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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 25 novembre 2025, n° 25/04026

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 25/04026

25 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 50Z

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 NOVEMBRE 2025

N° RG 25/04026 - N° Portalis DBV3-V-B7J-XJD3

AFFAIRE :

[C] [E]

...

C/

[H] [N]

...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Mars 2025 par le Tribunal judiciaire de PONTOISE

N° chambre : 03

N° RG : 23/00308

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Emmanuel MOREAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANTS :

Madame [C] [E]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentant : Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20250196

Plaidant : Me Francis LEFAURE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R072

Monsieur [F] [D]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20250196

Plaidant : Me Francis LEFAURE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R072

****************

INTIMES :

Monsieur [H] [N]

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentant : Me Emmanuel MOREAU de la SELARL HOCHLEX, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 - N° du dossier 20259408 -

Plaidant : Me Jean-yves DEMAY de l'AARPI CHATAIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R137

Société SPFPLAS DU DOCTEUR [H] [N]

Ayant son siège

[Adresse 2]

[Localité 9]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Emmanuel MOREAU de la SELARL HOCHLEX, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147 - N° du dossier 20259408 -

Plaidant : Me Jean-yves DEMAY de l'AARPI CHATAIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R137

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Octobre 2025, Monsieur Cyril ROTH, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 août 2019, Mme [E] et M. [D] (les cédants) ont cédé à M. [N] et à la société de participations financières de profession libérale de pharmaciens d'officine constituée sous la forme d'une société par actions simplifiée (la SPFPLAS) du docteur [H] [N] (les cessionnaires) les actions de la SELAS Pharmacie des Olympiades, qui exploite une pharmacie située à [Localité 10], dans le Val-d'Oise.

Le 16 avril 2021, sur requête des cessionnaires, en application de la clause d'expertise figurant à l'acte de cession, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné M. [K] pour déterminer le prix définitif des actions cédées. Son rapport a été déposé le 13 janvier 2023.

Le 30 décembre 2022, les cessionnaires ont assigné les cédants devant le tribunal judiciaire de Pontoise en garantie de passif.

Le 6 mars 2025, par ordonnance contradictoire, le juge de la mise en état de ce tribunal a notamment :

- ordonné une mesure d'expertise et désigné en qualité d'expert M. [K], avec pour mission, en substance, d'examiner les comptes des années 2016 à 2019, de donner son avis sur les anomalies qui y ont été constatées, d'estimer la valeur du fonds de commerce et de rassembler tous éléments pour déterminer si les cédants ont fourni aux cessionnaires une information loyale ;

- fixé à la somme de 7 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui devra être consignée par M. [N] et la sociétéSPFPLAS du docteur [H] [N] entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal, dans le délai maximum de 2 mois à compter de l'ordonnance, sans autre avis ;

- dit que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;

- débouté Mme [E] et M. [D] de leur demande reconventionnelle en paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le 21 mars 2025, les cédants ont assigné les cessionnaires devant le premier président pour être autorisés à interjeter immédiatement appel de cette décision.

Le 26 juin 2025, le premier président les a autorisés à assigner à jour fixe à l'audience du 6 octobre suivant.

Le 2 juillet 2025, les cédants ont interjeté appel de l'ordonnance du 6 mars 2025.

Les 4 et 7 juillet 2025, ils ont assigné les cessionnaires à jour fixe devant la cour.

Par dernières conclusions du 19 septembre 2025, ils demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pontoise du 6 mars 2025 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau, de :

- juger n'y avoir lieu à ordonner une expertise judiciaire ;

- débouter M. [N] et la société SPFPLAS du docteur [H] [N] de leur incident et de toutes leurs demandes ;

- condamner in solidum M. [N] et la société SPFPLAS du docteur [H] [N] à payer à Mme [E] et M. [D] la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M. [N] et la société SPFPLAS du docteur [H] [N] aux entiers dépens dont distraction au profit de M. Lafon, avocat.

Par dernières conclusions du 15 septembre 2025, les cessionnaires demandent à la cour de :

À titre principal,

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judicaire de Pontoise du 6 mars 2025 en toutes ses dispositions ;

- débouter Mme [E] et M. [D] de toutes prétentions contraires ; les rejeter ;

À titre subsidiaire, et statuant à nouveau :

- ordonner une expertise judiciaire ;

- désigner tel expert-comptable, inscrit sur la liste des experts judiciaires près la cour d'appel de Paris qu'il lui plaira, et notamment Mme [R] [W], domiciliée [Adresse 4] ([Adresse 7], avec pour mission de :

