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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 25 novembre 2025, n° 24/06720

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/06720

25 novembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4ID

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 NOVEMBRE 2025

N° RG 24/06720 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W2CJ

AFFAIRE :

[S] [V]

C/

LE PROCUREUR GENERAL

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Octobre 2024 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° chambre : 8

N° RG : 2024L00945

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Pierre-antoine CALS

Me [Localité 13] LARGILLIERE

PG

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT :

Monsieur [S] [V]

né le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 8] (TUNISIE)

de nationalité tunisienne

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Pierre-antoine CALS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 719 -

Plaidant : Me François HERMEND, avocat au barreau d'AMIENS, vestiaire : 26

****************

INTIMES :

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 4]

[Localité 5]

S.E.L.A.R.L. [14] Représentée par Me [P] [R], et intervenant ès qualité de liquidateur judiciaire de la société [11]

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Mathieu LARGILLIERE de la SELARL LARGILLIERE AVOCAT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 86

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Octobre 2025, Monsieur Ronan GUERLOT, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 8 septembre 2025 a été transmis le 9 septembre 2025 au greffe par la voie électronique.

EXPOSE DU LITIGE

La société [11] avait pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie.

Le 15 décembre 2023, le tribunal de commerce de Chartres l'a placée en liquidation judiciaire et a désigné la SELARL [14] en qualité de liquidateur.

Le 3 mai 2024, le procureur de la République près tribunal judiciaire de Pontoise a présenté une requête aux fins de voir prononcer à l'encontre de M. [V], une faillite personnelle ou, à défaut, une interdiction de gérer.

Le 14 octobre 2024, par un jugement réputé contradictoire, ce tribunal a condamné M. [V], pris en sa qualité de président de la société [11], à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale pour une durée de 10 ans.

Le 22 octobre 2024, M. [V] a interjeté appel de ce jugement en tous ces chefs de dispositifs.

Par dernières conclusions du 14 août 2025, il demande à la cour d'infirmer la décision entreprise ;

Statuant de nouveau,

A titre principal de :

- rejeter toutes les demandes formées contre lui ;

A titre subsidiaire :

- le dispenser de toute sanction ;

En tout état de cause :

- condamner le liquidateur ès qualités à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 1er août 2025, le liquidateur demande à la cour de :

- confirmer la décision du tribunal de commerce de Pontoise du 14 octobre 2024, et ce en toutes ces dispositions ;

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [V] aux entiers dépens ;

- condamner M. [V] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 8 septembre 2025, le ministère public a conclu à la confirmation du jugement.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 septembre 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

1- Sur la qualité de dirigeant de M. [V]

M. [V] soutient qu'il a démissionné avant l'ouverture de la procédure collective et porté cette information à la connaissance du liquidateur ; que sa démission est dès lors opposable aux organes de la procédure par application de l'article L. 123-19, alinéa 3, du code de commerce ; que le mandataire ne peut lui opposer l'absence de modification sur ce point du registre du commerce et des sociétés ; qu'en matière de sanction personnelle, l'inopposabilité des actes non publiés au registre du commerce et des sociétés ne trouve pas à s'appliquer ; que n'étant pas représentant légal, il ne pouvait faire l'objet de sanctions.

Le liquidateur répond qu'au jour de la cession de l'intégralité du capital de la société [11] à M. [B] [W] par M. [V] et son épouse le 29 septembre 2023, la société [11] était déjà en cessation des paiements. Il fait observer que la cession du 29 novembre 2023 n'a pas eu pour conséquence de mettre fin aux fonctions de président de M. [V] ; qu'au reste, l'acte de cession, qui n'est pas daté et enregistré, ne mentionne pas la démission de l'appelant.

Le liquidateur souligne que la démission de M. [V] n'est intervenue qu'à compter du 4 octobre 2023, date du courrier officiel de son conseil sur ce point. Il fait toutefois valoir que la procédure de démission n'a pas été menée à son terme de sorte que M. [V] est resté le représentant légal de la société [11] au jour de l'ouverture de la procédure collective ; qu'en étant le dirigeant à cette date, il lui incombait de déclarer au greffe dans les 45 jours l'état de cessation des paiements, sa démission n'excluant pas sa responsabilité.

