comptabilité sociale certaines sommes sous la rubrique 'commissions' ne saurait suffire à établir l'existence d'un droit à part variable, ces montants n'ayant d'ailleurs pas été déclarés comme éléments de salaire, ni inscrits sur les bulletins de paie.

Enfin, si la chambre des appels correctionnels de céans, par arrêt du 2 décembre 2020, a relaxé M.'[F] des fins de la poursuite pénale du chef d'abus de biens sociaux, cette décision ne saurait pour autant conférer à l'appelant un droit à rémunération qui n'aurait jamais été décidé par les associés, d'autant que l'arrêt précise que le droit à commission est litigieux, tout en renvoyant à la juridiction commerciale, saisie en l'espèce, le soin de trancher ce point.

Il s'ensuit'que M. [F] ne justifie d'aucun fondement contractuel, ou social, à la perception d'une part variable de rémunération.

Le jugement entrepris sera ainsi confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre.

Sur la révocation de M.'[F] de ses fonctions de gérant :

M. [G] [F] soutient que la décision des associés de la société [7], en date du 16 mai 2012, ayant mis fin à ses fonctions de gérant, est irrégulière et dépourvue de juste motif.

Il fait valoir que l'assemblée générale aurait été convoquée par un administrateur judiciaire dont la mission était caduque et qu'il n'a pas été mis en mesure de se défendre utilement. Il ajoute que les motifs invoqués, relatifs à sa gestion et à des prélèvements sur les comptes de la société, seraient infondés et démentis par sa relaxe pénale intervenue en 2020.

Les sociétés intimées répondent que la convocation de l'assemblée a été effectuée par Maître [Z], administrateur judiciaire, dont la mission avait été régulièrement prorogée par ordonnance du 28 mars 2012, de sorte que la réunion du 16 mai 2012 a eu lieu dans des conditions régulières.

Elles ajoutent que M. [F] connaissait depuis plus d'un an les griefs formulés à son encontre : baisse du chiffre d'affaires, désaccords répétés avec l'associé majoritaire, soupçons de prélèvements injustifiés et retards comptables.

Elles estiment enfin que la perte de confiance de l'associé majoritaire, résultant de ces éléments, justifiait pleinement la révocation.

Si comme il vient d'être rappelé, M. [F] invoque la caducité de l'ordonnance initiale ayant désigné Me [Z] qui aurait été automatiquement dessaisi de sa mission en ne convoquant pas les associés dans le délai de deux mois qui lui était imparti, la cour observe que, comme l'ont justement retenu les premiers juges, Me [Z] avait bien été désigné par ordonnance du 17'janvier 2012 pour convoquer une assemblée générale et que sa mission a été prorogée le 28 mars 2012 pour une nouvelle durée de deux mois, sans que la régularité de la saisine du juge n'ait été utilement invoquée dans ce cadre, l'ordonnance du 28'mars 2012 n'ayant fait l'objet d'aucun recours en rétractation. L'assemblée s'étant tenue le 16 mai 2012, la prorogation couvrait encore cette date. Aucune irrégularité n'est donc caractérisée dans la convocation ou la tenue de l'assemblée.

Il ressort également des échanges antérieurs à cette assemblée que M. [F] avait connaissance des griefs qui lui étaient reprochés dès le premier semestre 2011. Il a été destinataire de plusieurs courriels de la société [11] l'avertissant d'anomalies de gestion, d'une mise en cause du chiffre d'affaires et de restrictions sur ses pouvoirs.

Il ne peut dès lors soutenir qu'il a été privé d'un débat contradictoire ou surpris par la décision de révocation.

Sur le fond, les éléments comptables versés aux débats, confortés par les éléments issus de la procédure pénale, tels qu'ils sont également rappelés dans l'arrêt correctionnel précité, établissent que M. [F], contrairement à ses dénégations, faisait fonctionner un compte courant d'associé débiteur, sur lequel ont été enregistrés des prélèvements personnels non justifiés. Ces montants, dont la matérialité établie n'est pas formellement contestée, n'ont donné lieu à aucune validation par les associés, ni à présentation de justificatifs.

Le défaut de rigueur dans la tenue de la comptabilité et l'absence de production régulière des pièces à l'expert-comptable sont également établis, la relaxe prononcée ultérieurement par la juridiction répressive n'étant pas de nature à remettre en cause l'existence d'une gestion fautive, alors qu'il a seulement été jugé par la juridiction pénale que les éléments constitutifs de l'infraction d'abus de biens sociaux n'étaient pas réunis.

