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Décisions

Cass. com., 3 décembre 2025, n° 23-19.490

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Onati (SAS)

Défendeur :

Autorité polynésienne de la concurrence, Viti (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

M. Le Masne de Chermont

Avocat général :

Mme Texier

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Melka-Prigent-Drusch, SCP Spinosi

Cass. com. n° 23-19.490

2 décembre 2025

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2023), la société Onati, filiale de l'opérateur historique de télécommunication de la Polynésie française, est la seule à avoir déployé un réseau mobile voix et SMS couvrant les îles des archipels des Marquises, des Gambier, des Australes et des Tuamotu (les archipels éloignés).

2. Elle a fixé, pour l'année 2023, la part fixe du tarif de la prestation d'itinérance dans ces îles à la somme de 71,5 millions de francs des collectivités françaises du Pacifique (franc CFP), un montant correspondant à une prise en charge à parts égales du coût de couverture des archipels éloignés par les trois opérateurs présents sur le marché des télécommunications mobiles de la Polynésie, la société Onati elle-même et les sociétés Pacific mobile telecom (la société PMT) et Viti.

3. Par la décision n° 2023-PAC-01 du 31 mars 2023 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Viti pour des pratiques mises en œuvre dans le secteur des télécommunications, en matière de prestations d'itinérance dans les archipels éloignés (la décision), l'Autorité polynésienne de la concurrence (l'Autorité polynésienne), saisie par la société Viti, a enjoint à la société Onati, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de proposer à cette dernière, dans un délai maximum de dix semaines à compter de la notification, une offre tarifaire pour l'accès à l'itinérance en matière de voix et SMS dans les îles des archipels éloignés dans lesquelles elle a déployé un réseau de téléphonie mobile permettant à la société Viti l'exercice d'une concurrence effective, l'offre tarifaire devant notamment être formulée de bonne foi, c'est-à-dire être fondée sur les coûts réellement exposés par l'opérateur pour fournir la prestation dont il est demandé l'usage, être justifiée par des éléments comptables transparents et contrôlables et tenir compte, dans l'évaluation de son caractère équitable et non discriminatoire, de la taille de l'opérateur accueilli et notamment du nombre d'utilisateurs du service, y compris pour la couverture des coûts fixes du réseau. Dans l'attente de l'acceptation par les deux parties de l'offre tarifaire, elle a également contraint la société Onati à appliquer à la société Viti l'abattement sur le tarif de couverture mis en œuvre entre le 8 janvier 2020 et le 7 juillet 2022.

4. Le 6 avril 2023, la société Onati a formé un recours contre cette décision.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris en sa septième branche


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. La société Onati fait grief à l'arrêt de rejeter ses moyens d'annulation de la décision de l'Autorité polynésienne, de dire que l'injonction prévue à l'article 1er de cette décision ne concerne que la part fixe de la tarification de la prestation d'itinérance voix et SMS dans les archipels éloignés et, en conséquence, par réformation partielle de la décision, d'enjoindre « à la société Onati, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de proposer à la société Viti, dans un délai maximum de dix semaines à compter de la notification [...], une offre tarifaire pour l'accès à l'itinérance, en matière de voix et SMS dans les îles des archipels éloignés dans lesquelles elle a déployé un réseau de téléphonie mobile, permettant à la société Viti l'exercice d'une concurrence effective. A cette fin, la part fixe de l'offre tarifaire d'itinérance qui compose l'actuelle tarification binominale devra notamment être formulée de bonne foi, c 'est-à-dire être fondée sur les coûts réellement exposés par l'opérateur pour fournir la prestation dont il est demandé l'usage auxquels une marge raisonnable pourra être appliquée, être justifiée par des éléments comptables transparents et contrôlables, et tenir compte dans l'évaluation de son caractère équitable et non discriminatoire, de la taille de l'opérateur accueilli. Dans l'attente de l'acceptation par les deux parties de l'offre tarifaire, la société Onati appliquera à la société Viti, pour tenir compte de sa faible part de marché, l'abattement sur le tarif de couverture mis en œuvre entre le 8 janvier 2020 et le 7 juillet 2022 », alors :