Le ministère public fait état de ses recherches sur le site du Figaro entreprises dont il ressort que le dernier procès-verbal d'assemblée générale ayant pour objet le remplacement du président de la société [11] date du 20 avril 2023 et a été enregistré par le greffe le 15 mai 2023 ; qu'il désigne M. [V] comme président de la société [11].

Il fait valoir que le courrier de démission de M. [V] du 4 octobre 2023, publiée le 6 octobre suivant dans [12] confirme que l'appelant était bien dirigeant au jour de la cessation des paiements fixée le 19 septembre 2023 ; qu'en outre, M. [V], identifié comme représentant légal de la société par le liquidateur, n'a répondu à aucune des sollicitations de ce dernier.

Le ministère public rejoint l'analyse du liquidateur sur l'absence de corrélation nécessaire entre la cession des titres à M. [W] et la démission de M. [V] de sa fonction de président. Il en conclut que l'appelant était bien le dirigeant de droit au moment de la cessation des paiements et observe qu'il a démissionné alors que la société était dans une situation financière difficile.

Réponse de la cour

Selon l'article L. 123-9 du code de commerce, la personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer aux tiers les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre du commerce et des sociétés.

Pour les sanctions personnelles, la Cour de cassation juge que l'inopposabilité prévue par ce texte ne concerne pas les faits et actes qui mettent en jeu sa responsabilité personnelle sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce (Com., 16 juin 2021, n° 20-15.399).

Lorsque la démission d'un gérant n'est pas contestée, il ne peut être condamné à une faillite personnelle pour des faits postérieurs à cette démission (Com., 23 mai 2024, n° 23-12.803, 22-21.656).

L'article L. 653-1 du code de commerce prévoit :

I. Lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent chapitre sont applicables :

(')

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;

Il résulte de ce texte que seuls les dirigeants de droit ou de fait de la société, objet d'une procédure collective, peuvent être condamnés à des mesures d'interdiction de gérer ou de faillite personnelle.

Il résulte également de ce texte et des articles L. 653-2 et suivants du code de commerce que seuls les faits antérieurs à l'ouverture de la procédure collective peuvent justifier la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer (par exemple : Com., 20 octobre 2021, n° 20-10.557).

Un dirigeant retiré peut être également condamné à ces sanctions s'il est établi que les manquements qui lui sont reprochés sont antérieurs à son retrait, ce retrait étant en tout état de cause inopérant, s'il a continué à être dirigeant de fait par la suite.

Il importe peu que le retrait ait fait l'objet de publicités légales si sa démission est incontestable.

Il est constant que la société [11] a été placée en liquidation judiciaire le 15 décembre 2023 et que la date de cessation des paiements a été fixée au 19 septembre 2023.

Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 20 avril 2023 de la SASU [11] que M. [V] a succédé à M. [E] en qualité de président de cette société. Aucune autre décision des associés relative au remplacement de M. [V] dans sa fonction de président n'est versée aux débats.

En outre l'acte de cession versé en pièce 3 par l'appelant dont il résulte que M. et Mme [V] ont cédé à M. [B] [W] les 100 actions qu'ils détenaient dans le capital de la SAS [11], soit l'intégralité du capital social, ne comporte aucune stipulation sur la démission de M. [V] de sa fonction de président de la société ou sur son remplacement dans cette fonction.

Seule la lettre recommandée du 4 octobre 2023 adressée à la société [11] fait état de la démission de M. [V] de sa fonction de président de la société [11].

On peut ainsi lire :

" je démissionne de mes fonctions de président de la société [11] ; cette démission prendra effet au jour de la réception de la présente lettre recommandée ".

