CA Nîmes, 5e ch. soc. ph, 25 novembre 2025, n° 24/01397
NÎMES
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 24/01397 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JFL7
AV/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
03 avril 2024
RG :F 22/00330
[A]
C/
S.A.S. [P] FRANCE
Grosse délivrée le 25 NOVEMBRE 2025 à :
- Me ALLOUCH
- Me VAJOU
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 03 Avril 2024, N°F 22/00330
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Aude VENTURINI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Mme Gaëlle MARZIN, Présidente
Mme Aude VENTURINI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [X] [A]
né le 20 Février 1962 à [Localité 12]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Abdenbi ALLOUCH, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
S.A.S. [P] FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 25 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [X] [A] a, par contrat à durée indéterminée à temps complet conclu le 9 décembre 2009, été engagé par la SARL TRANSPORTS FANTOZZI ALDO, en qualité de chauffeur courte distance.
Le contrat de travail a été transféré à la SAS [P] France à compter du 1er juin 2019, avec reprise de l'ancienneté au 9 décembre 2009 et modification de la classification de M. [A] en qualité de conducteur routier longue distance.
M. [A] a subi deux accidents de la circulation, le 21 septembre 2022, à [Localité 10] (Gard) puis le 2 novembre 2022, à [Localité 6] (Italie).
Il a donné sa démission le 8 novembre 2022 avec demande d'effet au 10 novembre 2022 sans exécution du préavis, par courrier remis en main propre au siège de la société [P] en Italie.
L'acte de démission a été accepté par la SAS [P] France par courrier du 9 novembre 2022.
Par courrier du 10 novembre 2022 envoyé avec demande d'avis de réception et reçu le 12 novembre 2022, M. [A] a indiqué se désister de sa demande de démission qui n'a pas été acceptée par l'employeur.
M. [A] contestant la rupture du contrat de travail a saisi le conseil de Prud'hommes d'Avignon le 20 décembre 2022.
Par jugement en date du 3 avril 2024, le Conseil de Prud'hommes d'Avignon a':
- Dit que la démission présentée par M. [X] [A] en date du 08 novembre 2022 est claire et non équivoque,
- Débouté M. [X] [A] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la SAS [P] FRANCE du surplus de ses demandes,
- Dit qu'il n'y a pas lieu à l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Dit que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
Par acte du 22 avril 2024, M. [A] a régulièrement interjeté appel de la décision portant sur les chefs de jugement critiqués en ce qu'ils ont':
DIT que la démission présentée par M. [X] [A] en date du 8 novembre 2022 est claire et non équivoque,
DEBOUTE M. [X] [A] de l'ensemble de ses demandes,
DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 décembre 2024, M. [A] demande à la cour de :
«'- DECLARER l'appel interjeté par M. [X] [A] recevable en la forme et juste au fond ;
- REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a jugé claire et non équivoque la démission de M. [X] [A] en date du 08 novembre 2022 et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;
- DÉCLARER nulle la démission du 08 novembre 2022 de M. [A] pour vice du consentement,
- DÉCLARER que la rupture du contrat de travail de M. [X] [A] est irrégulière et dépourvue de cause réelle et sérieuse,
- CONDAMNER la SAS [P] France à payer à M. [X] [A] la somme de 35000 € (soit 11,5 mois de salaire), conformément au barème de l'article 1235-3 du Code du travail,
- CONDAMNER la SAS [P] France, au titre des indemnités de rupture du contrat de travail, au paiement des sommes suivantes :
- 6 117,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 611,75 € de congés payés y afférents,
- 10 790 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- CONDAMNER la SAS [P] France à payer à M. [X] [A] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
- DECLARER que l'intégralité des sommes allouées produira intérêts de droit à compter de la demande en justice avec capitalisation
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE à remettre à M. [X] [A] un bulletin de salaire récapitulatif et les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter la notification de la décision à intervenir ;
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE aux entiers dépens de l'instance y compris les honoraires d'huissier qui pourraient être dus au titre de l'exécution du jugement à intervenir, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996.
Au soutien de ses demandes, M. [A] expose à la cour que sa lettre de démission est univoque et a été obtenue en raison d'un consentement vicié par la contrainte, la pression et la violence morale de son employeur ce qui la rend donc nulle en application des articles 1130, 1131, 1140,1142 et 1143 du code civil et qu'en conséquence, la rupture du contrat doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A ce titre, il soutient qu'il a été convoqué à l'issue de son deuxième accident de circulation le 8 novembre 2022 au sein des locaux de la société en Italie directement auprès du directeur M. [P]. Il explique que l'échange a été violent psychologiquement, alors qu'il se trouvait encore sous le choc de son accident, son employeur étant en état d'extrême colère et lui ayant fait des reproches, lui déclarant ne plus avoir confiance en lui. M. [A] ajoute que son employeur a exercé sur lui une violence morale et un chantage en le forçant à présenter sa démission, sous la menace qu'il devrait assumer le coût financier des réparations du véhicule accidenté l'ayant conduit à un état émotionnel de stress et d'intimidation qui ne lui ont pas permis de réfléchir et d'avoir pleinement conscience de la portée de son acte.