- recueillir tous documents et renseignements utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- se faire remettre par M. [U], la société Flg expertises et la société Flg caducial l'intégralité de leurs dossiers de travail relatifs à la Selas Pharmacie des Olympiades, dont l'ensemble des documents, éléments et justificatifs comptables, ayant servi de base à l'établissement puis à la certification des comptes annuels de la société Pharmacie des Olympiades pour les exercices 2016 à 2019 inclus ;

- examiner notamment la justification de la comptabilisation dans les comptes annuels des exercices clos de 2016 à 2019 inclus au titre des stocks et inventaires de la société Pharmacie des Olympiades ;

- donner son avis sur la régularité et la sincérité des états financiers et comptes de la société Pharmacie des Olympiades, arrêtés de 2016 à 2019 ;

- identifier toutes les erreurs et anomalies comptables figurant dans les comptes annuels des exercices 2016 à 2019 de la société Pharmacie des Olympiades, tels qu'identifiées notamment dans les notes techniques des cabinets Comance et legoux & associés en date du 19 août 2022, 19 octobre 2022 et 12 février 2023 ;

- donner son avis sur l'origine des anomalies constatées ;

- déterminer si les anomalies relevées résultent de négligences ou de dissimulations volontaires, et identifier les organes ou personnes à qui elles sont imputables ;

- fournir tous les éléments permettant de déterminer si ces anomalies ont contribué à gonfler artificiellement l'excédent brut d'exploitation, et si elles sont susceptibles d'avoir eu une influence sur la valeur du fonds de commerce de la société Pharmacie des Olympiades, ainsi que sur la valeur des immobilisations corporelles et incorporelles de la société Pharmacie des Olympiades au jour de la clôture de ses comptes pour l'exercice 2018 ;

- fournir tous éléments permettant de déterminer si les cédants ont fourni une information loyale ou s'ils ont dissimulé des éléments dont ils avaient connaissance ;

- d'une manière générale, fournir tous les éléments techniques permettant d'apprécier les responsabilités éventuelles des parties ;

- se prononcer le cas échéant, de manière technique, sur l'ensemble des préjudices subis par les demandeurs.

- juger que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et, en particulier, qu'il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée, en précisant son identité, et s'adjoindre tout spécialiste de son choix sur la liste des experts près ce tribunal ;

- juger qu'en cas de difficulté, l'expert s'en réfèrera au juge de la mise en état qui aura ordonné l'expertise ;

- juger que l'expert devra déposer son pré-rapport dans un délai de 3 mois à compter de la consignation de la provision à valoir sur ses honoraires, et qu'il devra le notifier aux parties préalablement au dépôt de son rapport définitif ;

- fixer la provision à consigner au greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par la décision à intervenir ;

- surseoir à statuer sur les demandes principales dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise définitif ;

En tout état de cause,

- débouter Mme [E] et M. [D] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner solidairement Mme [E] et M. [D] à verser la somme de 5 000 euros à M. [N], ainsi qu'à la SPLPLAS du Docteur [H] [N], en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement Mme [E] et M. [D] au paiement des entiers dépens de l'instance.

Le 11 septembre 2025, l'affaire, précédemment distribuée à la chambre 1-3, a été redistribuée à la chambre 3-2.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur la demande d'expertise

Les appelants font valoir que M. [K], expert inscrit, a déjà rendu un rapport sur la valeur du fonds cédé ; que son rapport a définitivement fixé le prix de la vente ; qu'il existe une contradiction entre les motifs de l'ordonnance entreprise, qui rappelle l'impossibilité d'ordonner une mesure d'instruction qui constituerait un recours déguisé contre cette détermination définitive, et son dispositif, qui contourne cette interdiction ; que la mesure d'expertise est inutile, dès lors que M. [K] a déjà répondu à tous les griefs des cessionnaires ; que la décision est enfin illégale, en ce qu'elle impartit à l'expert la mission de donner un avis juridique sur la situation en disant si les anomalies constatées résultent de négligences ou de dissimulations ; que M. [K] lui-même a écrit au président du tribunal judiciaire de Pontoise avoir déjà rempli la mission impartie par l'ordonnance entreprise dans son rapport du 13 janvier 2023.

Les intimés prétendent que la mesure d'instruction critiquée a pour fondement juridique les articles 143 et 144 du code de procédure civile et non l'article 1592 du code civil ; que la demande d'expertise ne constitue pas un recours déguisé contre l'expertise déjà réalisée ; que la mission à présent réclamée n'a pas le même objet que l'expertise déjà réalisée ; que le juge chargé du contrôle des expertises a procédé au remplacement de M. [K], qui a refusé la mission.

