CA Bordeaux, 4e ch. com., 26 novembre 2025, n° 23/01622
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 26 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/01622 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NGLK
S.A.S. MUGEN
c/
Monsieur [J] [D]
S.A.S. OBOCAUX
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 janvier 2023 (R.G. 2021F00417) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 03 avril 2023
APPELANTE :
S.A.S. MUGEN, immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 831 288 964, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Marie CHAMFEUIL de la SELARL MARIE CHAMFEUIL, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [J] [D], né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 6] (44), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
S.A.S. OBOCAUX, immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro B 830 266 078, prise en la personne de son liquidateur, Monsieur [J] [D], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
Représentés par Maître Geoffrey BARBIER de la SELARL HEXA, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juillet 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
1. La société par actions simplifiée Obocaux, présidée par Monsieur [J] [D], était spécialisée dans l'activité de traiteur.
La société par actions simplifiée Mugen, présidée par Monsieur [C] [Z], exerce également l'activité de traiteur.
La société par actions simplifiée NBAvenir, présidée par Monsieur [J] [S], exerçait l'activité de gestion d'enseigne et développement d'entreprise ; elle a fait l'objet d'une liquidation amiable clôturée le 1er novembre 2023.
Le 20 juin 2020, M. [Z] et M. [S] ont adressé à M. [D] une lettre d'intention aux fins d'acquisition des actions de la société Obocaux.
Le 16 septembre 2020, M. [D], M. [S] et M. [Z] ont signé un document intitulé 'compromis de cession de parts sociales' par lequel M. [D] promet de céder à M. [S] et M. [Z] la totalité des actions de la société Obocaux sous conditions suspensives de l'agrément des cessionnaires par l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société et de l'obtention d'un concours bancaire.
L'acte comporte la stipulation suivante : « Le cédant s'octroie le droit de sortir de la vente à partir du lundi 12 octobre 2020 si les cessionnaires n'ont pas eu de retour favorable concernant leurs demandes de crédits.»
Par lettre recommandée adressée le 20 octobre 2020 à la société Mugen, M. [D] a fait connaître qu'il mettait un terme aux négociations.
2. Par acte du 21 avril 2021, les sociétés Mugen et NBAvenir ont assigné M. [D] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins, principalement, de condamnation au paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique et moral subi à la suite de la rupture abusive des pourparlers.
Par jugement du 03 janvier 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté les sociétés Mugen et NBAvenir de l'intégralité de leurs demandes ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre de la clause pénale ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre du préjudice économique ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande de préjudice moral ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre de l'occupation des locaux ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires ;
- condamné in solidum les sociétés Mugen SAS et NBAvenir à payer à Monsieur [J] [D] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que l'exécution provisoire était de droit ;
- condamné les sociétés Mugen et NBAvenir in solidum aux dépens.
Par déclaration au greffe du 03 avril 2023, la société Mugen a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Obocaux et Monsieur [J] [D].
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières écritures notifiées le 7 mars 2025, la société Mugen demande à la cour de :
Vu l'article, 1104 et 1112 du code civil
Vu les articles 1303 et suivants du code civil
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté la société Mugen de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté Monsieur [J] [D] et la société Obocaux de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- Déclarer irrecevable la société Obocaux en ses demandes, et à titre subsidiaire, confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté la société Obocaux de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
Statuant à nouveau
- Condamner Monsieur [J] [D] à payer à la société Mugen une somme de 21 639,41 euros à titre de dommages et intérêts,
- Condamner Monsieur [J] [D] au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Monsieur [J] [D] au paiement des entiers dépens de l'instance.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 13 mars 2025, Monsieur [J] [D] et la société Obocaux demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1104, 1112 et 1304 du code civil,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les sociétés Mugen et NBAvenir de l'ensemble de leurs demandes et les ont condamnées au paiement d'une indemnité de 2000 euros au titres des frais de procédure de première instance ;
- Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre de la clause pénale,
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre du préjudice économique,
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande de préjudice moral,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre de l'occupation des locaux,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
En conséquence, statuant à nouveau :
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 5'500 euros au titre de la clause pénale ;
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 4'800 euros au titre de son préjudice économique ;
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 5'000 euros au titre de son préjudice moral ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 1'660 euros au titre de l'occupation des locaux ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 32'063,99 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires ;
- Rejeter la demande d'irrecevabilité présentée par la société Mugen concernant les demandes de la société Obocaux
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Mugen aux dépens.