L'appelant ajoute être rapidement revenu sur sa décision, dans un premier temps verbalement auprès de M. [P] puis par l'intermédiaire de sa compagne Mme [B] qui en a fait téléphoniquement part à son responsable français et enfin, le 10 novembre 2022 en rédigeant un courrier de rétractation. Il ajoute que son état de stress a été reconnu médicalement dans le prolongement de sa démission.
M. [A] assure que ses recherches d'emploi et demande d'appui de sa candidature pour une autre société n'était pas en lien avec une volonté antérieure de quitter la société mais la nécessité de pouvoir subvenir à ses besoins.
Les conséquences de la nullité de la démission a pour effet de faire disparaître l'acte de manière rétroactive, rendant la démission dépourvue d'effet juridique, la rupture de son contrat de travail devant selon lui être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences pécuniaires à la charge de la SAS [P] France.
Le comportement de son employeur, qui a refusé d'accepter sa rétractation est par ailleurs selon lui fautive et vexatoire, puisqu'il s'est retrouvé seul en Italie et a dû s'organiser pour revenir en France ce qui lui a créé un préjudice que la SAS [P] France devra indemniser.
En défense par dernières conclusions en date du 10 avril 2025, la SAS [P] France demande à la Cour de':
- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- condamner M. [X] [A] à payer à la SAS [P] France la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la 1ere instance et d'appel.
A l'appui de ses prétentions, la SAS [P] France fait valoir que la démission de M. [A] est claire et non équivoque raison pour laquelle la société a accepté cette démission et n'avait pas à admettre la rétractation de son salarié.
La SAS [P] France réfute les accusations formulées par M. [A] concernant les violences morales, des pressions ou chantage qui ne sont de surcroît pas démontrées.
Concernant la mise à sa charge des réparations du camion accidenté, elle relève que M. [A] en tant que professionnel savait que ces frais sont à la charge de l'employeur.
Elle soutient que le changement d'avis quant à sa démission par le salarié ne constitue pas un motif rendant équivoque sa démission et ce d'autant que M. [A] avait déjà un autre emploi en tête comme l'illustre le témoignage de M. [L] conducteur du camion ayant fait le retour en France avec l'intéressé.
La société conteste également le traitement vexatoire du salarié puisqu'il avait été prévu un retour en France en double équipage avec un autre chauffeur.
MOTIFS
I/ Sur la demande d'annulation de la démission
Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
Ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d'essai.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Le salarié peut remettre en cause sa démission soit en invoquant un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, soit en remettant en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque. Le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
Il appartient au juge de vérifier la réalité de cette volonté non équivoque de démissionner. Ce caractère équivoque ne pouvant résulter que de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, le comportement ultérieur du salarié étant ainsi sans incidence.
La démission est nécessairement équivoque lorsque le salarié énonce dans la lettre de rupture les faits qu'il reproche à l'employeur.
Dès lors que la démission résulte d'une volonté claire et non équivoque, la rétractation du salarié est sans effet, et la réintégration dans la société est subordonnée à l'accord de l'employeur qui n'est pas tenu de l'accepter.
Il appartient au salarié qui soutient le caractère équivoque de sa démission de rapporter la preuve que sa volonté a été viciée ou que sa démission résulte de faits qu'il reproche à son employeur.
En l'espèce, le 08 novembre 2022, M. [A] a remis en main propre au siège de la société en Italie, une lettre de démission à M. [M] [W] responsable d'exploitation, rédigée de la manière suivante':
«'Objet': démission remise en main propre le 08/11/2022
Je soussigné, [X] [A] ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de conducteur routier longue distance.
J'ai bien noté que les de mon contrat prévois un préavis d'une durée de 15 jours. Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis et par conséquent de quitter l'entreprise dès le 10/11/2022, mettant ainsi fin à mon contrat de travail.
Lors de mon dernier jour de travail dans l'entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation au pôle emploi.
Je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur l'expression de ma considération respectueuse.'»
En l'espèce, la lettre de démission rédigée par M. [A] est claire et sans équivoque sur sa volonté de démissionner évoquant même sa volonté de ne pas exécuter de préavis. Elle ne fait état d'aucun reproche passé ou immédiat envers son employeur ou ses conditions de travail.