Le liquidateur admet au reste dans ses conclusions (p. 5) que la démission de M. [V] est intervenue le 4 octobre 2023, " à compter du courrier officiel de son conseil ".

Il est établi que cette démission a été publiée sur le site [12] le 6 octobre suivant.

S'il n'est pas discuté qu'elle n'a pas été publiée, comme elle le devait, au registre du commerce et des sociétés puisque l'extrait Kbis à jour au 14 novembre 2023 versé aux débats par le liquidateur indique que M. [V] est toujours président de la société [11], il résulte de la publication de la démission dans un journal habilité à publier des annonces légales qu'elle a été portée à la connaissance des organes de la procédure, l'inopposabilité prévue par l'article L. 123-9 précité n'étant pas applicable comme indiqué ci-dessus.

Par ailleurs, il ressort d'une publication au Bodacc du 29 novembre 2023 (pièce 4, liquidateur), que la société [11] a cédé son fonds de commerce à la société l'épis d'or, gérée par M. [L].

Selon le liquidateur, l'acte de cession lui a été communiqué par le conseil de M. [V].

S'agissant de cette cession, le conseil de M. [V] explique dans un courrier du 21 février 2024 adressé au liquidateur que " la gestion de la société [11] a été assurée à son insu sans qu'aucune information ne lui soit donnée sur l'identité du représentant de fait " et que " à sa grande surprise, le fonds de commerce de la société [11] a été cédé au profit de la société [10] par acte régularisé le 9 octobre 2023 ".

Il y est également indiqué que cet acte a été régularisé par l'avocat qui avait rédigé son acte de cession avec M. [W] et que M. [V] s'interroge sur l'identité de la personne qui a pu régulariser la cession du fonds de commerce au nom et pour le compte de la société [11] (pièce 5, liquidateur).

La cour relève que l'acte de cession du fonds de commerce (pièce 6, liquidateur) enregistré par l'administration fiscale le 31 octobre 2023 indique que si la société [11] (le vendeur) est représentée " par son président dument mandaté à l'effet des présentes ", sans autre précision, il comporte cependant les paraphes " JT " et une signature où l'on peut lire " [B] ", ce qui laisse entendre que le cessionnaire des titres de la société [11], M. [U] [W], en serait le signataire en tant que représentant légal de la société [11].

Ces signature et paraphe de M. [W] se présentant ainsi comme le représentant légal de la société [11] contredisent la thèse du liquidateur (p. 5) expliquant que " le nouveau dirigeant pris en la personne de M. [B] [W] n'a jamais accepté lesdites fonctions [de président], et aucun acte ne permet de l'affirmer. "

De l'ensemble de ces éléments, il suit que M. [V] n'était plus dirigeant de droit après le 6 octobre et que M. [W] était dirigeant de la société au moins à compter du 31 octobre 2023.

Dès lors, seuls les manquements établis par le liquidateur avant cette date pourront être retenus à l'encontre de M. [V].

2- Sur les manquements

Trois manquements sont reprochés à M. [V] :

- non-communication de renseignements au liquidateur ;

- défaut d'établissement de la comptabilité ;

- omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans un délai de 45 jours.

L'appelant soutient qu'il appartient au ministère public de démontrer sa mauvaise foi pour satisfaire aux exigences de l'article L. 653-8 ; qu'il doit être établi qu'il a sciemment refusé de communiquer les documents au liquidateur. Il ajoute que la faute de défaut de tenue de comptabilité ne peut pas lui être imputée du moment qu'il n'avait plus de lien avec la société pour avoir cédé ses actions en septembre 2023, qu'à la suite de la cession, il a remis tous les documents comptables au cessionnaire.

Il fait observer que le défaut de communication n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 653-5, alinéa 5.