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L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 juin 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande au titre de la rupture abusive des pourparlers
Moyens des parties
5. Au visa des articles 1104 et 1112 du code civil, la société Mugen fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en indemnisation du caractère abusif de la rupture des pourparlers relatifs à la vente des actions de la société Obocaux.
L'appelante fait valoir que les pourparlers, menés du 20 juin au 14 octobre 2020, ont été rompus par M. [D], qui n'a fourni aucune explication pour expliquer sa décision ; que les cessionnaires s'étaient pourtant beaucoup investis dans ce projet, étaient accompagnés par un expert-comptable pour établir un prévisionnel de trésorerie, réaliser des simulations de comptes de résultat sur 3 ans, établir un plan de financement permettant d'encadrer l'opération de manière optimale en chiffrant leurs besoins et ressources ; qu'ils ont multiplié les contacts avec les établissements bancaires -dont ils ont par la suite obtenu des retours favorables- afin de mettre toutes les chances de leur côté pendant une période difficile en raison de la pandémie ; que la société NBAvenir avait été constituée uniquement à cette fin.
La société Mugen soutient que M. [D] a, en réalité, mis un arrêt brutal aux pourparlers en raison du fait qu'il avait d'autres acquéreurs intéressés et qu'il a réalisé le potentiel de sa société grâce aux pistes d'améliorations évoquées par les cessionnaires ; qu'il a d'ailleurs vendu le fonds de commerce de la société Obocaux à la société Casa Gaia, déjà propriétaire d'un restaurant à [Localité 5].
6. M. [D] et la société Obocaux répondent que l'accord conclu entre les parties le 16 septembre 2020 stipule expressément que la cession de parts ne devait intervenir que sous la condition que les cessionnaires bénéficient d'un financement ; que ce compromis édicte par ailleurs une date limite au 12 octobre 2020 ; que la société Mugen est en peine de produire une quelconque preuve de l'obtention d'une autorisation de financement avant le 12 octobre 2020 ; elle ne démontre pas non plus qu'une telle offre ferme aurait été communiquée aux intimés ; que l'appelante échoue donc à apporter la preuve de la levée de la condition suspensive d'obtention de financement ; que M. [D] pouvait donc légitimement mettre fin aux négociations ; qu'il a prévenu les sociétés Mugen et NBAvenir de son intention de mettre fin aux pourparlers.
Les intimés ajoutent que, par ailleurs, l'appelante ne démontre toujours pas avoir réalisé des démarches utiles à l'acquisition des titres des associés de M. [D], dont les parts ne devaient être cédées que sous la condition de la vente de l'intégralité des actions de la société Obocaux ; que l'opération était donc loin d'aboutir, la société Mugen ne produisant aucun élément relatif à l'avancement des pourparlers avec les autres associés.
Réponse de la cour
7. L'article 1104 du code civil dispose :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public.»
L'article 1112 du code civil énonce :
« L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.»
8. Il est établi que les parties ont conclu un premier 'compromis de cession de parts sociales' le 20 juin 2020, qui a été complété par un avenant en date du 16 septembre 2020.
L'acte du 16 septembre 2020 stipule les conditions suivantes :
« Date de réalisation de la cession :
Notre objectif est de réaliser la cession d'ici au 31 (sic) septembre 2020. (...)
Conditions suspensives :
La présente promesse sera exécutée après réalisation des conditions suspensives suivantes :
- Agrément des cessionnaires par l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société conformément à la loi et aux dispositions des statuts.
- Octroi aux cessionnaires d'un crédit bancaire pour leur permettre de payer le prix indiqué ci-dessus. La réalisation de la cession sera soumise à la condition que nous obtenions les autorisations financières requises pour effectuer l'achat de l'intégralité des parts sociales de l'entreprise.
Les cessionnaires verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5.500 euros au cédant s'ils souhaitent sortir de la vente. Seul un justificatif de refus d'obtention de crédit permettra d'annuler cette clause. Néanmoins la loi prévoit de fournir trois refus d'obtention de crédit de banques différentes pour justifier de la bonne volonté des cessionnaires.