Néanmoins, si la volonté de démissionner de M. [A] apparait réelle, il convient d'analyser les circonstances dans lesquelles la démission a été donnée, le fait d'avoir donné sa lettre de démission dans les locaux de la direction et une rétractation très rapide pouvant donner un caractère univoque à la démission.
Ce n'est que dans la lettre de rétractation du 10 novembre 2022 que M. [A] va évoquer des éléments sur les circonstances de la rédaction de sa lettre de démission, de la manière suivante': «'Par la présente je vous fait par de mon souhait de revoir ma décision de quitter l'entreprise à la du 10/11/2022. J'aimerai annuler la lettre de démission que je vous ai rédigé le 08/11/2022 et vous prie de ne pas la prendre en compte.
Je tiens à préciser que je me trouvais en état de choc, de stress et dans une instabilité émotionnelle et que je ne désirais pas démissionner, mais que sous la pression de mon employeur qui me rappelai les frais éventuellement à régler pour les dégâts occasionnés a profité de mes connaissances limitées sur la législation du travail en France'».
L'appelant évoque un entretien empreint de reproches sur son comportement et des menaces et pressions consistant en une violence morale quant à la prise en charge des frais de réparations du camion et de la remorque, il ne rapporte cependant aucun élément sur ce point, pas plus que d'une rétractation immédiate dans les locaux même de la société.
Seule l'attestation de sa compagne, Mme [B] rédigée le 26 novembre 2024 en cause d'appel indique «'le 08 novembre 2022, mon compagnon m'a contacté d'Italie. Il m'a précisé que suite à un accident qu'il avait eu avec le camion du travail son patron l'avait convoqué. Il lui a dit qu'il devait signer sa démission (lettre de démission déjà rédigée) faute de quoi il devrait payer les frais de réparation du camion. Mon compagnon qui était en état de stress par rapport à l'accident incapable de faire valoir ses droits, m'a dit avoir signé sous la pression le jour même.
[X] est revenu vers moi, car incapable de se défendre lui-même, le patron ayant parfaitement ciblé sa personnalité, sa faiblesse, personne d'autre aurait signé cette démission. Au vu de ces faits, je me suis très rapidement renseignée, la procédure me paraissant très abusive et la pression évidente ['].
J'ai donc simultanément':
- contacté par téléphone le 08/11/2022 le responsable de l'entreprise sur [Localité 11] qui a tout cautionné le fait qu'il y avait eu pression l'obligeant à signer la démission avec menace de devoir payer les réparations par M. [P],
- conseillé à [X] d'envoyer un courrier de rétractation dans le délai légal.'»
Or, l'accident de circulation a eu lieu 6 jours auparavant sans dommage corporel pour M. [A] qui ne rapporte pas la preuve d'un stress ou bouleversement particulier à la suite de ce dernier, qui n'a entrainé aucun arrêt de travail ou constatation médicale en ce sens, alors qu'il a pu rentrer en France après l'accident avant de repartir en Italie.
D'ailleurs, l'absence de trouble particulier découle également de la durée pour informer sa compagne de cet accident puisque celle-ci l'évoque comme un élément appris le 8 novembre 2022 et comme s'il venait d'avoir lieu.
L'appelant reconnait lui-même avoir rédigé la lettre de démission de manière manuscrite, la lettre n'étant contrairement à ce qui est indiqué par Mme [B], aucunement pré-écrite.
Par ailleurs, la convocation à se rendre à l'entretien n'a pas état faite le 08 novembre 2022 mais antérieurement, puisque par courriel en date du 03 novembre 2022 [M] [W], responsable d'exploitation du site de [Localité 11], va écrire à M. [P] «'je suis navré d'annoncer encore un problème': [X] [A] a heurté hier une glissière de sécurité et a endommagé le tracteur FS174ZL et l'angle de la remorque.
Il m'a averti aujourd'hui en fin de matinée et je l'ai fait arriver sur [Localité 11] pour vérifier les dégâts. Ce tracteur doit passer la révision samedi 12/11 à [Localité 8] donc je pense le faire descendre dès lundi avec un voyage maison du monde. »
M. [W] présent lors de l'entretien a transmis une attestation rédigée le 10 juillet 2023 qui décrit les échanges suivants «'Suite à un second accrochage le 02 novembre, environs 1 mois après le premier, nous nous sommes mis d'accord avec M. [R] [U] de profiter du fait que je sois présent à [Localité 8] où il y avait une réunion du Groupement ASTRÉE à [Localité 7] pour recevoir M. [A] [X] pour lui demander de nous expliquer les faits et surtout pourquoi il m'a appelé en fin de matinée le 03/11 alors que l'accrochage avait eu lieu la veille à 14h30, l'après-midi. J'ai donc mis M. [A] sur une navette habituelle entre [Localité 9] et [Localité 8] afin de faire constater les dégâts au chef mécanicien de la maison mère à [Localité 8].
