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Décisions

CA Orléans, ch. civ., 25 novembre 2025, n° 23/02781

ORLÉANS

Arrêt

Autre

CA Orléans n° 23/02781

25 novembre 2025

COUR D'APPEL D'ORLÉANS

C H A M B R E C I V I L E

GROSSES + EXPÉDITIONS : le 25/11/2025

la SELARL LEROY AVOCATS

la SELARL KROVNIKOFF GALLY

ARRÊT du : 25 NOVEMBRE 2025

N° : - 25

N° RG 23/02781 - N° Portalis DBVN-V-B7H-G4WW

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'[Localité 11] en date du 02 Novembre 2023

PARTIES EN CAUSE

APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265292493875946

[Adresse 7], société coopérative à forme anonyme au capital social de 474 039 440 €, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Orléans sous le numéro B 383 952 470, prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité au siège.

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Marie-Odile COTEL de la SELARL LEROY AVOCATS, avocat au barreau D'ORLEANS

D'UNE PART

INTIMÉS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265304573937883

Madame [F] [B]

née le 19 Janvier 1982 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Flora GALLY de la SELARL KROVNIKOFF GALLY, avocat au barreau D'ORLEANS

Monsieur [V] [U]

né le 01 Juin 1976 à [Localité 12]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Flora GALLY de la SELARL KROVNIKOFF GALLY, avocat au barreau D'ORLEANS

S.E.L.A.R.L. VILLA [K], en la personne de Maître [N] [K], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société BC TRAVAUX, société par actions simplifiée immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Orléans sous le n° B 881 366 652,.

[Adresse 4]

[Localité 2]

Non représentée, n'ayant pas constitué avocat

D'AUTRE PART

DÉCLARATION D'APPEL en date du :20 Novembre 2023

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 30 juin 2025

COMPOSITION DE LA COUR

Lors des débats, du délibéré :

Mme Nathalie LAUER, Président de chambre,

M. Laurent SOUSA, Conseiller, en charge du rapport,

Mme Laure-Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Greffier :

Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 octobre 2025, ont été entendus Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.

ARRÊT :

Prononcé le 25 novembre 2025 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Le 5 novembre 2020, M. [U] et Mme [B] ont confié à la société BC Travaux la construction de leur maison individuelle à [Localité 10] (45), financée par un prêt souscrit auprès de la [Adresse 8].

Par jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 10 août 2022, la société BC Travaux a été placée en redressement judiciaire. M. [U] et Mme [B] ont alors fait constater l'abandon du chantier par un commissaire de justice. Aucune garantie de livraison n'a été prévue par le constructeur.

Par courrier du 5 janvier 2023, M. [U] et Mme [B] ont résilié le contrat conclu avec la société BC Travaux.

Par courrier du 9 janvier 2023, M. [U] et Mme [B] ont déclaré une créance de 257 416,88 euros au passif de la procédure collective de la société BC Travaux. Par ordonnance du 2 mars 2023, le juge-commissaire s'est déclaré incompétent au titre de la contestation sérieuse existante entre les parties pour connaître de l'admission de la créance déclarée par M. [U] et Mme [B], et invité le créancier à saisir la juridiction compétente.

Par ordonnance de référé en date du 17 février 2023, M. [U] et Mme [B] ont obtenu la désignation de M. [Y], en qualité d'expert, les opérations d'expertise ayant été rendues communes et opposables à la Caisse d'épargne et Me [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BC Travaux.

Par jugement du 8 mars 2023, le tribunal de commerce d'Orléans a converti le redressement judiciaire de la société BC Travaux en liquidation judiciaire, désignant Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 28 mars 2023, M. [U] et Mme [B] ont fait assigner à comparaître devant le tribunal judiciaire d'Orléans à jour fixe, la [Adresse 8], et Me [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société BC Travaux, aux fins notamment de voir requalifier le marché de travaux en contrat de construction d'une maison individuelle, d'annulation du contrat, de fixation de créance au passif de la société BC Travaux et d'engagement de la responsabilité de la banque.

