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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 16, 25 novembre 2025, n° 22/11284

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/11284

25 novembre 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 25 NOVEMBRE 2025

(n° 73 /2025 , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/11284 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF7HJ

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 9], le 10 mars 2022, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence ICC case N°16711/ND/GZ/MHM/HBH

DEMANDERESSE AU RECOURS :

Société [J] [K] [B] KISH (« [Adresse 3] »)

société de droit iranien, immatriculée au registre des sociétés et de la propriété industrielle et intellectuelle de Kish (« Office of Registration of Companies and Industrial and Intellectual Properties of Kish ») sous le n°1640, dont le numéro national d'identification des entreprises est le 10861532811

ayant son siège social : [Adresse 10] (IRAN)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidant s:Me [A] STOFFEL-MUNCK ET Me Armand TERRIEN, avocats au barreau de PARIS, toque : C 2229 et C 0814

DEFENDEURS AU RECOURS :

Société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY

société de droit iranien

ayant son siège social : [Adresse 8] [Localité 2] (IRAN)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Monsieur [I] [E]

né le 06 Septembre 1948 à [Localité 11] (IRAN)

domicilié : [Adresse 5] (ALLEMAGNE)

Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

M. Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Mme Joanna GHORAYEB, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Joanna GHORAYEB dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

* I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie du recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 9], le 10 mars 2022, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant :

- la société [J] [K] [B] Kish (en anglais, « [Adresse 4] », ci-après « [V] »), autorité publique iranienne chargée de l'administration de la zone franche industrielle et commerciale de l'Île de Kish, d'une part, et

- la société Flower of The East Kish Development Company (ci-après « FoE ») et M. [I] [E], actionnaire et représentant légal de cette société (ensemble les « Défendeurs »), d'autre part.

2. Le différend à l'origine de cette décision porte sur l'exécution d'un contrat en date du 16 juillet 2002 et modifié par un contrat complémentaire du 30 mai 2007 (ensemble, les « Contrats »), initialement conclu entre [V] et M. [E], en vertu duquel [V] s'engageait à mettre à disposition de M. [E] un terrain sur l'île iranienne de Kish, en contrepartie de la construction sur ce terrain d'un complexe de villégiature de luxe, nommé « Flower of the East ».

3. Par contrat du 7 décembre 2003, M. [E] a cédé ses droits au titre du contrat à la société Flower of the East.

4. Considérant que l'obligation de finaliser les mesures de financement n'avait pas été respectée, [V] a adressé le 10 janvier 2009 une notification de résiliation des deux contrats à FoE et M. [E].

5. Le 2 novembre 2009, les Défendeurs ont initié une procédure d'arbitrage pour faire constater que la notification de résiliation de [V] était sans effet et pour obtenir la condamnation de [V] à des dommages-intérêts pour non-respect de ses obligations contractuelles de mise à disposition des terrains et de coopération au projet.

6. Par sentence du 10 mars 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« Pour les raisons susmentionnées, le Tribunal estime que M. [I] [E] et Flower of the East Kish Development Company sont toutes deux Parties aux Contrats et leurs demandes concernant la résiliation des Contrats ainsi que les dommages-intérêts y afférents sont recevables. Par conséquent, le Tribunal décide ce qui suit :

(1) M. [I] [E] et Flower of the East Kish Development Company ont légitimement résilié le 19 novembre 2012 le Contrat du 16 juillet 2002 modifié le 30 mai 2007 par le Contrat complémentaire, suite aux violations contractuelles de [Adresse 4] et à la résiliation injustifiée et illégale des Contrats par celle-ci en novembre 2008 et janvier 2009 ;

(2) Kish Free Zone Organization est condamnée à verser à Flower of the East Kish Development Company 39,548,709.90 EUR au titre des dommages directs pour les dépenses inutiles liées au Projet ;

(3) Il est ordonné à [Adresse 4] de restituer conjointement à M. [I] [E] et à Flower of the East Kish Development Company, dans un délai de deux (2) semaines à compter de la notification de la Sentence, le chèque n°597036 de la banque Sepah de Téhéran, Succursale North Africa, Code 1074, d'un montant de 320 milliards IRR tiré par M. [F] [E] ;

(4) [Adresse 4] est condamnée à verser conjointement à M. [I] [E] et à Flower of the East Kish Development Company 432 500,00 EUR au titre des frais d'arbitrage fixes par la Cour de la Chambre de commerce internationale ;

(5) [Adresse 4] est condamnée à verser conjointement à M. [I] [E] et à Flower of the East Kish Development Company 1 216 425,12 EUR au titre des frais d'avocats et autres coûts ;

(6) toutes les autres demandes des Parties sont rejetées ».

7. [V] a formé un recours en annulation contre la sentence arbitrale par déclaration du 10 juin 2022.

8. Le 27 novembre 2023, [V] a assigné les Défendeurs devant le tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir l'exequatur de trois décisions des juridictions iraniennes, en particulier un jugement du Tribunal de l'île de Kish du 15 août 2016 annulant les Contrats.

9. Par conclusions d'incident du même jour, [V] a sollicité qu'il soit sursis à statuer dans l'attente :

- d'une décision du tribunal judiciaire de Paris sur l'exequatur du jugement du tribunal de l'île de Kish du 15 août 2016 ; et

- de la mise à disposition d'un jugement du tribunal de grande instance de Münster du 12 novembre 2019.