D'ailleurs, si M.'[F] entend soutenir que 'c'est la société [9] qui reste à ce jour, redevable de sommes importantes à l'égard de Monsieur [F] aux termes de la part variable de sa rémunération', cette argumentation apparaît inopérante au regard des conclusions auxquelles la cour est parvenue quant à la question de la rémunération variable.

Ces faits caractérisent un manquement aux obligations du gérant et une perte de confiance durable de l'associé majoritaire justifiant la révocation.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de M.'[G] [F] en dommages et intérêts pour révocation sans juste motif.

Sur la demande indemnitaire formée par M.'[F] pour perte de valeur de ses parts sociales de la société [7] :

Les sociétés [7] et [11] entendent, au préalable, soutenir que la demande formée par M. [G] [F], en réparation de la perte de valeur de ses parts sociales serait irrecevable, le préjudice invoqué n'étant pas personnel mais social, en faisant valoir qu'une telle perte ne pourrait être réparée qu'au bénéfice de la société, seule titulaire du droit d'agir lorsque son actif est affecté.

M. [F] réplique que la société mère [11], tiers au contrat social, a manqué à ses obligations contractuelles et délictuelles envers la société [7], en privant la filiale française d'une partie de ses activités et en ne lui apportant pas le soutien commercial prévu.

Il en déduit un préjudice personnel, tenant à la perte de valeur de ses parts sociales, dont il demande réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, en référence à la jurisprudence dite Bootshop de la Cour de cassation (arrêt d'Assemblée plénière du 6'octobre 2006, sur pourvoi n°'05-13.255, confirmé dans son principe par l'arrêt d'Assemblée plénière, sur pourvoi n°'17.19-963, du 13 janvier 2020).

Encore faut-il que le préjudice en lien avec la faute contractuelle invoquée lui ait causé un préjudice, distinct de celui supposément causé à l'actif de la société.

Or, en l'espèce, le préjudice invoqué correspond à la diminution de la valeur du patrimoine social de la société [7].

Un tel dommage, qui résulte d'une atteinte à l'actif social, n'est pas distinct de celui subi par la société elle-même, comme cela a été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt invoqué par l'appelant (Com., 19'avril 2005, pourvoi n°'02-10.256) et rappelé depuis lors, notamment, mutatis mutandis, dans le cadre d'une procédure collective, la Cour ayant jugé que la perte de valeur des actions ou parts ne constitue pas un dommage personnel distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition de ce patrimoine (Com., 28'janvier 2014, pourvoi n° 12-27.901, Bull. 2014, IV, n° 22). Plus récemment, il a encore été jugé que la recevabilité de l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social (Com., 4 novembre 2021, pourvoi n° 19-12.342, publié).

M. [F] ne justifie, ni n'allègue d'aucun préjudice distinct, puisqu'il invoque seulement une perte de valeur de ses parts sociales correspondant à une dévalorisation de l'actif social, les pièces produites se bornant à faire état de résultats déficitaires et d'une baisse d'activité, sans démontrer une faute spécifique de la société [11] détachable de sa qualité d'associée ou un acte délibérément dirigé contre lui.

Il ne peut dès lors agir à titre personnel pour obtenir réparation d'une perte de valeur touchant les parts sociales de la société.

La demande est donc irrecevable.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a jugé cette demande recevable et en a débouté M.'[F].

Sur la demande indemnitaire de M.'[F] au titre du préjudice moral :

Aucun préjudice n'apparaît caractérisé de ce chef, eu égard aux éléments de la cause et aux conclusions auxquelles est parvenue la cour au titre de l'examen des précédents chefs de demande.

Le jugement entrepris sera donc également confirmé à ce titre.

Sur la demande formée par la société [7] envers M.'[F] au titre des sommes prélevées sur ses comptes :

La lecture du jugement du 21 juillet 2023 révèle que la demande de remboursement de 107 219 euros figure expressément dans les dernières conclusions déposées par les sociétés intimées devant le tribunal et qu'elle est mentionnée dans l'exposé du litige, mais qu'aucune réponse n'y ait explicitement apportée dans les motifs de la décision, dont le dispositif n'accueille, ni ne déboute la société [7] de ce chef.