Par jugement du 2 novembre 2023, le tribunal judiciaire d'Orléans a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la [Adresse 8] ;

- dit que le contrat signé entre M. [U] et Mme [B] et la société BC Travaux le 5 novembre 2020 doit être qualifié de contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans par architecte proposé par le constructeur, la société BC Travaux, soumis au respect des dispositions d'ordre public des articles L.231-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation ;

- dit que la responsabilité de la [Adresse 8] est engagée à l'égard de M. [U] et Mme [B] en application de l'article L.231-10 du code de la construction et de l'habitation ;

- prononcé le sursis à statuer sur les demandes indemnitaires de M. [U] et Mme [B] à l'encontre de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre dans l'attente du dépôt du rapport par l'expert judiciaire, M. [Y] ;

- dit que M. [U] et Mme [B] sont fondés dans leurs demandes en réparation des conséquences de l'inexécution du contrat de construction par la société BC Travaux en application de l'article 1217 du code civil au titre de l'exception d'inexécution ;

- débouté M. [U] et Mme [B] de leur demande aux fins de résiliation du contrat de construction conclu le 5 novembre 2020 avec la société BC Travaux ;

- prononcé le sursis à statuer sur la détermination de la créance et la demande de dommages et intérêts de M. [U] et Mme [B] à l'égard de la société BC Travaux et sur leur demande de fixation de leur créance au passif de la société BC Travaux placée en liquidation judiciaire, dans l'attente du dépôt du rapport par l'expert judiciaire, M. [Y] ;

- dit qu'il est sursis à statuer sur les demandes au titre des frais irrépétibles et dépens ;

- dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution à titre provisoire de droit du présent jugement, en application de l'article 514 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Par déclaration en date du 20 novembre 2023, la [Adresse 8] a interjeté appel de tous les chefs du jugement. Me [K] n'a pas constitué avocat.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2024, la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a : dit que le contrat signé entre de M. [U], Mme [B] et la société BC Travaux devait être qualifié de contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans ; dit que la responsabilité de la Caisse d'Épargne était engagée à leur égard en application de l'article L.231-10 du code de la construction et de l'habitation ; dit qu'il est sursis à statuer sur les demandes au titre des frais irrépétibles et dépens ; débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;

Statuant à nouveau,

- déclarer M. [U] et Mme [B] mal fondées en leurs demandes et les débouter de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions ;

Subsidiairement,

- dire et juger que M. [U] et Mme [B] sont fautifs d'avoir sollicité la libération des fonds alors que le chantier n'avait pas encore démarré ;

- les débouter de leurs prétentions ou limiter leur recours à proportion de la gravité des fautes respectives des parties ;

En tout état de cause,

- condamner in solidum M. [U] et Mme [B] au paiement la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure

civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens de l'instance.

Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2024, M. [U] et Mme [B] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

En conséquence, si la cour décide d'évoquer,

- dire et juger qu'ils sont bien fondés à se prévaloir de la réparation intégrale de leur préjudice ;

- rejeter la demande de partage de responsabilité formée par la [Adresse 8] ;

- rejeter toute autre demande plus ample ou contraire formée par la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre ;

- condamner la [Adresse 8] à leur payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ;

- condamner la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Flora Gally, avocate au barreau d'Orléans, associée de la SELARL Sonia Krovnikoff Flora Gally,