Dès le lundi 07/11, [X] m'a demandé s'il allait être licencié ou si on lui demanderait sa démission (déjà dans sa tête). Je lui ai dit que nous attendions des réponses et que si la démission venait à être mise sur la table, il suffit de dire son souhait de rester dans la société. Il avait toutes les informations la veille de l'entretien.
Le 08/11, M. [R] et moi recevons [X] pour l'entretien. M. [R] évoque le premier accident avec les montants de réparation pour lui faire prendre conscience de l'impact que cela implique et que malgré ça on lui avait donné un second camion récent (le plus récent de la flotte [R] France). Toujours sur un ton ferme mais calme M. [R] évoque le second plus problématique à cause des délais de M. [A] à nous prévenir l'accrochage le 02/11/22 à 14h30 et appel le 3/11 en fin de matinée. Devant aucune explication cohérente, je lui ai demandé : que devons-nous faire de vous ' M. [A] nous dit vouloir démissionner ce qui clôt l'entretien.
En sortant, je l'accompagne donc vers mon autre conducteur [D] [L] présent à [Localité 8] pour organiser son retour': là, devant son attitude je lui demande pourquoi cette démission ' [X] m'a répondu : "[U] n'a plus confiance en moi. Je préfère démissionner." Je lui fournis donc du papier et un stylo puis en fin de journée il me remet sa lettre de démission.'»
En outre, l'attestation rédigée le 07 juillet 2023 par M. [S] [L] chauffeur poids lourd au sein de la SAS [P] France, présent à la sortie de M. [A] et de M. [W] de cet entretien, relate les propos suivants «'Avant de partir j'ai vu mon responsable [W] [M] demander à [X] pourquoi il ne s'était pas plus défendu et il a répondu ils ont plus confiance en moi donc je préfère démissionner.
Sur le retour le lendemain [X] a contacté les transports Sifotrans à [Localité 11] pour se faire embaucher et il a eu un entretien dans les jours qui ont suivi, il a commencé chez eux début décembre'».
Des échanges quant aux conséquences financières des accidents ont donc bien eu lieu mais M. [A] ne rapporte pas la preuve de pressions ou de menaces, qu'il n'évoque d'ailleurs pas au sortir de l'entretien. Seule la perte de confiance de son employeur est mentionnée comme origine de sa volonté de démissionner.
Par ailleurs, l'élément selon lequel l'appelant, conducteur expérimenté avec au minimum 13 ans d'ancienneté, pourrait penser que les frais de réparation liés à l'accident pouvaient être mis à sa charge est peu crédible.
Enfin, le jour même de la rédaction de sa lettre de rétractation le 10 novembre 2022 à 10h27, M. [A] va écrire à M. [W] le texto suivant «'Salut [Y], je passe ce soir chez sifotrans, puis-je compter sur toi comme tu me l'as dit pour dire du bien de moi, je quitte [P] car le travail ne me convenait plus. D'avance merci. Bonne journée'».
L'ensemble de ces éléments montre que le lieu de la rédaction de l'acte ou la rétractation de M. [A] deux jours après la transmission de sa lettre de licenciement ne constituent pas des éléments suffisants pour rendre équivoque la volonté de ce dernier en raison d'un vice du consentement sans preuve d'élément de menace ou de pressions de la part de l'employeur.
La rétractation émise très rapidement ne permet pas en elle-même de considérer qu'au moment de la rédaction de sa lettre de démission la volonté de M. [A] n'était pas claire et réfléchie.
Ainsi, la démission de M. [A] est claire et non équivoque et a eu pour conséquence la rupture du contrat de travail.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Avignon du 3 avril 2024.
II/ Demandes accessoires
- Dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, les dépens de première instance et d'appel seront supportés M. [A].
- L'article 700 du code de procédure civile
La partie tenue aux dépens est celle qui est condamnée au paiement de l'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, y compris si elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.
En équité, il y a lieu de condamner M. [X] [A] à payer à la SAS [R] France la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du conseil des Prud'hommes d'[Localité 4] du 3 avril 2024 en ses dispositions soumises à la cour.