10. Par ordonnance du 7 novembre 2024, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer.

11. Les parties ont été convoquées à l'audience du 10 juin 2025 aux fins de clôture et de plaidoiries.

12. Lors de l'audience du 10 juin 2025, en amont de la clôture, les Défendeurs ont sollicité que les dernières conclusions notifiées et pièces communiquées le 28 mai 2025 soit déclarées irrecevables comme tardives, en particulier la traduction d'un jugement allemand prononçant une condamnation pénale à l'encontre de M. [E].

13. La cour a rejeté cette fin de non-recevoir en laissant un mois aux Défendeurs pour faire part de leurs observations éventuelles sur la traduction du jugement allemand, par voie de note en délibéré.

14. La clôture a été prononcée et les conseils des parties entendus en leurs plaidoiries lors de l'audience tenue le même jour.

II/ CONCLUSIONS ET DEMANDES DES PARTIES

15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2025, [V] demande à la cour, au visa de l'article 1520, 3° et 5° du Code de procédure civile et la Convention des Nations unie contre la corruption, signée à Mérida le 9 décembre 2003 et ratifiée par la France, spécialement ses articles 17, 19, 20, 23, 27, al. 1er, 34 et 35, de bien vouloir :

« A titre principal :

- Prononcer l'annulation partielle de la sentence rendue à Paris, le 10 mars 2022, dans l'affaire CCI n°16711/ND/GZ/MHM/HBH, par le tribunal arbitral composé de MM. [A] [N], [S] [T] et [Y] [P] [H] [D], en raison de la contrariété à l'ordre public international de certaines décisions qui y sont prononcées et du lien indivisible de certaines autres décisions avec ces premières,

- En annulant cette sentence en ce qu'elle a :

' dit que M. [I] [E] et la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY sont tous deux parties aux contrats qui étaient litigieux devant le Tribunal arbitral - à savoir, le contrat n°16/178267 en date du 16 juillet 2002 (ou du 1381/04/25, selon le calendrier iranien) et son contrat complémentaire du 30 mai 2007 (ou du 1386/03/09, selon le calendrier iranien) (décision énoncée au § 1583 de ladite sentence, 1er paragraphe) ;

' déclaré que M. [I] [E] et la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY ont légitimement résilié, le 19 novembre 2012, le Contrat du 16 juillet 2002 modifié le 30 mai 2007 par le Contrat complémentaire, suite aux violations contractuelles de [Adresse 4] et à la résiliation injustifiée et illégale des Contrats par celle-ci en novembre 2008 et janvier 2009 (décision énoncée au § 1583 (1) de la sentence) ;

' condamné KISH FREE ZONE ORGANIZATION à verser à la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY la somme de 39.548.709,90 € au titre des dommages directs pour les dépenses inutiles liées au Projet " Flower of the East " (décision énoncée au § 1583 (2) de la sentence) ;

' condamné [Adresse 4] à verser conjointement à M. [I] [E] et à la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY :

- la somme de 432 500,00 € au titre des frais d'arbitrage fixés par la Cour de la Chambre de commerce internationale (décision énoncée au § 1583 (4) de la sentence) ;

- la somme de 1 216 425,12 € au titre des frais d'avocats et autres coûts (décision) énoncée au § 1583 (5) de la sentence) ;

o débouté [Adresse 4] de ses demandes de condamner M. [I] [E] et la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY à lui payer, conjointement et solidairement :

- une indemnité d'occupation pour les lots de terrain et de l'immeuble de bureaux " Cactus Building " qui ont fait l'objet du contrat n°16/178267 du 16 juillet 2002 et de son contrat complémentaire du 30 mai 2007, pour la période allant du 11 janvier 2009 au 7 mars 2017, d'un montant de 25.358.914.746 IRR pour l'immeuble de bureaux et la parcelle de terrain sur laquelle il est implanté, et de 4.309.005.093.278 IRR pour les lots de terrains non bâtis ;

- une somme de 1.633.000.000.000 IRR au titre du coût de remise en état du lot de terrain n°3, objet du contrat n°16/178267 du 16 juillet 2002, tel que défini sur le plan annexé à ce contrat et ayant constitué la pièce R-1b de la procédure d'arbitrage ;

- les sommes de 1.605.748,96 EUR et de 6.810.475.140 IRR au titre des frais, honoraires et autres coûts qu'elle a dû exposer pour les besoins de la procédure d'arbitrage ;

A titre subsidiaire :

- Prononcer l'annulation partielle la sentence rendue à Paris, le 10 mars 2022, dans l'affaire CCI n°16711/ND/GZ/MHM/HBH, par le tribunal arbitral composé de MM. [A] [N], [S] [T] et [Y] [P] [H] [D], en raison d'une décision rendue sans que le tribunal arbitral ne se conforme à sa mission et du lien indivisible de certaines autres décisions avec cette première,

- En annulant cette sentence en ce qu'elle a :

' condamné [Adresse 4] à verser à la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY la somme de 39.548.709,90 € au titre des dommages directs pour les dépenses inutiles liées au Projet " Flower of the East " (décision énoncée au § 1583 (2) de la sentence) ;

' condamné [Adresse 4] à verser conjointement à M. [I] [E] et à la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY :

- la somme de 432 500,00 € au titre des frais d'arbitrage fixés par la Cour de la Chambre de commerce internationale (décision énoncée au § 1583 (4) de la sentence) ;

- la somme de 1 216 425,12 € au titre des frais d'avocats et autres coûts (décision énoncée au § 1583 (5) de la sentence) ;

' débouté [Adresse 4] de sa demande de condamner M. [I] [E] et la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY à lui payer, conjointement et solidairement, les sommes de 1.605.748,96 EUR et de 6.810.475.140 IRR au titre des frais, honoraires et autres coûts qu'elle a dû exposer pour les besoins de la procédure d'arbitrage ;

En tout état de cause :

- Condamner M. [I] [E] et la société FLOWER OF THE EAST KISH DEVELOPMENT COMPANY, in solidum, aux dépens;

- Les condamner, in solidum, à payer à la société SAZEMANE MAINTAGHEYE AZADE KISH - dite " [Adresse 4] " - la somme de 80.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. »

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 avril 2025, les Défendeurs demandent à la cour, au visa des articles 1520 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

«- REJETER la pièce n° 48 produite par [V] en langue allemande sans traduction ;

- REJETER le recours en annulation dans sa totalité ;

- CONDAMNER [V] à payer aux défendeurs au recours en annulation la somme de 200 000 EUR au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. »

17. La cour renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

18. A titre liminaire, la cour relève que la demande des Défendeurs, formulée dans le dispositif de leurs dernières conclusions de « rejeter la pièce n° 48 produite par [V] en langue allemande sans traduction » n'est soutenue par aucun moyen dans la discussion, de sorte qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'en est pas saisie.

19. Au soutien de son recours, [V] invoque, à titre principal, un moyen d'annulation partielle tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence querellée avec l'ordre public international et, à titre subsidiaire, un moyen d'annulation partielle tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral.

A. Sur le moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international

i. Position des parties

20. Au soutien du moyen d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence à l'ordre public international, [V] fait valoir :

- En premier lieu, que le dispositif de la sentence est inconciliable avec un jugement définitif antérieur rendu par le tribunal de l'île de Kish le 15 août 2016, dans la mesure où :

o Ledit jugement iranien a constaté la nullité du Contrat complémentaire, de sorte que les décisions du tribunal arbitral déclarant valable la résiliation des contrats par les Défendeurs et la condamnation de [V] à des dommages-intérêts sont incompatibles avec le jugement ;

o Une procédure d'exequatur du jugement est en cours devant le juge français.

- En second lieu, que les décisions déclaratoires et les montants alloués aux Défendeurs par la Sentence apparaissent comme le produit d'infractions pénales en ce que :

o La convention de Mérida impose de neutraliser les conséquences de la corruption et d'empêcher les auteurs et complices de la corruption d'en retirer des bénéfices ;

o En l'espèce, des jugements pénaux iraniens ont condamné des agents publics de [V] pour collusion dans des transactions publiques commises lors de la conclusion du Contrat ;

o Il ressort de décisions pénales iraniennes un faisceau d'indices graves, précis et concordants que la conclusion du Contrat et sa cession à FOE découlent d'une collusion illicite avec des agents publics, en particulier :

' L'octroi à M. [E] de terrains sur l'île de Kish à un prix avantageux ;

' Les circonstances entourant la rédaction du Contrat et la détermination du prix et des conditions de paiement ;

' L'insertion d'une clause d'arbitrage dans le contrat sans l'autorisation du Conseil des ministres iraniens, pourtant obligatoire d'après la constitution iranienne ;

' La signature du Contrat par une seule personne habilitée, au lieu des deux personnes requises par les statuts de [V] ;

' La contrariété de la cession du Contrat à FOE avec le droit iranien, qui avait été signalée par le directeur juridique de [V] avant qu'il ne change de position et autorise la cession de contrat ;

' Aucun des signataires de la lettre autorisant la cession du Contrat à FOE en 2003 n'était autorisé à représenter [V] lors de la modification du Contrat.

o En outre, deux agents publics de [V] et M. [E] font actuellement l'objet de procédures en Iran pour faits de corruption d'agent public ;

o M. [E] a été condamné pour faux et usage de faux en Iran, l'appel du jugement étant pendant ;

o D'autres indices graves, précis et concordants résultent d'un jugement pénal allemand condamnant M. [E] pour des faits d'escroquerie entre 2009 et 2012 pour lesquels il a été condamné à huit ans d'emprisonnement, qui mettent en évidence les pratiques de M. [E] aux fins d'obtenir des financements :

' La réalisation de fausses déclarations vis-à-vis de commissaires aux comptes ;

' La réalisation de fausses attestations des mandataires sociaux sur la sincérité des comptes annuels ;

' L'utilisation de factures fictives à des fins frauduleuses ;

' L'encaissement de factures de la société Hansa Group AG en dehors de la comptabilité de celle-ci ;

o Le jugement allemand apporte par ailleurs des informations pertinentes sur le contrôle, l'identité ou la moralité de certains acteurs du litige et permet d'établir que M. [E] a fait de fausses déclarations devant le tribunal arbitral, qui, si elles avaient été connues, auraient eu un impact sur la décision de ce dernier.