Enfin, s'agissant du défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, il fait valoir qu'il a cédé ses parts dans la société [11] en septembre 2023 ; que le maintien de son mandat ne résulte que la faute de l'avocat rédacteur de la cession qui ne s'est pas assuré de sa publication au registre du commerce et des sociétés ; qu'il pouvait donc croire légitimement qu'il n'était plus tenu d'aucune obligation à l'égard de la société [11] après le 26 septembre 2023, date à laquelle l'avocat rédacteur lui a adressé l'acte de cession ; que le délai de 45 jours a expiré le 3 novembre 2023, soit après sa démission ; que le liquidateur ne démontre pas qu'il a volontairement omis de déclarer la cessation des paiements dans ce délai.

Le liquidateur répond qu'en tout état de cause, M. [V] était, au jour de l'état de cessation des paiements, le 19 septembre 2023, dirigeant de droit, sa démission n'excluant pas sa responsabilité.

S'agissant du défaut de tenue de la comptabilité, il fait valoir que l'appelant n'a pas communiqué en appel les comptes 2021 et 2022 de la société et qu'il n'a pas sollicité la copie des comptes à l'expert-comptable.

Le ministère public expose que l'appelant était tenu d'établir la comptabilité de la société [11] ; que son intention fautive résulte de ce qu'il ne démontre aucune tentative de régularisation et qu'il ne pouvait ignorer l'absence de comptabilité.

Il soutient que la démission de M. [V] n'exclut pas sa responsabilité ; qu'il ressort des explications du liquidateur et de son rapport qu'il était défaillant au cours de la procédure et qu'il n'a communiqué aucun document à ce dernier dans le mois suivant l'ouverture de la procédure.

S'agissant du défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, le ministère public explique que M. [V] ne pouvait ignorer les difficultés de la société alors que la procédure a été ouverte à la demande de la société [9].

Réponse de la cour

Il incombe à celui qui demande le prononcé d'une mesure de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer d'établir les faits de nature à justifier une telle sanction (par exemple, en ce qui concerne la tenue d'une comptabilité incomplète ou irrégulière : Com., 23 nov. 2004, n°01-17.697).

- Sur la tenue de comptabilité

L'article L. 653- 5 du code de commerce dispose :

Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

(')

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables (')

Selon l'article L. 653-8, alinéa 1er, du même code, dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Le défaut de remise de la comptabilité n'est pas un fait de nature à justifier le prononcé de la faillite personnelle puisqu'elle n'équivaut pas en elle-même à un défaut de tenue de comptabilité (Com., 22 septembre 2009, n° 08-14.885). Toutefois, la Cour de cassation a jugé ensuite qu'une cour d'appel a pu déduire, en l'absence de remise des pièces comptables par un gérant, sans inverser la charge de la preuve, que ce dernier n'avait pas tenu de comptabilité cependant que les textes applicables lui en faisaient obligation (Com., 16 septembre 2014, n° 13-10.514).

Il est acquis que des documents comptables de la société [11] devaient être établis en application des articles L. 123-12 à L. 123-28 et R.123-172 à R. 123-209 du code de commerce.

Etant dirigeant de droit de la société [11] au moment où les comptes 2021 et 2022 devaient être établis, M. [V] ne peut s'exonérer de cette obligation en arguant qu'il a confié les comptes à son cessionnaire et qu'il n'avait pas accès au local d'exploitation.

Comme le soutient à juste titre le liquidateur, l'appelant pouvait en obtenir une copie auprès de l'expert-comptable ou lui communiquer l'identité de ce dernier. A hauteur d'appel, M. [V] ne fournit aucun document de nature à établir qu'il a rempli son obligation lorsqu'il était président de la société.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que manquement était constitué.

- Sur le fait d'avoir fait obstacle au bon déroulement de la procédure

Selon l'article L. 653-5-5° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir fait obstacle au bon déroulement de la procédure collective en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure.

L'article L. 653-8, alinéa 1er, du même code, permet au tribunal de prononcer à la place d'une faillite personnelle une interdiction de Dans son rapport le liquidateur judiciaire indique que M. [V] ne s'est pas présenté à son étude alors qu'il a été convoqué à plusieurs reprises à son domicile personnel et qu'il n'a pas réceptionné son courrier.