Étant un avenant à une première promesse de vente non tenue dans les délais, le cédant s'octroie le droit de sortir de la vente à partir du lundi 12 octobre 2020 si les cessionnaires n'ont pas eu de retour favorable concernant leurs demandes de crédit. Bien entendu aucune des deux parties ne sera alors sanctionnée.
Durée de validité de la promesse : la présente promesse est valable jusqu'au 31 (sic) septembre 2020.»
9. Il résulte de ces stipulations que les sociétés Mugen et NBAvenir devaient, notamment, obtenir un crédit avant le 12 octobre 2020, le droit de M. [D] de rompre les négociations à compter de cette date étant expressément et seulement subordonné à cette condition de l'obtention d'un concours bancaire.
La société Mugen verse à son dossier les messages électroniques échangés avec la Banque Populaire les 14 et 15 septembre 2020 et avec le CIC entre le 22 septembre et le 5 octobre 2020, ainsi qu'un message émanant du Crédit Agricole le 28 septembre 2020.
Aucun de ces écrits n'établit que la société Mugen aurait obtenu un concours bancaire dans les jours précédant la date limite des négociations. Le message de M. [Y], conseiller au Crédit Agricole, mentionne certes un accord de principe de la banque, avec toutefois la réserve suivante : « Il faudrait (...) me fournir la dernière comptabilité pour que je puisse vous confirmer cet accord de principe.»
Il n'apparaît pas que cette demande aurait été suivie d'effet, alors au contraire que les intimés versent à leur dossier les échanges relatifs à la transmission des éléments comptables nécessaires.
10. Par ailleurs, un échange par SMS du mercredi 7 octobre 2020 démontre que M. [D] a, alors, indiqué à M. [S] qu'il envisageait d'appliquer les termes de l'avenant du 16 septembre 2020. L'intimé écrit en effet : « OK bon [F] pour être très sincère si je n'ai pas de garantie vendredi on va s'arrêter là (...)»
M. [S] lui a répondu : « (...) Comme noté dans l'avenant, tu pourras trouver un autre acheteur à partir du 12 octobre et je le comprendrais sans problème.»
M. [D] : « (...) Je suis désolé mais là je peux plus rester dans cette situation.»
M. [S] : « Je comprends c'est frustrant pour nous aussi (...) Mais il faut respecter les termes de l'avenant que tu nous a demandé de formaliser.»
M. [D] : « Oui bien sûr mais là je ne vois pas comment vous aurez un accord de financement avant lundi...»
L'intimé a donc avisé les cessionnaires de ce qu'il envisageait de prendre acte de ce que la condition suspensive de l'octroi de prêt n'était pas levée. Il doit être observé, de plus, que M. [D] et la société Obocaux n'ont pas adressé immédiatement le courrier officiel de cessation des pourparlers puisque ce courrier a été envoyé le 20 octobre 2020.
11. Le tribunal de commerce a, de plus, rappelé avec pertinence que la société Mugen ne démontrait pas qu'elle avait, par ailleurs, engagé les démarches nécessaires à l'acquisition des actions détenues par les autres associés de la société Obocaux alors que la lettre d'intention du 20 juin 2020 et l'avenant du 16 septembre suivant mentionnent expressément la cession de la totalité du capital social.
12. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Mugen de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers.
Sur la demande au titre de l'enrichissement sans cause
Moyens des parties
13. Au visa des articles 1303 et suivants du code civil, la société Mugen fait grief au tribunal de commerce d'avoir rejeté sa demande en indemnisation de l'enrichissement injustifié des intimés à son détriment.
L'appelante fait valoir que M. [D] a tiré profit des études et analyses réalisées M. [Z] et M. [S] dans le cadre des pourparlers ; qu'il a profité de leurs suggestions d'amélioration pour développer de façon croissante la société Obocaux dont le chiffre d'affaires avait chuté en raison de la crise sanitaire, mais ne leur a rien versé en contrepartie ; qu'ils ont investi des moyens financiers et humains sans en retirer le moindre bénéfice ; qu'ils disposaient de compétences et d'un savoir-faire dans le domaine de la gestion d'établissements alimentaires, lesquels manquaient cruellement à M. [D], ce qui lui a permis de redresser son activité alors que celle-ci était sur le point de s'effondrer et de revendre son fonds de commerce le 10 janvier 2023 à la société Casa Gaïa pour un montant de 44.000 euros.