« 1°/ qu'une entreprise en situation dominante n'impose un prix excessif, abusif ou inéquitable que si celui-ci est sans rapport raisonnable avec la valeur économique des prestations fournies ; que le caractère abusif ou inéquitable d'un prix doit être apprécié au regard des seuls coûts de l'entreprise dominante, sans tenir compte de ceux des concurrents concernés ; que, dès lors, en tenant compte de la situation particulière de la société Viti et de la faiblesse de sa clientèle, qui l'empêcherait d'acquitter le tarif de couverture égalitaire réclamé pour conclure au caractère potentiellement inéquitable ou abusif de ce tarif facturé par la société Onati à la société Viti, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

2°/ qu'une entreprise en situation dominante n'impose un prix excessif, abusif ou inéquitable que si celui-ci est sans rapport raisonnable avec la valeur économique des prestations fournies ; que le caractère éventuellement abusif ou inéquitable d'un prix doit être apprécié au regard des seuls coûts de l'entreprise dominante, sans tenir compte de ceux des concurrents concernés ; qu'en affirmant, pour conclure au caractère potentiellement inéquitable ou abusif du tarif de couverture facturé par la société Onati à la société Viti, que la circonstance que cette dernière ait été contrainte de renoncer audit service de couverture, en dépit de sa contribution essentielle à l'attractivité et à la compétitivité de son offre [constitue] un indice particulièrement fort du caractère excessif du tarif qui lui a été facturé, eu égard à sa situation particulière de nouvel entrant sur le marché", la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

3°/ qu'une entreprise en situation dominante n'impose un prix excessif, abusif ou inéquitable que si celui-ci est sans rapport raisonnable avec la valeur économique des prestations fournies ; qu'en concluant au caractère potentiellement inéquitable ou abusif du tarif de couverture facturé par la société Onati à la société Viti, tout en admettant qu'il est difficile d'évaluer précisément la valeur économique du service de couverture voix et SMS dans les archipels éloignés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt énonce, d'abord, qu'aux termes de l'article LP. 200-2, 1°, du code de la concurrence applicable en Polynésie française, les pratiques d'abus de position dominante « peuvent notamment consister à [...] limiter artificiellement l'accès au marché ou le développement d'entreprises concurrentes ». Il ajoute que l'article D. 212-2 du code des postes et des télécommunications applicable en Polynésie française impose aux autorités compétentes l'obligation de veiller à l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les opérateurs de service de télécommunication mobile au bénéfice des usagers, à la définition de conditions d'accès aux réseaux de service de télécommunication mobile qui garantissent l'égalité des conditions de la concurrence dans ce domaine et à encourager l'utilisation partagée entre les opérateurs des installations.

8. L'arrêt énonce ensuite que la qualification de prix excessif peut résulter du constat que le prix considéré est sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, au regard non seulement des coûts encourus pour proposer cette prestation, mais aussi de l'avantage qu'en retire son bénéficiaire. Il ajoute que, s'il est légitime que la société Onati retire un profit de la prestation d'itinérance dans les archipels éloignés qu'elle fournit en tenant compte de la valeur économique de cette prestation au regard de l'avantage qu'en retire la société Viti, le tarif de couverture doit présenter un rapport raisonnable avec cette valeur.

9. Après avoir relevé que le tarif de couverture facturé par la société Onati à la société Viti est passé de 40,75 millions de francs CFP en 2020 et 2021 à 42,95 millions en 2022 et à 71,5 millions en 2023 en raison de la baisse, en 2022, puis de la suppression, en 2023, de la réduction dont la première faisait bénéficier la seconde, l'arrêt retient que si le service de couverture voix et SMS dans ces archipels présente une valeur économique indéniable pour la société Viti en la mettant immédiatement en mesure de valoriser son offre de téléphonie mobile et de conquérir des clients de ses concurrents, notamment ceux de la société Onati, sans avoir à déployer au préalable son propre réseau sur l'ensemble de cette zone, cette circonstance ne suffit pas, à elle seule, à justifier automatiquement la soumission de la société Viti, nouvel entrant, à un montant de tarif de couverture sur la base d'une répartition égalitaire des coûts de couverture entre les trois opérateurs présents sur le marché et indépendamment du nombre de clients nouvellement acquis au détriment de la société Onati.