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

I- Sur la responsabilité de la banque

A- Sur la faute

Moyens des parties

L'appelante soutient que les documents remis par les intimés lors de la conclusion du prêt faisaient apparaître que l'opération se situait hors du champ d'application du contrat de construction de maison individuelle, dès lors que les intimés avaient missionné un architecte pour établir les plans de la construction et déposé le permis de construire et que le marché excluait expressément les travaux de charpente et de couverture et donc les travaux de mise hors d'eau ; que l'organisme prêteur qui accepte de financer des travaux de construction d'une maison individuelle, n'est pas tenu de requalifier le contrat qui lui est soumis et il n'a pas à s'immiscer dans la convention passée entre le constructeur et le maître de l'ouvrage ni d'imposer aux emprunteurs un cadre contractuel plutôt qu'un autre ; que le devis en date du 23 juillet 2020 confirme que les travaux de couverture sont hors marché ; que les emprunteurs devaient confier à une autre entreprise les travaux de couverture, ce que confirme le devis de couverture en date du 8 octobre 2020 ; que ce devis a été établi directement à l'attention de M. [U] et non de BC Travaux, ce qui invalide la thèse des intimés selon laquelle BC Travaux devait sous-traiter ces travaux ; que cela exclut par voie de conséquence la qualification de contrat de construction de maison individuelle dès lors que le plan n'a pas été fourni par ledit constructeur conformément à l'article L. 231-1, b) du code de la construction et de l'habitation ; que les plans de la maison ont été établis par un architecte et n'ont donc pas été fournis par la société BC Travaux et dans la mesure où cette dernière ne s'est pas vue confier la réalisation de l'entière maison, la qualification de contrat de construction de maison individuelle ne s'imposait nullement en regard des dispositions de l'article L. 231-1 du code de la construction et de l'habitation ; que si les intimés ont soutenu, sur la base d'un simple courriel, que l'architecte leur aurait été conseillé par la société BC Travaux qu'elle avait employé « pendant un temps », il n'en demeure pas moins que cette information ne lui a pas été fournie lors de la demande de prêt ; que le contrat de la société BC Travaux renvoie au cahier des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés et donc à la norme AFNOR NF P 03-001, qui s'applique dans les marchés de travaux privés ; que la société BC Travaux ne pouvait absolument pas être assimilée à un constructeur de maison individuelle en regard des limites de ses prestations puisque l'opération était organisée par corps d'état séparés et qu'elle n'était pas intervenue au stade de la conception de la maison, les plans ayant été établis par un architecte ; que le tribunal ne disposait pas d'élément probant pour requalifier le contrat de la société BC Travaux en un contrat de construction de maison individuelle ; que la faute éventuelle de l'établissement de crédit au titre de son devoir de conseil doit s'apprécier en regard des éléments qui ont été portés à sa connaissance lors de la conclusion du prêt et non sur la base de ceux que les demandeurs ont divulgués après la conclusion du prêt, au cours de la présente procédure, pour les seuls besoins de leur cause, tel que le courriel du 30 octobre 2020 ; qu'elle ne pouvait pas connaître l'existence de liens professionnels entre l'architecte et le constructeur, à supposer que la nature de ces liens puisse entraîner la requalification du marché de travaux en CCMI avec fourniture de plans ; que M. [U] exerce une activité professionnelle en relation avec la législation applicable aux chantiers de construction, étant précisé qu'il dispense depuis douze années des formations en matière de prévention des risques professionnels ; que M. [U] est donc parfaitement au fait de la réglementation applicable et vise d'ailleurs avec précision, dans sa lettre du 3 novembre 2022, les stipulations du contrat passé avec la société BC Travaux, et des termes juridiques et techniques adaptés à la situation ; que l'obligation de vérification visée à l'article L.231-10 du code de la construction et de l'habitation ne s'applique pas au contrat de construction d'une maison individuelle sans fourniture de plan ; qu'il en résulte qu'elle n'était pas tenue à l'obligation de vérification visée à l'article L. 231-10 dudit code et ne saurait engager sa responsabilité dans la présente espèce ; qu'au regard de ces éléments, elle ne pouvait pas imaginer qu'elle se trouvait en présence d'un contrat de construction de maison individuelle, de sorte que la demande d'indemnisation pour manquement à son devoir d'information, de conseil et de mise en garde, ne pourra être que rejetée ; que le jugement devra donc être infirmé en ce qu'il a retenu sa responsabilité.