CONDAMNE M. [X] [A] aux dépens d'appel,
CONDAMNE M. [X] [A] à payer à la SAS [R] France la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par le président et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 24/01397 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JFL7
AV/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
03 avril 2024
RG :F 22/00330
[A]
C/
S.A.S. [P] FRANCE
Grosse délivrée le 25 NOVEMBRE 2025 à :
- Me ALLOUCH
- Me VAJOU
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 03 Avril 2024, N°F 22/00330
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Aude VENTURINI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Mme Gaëlle MARZIN, Présidente
Mme Aude VENTURINI, Conseillère
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Septembre 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Novembre 2025.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [X] [A]
né le 20 Février 1962 à [Localité 12]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Abdenbi ALLOUCH, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
S.A.S. [P] FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 25 Novembre 2025, par mise à disposition au greffe de la cour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [X] [A] a, par contrat à durée indéterminée à temps complet conclu le 9 décembre 2009, été engagé par la SARL TRANSPORTS FANTOZZI ALDO, en qualité de chauffeur courte distance.
Le contrat de travail a été transféré à la SAS [P] France à compter du 1er juin 2019, avec reprise de l'ancienneté au 9 décembre 2009 et modification de la classification de M. [A] en qualité de conducteur routier longue distance.
M. [A] a subi deux accidents de la circulation, le 21 septembre 2022, à [Localité 10] (Gard) puis le 2 novembre 2022, à [Localité 6] (Italie).
Il a donné sa démission le 8 novembre 2022 avec demande d'effet au 10 novembre 2022 sans exécution du préavis, par courrier remis en main propre au siège de la société [P] en Italie.
L'acte de démission a été accepté par la SAS [P] France par courrier du 9 novembre 2022.
Par courrier du 10 novembre 2022 envoyé avec demande d'avis de réception et reçu le 12 novembre 2022, M. [A] a indiqué se désister de sa demande de démission qui n'a pas été acceptée par l'employeur.
M. [A] contestant la rupture du contrat de travail a saisi le conseil de Prud'hommes d'Avignon le 20 décembre 2022.
Par jugement en date du 3 avril 2024, le Conseil de Prud'hommes d'Avignon a':
- Dit que la démission présentée par M. [X] [A] en date du 08 novembre 2022 est claire et non équivoque,
- Débouté M. [X] [A] de l'ensemble de ses demandes,
- Débouté la SAS [P] FRANCE du surplus de ses demandes,
- Dit qu'il n'y a pas lieu à l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Dit que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
Par acte du 22 avril 2024, M. [A] a régulièrement interjeté appel de la décision portant sur les chefs de jugement critiqués en ce qu'ils ont':
DIT que la démission présentée par M. [X] [A] en date du 8 novembre 2022 est claire et non équivoque,
DEBOUTE M. [X] [A] de l'ensemble de ses demandes,
DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 décembre 2024, M. [A] demande à la cour de :
«'- DECLARER l'appel interjeté par M. [X] [A] recevable en la forme et juste au fond ;
- REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a jugé claire et non équivoque la démission de M. [X] [A] en date du 08 novembre 2022 et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;
- DÉCLARER nulle la démission du 08 novembre 2022 de M. [A] pour vice du consentement,
- DÉCLARER que la rupture du contrat de travail de M. [X] [A] est irrégulière et dépourvue de cause réelle et sérieuse,
- CONDAMNER la SAS [P] France à payer à M. [X] [A] la somme de 35000 € (soit 11,5 mois de salaire), conformément au barème de l'article 1235-3 du Code du travail,
- CONDAMNER la SAS [P] France, au titre des indemnités de rupture du contrat de travail, au paiement des sommes suivantes :
- 6 117,56 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 611,75 € de congés payés y afférents,
- 10 790 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- CONDAMNER la SAS [P] France à payer à M. [X] [A] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
- DECLARER que l'intégralité des sommes allouées produira intérêts de droit à compter de la demande en justice avec capitalisation
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE à remettre à M. [X] [A] un bulletin de salaire récapitulatif et les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter la notification de la décision à intervenir ;
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la SAS [P] FRANCE aux entiers dépens de l'instance y compris les honoraires d'huissier qui pourraient être dus au titre de l'exécution du jugement à intervenir, en application des dispositions de l'article 10 du décret du 12 décembre 1996.
Au soutien de ses demandes, M. [A] expose à la cour que sa lettre de démission est univoque et a été obtenue en raison d'un consentement vicié par la contrainte, la pression et la violence morale de son employeur ce qui la rend donc nulle en application des articles 1130, 1131, 1140,1142 et 1143 du code civil et qu'en conséquence, la rupture du contrat doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A ce titre, il soutient qu'il a été convoqué à l'issue de son deuxième accident de circulation le 8 novembre 2022 au sein des locaux de la société en Italie directement auprès du directeur M. [P]. Il explique que l'échange a été violent psychologiquement, alors qu'il se trouvait encore sous le choc de son accident, son employeur étant en état d'extrême colère et lui ayant fait des reproches, lui déclarant ne plus avoir confiance en lui. M. [A] ajoute que son employeur a exercé sur lui une violence morale et un chantage en le forçant à présenter sa démission, sous la menace qu'il devrait assumer le coût financier des réparations du véhicule accidenté l'ayant conduit à un état émotionnel de stress et d'intimidation qui ne lui ont pas permis de réfléchir et d'avoir pleinement conscience de la portée de son acte.