10. Il ajoute qu'admettre le contraire reviendrait à priver d'effet utile l'ouverture à la concurrence de la téléphonie mobile dans la Polynésie française en décourageant l'utilisation partagée du réseau déployé par l'opérateur historique dans les archipels éloignés et, partant, en freinant le développement d'un nouvel entrant sur le marché tel que la société Viti, dès lors que cette dernière ne dispose pas encore d'une base de clientèle suffisante pour être en mesure d'investir dans le déploiement de son propre réseau et, en même temps, de faire face au tarif de couverture réclamé.

11. Il déduit du renoncement de la société Viti au service de couverture de voix et de SMS dans les archipels éloignés au regard de l'avantage qu'elle en retire, que cet opérateur n'est manifestement ni prêt à ni en mesure, compte tenu de sa situation particulière, de valoriser ce service à un niveau aussi élevé que celui dont se prévaut la société Onati pour justifier le tarif facturé.

12. Il relève à cet égard que le tarif de couverture facturé à la société Viti pour l'année 2023, de 71,5 millions de francs CFP, est supérieur à la totalité des revenus de l'activité de téléphonie mobile de cette société en 2022 et équivalent à 60 % de ses revenus escomptés en 2023. Il ajoute qu'il résulte du ratio entre le montant mensuel de ce tarif de couverture (5,96 millions de francs CFP) et le nombre de clients de la société Viti, de 2 500, représentant des usagers à tout le moins potentiels du service d'itinérance, que, pour cet opérateur, le montant mensuel à acquitter par client est de 2 384 francs CFP, ce qui correspond à un montant également supérieur à celui de son revenu mensuel moyen par utilisateur potentiel en 2022.

13. Il constate également qu'il résulte du ratio entre le montant du tarif de couverture de 71,5 millions de francs CFP et le nombre de clients de chaque opérateur que le montant annuel à acquitter par client est de 28 600 francs CFP pour la société Viti, tandis qu'il est de 507 francs CFP pour la société PMT et de 447 francs CFP pour la société Onati en retenant une fourchette basse, soit 64 fois moins que la société Viti, et de 340 francs CFP en retenant une fourchette haute, soit 84 fois moins que la société Viti.

14. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que, nonobstant la difficulté à évaluer précisément la valeur économique du service de couverture voix et SMS dans les archipels éloignés, elle a été en mesure de constater que le prix facturé par la société Onati à la société Viti était sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, au regard non seulement des coûts supportés par la première pour proposer cette prestation, mais aussi de l'avantage qu'en retire la seconde, la cour d'appel a pu retenir que cette facturation apparaissait susceptible de constituer une tarification inéquitable ou abusive.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

16. La société Onati fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances faire respecter et observer lui-même le principe de la contradiction ; que les parties n'ont jamais contesté que l'appréciation d'un possible ciseau tarifaire ne pouvait être effectuée que selon le test dit du concurrent aussi efficace" et ne se sont opposées que sur les modalités de mise en œuvre concrète de ce test ; qu'en considérant que ce test n'est que l'une des manières d'établir le caractère abusif d'une pratique de ciseau tarifaire la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de ce que l'existence d'une possible pratique de ciseau tarifaire pouvait être établie par d'autres moyens, sans inviter les parties à présenter préalablement leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que dans la décision déférée, l'Autorité a rappelé que l'existence d'une possible pratique de ciseau tarifaire devait être appréciée selon le test dit du concurrent aussi efficace" ; qu'en décidant de s'affranchir de ce test pour confirmer la décision déférée sur ce point, sans inviter les parties à présenter préalablement leurs observations, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ qu'une pratique de ciseau tarifaire n'a un effet anticoncurrentiel que si un concurrent potentiel aussi efficace que l'entreprise dominante verticalement intégrée, auteur de la pratique, ne peut entrer sur le marché aval qu'en subissant des pertes ; qu'en considérant que ce critère du concurrent au moins aussi efficace n'est que l'une des manières d'établir l'existence d'une pratique de ciseau tarifaire, de sorte que les autorités de concurrence ne sont pas tenues de se fonder sur ce test pour constater qu'une telle pratique est susceptible de constituer un abus de position dominante, quand l'application du test est une condition nécessaire à la constatation d'un possible abus de position dominante par ciseau tarifaire, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence de la Polynésie française ;