Les intimés répliquent que la société BC Travaux a régularisé un marché de travaux pour la construction d'une maison individuelle et les plans ont été réalisés par un architecte proposé par la société BC Travaux ; qu'aux termes du marché, les travaux consistaient en la « construction TCE d'une maison individuelle », le constructeur ayant pris soin de faire référence à la faculté de rétractation prévue à l'article [9]-4 du code de la construction et de l'habitation, relatif au contrat de construction de maison individuelle ; que le marché était convenu pour un « prix global, forfaitaire, ferme et actualisable » ; que la société BC Travaux a assuré la maîtrise et la direction de toute l'opération et s'est chargée de l'intégralité de la construction, tous les corps d'état secondaires étant inclus dans l'opération ; qu'il a pu être jugé qu'un contrat de maîtrise d'oeuvre présentant ces caractéristiques devait être requalifié en contrat de construction de maison individuelle ; que la qualification de contrat de construction de maison individuelle est admise, que le co-contractant ait proposé ou fait proposer un plan ; qu'en l'espèce, l'architecte, qui aurait été salarié de l'entreprise pendant un temps, leur a été conseillé par la société BC Travaux ; que les plans ont été réalisés par M. [E] [T], dirigeant de la société AMT45, se présentant également comme directeur technique de la société BC Travaux, dans un mail du 30 octobre 2020 ; qu'en tout état de cause, si la cour devait considérer que la fourniture indirecte des plans par le constructeur n'est pas établie, il pourra retenir la qualification de contrat de construction sans fourniture de plan ; qu'il est en effet établi que la société BC Travaux s'est chargée de l'ensemble de la construction, et notamment des travaux de gros oeuvre, de mise hors d'air et de mise hors d'eau ; qu'ainsi, le moyen tiré de la fourniture du plan par un architecte comme obstacle à la qualification sera écarté ; qu'ils se sont vus proposés l'intervention de l'entreprise « EI Desaunois Gilles » par la société BC Travaux, mais l'entreprise n'est cependant jamais intervenue sur le chantier et aucun devis n'a été signé ; que la charpente a finalement été commandée auprès de la société Champeau directement par BC Travaux ; qu'il ressort d'ailleurs de l'ensemble des communications entre ces deux parties, que BC Travaux a toujours été leur unique interlocuteur, y compris concernant les travaux de charpente ; que la seule mention de la norme AFNOR NF P 03-001 aux termes du contrat ne permet pas de conclure à la qualification d'un marché de travaux privés excluant celle du contrat de maison individuelle ; qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, le tribunal a pu ordonner la requalification du marché en contrat de construction de maison individuelle, et la décision sera confirmée ; que le prêteur de deniers est débiteur d'une obligation de renseignement et de conseil à l'égard des emprunteurs au titre de la construction de maisons individuelles ; qu'il appartenait à la [Adresse 8] d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur le fait que l'opération aurait dû être qualifiée de contrat de construction de maison individuelle et que la dénomination et le montage proposés par le constructeur contournaient le régime protecteur et impératif des articles L.231-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation ; que s'il n'appartenait pas à la banque de requalifier le contrat, elle aurait néanmoins dû faire preuve de vigilance et les alerter sur les risques pouvant résulter du montage contractuel proposé par la société BC Travaux et de l'absence de garantie de livraison ; que lors de l'exécution des travaux, la banque n'a pas été davantage vigilante, puisqu'elle a accepté de débloquer les fonds, pour des travaux qui n'avaient pas encore été réalisés, alors qu'à ce jour, seuls les murs, la charpente et certaines fenêtres ont été posés ; que la banque aurait dû alerter les emprunteurs sur le risque que présentait un déblocage prématuré des fonds, qui plus est au-delà du montant initialement prévu au marché, de sorte qu'ils sont bien fondés à engager la responsabilité de la [Adresse 8] ; que la banque ne rapporte pas la preuve d'une compétence avérée de M. [U] en la matière, puisqu'il est formateur en prévention des risques professionnels, ce qui n'a rien à voir avec le domaine de la construction ; qu'à défaut de démontrer le caractère averti des deux créanciers, la banque ne saurait restreindre l'étendue de son devoir de conseil et d'information ; que l'appréciation de l'obligation de vérification incombant à la banque, notamment au regard de la garantie de livraison, ne dépend donc pas de la fourniture de plan ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu une faute de la banque.

Réponse de la cour

L'article L.231-1 du code de la construction et de l'habitation dispose :

« Toute personne qui se charge de la construction d'un immeuble à usage d'habitation ou d'un immeuble à usage professionnel et d'habitation ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l'ouvrage d'après un plan qu'elle a proposé ou fait proposer doit conclure avec le maître de l'ouvrage un contrat soumis aux dispositions de l'article L. 231-2.