L'appelant ajoute être rapidement revenu sur sa décision, dans un premier temps verbalement auprès de M. [P] puis par l'intermédiaire de sa compagne Mme [B] qui en a fait téléphoniquement part à son responsable français et enfin, le 10 novembre 2022 en rédigeant un courrier de rétractation. Il ajoute que son état de stress a été reconnu médicalement dans le prolongement de sa démission.
M. [A] assure que ses recherches d'emploi et demande d'appui de sa candidature pour une autre société n'était pas en lien avec une volonté antérieure de quitter la société mais la nécessité de pouvoir subvenir à ses besoins.
Les conséquences de la nullité de la démission a pour effet de faire disparaître l'acte de manière rétroactive, rendant la démission dépourvue d'effet juridique, la rupture de son contrat de travail devant selon lui être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences pécuniaires à la charge de la SAS [P] France.
Le comportement de son employeur, qui a refusé d'accepter sa rétractation est par ailleurs selon lui fautive et vexatoire, puisqu'il s'est retrouvé seul en Italie et a dû s'organiser pour revenir en France ce qui lui a créé un préjudice que la SAS [P] France devra indemniser.
En défense par dernières conclusions en date du 10 avril 2025, la SAS [P] France demande à la Cour de':
- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- condamner M. [X] [A] à payer à la SAS [P] France la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la 1ere instance et d'appel.
A l'appui de ses prétentions, la SAS [P] France fait valoir que la démission de M. [A] est claire et non équivoque raison pour laquelle la société a accepté cette démission et n'avait pas à admettre la rétractation de son salarié.
La SAS [P] France réfute les accusations formulées par M. [A] concernant les violences morales, des pressions ou chantage qui ne sont de surcroît pas démontrées.
Concernant la mise à sa charge des réparations du camion accidenté, elle relève que M. [A] en tant que professionnel savait que ces frais sont à la charge de l'employeur.
Elle soutient que le changement d'avis quant à sa démission par le salarié ne constitue pas un motif rendant équivoque sa démission et ce d'autant que M. [A] avait déjà un autre emploi en tête comme l'illustre le témoignage de M. [L] conducteur du camion ayant fait le retour en France avec l'intéressé.
La société conteste également le traitement vexatoire du salarié puisqu'il avait été prévu un retour en France en double équipage avec un autre chauffeur.
MOTIFS
I/ Sur la demande d'annulation de la démission
Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
Ces dispositions ne sont pas applicables pendant la période d'essai.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Le salarié peut remettre en cause sa démission soit en invoquant un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, soit en remettant en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque. Le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
Il appartient au juge de vérifier la réalité de cette volonté non équivoque de démissionner. Ce caractère équivoque ne pouvant résulter que de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, le comportement ultérieur du salarié étant ainsi sans incidence.
La démission est nécessairement équivoque lorsque le salarié énonce dans la lettre de rupture les faits qu'il reproche à l'employeur.
Dès lors que la démission résulte d'une volonté claire et non équivoque, la rétractation du salarié est sans effet, et la réintégration dans la société est subordonnée à l'accord de l'employeur qui n'est pas tenu de l'accepter.
Il appartient au salarié qui soutient le caractère équivoque de sa démission de rapporter la preuve que sa volonté a été viciée ou que sa démission résulte de faits qu'il reproche à son employeur.
En l'espèce, le 08 novembre 2022, M. [A] a remis en main propre au siège de la société en Italie, une lettre de démission à M. [M] [W] responsable d'exploitation, rédigée de la manière suivante':
«'Objet': démission remise en main propre le 08/11/2022
Je soussigné, [X] [A] ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de conducteur routier longue distance.
J'ai bien noté que les de mon contrat prévois un préavis d'une durée de 15 jours. Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis et par conséquent de quitter l'entreprise dès le 10/11/2022, mettant ainsi fin à mon contrat de travail.
Lors de mon dernier jour de travail dans l'entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation au pôle emploi.
Je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur l'expression de ma considération respectueuse.'»