4°/ que l'application du critère du concurrent aussi efficace est une condition nécessaire à la constatation d'un possible abus de position dominante par ciseau tarifaire ; que ce test consiste à examiner si la pratique tarifaire d'une entreprise dominante risque d'évincer du marché un opérateur économique aussi performant qu'elle en se fondant, en principe, uniquement sur les tarifs et les coûts de cette dernière, et non sur la situation spécifique de ses concurrents, actuels ou potentiels ; qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'à titre exceptionnel, lorsque la structure des coûts de l'entreprise dominante n'est pas précisément identifiable pour des raisons objectives ou lorsque la prestation fournie aux concurrents consiste en la simple exploitation d'une infrastructure dont le coût de production a déjà été amorti, de sorte que l'accès à une telle infrastructure ne représente plus un coût pour l'entreprise dominante économiquement comparable au coût que ses concurrents doivent supporter pour y accéder, ou bien encore lorsque les conditions de concurrence spécifiques du marché l'exigent en raison, par exemple, de la circonstance que le niveau de coûts de l'entreprise dominante est tributaire précisément de la situation d'avantage compétitif dans laquelle la position dominante place entreprise ; qu'ainsi, la structure des coûts des opérateurs alternatifs ne peut être prise en compte que si ceux de l'opérateur dominant ne sont pas pertinents pour des raisons tenant à la structure de ses coûts ; qu'en décidant, pour établir une possible pratique de ciseau tarifaire abusive, de déroger au principe imposant de se fonder uniquement sur les tarifs et les coûts de la société Onati et de retenir exclusivement ceux de la société Viti compte tenu de la structure particulière du marché de la téléphonie mobile en Polynésie française et dans la mesure où la société Viti est entrée tardivement sur ce marché déjà saturé et ne dispose que d'un très faible nombre de clients, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

5°/ que dans le cadre de l'application du critère du concurrent aussi efficace, toute possibilité de déroger à la règle imposant de se fonder sur les seuls tarifs et coûts de l'opérateur dominant est exclue, lorsque celui-ci est soumis à une obligation de séparation comptable ; qu'en décidant de déroger à ce principe, bien que la société Onati est soumise à une obligation de séparation comptable, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence de la Polynésie française ;

6°/ que l'interdiction des abus de position dominante n'a aucunement pour but d'empêcher une entreprise de conquérir ou de conserver, par ses propres mérites, une position dominante sur un marché, ni d'assurer que des concurrents moins efficaces que l'entreprise occupant une position dominante restent sur le marché ; qu'en décidant de déroger à la règle imposant de se fonder sur les seuls tarifs et les coûts de l'opérateur dominant et d'apporter un correctif au test du concurrent aussi efficace, afin de permettre à un nouvel opérateur dépourvu de clientèle significative – et donc de moyens – d'entrer sur un marché déjà saturé, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

7°/ que le juge de la concurrence ne peut appliquer que les critères et tests antérieurement admis par la doctrine économique et la jurisprudence, a fortiori dans le cadre d'une procédure d'urgence ; qu'en décidant au contraire de s'affranchir pour la première fois du test classique du concurrent aussi efficace consistant à examiner si la pratique tarifaire d'une entreprise dominante risque d'évincer du marché un opérateur économique aussi performant qu'elle en se fondant uniquement sur les tarifs et les coûts de cette dernière, et non sur la situation spécifique de ses concurrents, pour considérer qu'il existait des indices laissant présumer un ciseau tarifaire, la cour d'appel, qui a méconnu le principe de sécurité juridique, a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

17. L'arrêt retient, par des motifs vainement critiqués par le troisième moyen, que le tarif de couverture facturé à la société Viti apparaît susceptible de constituer une tarification inéquitable ou abusive.