Cette obligation est également imposée :

a) A toute personne qui se charge de la construction d'un tel immeuble à partir d'un plan fourni par un tiers à la suite d'un démarchage à domicile ou d'une publicité faits pour le compte de cette personne ;

b) A toute personne qui réalise une partie des travaux de construction d'un tel immeuble dès lors que le plan de celui-ci a été fourni par cette personne ou, pour son compte, au moyen des procédés visés à l'alinéa précédent.

Cette personne est dénommée constructeur au sens du présent chapitre et réputée constructeur de l'ouvrage au sens de l'article 1792-1 du code civil ».

L'article L. 231-10, alinéa 1er, du code de la construction et de l'habitation dispose qu'aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture de plan comporte celles des énonciations mentionnées à l'article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l'acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s'il n'a pas communication de l'attestation de garantie de livraison.

L'article L.231-2 prévoit notamment que le contrat de construction de maison individuelle doit comporter les justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties étant établies par le garant et annexées au contrat.

Si le prêteur n'a pas l'obligation de requalifier en contrat de construction de maison individuelle le document qui lui était soumis et ne peut pas s'immiscer dans le contrat passé entre le constructeur et le maître de l'ouvrage, il était tenu à un devoir d'information et de conseil envers l'emprunteur lorsque l'erreur sur la qualification réelle du contrat était flagrante, ainsi que l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (3e Civ., 8 juin 2023, pourvoi n° 22-11.675).

En l'espèce, M. [U] et Mme [B] ont communiqué au prêteur, le marché de travaux conclu avec la société BC Travaux le 5 novembre 2020, portant sur la construction « TCE » (tous corps d'état) d'une maison individuelle sur le terrain des maîtres d'ouvrage qui ont obtenu un permis de construire à cette fin.

Le contrat stipule en son article 1.1 relatif à l'objet du contrat :

« Lorsqu'il est signé pour la construction d'un immeuble neuf d'habitation, le marché de travaux ne devient définitif qu'au terme d'un délai de 7 jours pendant lequel l'acquéreur non professionnel a la faculté de se rétracter. Le marché est adressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes (articles L.231-4, L.271-1 et L.271-2 du CCH) ».

Le contrat ne fait pas mention du recours des maîtres d'ouvrage à un maître d'oeuvre. Il précise par ailleurs que, parmi les pièces constituant le marché, figurent les plans et dessins. Enfin, il était fixé un prix global, forfaitaire, ferme et actualisable d'un montant totale de 251 066,,86 euros, et il était précisé que le lot charpente-couverture était hors marché. Le devis, également communiqué à la banque, prévoyait quant à lui un prix de 302 714,80 euros TTC.

Il est ainsi établi que la banque avait connaissance du fait que la société BC Travaux était en charge de la construction d'un immeuble à usage d'habitation destiné à M. [U] et Mme [B]. Le seul fait que le lot charpente-couverture soit hors marché ne permettait pas d'exclure l'application de la législation d'ordre public relative à la construction de maison individuelle, dès lors que l'article L.231-2 d) du code de la construction et de l'habitation prévoit que le contrat doit mentionner le coût des travaux dont le maître de l'ouvrage se réserve l'exécution.

Le prêteur soutient qu'il n'est pas démontré que le contrat a été conclu avec fourniture de plan.

Les plans ont été établis par M. [T], et il ressort d'un courrier électronique adressé par celui-ci aux maîtres d'ouvrage le 30 octobre 2020, qu'il était directeur technique de la société BC Travaux. L'adresse de courrier électronique présente un nom de domaine « @bati-consulting.com » identique à celui utilisé par le secrétariat de la société BC Travaux soit « [Courriel 13] ». Il est donc établi que les plans ont été réalisés par la société BC Travaux.

Si la [Adresse 8] n'a pas eu connaissance de courrier électronique, elle savait en revanche que le marché de travaux confié à la société BC Travaux aux fins de construction d'une maison individuelle faisait expressément référence à des plans, sur lesquels elle ne s'est pas renseignée, alors même que M. [U] et Mme [B] n'avaient communiqué aucun contrat d'architecte à l'appui de leur demande de prêt, outre le fait que le contrat mentionnait la faculté de rétractation prévue au titre d'un contrat de construction de maison individuelle.

