Cass. com., 3 décembre 2025, n° 23-19.623
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Geci international SA (conseil d'administration)
Défendeur :
MJA (SELAFA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Le Masne de Chermont
Avocats :
SAS Buk Lament-Robillot, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 11 mai 2023), souhaitant apporter son soutien au développement d'un avion biturboréacteur par la société Sky Aircraft sur un site industriel lorrain, le conseil régional de Lorraine, devenu le conseil régional de la région Grand Est (le conseil régional), a, le 5 décembre 2011, conclu avec cette société et les sociétés Geci aviation industries, Geci aviation et Geci international, ses sociétés mère et grand-mères, une convention dite « d'aide de l'agence de mobilisation économique », prévoyant l'octroi à la société Sky Aircraft d'une avance remboursable d'un montant de 7 000 000 euros, dont seuls 6 116 399, 97 euros ont été versés.
2. Le 30 janvier 2012, les mêmes parties ont conclu une convention dite « d'avance de trésorerie » octroyant à la société Sky Aircraft une avance de trésorerie de 5 000 000 euros, qui a été entièrement versée.
3. Ces conventions définissaient les modalités de remboursement des sommes accordées. L'une et l'autre stipulaient qu'en cas de défaillance des sociétés Sky Aircraft, Geci aviation industries et/ou Geci aviation, la société anonyme Geci international assumerait les droits et obligations de ces sociétés au titre desdites conventions.
4. Les sociétés Sky Aircraft, Geci aviation et Geci aviation industries ont été mises en liquidation, M. [V] étant désigné en qualité de liquidateur des deux premières sociétés, la société MJA, de la troisième.
5. À la suite de l'émission par le comptable public de la région Lorraine de titres exécutoires à l'encontre de la société Geci international, cette dernière a assigné les sociétés Sky Aircraft, Geci aviation et Geci aviation industries, représentées par leurs liquidateurs, ainsi que le conseil régional, le président du conseil régional et le comptable public de la région Lorraine afin qu'il soit dit que le conseil régional ne bénéficie d'aucune créance à l'égard de la société anonyme Geci international au titre des avances remboursables perçues par la société Sky Aircraft en application des conventions des 5 décembre 2011 et 30 janvier 2012.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le troisième moyen
Enoncé des moyens
7. Par son premier moyen, la société Geci international fait grief à l'arrêt de dire que, au titre de la convention du 5 décembre 2011, le conseil régional dispose d'une créance de 6 116 399,97 euros en principal à l'égard de la société Sky Aircraft et d'une créance de garantie du même montant à l'encontre de la société Geci international, alors « qu'aux termes de la décision C(2008)3792 de la Commission du 16 juillet 2008 relative à l'aide d'État n° 520a/2007, qui renvoie à la décision C(2008)279 de la Commission du 17 janvier 2008 relative à l'aide d'Etat n° 408/2007, les aides accordées sous forme d'avance récupérable en application de ce régime sont sujettes à un remboursement forfaitaire en cas d'échec, sauf en cas de défaillance de l'entreprise survenant avant ledit remboursement, de sorte que toute clause stipulée dans une convention d'aide consentie en application dudit régime prévoyant un remboursement de l'aide en cas de défaillance de l'entreprise doit être écartée par le juge national afin d'assurer la primauté du droit de l'Union européenne, une telle clause stipulée dans le cadre d'une aide individuelle, octroyée en application d'un régime d'aide existant, ne modifiant pas ledit régime d'aide et n'étant donc pas soumise à notification ; qu'en retenant, pour dire que le conseil régional disposait d'une créance de 6 116 399,97 euros en principal à l'égard de la société Sky Aircraft au titre de la convention du 5 décembre 2011, après avoir constaté que la convention du 5 décembre 2011 visait expressément la décision C(2008)3792 de la Commission, que les aides accordées au titre de ce régime d'aide n'étaient dispensées d'obligation de notification qu'à condition qu'elles respectent le régime d'aide concerné, que, dans l'hypothèse où l'aide octroyée dans le cadre de la convention du 5 décembre 2011 n'aurait pas été conforme au régime d'aide n° 520a/2007, cette aide aurait donc dû être notifiée à la Commission de l'Union européenne conformément à l'article 88, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne et qu'aucune disposition du droit de l'Union ne dispensait la société Sky Aircraft et la société Geci international d'exécuter leurs obligations contractuelles au motif que l'aide octroyée serait le cas échéant différente de celles projetées dans le régime d'aide n° 520a/2007, la cour d'appel, qui a assimilé une clause stipulée dans une convention d'aide consentie sur le fondement d'un régime d'aide déclaré compatible par la Commission de l'Union européenne mais non conforme à celui-ci à une modification dudit régime et refusé, ce faisant, de l'écarter, a violé la décision C(2008)3792 de la Commission, ensemble les articles 87 et 88 du traité instituant la Communauté européenne, devenus les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »
8. Par son troisième moyen, la société Geci international fait grief à l'arrêt de dire que le conseil régional dispose, au titre de la convention du 30 janvier 2012, d'une créance de 5 000 000 euros à l'égard de la société Sky Aircraft et d'une créance de garantie d'un même montant à l'encontre de la société Geci international, alors « qu'aux termes de la décision C(2008)3792 de la Commission du 16 juillet 2008 relative à l'aide d'Etat n° 520a/2007, qui renvoie à la décision C(2008)279 de la Commission du 17 janvier 2008 relative à l'aide d'Etat n° 408/2007, les aides accordées sous forme d'avance récupérable en application de ce régime sont sujettes à un remboursement forfaitaire en cas d'échec, sauf en cas de défaillance de l'entreprise survenant avant ledit remboursement, de sorte que toute clause stipulée dans une convention d'aide consentie en application dudit régime prévoyant un remboursement de l'aide en cas de défaillance de l'entreprise doit être écartée par le juge national afin d'assurer la primauté du droit de l'Union européenne ; qu'en retenant, pour dire que le conseil régional disposait d'une créance de 5 000 000 euros à l'égard de la société Sky Aircraft au titre de la convention du 30 janvier 2012, qu'il ne résultait d'aucune disposition du droit de l'Union la faculté pour les parties contractantes de se dispenser d'exécuter leurs obligations contractuelles de rembourser l'aide consentie, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la convention du 30 janvier 2012 n'avait pas été conclue en application du régime d'aide n° 520a/2007 notifié et déclaré compatible par la décision C(2008)3792 de la Commission, laquelle prohibait tout remboursement en cas de défaillance de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette décision, ensemble des articles 87 et 88 du traité instituant la Communauté européenne, devenus les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
9. Les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la décision de la Commission européenne approuvant un régime d'aide ne s'opposent pas à ce qu'une aide individuelle accordée au titre de ce régime d'aide, comporte, par rapport à ce dernier, une modification n'étant pas de nature à influer sur l'évaluation de la compatibilité de la mesure d'aide avec le marché intérieur et présentant, dès lors, un caractère purement formel ou administratif, au sens de l'article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 794/2004 du 21 avril 2004 concernant la mise en oeuvre du règlement n° 659/1999.
10. Les moyens, qui postulent le contraire, ne sont donc pas fondés.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Geci international fait grief à l'arrêt de dire que le conseil régional bénéficie à son encontre d'une créance de garantie d'un montant de 6 116 399,97 euros au titre de la convention du 5 décembre 2011, alors « que toute caution, aval et garantie donnée sans autorisation préalable du conseil d'administration par une société anonyme, autre que celles exploitant des établissements bancaires et financiers, est inopposable aux tiers, cette inopposabilité étant insusceptible d'être couverte par une ratification ou confirmation ultérieure ; qu'en retenant, pour dire que le conseil régional bénéficiait d'une créance de garantie à l'encontre de la société Geci international d'un montant de 6 116 399,97 euros au titre de la convention du 5 décembre 2011, après avoir constaté que cette convention avait été signée sans autorisation préalable du conseil d'administration, qu'il ressortait d'un procès-verbal de réunion du conseil d'administration du 23 janvier 2012 que la société Geci international avait ratifié de manière claire et non équivoque cet engagement, en ayant connaissance de l'absence d'autorisation préalable et du contenu de l'engagement pris, de sorte qu'elle ne pouvait pas se prévaloir d'une inopposabilité de cet acte, la cour d'appel a violé l'article L. 225-35, alinéa 4, du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 225-35, alinéa 4, du code de commerce :
12. Il résulte de ce texte que les cautions, avals et garanties donnés par des sociétés anonymes autres que celles exploitant des établissements bancaires ou financiers doivent faire l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration, à défaut de laquelle les actes souscrits par les dirigeants sociaux au nom de ces sociétés ne sont pas opposables à celles-ci.
13. Pour dire que le conseil général bénéficie à l'égard de la société anonyme Geci international d'une créance de garantie d'un montant de 6 116 399, 97 euros au titre de la convention du 5 décembre 2011, la cour d'appel, retient que, lors de sa réunion du 23 janvier 2012, le conseil d'administration de cette société a décidé de manière claire et non équivoque de ratifier l'engagement de caution stipulé à cette convention et de le lui rendre opposable.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que l'engagement de caution de la société anonyme Geci international avait été souscrit sans autorisation préalable du conseil d'administration, de sorte qu'il lui était inopposable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Faute d'avoir été préalablement autorisé par le conseil d'administration de la société Geci international, l'engagement de caution de cette société stipulé à la convention du 5 décembre 2011, qui n'était pas susceptible de ratification, lui est inopposable.
18. En conséquence le conseil régional ne dispose pas à l'égard de la société Geci international de créance de garantie au titre de cette convention.
19. La cassation du chef de dispositif disant que le conseil régional bénéficie à l'égard de la société Geci international d'une créance de garantie d'un montant de 6 116 399, 97 euros au titre de la convention du 5 décembre 2011 n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant cette société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le conseil régional de la région Grand Est bénéficie à l'égard de la société Geci international d'une créance de garantie d'un montant de 6 116 399, 97 euros au titre de la convention du 5 décembre 2011, l'arrêt rendu le 11 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que le conseil régional de la région Grand Est ne bénéficie pas à l'égard de la société Geci international de créance de garantie au titre de la convention du 5 décembre 2011 ;
Condamne le conseil régional de la région Grand Est aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le conseil régional de la région Grand Est et le condamne à payer à la société Geci international la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le trois décembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.