14. M. [D] et la société Obocaux répondent que l'appelante excipe des compétences personnelles de Messieurs [Z] et [S], qui ne sont pourtant pas parties à la procédure ; que l'appelante ne démontre pas son appauvrissement, sauf à supposer que les préjudices formulés au titre de la rupture abusive des pourparlers doivent aussi servir à justifier l'enrichissement sans cause ; qu'elle ne démontre pas davantage l'enrichissement personnel de M. [D] qui, au contraire, a été contraint de s'investir à perte dans les pourparlers, au point de ne pas être en mesure de se verser de rémunération ; qu'en tout état de cause, à les supposer démontrés, l'enrichissement et l'appauvrissement corrélatif seraient évidemment causés par les pourparlers, auxquels M. [D] restait en droit de mettre fin.
Réponse de la cour
15. L'article 1303 du code civil dispose :
« En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.»
En vertu de l'article 1303-1 du code civil, l'enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale.
16. Au soutien de sa demande au titre de ces textes, la société Mugen évoque l'activité déployée par deux personnes physiques, M. [Z] et M. [S], mais non sa propre implication. Il apparaît d'ailleurs que les pièces produites à cet égard concernent M. [Z] (par exemple l'acquisition d'un ordinateur) ou sont des notes de restaurant, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été pris en charge par la société Mugen, de sorte que la preuve de l'appauvrissement de l'appelante n'est pas rapportée.
17. Par ailleurs, il est invoqué le fait que la société Obocaux aurait nettement amélioré sa situation économique grâce aux conseils de M. [S] et de M. [Z], dont au demeurant aucune pièce ne démontre quelle en aurait été la teneur.
Il doit toutefois être observé que le fonds de commerce de la société Obocaux a été cédé au prix de 45.308 euros le 10 janvier 2023, tandis que le prix d'achat proposé par les sociétés Mugen et NBAvenir était de 55.000 euros, de sorte que l'enrichissement de la société, ou en tout cas le profit bénéficiant au fond de commerce exploité par cette société, n'est pas démontré.
18. Enfin, il faut relever que la demande en paiement n'est pas présentée contre la société elle-même mais contre M. [D]. Il peut en être déduit que c'est en sa qualité d'associé, mais il doit être rappelé que s'il était détenteur de 70 % du capital social, cinq autres associés sont susceptibles d'avoir bénéficié de l'enrichissement injustifié allégué. Or l'appelante n'explicite pas en quelle mesure la somme réclamée -d'ailleurs du même montant que celle qui est sollicitée au titre du préjudice résultant de la rupture abusive des pourparlers- ne concernerait que l'enrichissement injustifié du seul M. [D].
19. Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Mugen de sa demande en paiement au titre de son appauvrissement résultant de l'enrichissement injustifié de M. [D].
Sur les demandes présentées par la société Obocaux
I. Sur la recevabilité des demandes
Moyens des parties
20. Au visa des articles 1844-7 et 1844-8 du code civil, la société Mugen tend à l'irrecevabilité des demandes présentées par la société Obocaux au motif que celle-ci a fait l'objet d'une liquidation amiable le 11 janvier 2024, de sorte qu'elle est dissoute et ne peut agir en justice.
Par application des dispositions de l'article 325 du code de procédure civile, l'appelante soutient également l'irrecevabilité des demandes de l'intimée en ce qu'elles ne présentent pas de lien suffisant avec les prétentions de la société Mugen relatives aux fautes commises par le seul M. [D] dans le cadre des pourparlers litigieux.
21. Au visa de l'article L.237-2 du code de commerce, M. [D] et la société Obocaux répondent que la personnalité morale de la société Obocaux subsiste puisque la liquidation n'a pas été clôturée, de sorte qu'elle est recevable à agir, désormais représentée par son liquidateur amiable, M. [D].
Réponse de la cour
22. En vertu des articles L.237-1 et L.237-2 du code de commerce, la liquidation des sociétés est régie par les dispositions contenues dans les statuts et la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci.
23. Les statuts de la société Obocaux prévoient expressément, à l'article 24, une procédure de liquidation amiable, conforme aux articles L.237-1 et suivants du code de commerce.