Afin d'exécuter au mieux son obligation d'information et de conseil, il incombait à la banque de se renseigner auprès de ses clients sur l'existence et l'auteur des plans auxquels le marché de travaux faisait référence, sans se limiter à la lecture et à l'intitulé du marché de travaux conclu avec la société BC Travaux. Or, la [Adresse 8] n'a pas fait d'autres vérifications auprès de ses clients pour identifier clairement le cadre contractuel dans lequel ils entendaient s'inscrire.

Les éléments précédemment exposés établissent que M. [U] et Mme [B] ont conclu avec la société BC Travaux un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan.

La référence dans le contrat de construction à un cahier des clauses administratives générales applicables aux travaux de bâtiment faisant l'objet de marchés privés, est sans effet quant à la qualification du contrat.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que le contrat signé entre M. [U] et Mme [B] et la société BC Travaux le 5 novembre 2020 doit être qualifié de contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans par architecte proposé par le constructeur, la société BC Travaux, soumis au respect des dispositions d'ordre public des articles L.231-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

Le prêteur ne peut d'ailleurs se délier de son obligation d'information et de conseil, au regard de la profession exercée par M. [U] - formateur en prévention des risques professionnels ' dès lors qu'elle ne permet pas d'établir le fait qu'il n'était pas profane en matière de construction de maison individuelle. En outre, il n'est ni allégué ni démontré que Mme [B], co-emprunteur, n'avait pas la qualité de profane en la matière, de sorte que le prêteur était tenu à exécuter pleinement son obligation d'information et de conseil.

La [Adresse 8] n'a pas alerté M. [U] et Mme [B] sur l'absence de garantie de livraison prévue au contrat conclu avec la société BC Travaux, et a libéré les fonds sans être en possession d'une attestation émise par le garant de livraison. Le prêteur de deniers a donc commis une faute à l'égard de ses clients, engageant sa responsabilité contractuelle.

B- Sur le préjudice et le lien de causalité

Moyens des parties

L'appelante soutient que si sa responsabilité devait être retenue, celle des maîtres de l'ouvrage le sera également, car leur faute résulte des versements qu'ils ont effectués alors que le chantier n'avait pas démarré ; qu'il est donc manifeste qu'ils ont commis une faute en sollicitant la libération des fonds de façon prématurée, ce qui relève de leur responsabilité exclusive ; qu'il incombe aux maîtres de l'ouvrage d'établir que le préjudice résulte d'un versement excédant le pourcentage du prix total exigible par l'entrepreneur au stade de la réalisation des travaux ; que les intimés succombent dans l'administration de la preuve de versements excédant le coût des travaux réalisés et dans l'administration de la preuve du lien de causalité entre le prétendu trop versé et les dommages allégués, dès lors que les travaux non exécutés ne ressortent pas du marché de travaux de la société BC Travaux ; qu'en tout état de cause, leur préjudice ne saurait excéder les sommes trop-versées en regard de l'échéancier contractuel, alors que l'expertise judiciaire, qui est en cours, vise précisément à déterminer l'état d'avancement du chantier et les préjudices ; que de surcroît, ils ont fait l'économie du coût réel d'un contrat de construction de maison individuelle et ne sauraient par voie de conséquence solliciter l'indemnisation du préjudice sans se voir imputer les coûts supplémentaires qu'ils auraient dû supporter s'ils avaient conclu un tel contrat, notamment du coût de la garantie de livraison ; que le jugement sera donc infirmé.