Ils soutiennent que la mission initiale de M. [K] était limitée à la détermination du prix de cession par ajustement comptable et n'avait pas pour objet d'apprécier la sincérité des états financiers ; que la demande d'expertise est fondée sur la possibilité d'une action pour dol liée à la découverte, après la cession, d'irrégularités et d'anomalies comptables qui ont eu pour effet de gonfler artificiellement l'excédent brut d'exploitation, savoir, la constitution d'un surstock de produits en 2019, l'absence d'inventaire des stocks en 2016, 2017 et 2018, l'absence de traçage fiscal des factures, suggérant des manipulations, enfin l'existence d'un système de rétrocessions dissimulé entre les pharmacies appartenant au groupe des cédants.

Réponse de la cour

Selon l'article 144 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée que si le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer.

Selon l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.

Selon l'article 1592 du code civil, le prix de la vente peut être laissé à l'estimation d'un tiers.

Selon une jurisprudence bien assise, en s'en remettant pour déterminer le prix de cession des actions à l'estimation d'un tiers, en application de ce texte, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi (Com, 6 juin 2001, n°98-18.503) ; cette évaluation est définitive ; elle ne peut être critiquée par les parties ni remise en cause par le juge ; ce n'est que lorsque le tiers a commis une erreur grossière que les parties peuvent remettre en cause son appréciation (Com, 9 avril 1991, n°89-21.611, publié ; Com, 17 mars 2021, n°19-13.457), au besoin en sollicitant en justice une expertise.

En application de l'article 1137 du code civil, la victime d'un dol peut demander l'annulation de la vente ou la réduction du prix, à quoi les dispositions de l'article 1592 du même code ne font pas obstacle.

Les parties sont convenues que le prix de la cession ferait l'objet d'un ajustement au vu d'un bilan comptable arrêté à la veille du jour d'effet de la cession, afin de déterminer le prix définitif.

L'acte de cession du 30 août 2019 comporte une clause d'expertise selon laquelle, en cas de divergence des parties quant à la détermination de ce prix définitif, le différend sera tranché sans recours par un tiers, conformément aux dispositions de l'article 1592 du code civil. Il y est stipulé que le traitement comptable des opérations, objet du différend fixé dans ce rapport, sera seul retenu pour la détermination du prix de cession définitif.

La mission impartie le 16 avril 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris à M. [K] avait pour objet de déterminer le prix définitif de cession à partir du bilan comptable arrêté à la veille du jour d'effet de la cession, c'est-à-dire au 31 août 2019.

Il résulte de son rapport que le tiers évaluateur a déjà examiné les griefs faits par les cessionnaires à la sincérité des comptes de référence sur la base desquels le prix a été déterminé et qui ont motivé leur demande d'expertise devant le juge de la mise en état.

Ainsi, celui-ci a déjà examiné de manière circonstanciée, sur la période allant de 2017 au 31 août 2019, en s'appuyant notamment sur de nombreux documents comptables, mais aussi sur les sondages effectués par des tiers, tel le commissaire aux comptes de l'entreprise, les allégations de surstock, d'absence d'inventaire, d'absence de traçage fiscal des factures et de rétrocessions illicites entre les pharmacies appartenant au groupe des cédants, pour opérer divers ajustements et rectifications et déterminer le prix définitif de la cession.Les cédants n'ont pas remis en cause son rapport en invoquant une erreur grossière.

Ainsi que le premier juge l'a relevé, cette évaluation, conduite par un expert inscrit près les tribunaux, a duré 19 mois, donné lieu à 9 réunions et à l'examen de 3 000 pièces, enfin été taxée quelque 137 000 euros.

L'action introduite au fond par les cessionnaires devant le tribunal judiciaire de Pontoise vise à la mise en 'uvre de la garantie d'actif et de passif convenue entre les parties, non à une nouvelle détermination du prix de cession.

Mais les éléments comptables et matériels dont, ayant pris possession de la pharmacie cédée et de ses archives, les cédants disposent, ainsi que l'analyse circonstanciée contenue dans le rapport du 13 janvier 2023, sont ensemble suffisants pour permettre aux cessionnaires de conclure utilement sur ces prétentions.

A cet égard, le fondement juridique de la demande présentée au juge du fond ou celui de la demande d'expertise est indifférent.

C'est pourquoi il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise et de dire n'y avoir lieu à expertise.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de n'allouer d'indemnité de procédure à aucune des parties.

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant contradictoirement,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Dit n'y avoir lieu à expertise ;

Condamne M. [N] et la société du docteur [H] [N] in solidum aux dépens de première instance et d'appel afférents à l'incident ;

Rejette les demandes formulées au titre des frais non compris dans les dépens.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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