21. Les Défendeurs concluent au rejet du moyen d'annulation tiré de la contrariété à l'ordre public international en faisant valoir :

- Sur la première branche du moyen, que la sentence ne peut être considérée comme inconciliable avec le jugement de l'île de Kish du 15 août 2016 dans la mesure où :

o Le jugement n'est pas exécutoire en France ;

o Seules des décisions étrangères antérieures revêtues de l'exequatur peuvent être considérées inconciliables avec la sentence arbitrale ;

o Le seul caractère définitif du jugement dans l'ordre juridique iranien ne suffit pas à caractériser l'inconciliabilité ;

o La demande d'exequatur du 27 novembre 2023 n'influe pas les conditions de reconnaissance et d'exequatur de la Sentence ;

o Le jugement iranien ne peut être reconnu en France dès lors que :

' Le juge iranien, en retenant sa compétence, a méconnu le principe de compétence-compétence et le principe de séparabilité de la clause d'arbitrage et a par conséquent violé le droit applicable au litige ;

' Le jugement du tribunal de Kish est donc contraire à l'ordre public international français et insusceptible de reconnaissance.

o Les arrêts [L] et [O] ne sont pas pertinents pour apprécier l'inconciliabilité de la Sentence avec le jugement iranien :

' Ces arrêts portaient sur l'inconciliabilité entre deux sentences arbitrales, et non entre une sentence et un jugement étatique.

' Le jugement iranien n'est pas une décision accordant l'exequatur à une sentence, contrairement aux faits des arrêts [L] et [O].

- Sur la deuxième branche du moyen, que les éléments rapportés par [V] ne permettent pas de caractériser une violation de l'ordre public international, dans la mesure où les créances résultant de la Sentence ne sont pas le produit d'une collusion illicite :

- En droit, la corruption d'agents publics est constatée par un avantage indu accordé à l'agent public ;

- Les indices de corruption concernant la conclusion d'un contrat incluent notamment la situation du pays, la procédure suivie pour la conclusion du contrat, le caractère précipité de la conclusion du contrat et les termes du contrat ;

- En fait, les éléments apportés par [V] ne sont pas des indices graves, précis et concordants de nature à caractériser des actes de corruption :

o La qualification de collusion dans les transactions publiques retenue par les juridictions iraniennes n'est pas contraignante pour le juge de l'annulation ;

o La critique de l'absence de garantie financière ne tend qu'à rouvrir le débat de fond sur la nature de l'engagement des demandeurs à l'arbitrage ;

o [V] ne prouve pas que l'absence de garantie constituait une anomalie dans les relations contractuelles ;

o Le prix du terrain n'est pas en soi un indice de corruption ;

o [V] ne démontre pas en quoi le Contrat prévoyait des conditions de paiement avantageuses et d'autres avantages financiers inhabituels ;

o Le fait que l'insertion de la clause compromissoire dans le contrat soit incompatible avec le droit iranien n'est pas pertinent eu égard au principe d'autonomie de la clause d'arbitrage ;

o La décision annulant l'autorisation d'insérer la clause compromissoire n'avait jamais été produite aux débats et suscite des doutes quant à son authenticité ;

o Le débat sur le pouvoir de représentation de [V] lors de la modification du contrat est infondé au regard à la théorie du mandat apparent ;

o Le tribunal arbitral a appliqué le droit iranien pour constater la validité la cession du Contrat à FoE ; le contester revient à demander une révision au fond.

- Le jugement pénal du tribunal de Münster est sans intérêt pour établir la violation alléguée de l'ordre public international :

o Les éléments du dossier pénal mentionnés par [V] ne sont pas produits ;

o Le jugement porte sur des faits décorrélés de l'opération litigieuse ;

o Le fait que le tribunal aurait statué autrement s'il avait eu connaissance du pourcentage de capital de FoE détenu par la société Hansa Trust International AG, citée par le jugement allemand, n'est pas pertinent dans l'appréciation de la conformité à l'ordre public international.

ii. Appréciation de la cour

Sur la première branche du moyen tirée de l'inconciliabilité de la Sentence avec un jugement iranien antérieur

22. L'article 1520, 5°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international.

23. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

24. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

25. Est notamment susceptible de constituer une telle violation, l'inconciliabilité de la sentence critiquée avec une autre décision, des décisions étant inconciliables lorsqu'elles entraînent des conséquences qui s'excluent mutuellement.

26. La méconnaissance de l'autorité de chose jugée par une sentence arbitrale ne caractérise toutefois pas en elle-même une violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution d'une sentence inconciliable avec une décision de justice interne ou étrangère précédemment revêtue en France de l'exequatur étant susceptible de violer de manière caractérisée l'ordre public international.

27. En l'espèce, au cours de la procédure d'arbitrage, [V] a engagé une procédure civile contre M. [E] devant un tribunal de l'île de Kish afin de solliciter que soit prononcée l'annulation des Contrats et d'obtenir la remise en possession des terrains.

28. Par jugement du 15 août 2016, devenu définitif, le tribunal de l'île de Kish a conclu à la nullité du contrat du 16 juillet 2002 et du contrat complémentaire du 30 mai 2007 (pièce n° 13) et à la restitution des terrains à la demanderesse au recours, du fait notamment de l'incertitude relative à la date de début d'exploitation du projet dont dépendent les engagements contractuels, le jugement relevant que le contrat contient une clause compromissoire dont la « survie » dépend de la validité du contrat.