M. [D] a été nommé en qualité de liquidateur amiable par l'assemblée générale extraordinaire des associés convoquée le 11 janvier 2024 et est ainsi désigné dans les dernières conclusions notifiées le 13 mars 2025 par la société Obocaux, qui conserve la personnalité morale pour les besoins de sa liquidation, en particulier pour soutenir en appel les demandes en dommages et intérêts présentées antérieurement à sa dissolution. Il n'apparaît d'ailleurs pas que les opérations de liquidation de cette société seraient clôturées.
24. Les prétentions de la société Obocaux sont relatives aux préjudices qu'elle affirme avoir subis en conséquence des fautes commises par l'appelante au cours de la période des négociations. Elles présentent donc un lien, au sens de l'article 325 du code de procédure civile, avec les propres demandes de la société Mugen qui soutient de son côté avoir subi un préjudice en conséquence des fautes commises par M. [D] au cours de la même période.
25. Dès lors, la fin de non recevoir opposée en cause d'appel par la société Mugen aux demandes de la société Obocaux doit être rejetée.
II. Sur la demande au titre de l'occupation des locaux
Moyens des parties
26. La société Obocaux soutient que, lors des pourparlers, les sociétés Mugen et NBAvenir ont profité des négociations et tiré avantage de la situation pour établir leur propre salle de préparation dans les locaux de la société Obocaux ; que celles-ci ont utilisé les locaux pour leur activité sans autre objectif que de profiter des négociations en cours, négociations dont elles savaient qu'elles ne pourraient aboutir en raison de leurs propres défaillances ; qu'il en résulte un préjudice pouvant être évalué en fonction du montant du loyer versé pour le compte des sociétés Mugen et NBAvenir par la société Obocaux.
27. La société Mugen répond que la société Obocaux ne prouve pas l'existence et la réalité de cette prétendue occupation ; qu'il est particulièrement déloyal de sa part de prétendre que la société Mugen a investi ses locaux pour exercer sa propre activité à son détriment alors que l'appelante a détaché son représentant légal pendant quatre mois pour auditer l'activité, les contrats et les comptes mais également pour préparer les commandes, effectuer les livraisons, gérer les fournisseurs et approvisionner les stocks, cela dans l'intérêt exclusif de la société Obocaux qui est l'unique personne morale à en avoir tiré profit ; que la société NBAvenir n'a jamais eu d'activité propre puisqu'elle n'a été constituée que dans le but de l'opération et ne pouvait donc pas occuper les locaux de la société
Obocaux pour une autre raison ; que la société Mugen a une activité de traiteur de mariage qui était en pause à l'été 2020 en raison de la crise sanitaire et de l'interdiction des rassemblements.
Réponse de la cour
28. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à la société Obocaux de rapporter la preuve de ce que la société Mugen a exploité ses locaux à son seul profit.
29. Il résulte de l'étude des pièces produites à son dossier que les représentants légaux des sociétés Mugen et NBAvenir ont, dès le mois de juillet, été présents [Adresse 7] à [Localité 5].
Toutefois, les attestations de deux voisins de la société concernant le dépôt du matériel professionnel de la société Mugen sont contrebattues par les propres commentaires de M. [D] relatifs aux SMS échangés avec M. [S] et M. [Z] pendant la période des pourparlers. En effet, ces commentaires indiquent que ces messages sont en réalité relatifs à la formation de MM. [Z] et [S] aux spécificités de l'exploitation du fonds de commerce, qu'il s'agisse des questions administratives et financières ou des questions de production. De plus, les termes de l'attestation de Mme [W], cliente de la société Obocaux, démontrent que M. [D] lui a présenté les cessionnaires et a précisé qu'il les formerait.
Par ailleurs, aucun élément ne démontre que l'appelante aurait réalisé une production pour son propre compte au sein des locaux.
30. Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.
II. Sur la demande au titre de la perte de chiffre d'affaires
31. La société Obocaux expose qu'elle a été frappée brutalement par la crise sanitaire et a été contrainte de souscrire un prêt d'un montant de 25.000 euros pour y faire face ; qu'elle a dû au surplus supporter dans ses locaux les activités des société Mugen et NBAvenir et ainsi réduire sa production et son propre chiffre d'affaires ; qu'elle n'a donc en rien profité de la situation ; que la perspective de la cession permettait d'envisager une fusion des activités mais que les société Mugen et NBAvenir entendaient seulement profiter des locaux et du matériel de l'intimée pour finalement ne pas poursuivre la vente ; que cette situation s'est traduite par une perte importante de chiffre d'affaires pour la société Obocaux sur la période considérée.