En l'espèce, la lettre de démission rédigée par M. [A] est claire et sans équivoque sur sa volonté de démissionner évoquant même sa volonté de ne pas exécuter de préavis. Elle ne fait état d'aucun reproche passé ou immédiat envers son employeur ou ses conditions de travail.
Néanmoins, si la volonté de démissionner de M. [A] apparait réelle, il convient d'analyser les circonstances dans lesquelles la démission a été donnée, le fait d'avoir donné sa lettre de démission dans les locaux de la direction et une rétractation très rapide pouvant donner un caractère univoque à la démission.
Ce n'est que dans la lettre de rétractation du 10 novembre 2022 que M. [A] va évoquer des éléments sur les circonstances de la rédaction de sa lettre de démission, de la manière suivante': «'Par la présente je vous fait par de mon souhait de revoir ma décision de quitter l'entreprise à la du 10/11/2022. J'aimerai annuler la lettre de démission que je vous ai rédigé le 08/11/2022 et vous prie de ne pas la prendre en compte.
Je tiens à préciser que je me trouvais en état de choc, de stress et dans une instabilité émotionnelle et que je ne désirais pas démissionner, mais que sous la pression de mon employeur qui me rappelai les frais éventuellement à régler pour les dégâts occasionnés a profité de mes connaissances limitées sur la législation du travail en France'».
L'appelant évoque un entretien empreint de reproches sur son comportement et des menaces et pressions consistant en une violence morale quant à la prise en charge des frais de réparations du camion et de la remorque, il ne rapporte cependant aucun élément sur ce point, pas plus que d'une rétractation immédiate dans les locaux même de la société.
Seule l'attestation de sa compagne, Mme [B] rédigée le 26 novembre 2024 en cause d'appel indique «'le 08 novembre 2022, mon compagnon m'a contacté d'Italie. Il m'a précisé que suite à un accident qu'il avait eu avec le camion du travail son patron l'avait convoqué. Il lui a dit qu'il devait signer sa démission (lettre de démission déjà rédigée) faute de quoi il devrait payer les frais de réparation du camion. Mon compagnon qui était en état de stress par rapport à l'accident incapable de faire valoir ses droits, m'a dit avoir signé sous la pression le jour même.
[X] est revenu vers moi, car incapable de se défendre lui-même, le patron ayant parfaitement ciblé sa personnalité, sa faiblesse, personne d'autre aurait signé cette démission. Au vu de ces faits, je me suis très rapidement renseignée, la procédure me paraissant très abusive et la pression évidente ['].
J'ai donc simultanément':
- contacté par téléphone le 08/11/2022 le responsable de l'entreprise sur [Localité 11] qui a tout cautionné le fait qu'il y avait eu pression l'obligeant à signer la démission avec menace de devoir payer les réparations par M. [P],
- conseillé à [X] d'envoyer un courrier de rétractation dans le délai légal.'»
Or, l'accident de circulation a eu lieu 6 jours auparavant sans dommage corporel pour M. [A] qui ne rapporte pas la preuve d'un stress ou bouleversement particulier à la suite de ce dernier, qui n'a entrainé aucun arrêt de travail ou constatation médicale en ce sens, alors qu'il a pu rentrer en France après l'accident avant de repartir en Italie.
D'ailleurs, l'absence de trouble particulier découle également de la durée pour informer sa compagne de cet accident puisque celle-ci l'évoque comme un élément appris le 8 novembre 2022 et comme s'il venait d'avoir lieu.
L'appelant reconnait lui-même avoir rédigé la lettre de démission de manière manuscrite, la lettre n'étant contrairement à ce qui est indiqué par Mme [B], aucunement pré-écrite.
Par ailleurs, la convocation à se rendre à l'entretien n'a pas état faite le 08 novembre 2022 mais antérieurement, puisque par courriel en date du 03 novembre 2022 [M] [W], responsable d'exploitation du site de [Localité 11], va écrire à M. [P] «'je suis navré d'annoncer encore un problème': [X] [A] a heurté hier une glissière de sécurité et a endommagé le tracteur FS174ZL et l'angle de la remorque.
Il m'a averti aujourd'hui en fin de matinée et je l'ai fait arriver sur [Localité 11] pour vérifier les dégâts. Ce tracteur doit passer la révision samedi 12/11 à [Localité 8] donc je pense le faire descendre dès lundi avec un voyage maison du monde. »
M. [W] présent lors de l'entretien a transmis une attestation rédigée le 10 juillet 2023 qui décrit les échanges suivants «'Suite à un second accrochage le 02 novembre, environs 1 mois après le premier, nous nous sommes mis d'accord avec M. [R] [U] de profiter du fait que je sois présent à [Localité 8] où il y avait une réunion du Groupement ASTRÉE à [Localité 7] pour recevoir M. [A] [X] pour lui demander de nous expliquer les faits et surtout pourquoi il m'a appelé en fin de matinée le 03/11 alors que l'accrochage avait eu lieu la veille à 14h30, l'après-midi. J'ai donc mis M. [A] sur une navette habituelle entre [Localité 9] et [Localité 8] afin de faire constater les dégâts au chef mécanicien de la maison mère à [Localité 8].