29. A la suite de cette décision, [V] a sollicité du tribunal arbitral qu'il mette fin à la procédure d'arbitrage. Sa demande a été rejetée par le tribunal arbitral par une ordonnance de procédure du 10 juillet 2017 (pièce demanderesse n° 21), motifs pris de la clause compromissoire et du principe de compétence-compétence prévu par le règlement CCI, le tribunal arbitral considérant ne pas être tenu par le jugement iranien.

30. [V] soutient que la sentence arbitrale, dont le dispositif est incompatible avec celui du jugement iranien, est inconciliable avec celui-ci, de sorte que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence constituerait une violation de l'ordre public international.

31. Toutefois, le jugement iranien dont se prévaut la demanderesse n'étant à ce jour pas revêtu de l'exequatur, il n'est pas susceptible de créer une inconciliabilité avec la sentence, de sorte que la demanderesse ne caractérise pas de violation de l'ordre public international du fait de l'exécution ou de la reconnaissance de la sentence.

32. Si, à cet égard, [V] soutient que la spécificité de l'affaire implique une prise en compte globale de la situation et que la sentence doit être annulée dans la mesure où elle est inconciliable avec une décision étrangère qui met en évidence un faisceau d'indices suffisant pour établir que l'accueil de la sentence sera constitutif d'une violation de l'ordre public international, cet argument est sans emport s'agissant de la branche du moyen tiré de l'inconciliabilité de la sentence avec une décision étrangère, qui requiert en toute hypothèse que la décision étrangère soit exécutoire en France pour qu'une violation de l'ordre public international puisse être caractérisée sur ce fondement.

Sur la seconde branche du moyen tirée de ce que les créances résultant de la sentence seraient les produits d'infractions pénales

33. La prohibition de la corruption et du blanchiment figure au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international, étant rappelé que la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent provenant d'activités délictueuses fait l'objet d'un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations Unies contre la corruption faite à [Localité 6] le 9 décembre 2003 et entrée en vigueur le 14 décembre 2005.

34. La cour n'étant pas le juge du contrat ou de l'opération, l'annulation n'est toutefois encourue que s'il est démontré par des indices graves, précis et concordants que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique interne aurait pour effet de donner force à un contrat obtenu par corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature.

35. Une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres, ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux.

36. Il n'entre pas dans la mission de la cour, saisie d'un recours en annulation d'une sentence internationale, de rechercher si une partie à l'arbitrage peut être déclarée coupable du délit de corruption d'agent public étranger ou de blanchiment en application des dispositions pénales d'un ordre juridique national, mais seulement de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est de nature à entraver l'objectif de lutte contre la corruption et le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature.

37. En l'espèce, la demanderesse au recours fait valoir que les condamnations confirmées ou prononcées par les juridictions pénales iraniennes dans le cadre de la présente affaire, en particulier par la cour d'appel de Téhéran dans sa décision du 25 janvier 2022 (pièce demanderesse n° 25), des chefs de « collusion dans les transactions publiques » constituent des indices (« red flags ») de corruption, qui ont été ignorés à tort par le tribunal arbitral.

38. [V] souligne que la Convention de Mérida impose aux Etats parties non seulement d'incriminer les actes de corruption et de blanchiment proprement dits mais impose ou recommande également de prévoir des infractions spéciales sanctionnant certains agissements concomitants ou consécutifs, en particulier de la part des agents publics, qui participent au phénomène de la corruption.

39. Elle précise que la loi iranienne du 9 juin 1969 sur la répression de la collusion dans les transactions publiques constitue un outil de lutte contre la corruption conformément aux prescriptions de la Convention de Mérida.

40. La demanderesse au recours se prévaut en premier lieu des conditions financières du Contrat, constituées du montant du prix, des garanties financières exigées de M. [E] et des modalités de paiement du prix, dont elle considère qu'elles sont anormalement avantageuses pour ce dernier, au détriment de [V].

41. S'agissant des garanties, l'article 6 du Contrat (pièce demanderesse n° 5) stipulait que l'acheteur était tenu d'avoir pris toutes mesures permettant de financer la mise en 'uvre du projet " Flower of the East " dans sa totalité et d'en faire la déclaration à [V], au plus tard six mois après la date de conclusion du Contrat, sous peine de résolution du contrat (« Otherwise, all the Contracts and relevant written agreements shall be rendered as " null and void " », ce qui signifie « Dans le cas contraire, tous les Contrats et accords écrits y relatifs seront "nuls et non avenus'' »).

42. La question du respect de leurs obligations par les Défendeurs a été largement discutée devant le tribunal arbitral, les parties s'opposant sur l'interprétation de l'article 6 précité, la portée des obligations mises à la charge des Défendeurs et les conséquences juridiques à en tirer (section 2 de la partie III de la sentence), qu'il n'appartient pas à la cour de réviser. La cour relève en revanche que, devant le tribunal arbitral, la demanderesse au recours ne faisait pas valoir une absence de garanties comme indicateur d'une collusion pénalement répréhensible, mais le non-respect par les Défendeurs de leurs obligations de justifier du financement du projet.