32. La société Mugen répond que l'occupation reprochée a été effectuée dans l'intérêt de la société Obocaux et finalement au détriment de l'appelante, privée de l'activité de son représentant légal pendant 4 mois ; qu'il convient de mettre en lumière l'incohérence des chiffres produits par l'intimée en regard du chiffre d'affaires comptabilisé in situ par les sociétés Mugen et NBAvenir dans le cadre des audits effectués pendant la phase des pourparlers ; que face à ces incohérences et au refus de la société Obocaux de communiquer ses bilans et comptes de résultats certifiés au titre des exercices clos les 31 juillet 2020 et 31 juillet 2021, l'évolution de son chiffre d'affaires ne peut pas être établi de sorte qu'aucune demande d'indemnisation sur ce fondement ne saurait prospérer.
Réponse de la cour
33. Pour appuyer sa demande, la société Obocaux produit une attestation de son expert comptable qui indique que le montant du chiffre d'affaires hors taxes de la société s'est élevé à 48.412,03 euros entre juin et septembre 2019 et à 16.348,04 euros entre juin et septembre 2020.
34. Toutefois, ainsi que le rappelle le tribunal de commerce, les activités économiques ont été bouleversées en France par l'effet des mesures gouvernementales liées à la pandémie. Il ne peut donc être tenu compte utilement de ce chiffre d'affaires qui, en l'absence d'autres éléments, n'est pas suffisant à démontrer la relation alléguée entre l'activité de la société Mugen au sein des locaux sociaux et la perte économique subie par l'intimée.
35. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes présentées par M. [D]
I. Sur la demande au titre du préjudice économique de M. [D]
36. Monsieur [D] fait grief au premier juge d'avoir rejeté sa demande en indemnisation de son préjudice économique ; il fait valoir que, dans la perspective de la cession, il investi un temps considérable dans l'information des acquéreurs sur le matériel, son savoir-faire, les fournisseurs, la clientèle et les autres aspects de l'activité ; que ce temps passé l'a contraint à ne pas se verser de rémunération et à ne pas pouvoir s'investir pleinement dans les mesures nécessaires pour faire face à la crise sanitaire entre les mois de juin 2020 et septembre 2020 ; qu'il a ainsi du, dans un premier temps, vendre une partie de ses parts sociales à son frère pour assurer sa subsistance ; que la société Mugen devra réparer le préjudice consécutif à la perte de salaire sur la base d'une rémunération mensuelle de 1200 euros.
37. La société Mugen répond que les représentants légaux des sociétés Mugen et NBAvenir ont travaillé au quotidien pour la société Obocaux pendant 4 mois ; que, par leur force de travail, ils ont permis à M. [D] d'économiser sur l'embauche de salariés ; que l'intimé a perçu des aides publiques de 1500 euros par mois pendant cette période et réalisé un chiffre d'affaires supérieur à celui qui est attesté par son expert-comptable ; qu'aucun fait direct imputable à la société Mugen au cours de cette période ne peut justifier sa condamnation à des dommages-intérêts pour préjudice économique.
Réponse de la cour
38. Aucun élément n'établit l'étendue de la perte de temps alléguée par l'intimé en ce qui concerne la formation des représentants légaux des sociétés cessionnaires, les échanges de SMS n'étant pas pertinents à cet égard puisque leur lecture démontre que l'activité de M. [D] se poursuivait.
39. Par ailleurs, les faits détaillés par l'intimé concernent en réalité M. [Z], non la société Mugen.
40. Faute pour M. [D] de faire la preuve de la cause du préjudice allégué, il y a lieu de confirmer le jugement déféré de ce chef.
II. Sur la demande au titre de la clause pénale
41. M. [D] indique que la promesse du 16 septembre 2020 stipule que les cessionnaires lui verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5500 euros s'ils souhaitent sortir de la vente.