Toutefois, ce manquement suppose des faits postérieurs à l'ouverture de la procédure collective qui ne peut pas être imputés à M. [V] qui n'était plus dirigeant de droit depuis le 6 octobre 2023, soit antérieurement à l'ouverture du jugement d'ouverture (15 décembre 2023). Il n'est ni allégué ni démontré qu'il était dirigeant de fait entre le 6 octobre 2023 et la date du jugement d'ouverture.

- Sur la non-déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal

L'article L. 653-8 alinéa 3 du code de commerce permet au tribunal de prononcer une interdiction de gérer à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal s'apprécie au regard de la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans le jugement de report.

L'état de cessation des paiements a été fixé par le jugement d'ouverture au 19 septembre 2023.

La déclaration de cessation des paiements devait être faite avant le 3 novembre 2025. M. [V] a démissionné le 6 octobre 2025 soit avant l'expiration du délai légal de 45 jours.

Ce manquement ne peut pas lui être imputé contrairement à ce que le premier juge a retenu.

3- Sur la sanction

A titre subsidiaire, M. [V] demande d'être dispensé de sanction.

Il fait valoir qu'il a subi les conséquences préjudiciables des manquements professionnels de l'avocat rédacteur de l'acte de cession de ses parts sociales, qui n'a fait aucune diligence pour rendre effective sa démission ; qu'il a accompli des démarches pour régulariser sa démission dès qu'il a connu les manquements de l'avocat ; qu'il a tenté sans succès de faire publier sa démission au registre du commerce et des sociétés ; qu'il a invité le liquidateur à lui transmettre toutes les correspondances ; qu'il a alerté ce dernier de ce que le fonds de commerce de la société avait été cédé, sans son intervention, peu de temps avant la liquidation ; que ces démarches démontrent sa bonne foi.

Le liquidateur fait valoir que l'appelant a volontairement cédé ses parts dans la société alors qu'il n'ignorait pas la mauvaise situation financière de celle-ci qu'il évoque lui-même dans ses conclusions ; qu'il ne s'est pas préoccupé d'avoir signé une démission non effective, la procédure de démission pour ordre ayant été initiée mais non terminée ; qu'il ne saurait imputer de responsabilité à l'avocat rédacteur de l'acte de cession alors qu'il n'établit pas avoir engagé une procédure en responsabilité contre ce dernier.

Le ministère public souligne qu'au regard de la jurisprudence, la sanction d'une durée de dix ans est appropriée pour un défaut de comptabilité dans la mesure où cette faute est particulièrement grave puisque la tenue de la comptabilité est indispensable à la conduite d'une activité économique.

Réponse de la cour

Lorsque plusieurs fautes ont été retenues ou faits sanctionnés, en application du principe de proportionnalité, chacun d'entre eux doit être légalement justifié, même si la sanction liée à la faillite personnelle comme à l'interdiction de gérer est appréciée souverainement (Com. 1er déc. 2009, n° 08-17187).

Les juges du fond doivent motiver leurs décisions tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé (Com., 20 octobre 2021, n° 20-10.557).

M. [V], âgé de 41 ans, qui plaide sa bonne foi et la faute de l'avocat rédacteur de l'acte de cession, n'apporte pas d'élément sur sa situation personnelle ou professionnelle actuelle.

La cour relève que sur la première page de ses écritures, il est indiqué qu'il est sans emploi et de nationalité tunisienne.

Au regard du nombre de fautes retenus et de la gravité de ces fautes, il y a lieu par voie d'infirmation de prononcer une interdiction de gérer de 5 ans.

4- Sur les demandes accessoires

La solution du litige implique de condamner l'appelant à payer au liquidateur la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme le jugement sauf sur le quantum de l'interdiction de gérer ;

Statuant à nouveau de ce chef ;

Prononce une interdiction de gérer de cinq ans à l'encontre de M. [V] ;

Condamne M. [V] aux dépens d'appel ;

Condamne M. [V] à payer à la SELARL [14] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,

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