43. Par ailleurs, s'agissant des conditions financières des Contrats anormalement avantageuses, qui constitueraient des indices de corruption, la demanderesse au recours ne justifie d'aucun élément autre que ceux mentionnés dans la motivation de la cour d'appel de Téhéran dans sa décision précitée du 25 janvier 2022, qu'elle se contente d'énumérer.

44. Dans cette décision, la juridiction iranienne qualifie le prix par mètre carré prévu dans le Contrat de 160.000 Rials d' « insignifiant », en le comparant au prix prévu par huit autres contrats de cessions de terrains conclus dans le cadre de projets d'investissement sur l'île de Kish. La cour de céans relève en premier lieu que la fourchette des prix indiqués pour ces huit contrats est particulièrement large, puisqu'elle s'étend de 248.597 Rials le mètre carré à 2 100 000 Rials le mètre carré, de sorte que l'on peut difficilement en tirer une conclusion suffisamment fiable pour apprécier le prix prévu au Contrat. Par ailleurs, ainsi que le souligne les Défendeurs, la demanderesse se contente de citer la décision de la cour de Téhéran, sans fournir aucune pièce ni aucun élément relatif aux caractéristiques des contrats cités par cette dernière, qui permettraient de s'assurer qu'ils sont, par leur objet et la teneur des obligations réciproques, par ailleurs comparables aux Contrats.

45. De manière similaire, s'agissant des conditions de paiement dont [V] considère qu'elles étaient « plus qu'avantageuses (échelonnement sur 30 ans à compter du début de l'exploitation) » et « mal définies », la demanderesse se contente, pour justifier de son assertion, de renvoyer au jugement du tribunal de l'île de Kish du 15 août 2016 (pièce demanderesse n°13), qui a retenu que l'incertitude sur la date de début d'exploitation ne permettait pas d'établir l'existence d'une contrepartie (« consideration ») exigée par le droit iranien et en a conclu que les Contrats étaient nuls et non avenus.

46. La demanderesse soutient également que les conditions formelles de la conclusion de Contrat et de la cession de celui-ci à FoE étaient irrégulières et fait en particulier valoir, comme indices de corruption :

- Que les signataires du Contrat n'ont pas tenu compte de certaines objections du directeur juridique de [V] de l'époque, ni n'ont respecté les statuts de [V] en ce qu'ils imposaient une signature par deux signataires autorisés, alors que le Contrat a été signé par un seul d'entre eux ;

- Que la cession du Contrat à FoE en 2003 était intervenue en violation du « Règlement sur l'utilisation des terres et autres ressources nationales dans les zones franches commerciales et industrielles de la République islamique d'Iran » (pièce demanderesse n° 1), contestant la validité et la valeur probante d'un courrier du 6 décembre 2003, dont se prévaut M. [E] pour justifier de la régularité de la cession à FoE ;

- L'introduction d'une clause compromissoire dans le Contrat, sans l'autorisation du conseil des ministres iranien contrairement à ce que prévoit la constitution iranienne.

47. Si le non-respect d'un processus formel de conclusion d'un contrat avec les autorités publiques peut constituer un indicateur de corruption, en l'espèce, les éléments qui ont nourri le débat juridique devant le tribunal arbitral sur la régularité formelle du Contrat et la régularité de la cession dudit Contrat à FoE ne caractérisent pas des indices graves, précis et concordants d'atteintes à la probité.

48. Dans sa décision précitée du 25 janvier 2022, la cour d'appel de Téhéran relève elle-même, après avoir retenu que le Contrat n'avait pas été régulièrement signé, que « le Président de la République à l'époque, après avoir pris connaissance des faits, a ordonné l'amendement du contrat, ce qui a conduit à la conclusion de l'avenant du 30 mai 2007 ». Si les irrégularités formelles supposées du Contrat avaient été telles qu'elles avaient entaché la formation du Contrat d'une atteinte grave à la probité, un amendement pour régulariser le Contrat, à la demande de la plus haute autorité iranienne n'aurait pas été envisageable. Il est significatif à cet égard que la société [V] omette d'analyser l'incidence de cet amendement du contrat sur ses allégations de fraude.

49. La cour relève en outre que les parties sont restées en relations d'affaires pendant près de sept ans, qu'elles ont choisi de conclure un avenant cinq ans après la conclusion du Contrat. La procédure arbitrale, d'une durée exceptionnellement longue (près de 12 ans), a été suspendue pendant près de 18 mois pour permettre aux parties d'aboutir à un accord (qui finalement n'est pas intervenu) et que si la question de la validité a été débattue devant le tribunal arbitral, l'allégation de collusion n'est intervenue que très tardivement.

50. La cour relève également que la cour d'appel de Téhéran a caractérisé les faits de collusion dans les transactions gouvernementales en retenant que cette infraction est une « application de l'enrichissement sans cause et [que], dans la charia, les auteurs de tels actes sont considérés comme punissables de peine de " Tazir " » et que l'interdiction de « ne pas manger le bien des autres injustement », énoncée par les versets des sourates qu'elle cite, implique que les biens qui sont acquis de façon injuste sont illicites. Elle retient par ailleurs que l'infraction étant une application de l'enrichissement injuste, elle est exclu du champ des dispositions de prescription et que les responsables de [V] mis en cause n'ont pas observé les « limites coutumières et habituelles pour la préservation et la protection des biens de l'Etat en ce qui concerne la cession et la transaction des terres qui font l'objet du contrat » avec M. [E], de sorte que « par collusion et sans aucune justification, ils ont causé des pertes et dommages à l'Etat ».