18. Par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par le premier moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

19. Le moyen est donc inopérant.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

20. La société Onati fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le principe de non-discrimination tarifaire oblige seulement les entreprises en situation de position dominante à traiter de manière identique ses clients ou concurrents placés dans une situation équivalente ou similaire ; que l'équivalence de la situation des opérateurs économiques s'apprécie au regard de la seule similitude de la prestation fournie par l'opérateur dominant ; qu'en affirmant que, lorsqu'une entreprise en position dominante soumet des entreprises concurrentes à un même tarif pour accéder à une prestation qu'elle fournit, la circonstance que la prestation fournie à l'une est équivalente à celle fournie à l'autre ne suffit pas à exclure la possibilité que l'une et l'autre se trouvent dans des situations différentes et que […] leur soumission à un même tarif soit susceptible de revêtir un caractère discriminatoire, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié", que la notion de situations similaires ne pouvait pas être réduite à celle de prestations équivalentes ou encore que l'opérateur dominant devait tenir compte, dans le calcul de son tarif de couverture, de la situation financière et concurrentielle particulière du nouvel entrant sur un marché déjà mature, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

2°/ que le principe de non-discrimination tarifaire oblige seulement les entreprises en situation de position dominante à traiter de manière identique leurs clients ou concurrents placés dans une situation équivalente ou similaire ; que l'équivalence de la situation des opérateurs économiques s'apprécie au regard de la seule similitude de la prestation fournie par l'opérateur dominant ; qu'en affirmant au contraire qu'il y avait lieu de tenir compte des situations très différentes des deux opérateurs alternatifs Viti et PMT, bien que le service de couverture offre à ces opérateurs un accès équivalent et sans restriction de capacité à la totalité du réseau 2G déployé dans cette zone par l'opérateur historique, la cour d'appel a violé les articles LP. 200-2 et LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

3°/ que l'interdiction des abus de position dominante n'a aucunement pour but d'empêcher une entreprise de conquérir ou de conserver, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché, ni d'assurer que des concurrents moins efficaces que l'entreprise occupant une position dominante restent sur le marché ; qu'ainsi l'exercice d'une concurrence effective et loyale entre les opérateurs économiques et le principe d'égalité de la concurrence n'imposent pas à l'opérateur dominant de financer l'entrée sur le marché d'un nouvel opérateur concurrent moins efficace en lui donnant accès à ses installations à un moindre prix décorrélé du coût réel du service rendu ; qu'en considérant le contraire, la cour d'appel a violé les articles LP 200-2 et LP 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

21. L'arrêt retient, par des motifs vainement critiqués par le troisième moyen, que le tarif de couverture facturé à la société Viti apparaît susceptible de constituer une tarification inéquitable ou abusive.

22. Par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par le deuxième moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

23. Le moyen est donc inopérant.

Sur le quatrième moyen, pris en ses première à sixième branches

Enoncé du moyen

24. La société Onati fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'Autorité polynésienne ne peut ordonner des mesures conservatoires que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ; qu'en retenant que les pratiques présumées porteraient une atteinte grave au secteur et à l'intérêt des consommateurs dans la mesure où elles s'inscriraient dans un contexte d'ouverture progressive à la concurrence, tout en constatant que l'arrivée de la société PMT sur le marché de la téléphonie mobile avait eu lieu dès 2013 et que le marché était désormais saturé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

2°/ que l'Autorité polynésienne ne peut ordonner des mesures conservatoires que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ; qu'en retenant, pour considérer que les pratiques présumées porteraient une atteinte grave au secteur et à l'intérêt des consommateurs, que la société Viti anime le jeu concurrentiel sur le marché de la téléphonie mobile, après avoir constaté que sa part de marché reste inférieure à 1 % après deux ans d'activité, au cours desquels elle a pourtant bénéficié du service d'itinérance vers les archipels éloignés à un prix très attractif, ce dont il résulte que la société Viti n'est pas en capacité de se développer, même lorsqu'elle bénéficie du service d'itinérance vers les archipels éloignés, la cour d'appel a violé l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

3°/ que l'Autorité polynésienne ne peut ordonner des mesures conservatoires que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ; qu'en se bornant à relever que les pratiques présumées porteraient une atteinte grave au secteur et à l'intérêt des consommateurs, puisqu'elles s'inscriraient dans un contexte d'ouverture progressive à la concurrence et que la société Viti anime le jeu concurrentiel sur le marché de la téléphonie mobile, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si la répartition égalitaire du tarif de couverture entre les trois opérateurs n'était pas favorable aux consommateurs en ce qu'elle assurait une meilleure desserte des archipels éloignés, tout en garantissant les mêmes services et les mêmes offres commerciales à tous les clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

