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Cass. 1re civ., 26 novembre 2025, n° 24-17.340

COUR DE CASSATION

Autre

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Carrefour proximité France (SAS)

Défendeur :

Lukaflo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Champalaune

Rapporteur :

Mme Tréard

Avocat :

SCP L. Poulet-Odent

Cass. 1re civ. n° 24-17.340

25 novembre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 septembre 2023), en 2017, la société Lukaflo, ayant pour associé unique Mme [K], a conclu, le même jour, trois contrats en vue d'exploiter un fonds de commerce de type supermarché. Le premier, correspondant à un contrat de location-gérance, a été signé avec la société Carrefour proximité France (la société Carrefour) prise en qualité de bailleur, pour exploiter un fonds de commerce, sous l'enseigne Carrefour City, le deuxième, correspondant à un contrat de franchise a été signé avec la même société prise en qualité de franchiseur et le troisième, correspondant à un contrat d'approvisionnement de marchandises a été conclu avec la société CSF. Mme [K] s'est portée caution de la société Lukaflo au titre de ce dernier contrat.

2. En mars 2020, les sociétés Carrefour et Lukaflo ont convenu par actes séparés, d'une part, de la résiliation du contrat de location gérance, d'autre part, de la résiliation du contrat de franchise.

3. En novembre 2020, la société CSF a assigné Mme [K], prise en sa qualité de caution de la société Lukaflo, devant un tribunal de commerce, en paiement de sommes dues au titre du contrat d'approvisionnement. Mme [K] et la société Lukaflo, volontairement intervenue à l'instance, ont alors assigné en intervention forcée la société Carrefour en annulation du contrat de location gérance et des contrats qui en dépendent.

4. La société Carrefour a soulevé une exception d'incompétence sur le fondement de la clause compromissoire stipulée dans le contrat de franchise et de celle stipulée dans la convention de résiliation du contrat de location-gérance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Carrefour fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 16 décembre 2022, en ce qu'il s'est déclaré compétent sur la demande portant sur le contrat de location-gérance, alors :

« 1°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; qu'il s'ensuivait que la question même de savoir si cette clause compromissoire s'étendait aux litiges relatifs à la validité ou à l'exécution du contrat de location-gérance lui-même ne pouvait relever que de l'arbitre, seul juge de l'étendue de sa propre compétence ; que, pour approuver les premiers juges d'avoir retenu leur compétence pour juger d'une demande portant sur le contrat de location-gérance conclu entre la société Carrefour proximité France et la société Lukaflo et Mme [K], la cour a indiqué : ''en relevant que les clauses du contrat de location-gérance ne laissaient pas apparaître la possibilité de recourir à un tribunal arbitral en cas de conflit et en considérant que la clause d'arbitrage figurant dans la convention de résiliation du contrat de location-gérance ne prévoyait son application que dans les domaines de l'exécution et de l'interprétation de la résiliation, à l'exclusion de tout autre événement de la vie dudit contrat, les premiers juges n'ont fait que vérifier s'il existait pour le litige dont ils étaient saisis une clause susceptible d'écarter leur compétence (...)'' ; qu'en se prononçant ainsi, pour justifier sa propre compétence, en jugeant de l'étendue du champ d'application de la clause compromissoire et de ce qu'elle était supposée exclure, à défaut de toute indication donnée par cette clause, la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile ;

2°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; que, pour confirmer le jugement des premiers juges en ce qu'ils s'étaient déclarés compétents sur la demande portant sur le contrat de location-gérance conclu entre la société Carrefour et la société Lukaflo et Mme [K], la cour a retenu que ''si comme le soutient justement la société Carrefour le juge étatique ne peut se déclarer compétent en présence d'une clause compromissoire que si celle-ci est manifestement inapplicable, encore faut-il qu'il existe une telle clause. Or, comme rappelé plus haut et non contesté, le contrat de location-gérance du 5 janvier 2017 ne comporte pas de clause d'arbitrage'' ; qu'en se déterminant ainsi quand, à défaut du constat de l'inapplicabilité manifeste de cette clause au contrat de location-gérance, seul l'arbitre était compétent pour trancher la question de savoir si cette clause, contenue dans la convention de résiliation, lui permettait de trancher celle de la validité du contrat de location-gérance, la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile ;

3°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; que, pour confirmer le jugement des premiers juges en ce qu'ils s'étaient déclarés compétents sur la demande portant sur le contrat de location-gérance conclu entre la société Carrefour et la société Lukaflo et Mme [K], la cour a retenu : ''Certes une clause compromissoire figure bien dans la convention de résiliation du contrat de location gérance – dans les termes repris ci-dessus –, laquelle n'a vocation à s'appliquer que pour 'les contestations auxquelles pourraient donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation'. En l'espèce, la contestation de Mme [R] [K] et de la société Lukaflo porte sur la formation, la validité du contrat de location-gérance (dont la nullité est soulevée) et non sur la résiliation de celui-ci ; que, cependant, l'exposante avait rappelé à la cour, que la société Lukaflo avait, dans l'article 1er alinéa 2 de la convention de résiliation, qui comportait une clause compromissoire, entendu ''renoncer à toute action en nullité concernant ledit contrat [de location-gérance]'' » ; qu'il en résultait que les parties signataires de la convention de résiliation du contrat de location gérance avaient entendu intégrer la question de l'annulation de ce contrat dans la convention de résiliation, de sorte qu'il incombait aux seuls arbitres de juger, à l'examen de la volonté des parties, si elles n'avaient pas entendu soumettre à un tribunal arbitral tout ce qui touchait à l'anéantissement du contrat de location-gérance que la convention de résiliation avait entendu régler ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour a violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile ;