51. Il s'ensuit que la démarche juridique suivie par la cour de Téhéran aux fins de caractérisation de l'infraction de « collusion » dans les transactions publiques, qui ne reprend pas les éléments constitutifs de l'infraction de corruption et se fonde sur un comportement général des agents publics n'ayant pas permis d'assurer la protection des biens de l'Etat, ne permet pas de caractériser un faisceau d'indices graves, précis et concordants de corruption qui aurait été entaché le Contrat lors de sa conclusion.

52. Enfin, l'insertion dans le contrat d'une clause compromissoire stipulant un arbitrage sous l'égide de la CCI, ne constitue pas un indice de corruption dans la conclusion du contrat, quand bien même, en vertu du droit iranien, elle aurait dû être préalablement autorisée en conseil des ministres, la demanderesse ne fournissant sur ce point aucune démonstration autre que l'absence d'autorisation en conseil des ministres et le fait que l'insertion de la clause, comme le recours à l'arbitrage, aient été retenus par les juridictions iraniennes comme un élément étayant la collusion.

53. Il résulte de ces développements que les éléments invoqués par la demanderesse, envisagés isolément comme dans leur ensemble, ne permettent pas de caractériser l'atteinte alléguée à l'ordre public international tirée de l'existence d'indices graves précis et concordants de faits de corruption.

54. S'agissant par ailleurs des éléments révélés par le jugement allemand du 12 novembre 2019 du Langericht de [Localité 7] (pièce demanderesse n°48 et traduction libre en pièce demanderesse n°48bis) qui a condamné M. [E] à une peine de huit ans d'emprisonnement pour des faits de fraude, la demanderesse fait valoir que :

- Le jugement allemand fournit des éléments sur les participations directes et indirectes dans FoE Kish qui auraient eu un impact sur la décision du tribunal arbitral de déclarer valable la résiliation du Contrat ;

- Il ressort du jugement allemand que M. [E] a fait de fausses déclarations au tribunal arbitral en déclarant ne jamais avoir été actionnaire de la société émiratie « DBM », à laquelle FoE Kish avait confié la suite de la réalisation du projet et qui avait été dirigée par M. [I] [E] ; Elle soutient que la condamnation prononcée par le tribunal arbitral repose ainsi sur des chefs de dommages allégués émanant d'un contrat de M. [E] avec lui-même, dont le montant ne saurait donc être sérieusement accepté, au vu du comportement frauduleux systématique de l'intéressé.

55. Elle considère que l'absence de garanties solides (liée aux man'uvres frauduleuses auxquelles se livrait M. [E] en Allemagne), et l'octroi à M. [E] de terrains à un prix avantageux, « confirment même pour l''il le moins entrainé, le caractère corruptif des faits sous-jacents au litige ».

56. Si le jugement allemand atteste que M. [E] a déjà été impliqué dans des opérations frauduleuses, cette décision a été rendue dans une affaire distincte de celle ayant conduit à la reddition de la sentence. La condamnation pénale prononcée par le tribunal allemand, qui porte sur des faits étrangers à la conclusion et à la mise en 'uvre des Contrats, ne permet pas d'étayer la caractérisation d'indices de corruption qui auraient entaché la formation ou l'exécution de ceux-ci, ni a fortiori de démontrer que les condamnations financières énoncées par la sentence seraient les produits d'actes de corruption.

57. [V] échoue ainsi à démontrer que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique français aurait pour effet de donner force à un contrat entaché de corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature.

58. La deuxième branche du moyen est en conséquence rejetée, entraînant le rejet du moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public international.

B. Sur le moyen subsidiaire tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral

i. Position des parties

59. A titre subsidiaire, [V] soutient que le tribunal n'a pas respecté sa mission en n'appliquant pas le droit applicable au litige pour évaluer le montant des dommages-intérêts alloués. Elle fait valoir que :

- Le tribunal arbitral est tenu d'appliquer au fond du litige les règles de droit choisies par les parties ;

- En l'espèce, une clause désignait le droit iranien comme droit applicable au contrat et le contrat prévoyait que le quantum serait déterminé à dire d'expert ;

- Le tribunal n'a ni ordonné d'expertise financière, ni invité l'auteur de la demande de dommages-intérêts à lui soumettre un rapport d'expert financier ;

- L'estimation du montant du préjudice dû est une question de droit substantiel qui dépend du droit applicable au contrat ;

- Le droit iranien ne prévoit pas de faculté générale de procéder à une évaluation judiciaire du préjudice.

60. Les Défendeurs concluent au rejet du moyen d'annulation tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral en ce que :

- Le contrôle du respect de sa mission par le tribunal arbitral ne couvre ni la manière dont le tribunal arbitral a appliqué le droit applicable, ni la pertinence de son raisonnement ;

- La critique de la motivation d'une sentence équivaut à une révision au fond ;

- La mission des arbitres ne comprend pas l'obligation d'examiner des arguments qu'une partie ne soutient pas. Or [V] n'a pas invoqué l'absence de rapport d'expert sur la quantification des dommages devant le tribunal arbitral.