4°/ que l'existence d'une atteinte grave et immédiate à l'intérêt de l'entreprise plaignante ou au secteur intéressé est exclue en l'absence de difficultés déraisonnables rencontrées par les opérateurs pour exercer leurs activités ; que les difficultés ne sont pas déraisonnables lorsque le service en cause n'est pas indispensable à l'exercice de l'activité concernée ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que le service d'itinérance vers les archipels éloignés auquel la société Viti a renoncé pour des raisons financières n'est pas indispensable à son activité et ne constitue qu'un élément d'attractivité de ses offres commerciales, ou encore que la renonciation de la société Viti à ce service d'itinérance constituait un frein à son développement ; qu'en décidant néanmoins que les pratiques présumées portaient atteinte au secteur et à l'entreprise Viti, et qu'elles étaient à l'origine d'une atteinte suffisamment grave des intérêts protégés pour justifier le prononcé de mesures conservatoires, quand sa renonciation au service d'itinérance vers les archipels éloignés ne la plaçait pas dans des conditions insurmontables, la cour d'appel a violé l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

5°/ que ni les conditions de l'atteinte portée aux intérêts de la plaignante ni celles de l'urgence requise pour ordonner des mesures conservatoires ne sont réunies, lorsqu'il apparaît que le chiffre d'affaires de la demanderesse aux mesures conservatoires était en progression ; que, dès lors, en retenant, pour considérer que les pratiques en cause avaient porté atteinte aux intérêts de la société Viti et qu'il y avait urgence à ordonner des mesures conservatoires lui permettant d'accéder à nouveau aux prestations d'itinérance pour l'ensemble du marché polynésien à un tarif raisonnable, que la progression observée sur le marché (augmentation progressive du nombre de clients) n'exclut pas toute atteinte, dès lors qu'une pratique peut également avoir pour effet d'entraver le développement ‘normal' d'un opérateur", quand cette circonstance exclut nécessairement toute atteinte grave, seule de nature à justifier le prononcé de mesures conservatoires, la cour d'appel a violé l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française ;

6°/ que ni les conditions de l'atteinte portée aux intérêts de la plaignante ni celles de l'urgence requise pour ordonner des mesures conservatoires ne sont réunies, lorsqu'il apparaît que le chiffre d'affaires de la demanderesse aux mesures conservatoires était en progression ; que, dès lors, en retenant, pour considérer que les pratiques en cause avaient porté atteinte aux intérêts de la société Viti et qu'il y avait urgence à ordonner des mesures conservatoires lui permettant d'accéder à nouveau aux prestations d'itinérance pour l'ensemble du marché polynésien à un tarif raisonnable, que le nombre de nouveaux clients de Viti a chuté à compter de janvier 2023, après avoir constaté que le parc de clients de Viti a doublé entre 2020 et 2022 et que la conquête de nouveaux clients a été nettement inférieure en 2023, période au cours de laquelle elle ne bénéficiait plus du service d'itinérance, par rapport à 2022, ce dont il résulte que la société Viti n'a jamais cessé de conquérir de nouveaux clients même après sa renonciation au service d'itinérance dans les archipels éloignés, la cour d'appel a violé l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

25. Il résulte de l'article LP. 641-1 du code de la concurrence applicable en Polynésie française que des mesures conservatoires peuvent être décidées par l'Autorité polynésienne, dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés et visés par l'instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique anticoncurrentielle à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée.