4°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; que l'article 1 alinéa 2 de la même convention stipulait que la société Lukaflo entendait ''renoncer à toute action en nullité concernant ledit contrat [de location-gérance]'' ; que, pour retenir néanmoins sa compétence et exclure celle de l'arbitre, la cour a énoncé : ''La conclusion et la résiliation de ce contrat [de location-gérance] ont fait l'objet de deux conventions distinctes, la première dépourvue de clause compromissoire, la seconde contenant une telle clause. Le litige relevant de la première convention pour laquelle les parties n'ont pas convenu de se soumettre à l'arbitrage en l'absence de clause compromissoire, il ne peut être reproché aux premiers juges de ne pas avoir recherché en quoi la clause compromissoire d'une autre convention – non concernée par la demande – serait manifestement inapplicable. De même, il ne saurait être soutenu en l'espèce que seul le tribunal arbitral peut établir les limites de sa propre compétence puisque le contrat de location-gérance en cause ne prévoit pas un tel tribunal'' ; qu'il appartenait exclusivement à l'arbitre de déterminer les liens susceptibles d'exister entre les deux contrats et de se prononcer sur la volonté des parties de soumettre la validité du contrat de location-gérance à l'arbitrage ; qu'en se faisant elle-même le juge de l'extension au contrat de location-gérance de la clause compromissoire contenue dans la convention de résiliation de ce contrat, la cour a derechef violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile ;

5°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; que l'article 1 alinéa 2 de la même convention stipulait que la société Lukaflo entendait ''renoncer à toute action en nullité concernant ledit contrat [de location-gérance]'' ; que, pour retenir néanmoins sa compétence et exclure celle de l'arbitre, la cour a retenu que cette dernière stipulation n'avait aucune portée, ''cette nullité concernant tout au plus la recevabilité de la demande de nullité et ne modifiant par ailleurs en rien le champ de la clause compromissoire'' ; qu'en se déterminant ainsi, quand cette clause constituait à tout le moins un indice de la volonté des parties de soumettre tous les litiges afférents à la rupture du contrat à l'arbitrage, question relevant de la compétence du tribunal arbitral, la cour d'appel a violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile ;

6°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; qu'en outre, le tribunal arbitral est seul compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ; qu'en l'espèce, si le contrat de location-gérance lui-même ne comportait pas de clause compromissoire, les parties à l'acte ont ultérieurement conclu une convention portant sur la résiliation de ce contrat, dont l'article 8 était ainsi rédigé : ''Toutes contestations auxquelles pourrait donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumises à trois arbitres'' ; que l'article 1 alinéa 2 de la même convention stipulait que la société Lukaflo entendait ''renoncer à toute action en nullité concernant ledit contrat [de location-gérance]'' ; que, pour retenir néanmoins sa compétence et exclure celle de l'arbitre, la cour a énoncé que cette dernière stipulation n'avait aucune portée, ''cette nullité concernant tout au plus la recevabilité de la demande de nullité et ne modifiant par ailleurs en rien le champ de la clause compromissoire'' ; qu'en se faisant ainsi l'interprète de la portée de cette clause, quand toute interprétation des termes de la convention de résiliation du contrat de location-gérance ressortissait à la priorité de compétence des arbitres, la cour d'appel a derechef violé les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Par application des articles 1448 et 1465 du code de procédure civile, il appartient à l'arbitre de statuer par priorité sur sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage.

7. L'arrêt constate, d'abord, d'une part, qu'à la différence du contrat de franchise conclu le même jour, le contrat de location gérance est dépourvu de toute clause d'arbitrage, d'autre part, que la conclusion et la résiliation du contrat de location-gérance ont également fait l'objet de deux conventions distinctes. Il rappelle que la clause compromissoire insérée dans la seule convention de résiliation du contrat de location gérance prévoit que toutes les contestations auxquelles pourraient donner lieu l'exécution ou l'interprétation de la présente résiliation seront soumis à l'arbitrage, ce dont il ressortait qu'elle était dépourvue de toute portée générale.

8. Il relève, ensuite, que le litige dont est saisi la juridiction porte sur une demande de nullité, la contestation de Mme [K] et de la société Lukaflo étant relative à la formation et à la validité du contrat de location gérance, et non à la résiliation de celui-ci, et que l'article 1er de la convention de résiliation du contrat de location gérance, qui précise que le locataire gérant déclare, en tant que de besoin, renoncer à toute action en nullité concernant ledit contrat, peut tout au plus avoir une incidence sur la recevabilité d'une telle demande.

9. De ces seules constatations et appréciations, dont il résulte que les parties ont entendu distinguer le régime applicable à chacune de leurs conventions, de sorte que les clauses compromissoires des unes étaient manifestement inapplicables aux autres, la cour d'appel, qui s'est bornée à en constater la teneur sans les interpréter, a justement déduit que l'exception d'incompétence devait être rejetée.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Carrefour proximité France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-six novembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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