- La demande d'une expertise est un argument de fond qui n'est pas de nature à fonder l'annulation de la sentence ;

- Le tribunal a détaillé son approche de la quantification des dommages subis et a expliqué la méthode d'évaluation du montant des dommages alloués :

o La pratique communément admise en matière d'arbitrage international permet au tribunal de procéder de manière discrétionnaire à une quantification raisonnable des pertes subies en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes ;

o Cette approche est conforme au droit iranien, qui reconnaît au juge une certaine latitude dans l'exercice de son pouvoir d'évaluation des dommages-intérêts.

ii. Appréciation de la cour

61. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

62. Définie par la convention d'arbitrage, cette mission est principalement délimitée par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.

63. Conformément à l'article 1511 du code de procédure civile, il appartient au tribunal arbitral de trancher le litige conformément aux règles de droit que les parties ont choisies ou, à défaut, conformément à celles qu'il estime appropriées, en tenant compte, dans tous les cas, des usages du commerce.

64. En l'espèce, [V] fait grief au tribunal arbitral de l'avoir condamnée à payer à FoE la somme de 39 548 709,90 € « au titre des dommages directs pour les dépenses inutiles liées au projet » (chef n°2 du dispositif de la sentence, §1583), sans s'être conformée à la méthode de quantification contractuellement prévue qui prévoyait le recours à un expert financier et en procédant à une estimation du dommage, alors que le droit iranien, qu'il était tenu d'appliquer, ne prévoit pas de faculté générale de procéder à une évaluation judiciaire du préjudice.

65. Dans le cadre de la procédure d'arbitrage, la question des pertes directes a été largement débattue entre les parties. La sentence lui consacre une section (§1008 à 1130) dans laquelle elle présente les demandes financières des Défendeurs et la position de [V] sur ces demandes avant d'exposer la position du tribunal arbitral.

66. Comme le soulignent les Défendeurs, si [V] a largement contesté la pertinence des éléments de preuve produits par les Défendeurs au soutien de leurs prétentions financières, elle ne s'est pas prévalue de l'absence de rapport d'expert sur le fondement de l'article 7 du contrat, ce que relève le tribunal arbitral : « Les Demandeurs n'ont pas non plus produit un rapport d'expertise de leur demande d'indemnisation, comme le prévoit l'Article 7 du Contrat, alors que - comme le note le Tribunal - le Défendeur n'a pas puisé d'argument dans l'Article 7. » (§1121).

67. Au soutien de son moyen d'annulation tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral, la demanderesse au recours ne se réfère d'ailleurs pas aux prétentions des parties formulées dans leurs mémoires devant le tribunal arbitral, alors même que ce sont elles qui délimitent la mission de l'arbitre dans le cadre de la convention d'arbitrage.

68. Par ailleurs, le tribunal a, conformément à sa mission, fait application droit iranien, en y faisant explicitement référence dans sa motivation sur l'évaluation des dommages-intérêts octroyés : « Le Tribunal s'appuie ainsi que la pratique communément admise en matière d'arbitrage international selon laquelle lorsque le montant des dommages-intérêts ne peut être établi avec un degré suffisant de certitude, le tribunal est habilité à apprécier l'ensemble des éléments de preuve figurant au dossier et, dans l'intérêt de la justice et de l'équité, à procéder de manière discrétionnaire à une quantification raisonnable des pertes subies en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. Cette approche est également acceptée en droit iranien : en effet, comme l'ont indiqué - de manière unanime - les Experts juridiques lors de l'Audience de 2014, le juge (ou l'arbitre) a " le pouvoir absolu de statuer sur les dommages " (Dr [X], Jour 4, p. 925, lignes 10-20), à condition que la demande de dommages soit autorisée par loi (Audience de 2014, Dr [Z], Jour 4, p. 925, lignes 5-10 : " Et c'est uniquement dans le cadre réglementaire que le juge iranien a le pouvoir d'évaluer les dommages. Et lorsque les lois prescrites prévoient que des dommages-intérêts ne peuvent pas être réclamés, le juge ne sera pas en mesure d'émettre une sentence pour le paiement de dommages-intérêts "). » (§1126 de la sentence).

69. C'est en réalité la motivation du tribunal arbitral sur l'octroi des dommages-intérêts à FoE au titre des pertes directes que la demanderesse au recours entend contester, laquelle échappe au contrôle de la cour.

70. Par suite, la demanderesse au recours ne démontre aucune violation de sa mission par le tribunal arbitral, de sorte que le moyen d'annulation soulevé à titre subsidiaire sera rejeté, entraînant le rejet du recours.

C. Sur les frais du procès

71. [V], dont le recours en annulation est rejeté, sera condamnée aux dépens en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure et sera déboutée pour ce motif de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

72. Elle sera en outre condamnée à payer à M. [E] et à la société FoE la somme globale de 100 000,00 euros en application du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé contre la sentence rendue le 10 mars 2022 par le tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire CCI N° 16711/ND/GZ/MHM/HBH ;

2) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

3) Condamne la société [J] [K] [B] Kish « [Adresse 4] » aux dépens ;

4) Déboute la société [J] [K] [B] Kish « [Adresse 4] » de ses demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Condamne la société [J] [K] [B] Kish [Adresse 1] » à payer à la société Flower Of The East Kish Development Company et à Monsieur [I] [E] la somme globale de cent mille euros (100 000,00 euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

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