Les intimés font valoir que les dispositions de l'article 568 du code de procédure civile confèrent à la cour la faculté d'évoquer les points non jugés ; qu'en l'espèce, la cour statue sur un appel partiel de la Caisse d'épargne à l'encontre d'un jugement mixte ayant pour partie jugé au fond en partie et ordonné le sursis à statuer sur les demandes indemnitaires et la fixation de la créance au passif de la société BC Travaux ; que M. [Y] a déposé son rapport le 4 septembre 2024 ; que la cause du sursis à statuer ayant désormais disparue, ils vont pouvoir demander au tribunal de trancher les demandes indemnitaires dès que la cour se sera prononcée sur le principe de l'engagement de la responsabilité de la banque ; que dans l'hypothèse où la cour souhaiterait évoquer les points non jugés en estimant de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive sur ces questions, ils entendent formuler les demandes exposées ci-après ; que le tribunal n'a pas tranché la question de l'indemnisation intégrale du préjudice dans son dispositif, mais a repris à tort, dans sa motivation l'argument de la Caisse d'épargne selon lequel leur préjudice ne saurait excéder les sommes trop-versées en regard de l'échéancier contractuel ; que le préjudice subi résulte, notamment, de l'absence totale de garantie de livraison ; que la Cour de cassation a confirmé récemment que le maître de l'ouvrage a droit à la réparation intégrale de son préjudice consécutif à la non-fourniture d'une garantie de livraison ; qu'ils sont donc bien fondés à se prévaloir de la réparation intégrale de leur préjudice ; que par ailleurs, la jurisprudence rejette toute hypothèse de partage de responsabilité en cas de déblocage prématuré des fonds par le prêteur ; que le prêteur est seul à devoir s'assurer de la présence d'une garantie de livraison aux termes du contrat ; que dès lors, la [Adresse 8] est exclusivement responsable du déblocage prématuré des fonds ; que le moyen tiré du partage de responsabilité avec les maîtres d'ouvrage sera ainsi rejeté.

Réponse de la cour

L'article 568 du code de procédure civile dispose que lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.

En l'espèce, l'instance devant la cour ne relève pas des cas prévus à l'article 568 du code de procédure civile de sorte qu'il ne peut être procédé à évocation.

Il convient de relever que le jugement a prononcé le sursis à statuer sur les demandes indemnitaires de M. [U] et Mme [B] à l'encontre de la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre dans l'attente du dépôt du rapport par l'expert judiciaire, M. [Y], et ce chef du jugement n'est plus critiqué aux termes des conclusions récapitulatives des parties.

Par ailleurs, le jugement n'a pas statué sur le partage de responsabilité invoqué par la banque.

Il appartiendra donc au tribunal de statuer sur ces points à l'issue du sursis à statuer, sur lesquels la cour ne saurait se prononcer en l'état, sauf à priver les parties d'un second degré de juridiction.

Il n'y a donc pas lieu à statuer sur les demandes de l'appelante tendant à dire et juger que M. [U] et Mme [B] sont fautifs d'avoir sollicité la libération des fonds alors que le chantier n'avait pas encore démarré, et les débouter de leurs prétentions ou limiter leur recours à proportion de la gravité des fautes respectives des parties. Il n'y a également pas lieu de statuer sur les demandes de M. [U] et Mme [B] tendant à voir dire et juger qu'ils sont bien fondés à se prévaloir de la réparation intégrale de leur préjudice et à rejeter la demande de partage de responsabilité formée par la [Adresse 8].

II- Sur les frais de procédure

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a sursis à statuer sur les demandes au titre des frais irrépétibles et dépens.

La Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre sera condamnée aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Elle sera également condamnée à payer à M. [U] et M. [B] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire d'Orléans du 2 novembre 2023 en ses dispositions critiquées ;

Y AJOUTANT :

DIT n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la [Adresse 8] tendant à dire et juger que M. [U] et Mme [B] sont fautifs d'avoir sollicité la libération des fonds alors que le chantier n'avait pas encore démarré et à les débouter de leurs prétentions ou limiter leur recours à proportion de la gravité des fautes respectives des parties, et sur les demandes de M. [U] et Mme [B] tendant à voir dire et juger qu'ils sont bien fondés à se prévaloir de la réparation intégrale de leur préjudice et à rejeter la demande de partage de responsabilité formée par la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre ;

CONDAMNE la [Adresse 8] aux entiers dépens d'appel ;

CONDAMNE la Caisse d'épargne et de prévoyance Loire-Centre à payer à M. [U] et Mme [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Nathalie LAUER, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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