Dès le lundi 07/11, [X] m'a demandé s'il allait être licencié ou si on lui demanderait sa démission (déjà dans sa tête). Je lui ai dit que nous attendions des réponses et que si la démission venait à être mise sur la table, il suffit de dire son souhait de rester dans la société. Il avait toutes les informations la veille de l'entretien.
Le 08/11, M. [R] et moi recevons [X] pour l'entretien. M. [R] évoque le premier accident avec les montants de réparation pour lui faire prendre conscience de l'impact que cela implique et que malgré ça on lui avait donné un second camion récent (le plus récent de la flotte [R] France). Toujours sur un ton ferme mais calme M. [R] évoque le second plus problématique à cause des délais de M. [A] à nous prévenir l'accrochage le 02/11/22 à 14h30 et appel le 3/11 en fin de matinée. Devant aucune explication cohérente, je lui ai demandé : que devons-nous faire de vous ' M. [A] nous dit vouloir démissionner ce qui clôt l'entretien.
En sortant, je l'accompagne donc vers mon autre conducteur [D] [L] présent à [Localité 8] pour organiser son retour': là, devant son attitude je lui demande pourquoi cette démission ' [X] m'a répondu : "[U] n'a plus confiance en moi. Je préfère démissionner." Je lui fournis donc du papier et un stylo puis en fin de journée il me remet sa lettre de démission.'»
En outre, l'attestation rédigée le 07 juillet 2023 par M. [S] [L] chauffeur poids lourd au sein de la SAS [P] France, présent à la sortie de M. [A] et de M. [W] de cet entretien, relate les propos suivants «'Avant de partir j'ai vu mon responsable [W] [M] demander à [X] pourquoi il ne s'était pas plus défendu et il a répondu ils ont plus confiance en moi donc je préfère démissionner.
Sur le retour le lendemain [X] a contacté les transports Sifotrans à [Localité 11] pour se faire embaucher et il a eu un entretien dans les jours qui ont suivi, il a commencé chez eux début décembre'».
Des échanges quant aux conséquences financières des accidents ont donc bien eu lieu mais M. [A] ne rapporte pas la preuve de pressions ou de menaces, qu'il n'évoque d'ailleurs pas au sortir de l'entretien. Seule la perte de confiance de son employeur est mentionnée comme origine de sa volonté de démissionner.
Par ailleurs, l'élément selon lequel l'appelant, conducteur expérimenté avec au minimum 13 ans d'ancienneté, pourrait penser que les frais de réparation liés à l'accident pouvaient être mis à sa charge est peu crédible.
Enfin, le jour même de la rédaction de sa lettre de rétractation le 10 novembre 2022 à 10h27, M. [A] va écrire à M. [W] le texto suivant «'Salut [Y], je passe ce soir chez sifotrans, puis-je compter sur toi comme tu me l'as dit pour dire du bien de moi, je quitte [P] car le travail ne me convenait plus. D'avance merci. Bonne journée'».
L'ensemble de ces éléments montre que le lieu de la rédaction de l'acte ou la rétractation de M. [A] deux jours après la transmission de sa lettre de licenciement ne constituent pas des éléments suffisants pour rendre équivoque la volonté de ce dernier en raison d'un vice du consentement sans preuve d'élément de menace ou de pressions de la part de l'employeur.
La rétractation émise très rapidement ne permet pas en elle-même de considérer qu'au moment de la rédaction de sa lettre de démission la volonté de M. [A] n'était pas claire et réfléchie.
Ainsi, la démission de M. [A] est claire et non équivoque et a eu pour conséquence la rupture du contrat de travail.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Avignon du 3 avril 2024.
II/ Demandes accessoires
- Dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, les dépens de première instance et d'appel seront supportés M. [A].
- L'article 700 du code de procédure civile
La partie tenue aux dépens est celle qui est condamnée au paiement de l'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, y compris si elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.
En équité, il y a lieu de condamner M. [X] [A] à payer à la SAS [R] France la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du conseil des Prud'hommes d'[Localité 4] du 3 avril 2024 en ses dispositions soumises à la cour.
CONDAMNE M. [X] [A] aux dépens d'appel,
CONDAMNE M. [X] [A] à payer à la SAS [R] France la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par le président et par la greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,