26. Après avoir retenu que le tarif de couverture facturé à la société Viti apparaît susceptible de constituer une tarification inéquitable ou abusive, l'arrêt constate d'abord que si l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications en Polynésie française a été initiée par la délibération n° 2003-85 APF du 12 juin 2003 et mise en œuvre à partir de 2011, l'introduction de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile remonte à 2013, avec l'entrée sur ce marché du premier opérateur alternatif, la société PMT, qui a abouti à la constitution d'un duopole effectif sur le marché du fixe comme du mobile, lequel a subsisté jusqu'à ce que la société Viti obtienne sa licence au cours de l'été 2018 et développe ses offres en 2020. Il en déduit que, même si la pénétration du marché atteignait déjà les 100 % pour le service voix, avec un niveau d'équipement très élevé des ménages, lorsque la société Viti y est entrée et si ce marché était, de ce fait, désigné comme relativement mature, les pratiques dénoncées ont été mises en œuvre dans un contexte d'ouverture progressive dudit marché. Il ajoute que la concurrence existant dans ce secteur a permis la baisse des prix des télécommunications et que la société Viti y a concouru, cette baisse apparaissant plus marquée à partir de 2018, date à laquelle l'entrée de cette société a été annoncée, et se poursuivant après la commercialisation de ses premières offres à compter de 2020. Il relève que la société Viti anime également le jeu concurrentiel du marché par les services en étant le seul opérateur à proposer, depuis 2020, la technologie « VoLTE » à ses abonnés, laquelle permet des appels plus rapides et une utilisation simultanée des appels SMS et données, ainsi qu'une meilleure qualité d'appel. Il ajoute que les possibilités d'entrée sur le marché sont réduites au regard des coûts d'investissement et de la nécessité de se voir accorder une licence par le régulateur.

27. L'arrêt retient ensuite que l'itinérance dans les archipels éloignés est un facteur d'attractivité et de compétitivité pour l'opérateur qui en bénéficie, a fortiori pour un nouvel entrant confronté aux offres de concurrents affichant des taux de couverture très élevés, et que la structure et le niveau de la tarification de l'itinérance sont décisifs pour inciter ou non à déployer un réseau dès lors qu'ils influent sur les coûts de l'opérateur accueilli et sont ainsi susceptibles d'influer sur la nature de ces offres. Il constate que la pratique alléguée de la société Onati, contraignant la société Viti à s'acquitter du tiers du coût total de couverture du réseau malgré la faiblesse de ses parts de marché, revient à établir un tarif fixe pour l'itinérance représentant l'équivalent de la totalité des recettes de l'activité mobile de cette dernière société en 2022, de 60 % des ressources escomptées en 2022 et une part importante du déficit de l'entreprise. Après avoir énoncé que la progression observée sur le marché n'exclut pas toute atteinte dès lors qu'une pratique peut également avoir pour effet d'entraver le développement « normal » d'un opérateur, il relève que si, entre 2021 et 2022, le nombre de clients de la société Viti a doublé, la conquête de nouveaux clients a été nettement inférieure en 2023, période au cours de laquelle cette société ne bénéficiait plus du service d'itinérance, par rapport à avril 2022. Il en déduit que ladite pratique est de nature à menacer la pérennité de l'activité de téléphonie mobile de la société Viti et à réduire ses perspectives de développement et d'investissement dans les réseaux, indépendamment de son efficacité.

28. Il retient enfin que si le choix de renoncer aux prestations d'itinérance résulte de la décision de la société Viti, elle y a été contrainte du fait de la disproportion de la part fixe mise à sa charge par la société Onati, de sorte que le lien de causalité est suffisamment établi entre la pratique dénoncée susceptible d'être anticoncurrentielle et les atteintes consistant en un risque d'éviction du nouvel entrant et l'altération de l'animation concurrentielle du marché considéré.

29. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte qu'en contraignant la société Viti à renoncer aux prestations d'itinérance pour les archipels éloignés par l'imposition d'un tarif correspondant au tiers du coût total de couverture du réseau sans considération pour la faiblesse des parts de marché de cette dernière, la société Onati avait, dans un contexte réglementaire d'ouverture de la concurrence du secteur des télécommunications en Polynésie française, réduit significativement l'intensité de celle-ci, la cour d'appel a pu retenir que les pratiques dénoncées portaient une atteinte grave et immédiate à l'économie générale du secteur de la téléphonie mobile et à l'intérêt des consommateurs et en déduire que les éléments dénoncés relevaient d'une situation d'urgence nécessitant le prononcé de mesures conservatoires.

30. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Onati aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Onati et la condamne à payer à la société Viti et à l'Autorité polynésienne de la concurrence la somme de 6 000 euros chacune ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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