L'appelant reproche au tribunal de commerce d'avoir rejeté sa demande à ce titre ; il soutient qu'en l'absence de précisions des parties, le souhait de sortir de la vente peut être soit explicite par le résultat d'actes positifs, soit implicite par le résultat d'abstentions ; qu'il ressort des démonstrations précédentes que les sociétés Mugen et NBAvenir ont, du fait de leur passivité, laissé s'écouler les délais sur lesquels elles s'étaient engagées.
42. La société Mugen répond qu'il est indiscutable que les candidats acquéreurs n'ont pas souhaité sortir de cette vente ; qu'elles ont au contraire tout mis en place pour assurer sa réalisation, ce qui ressort de l'ensemble des diligences effectuées au cours des quatre mois de négociations et des demandes de prêts et de financements conformes aux caractéristiques convenues et effectuées auprès de plusieurs établissements bancaires ; que l'échec de la vente litigieuse résulte exclusivement de la volonté de M. [D] puisque celui-ci n'a pas communiqué le document réclamé par les cessionnaires et nécessaire à l'octroi définitif d'un prêt puis a ensuite brutalement et abusivement rompu les pourparlers.
Réponse de la cour
43. L'acte de cession des actions de la société Obocaux stipule la clause suivante :
« Les cessionnaires verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5.500 euros au cédant s'ils souhaitent sortir de la vente.»
44. Aucun élément ne démontre que la société Mugen a renoncé à poursuivre la vente.
45. Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de ce chef, ainsi qu'en ce qu'il a rejeté la demande de celui-ci en indemnisation de son préjudice moral, dont le principe n'est pas établi.
46. Les chefs de dispositif de ce jugement relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance seront également confirmés.
Partie tenue au paiement des dépens de l'appel, la société Mugen sera condamnée à verser à M. [D] la somme de 3.000 euros en indemnisation des frais irrépétibles de celui-ci. La société Obocaux sera déboutée de sa demande de ce chef en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Le cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Dans les limites de sa saisine,
Rejette la fin de non recevoir opposée en cause d'appel par la société Mugen aux demandes de la société Obocaux.
Confirme le jugement prononcé le 3 janvier 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Mugen à payer à Monsieur [J] [D] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Obocaux de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Mugen à payer les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 26 NOVEMBRE 2025
N° RG 23/01622 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NGLK
S.A.S. MUGEN
c/
Monsieur [J] [D]
S.A.S. OBOCAUX
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 janvier 2023 (R.G. 2021F00417) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 03 avril 2023
APPELANTE :
S.A.S. MUGEN, immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 831 288 964, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Marie CHAMFEUIL de la SELARL MARIE CHAMFEUIL, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [J] [D], né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 6] (44), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
S.A.S. OBOCAUX, immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro B 830 266 078, prise en la personne de son liquidateur, Monsieur [J] [D], domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
Représentés par Maître Geoffrey BARBIER de la SELARL HEXA, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 juillet 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Bérengère VALLEE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
1. La société par actions simplifiée Obocaux, présidée par Monsieur [J] [D], était spécialisée dans l'activité de traiteur.
La société par actions simplifiée Mugen, présidée par Monsieur [C] [Z], exerce également l'activité de traiteur.
La société par actions simplifiée NBAvenir, présidée par Monsieur [J] [S], exerçait l'activité de gestion d'enseigne et développement d'entreprise ; elle a fait l'objet d'une liquidation amiable clôturée le 1er novembre 2023.
Le 20 juin 2020, M. [Z] et M. [S] ont adressé à M. [D] une lettre d'intention aux fins d'acquisition des actions de la société Obocaux.
Le 16 septembre 2020, M. [D], M. [S] et M. [Z] ont signé un document intitulé 'compromis de cession de parts sociales' par lequel M. [D] promet de céder à M. [S] et M. [Z] la totalité des actions de la société Obocaux sous conditions suspensives de l'agrément des cessionnaires par l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société et de l'obtention d'un concours bancaire.
L'acte comporte la stipulation suivante : « Le cédant s'octroie le droit de sortir de la vente à partir du lundi 12 octobre 2020 si les cessionnaires n'ont pas eu de retour favorable concernant leurs demandes de crédits.»
Par lettre recommandée adressée le 20 octobre 2020 à la société Mugen, M. [D] a fait connaître qu'il mettait un terme aux négociations.