Ce chef de demande n'a donc fait l'objet ni d'un examen, ni d'un rejet exprès ou implicite.

Il y a dès lors eu omission de statuer au sens de l'article 463 du code de procédure civile.

Sur le fond, il ressort des éléments versés aux débats, et en particulier de la comptabilité annuelle de la société [7], que sont comptabilisées dans un compte n° 425102 intitulé 'Avances frais [F]' des sommes dont le montant a atteint en janvier 2012, 94'110 euros, comme l'avait relevé le juge pénal, pour s'élever à la clôture de l'exercice comptable 2015 à un montant de 107'219 euros.

M.'[F], sans contester le chiffrage des parties intimées mais uniquement le principe de la créance, se borne à soutenir que 'Dans leurs dernières conclusions, les sociétés [7] et [9] évoquent le fait que le Tribunal judiciaire de COLMAR n'aurait pas statué sur le remboursement de la somme de 107.219 euros soi-disant prélevés par Monsieur [G] [F].

Le Tribunal judiciaire de COLMAR, dans son jugement du 21 juillet 2023 n'évoque pas directement le caractère litigieux de cette somme, mais fait simplement référence à la position des juges saisis dans le cadre de la procédure correctionnelle.

En tout état de cause, la part variable de la rémunération de Monsieur [G] [F] était due en raison de la validité des procès-verbaux et ne peut pas être considérée comme litigieuse. Il est donc demandé à la Cour d'appel de rejeter la demande formulée par la société [7] et [9] en ce qu'elle condamne Monsieur [G] [F] à rembourser la somme de 107.2019 [sic] euros qu'il aurait prétendument indûment prélevée.'

Aucun élément, en l'absence de droit à commission établi, ne permet d'établir que ces sommes auraient été remboursées ou compensées par des créances certaines du gérant sur la société.

Si le tribunal correctionnel avait alloué à la société [7], sur l'action civile, la somme de 94'110 euros, la relaxe pénale dont il se prévaut ne fait pas obstacle, comme l'a relevé le juge pénal d'appel, en rappelant que le litige sur le droit à commission relevait de la compétence du juge commercial, à ce que la juridiction civile constate la réalité d'une dette résultant d'un compte courant débiteur, l'infraction d'abus de biens sociaux supposant des éléments intentionnels étrangers à la présente appréciation.

Il en résulte que la somme de 107 219 euros constitue une avance indue que M. [F] doit restituer à la société [7].

Le jugement sera infirmé de ce chef pour avoir omis de statuer et la Cour statuera à nouveau en condamnant M. [G] [F] à verser à la société [7] la somme de 107 219 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur le prononcé de la dissolution anticipée de la SARL [7] :

Bien que M.'[F] sollicite l'infirmation du jugement entrepris sur ce point, la cour observe qu'il ne développe aucune argumentation spécifique sur ce point.

En tout état de cause, eu regard au contexte du litige tel qu'il ressort des éléments produits, des débats et de l'examen des précédentes questions, la cour n'aperçoit pas de raisons de s'écarter, sur ce point, de l'appréciation faite par le tribunal, qu'elle approuve et par conséquent, des conclusions auxquelles il est parvenu, de sorte que le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a prononcé la dissolution anticipée de la société [7], désignant M.'[J] [C] en qualité de liquidateur.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

M.'[F], succombant pour l'essentiel, sera tenu des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande, en outre, de mettre à la charge de l'appelant une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 5'000 euros au profit de chacune des intimées, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces dernières et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Complétant le jugement rendu le 21'juillet 2023 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar,

Condamne M.'[G] [F] à payer à la SARL [7] la somme de 107'219 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Confirme le jugement rendu le 21'juillet 2023 par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar, sauf en ce qu'il a déclaré la demande de M.'[G] [F] au titre de la perte de valeur des parts sociales recevable et l'en a débouté,

Infirme le jugement entrepris de ce chef,

Statuant à nouveau du chef de demande infirmé et y ajoutant,

Déclare M.'[G] [F] irrecevable en sa demande au titre de la perte de valeur des parts sociales,

Condamne M.'[G] [F] aux dépens de l'appel,

Condamne M. [G] [F] à payer à la société [11], société de droit italien, la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [G] [F] à payer à la SARL [7] la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M.'[G] [F].

Le cadre greffier : le Président :

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