2. Par acte du 21 avril 2021, les sociétés Mugen et NBAvenir ont assigné M. [D] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins, principalement, de condamnation au paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice économique et moral subi à la suite de la rupture abusive des pourparlers.
Par jugement du 03 janvier 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté les sociétés Mugen et NBAvenir de l'intégralité de leurs demandes ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre de la clause pénale ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre du préjudice économique ;
- débouté Monsieur [J] [D] de sa demande de préjudice moral ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre de l'occupation des locaux ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires ;
- condamné in solidum les sociétés Mugen SAS et NBAvenir à payer à Monsieur [J] [D] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Obocaux de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que l'exécution provisoire était de droit ;
- condamné les sociétés Mugen et NBAvenir in solidum aux dépens.
Par déclaration au greffe du 03 avril 2023, la société Mugen a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Obocaux et Monsieur [J] [D].
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
3. Par dernières écritures notifiées le 7 mars 2025, la société Mugen demande à la cour de :
Vu l'article, 1104 et 1112 du code civil
Vu les articles 1303 et suivants du code civil
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté la société Mugen de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté Monsieur [J] [D] et la société Obocaux de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- Déclarer irrecevable la société Obocaux en ses demandes, et à titre subsidiaire, confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 3 janvier 2023 en ce qu'il a débouté la société Obocaux de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
Statuant à nouveau
- Condamner Monsieur [J] [D] à payer à la société Mugen une somme de 21 639,41 euros à titre de dommages et intérêts,
- Condamner Monsieur [J] [D] au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner Monsieur [J] [D] au paiement des entiers dépens de l'instance.
***
4. Par dernières écritures notifiées le 13 mars 2025, Monsieur [J] [D] et la société Obocaux demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1104, 1112 et 1304 du code civil,
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les sociétés Mugen et NBAvenir de l'ensemble de leurs demandes et les ont condamnées au paiement d'une indemnité de 2000 euros au titres des frais de procédure de première instance ;
- Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre de la clause pénale,
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande au titre du préjudice économique,
Débouté Monsieur [J] [D] de sa demande de préjudice moral,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre de l'occupation des locaux,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre de la perte de chiffre d'affaires,
Débouté la société Obocaux de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
En conséquence, statuant à nouveau :
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 5'500 euros au titre de la clause pénale ;
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 4'800 euros au titre de son préjudice économique ;
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 5'000 euros au titre de son préjudice moral ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 1'660 euros au titre de l'occupation des locaux ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 32'063,99 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires ;
- Rejeter la demande d'irrecevabilité présentée par la société Mugen concernant les demandes de la société Obocaux
- Condamner la société Mugen à verser à Monsieur [J] [D] la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Mugen à verser à la société Obocaux la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Mugen aux dépens.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 juin 2025.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande au titre de la rupture abusive des pourparlers
Moyens des parties
5. Au visa des articles 1104 et 1112 du code civil, la société Mugen fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en indemnisation du caractère abusif de la rupture des pourparlers relatifs à la vente des actions de la société Obocaux.
L'appelante fait valoir que les pourparlers, menés du 20 juin au 14 octobre 2020, ont été rompus par M. [D], qui n'a fourni aucune explication pour expliquer sa décision ; que les cessionnaires s'étaient pourtant beaucoup investis dans ce projet, étaient accompagnés par un expert-comptable pour établir un prévisionnel de trésorerie, réaliser des simulations de comptes de résultat sur 3 ans, établir un plan de financement permettant d'encadrer l'opération de manière optimale en chiffrant leurs besoins et ressources ; qu'ils ont multiplié les contacts avec les établissements bancaires -dont ils ont par la suite obtenu des retours favorables- afin de mettre toutes les chances de leur côté pendant une période difficile en raison de la pandémie ; que la société NBAvenir avait été constituée uniquement à cette fin.
La société Mugen soutient que M. [D] a, en réalité, mis un arrêt brutal aux pourparlers en raison du fait qu'il avait d'autres acquéreurs intéressés et qu'il a réalisé le potentiel de sa société grâce aux pistes d'améliorations évoquées par les cessionnaires ; qu'il a d'ailleurs vendu le fonds de commerce de la société Obocaux à la société Casa Gaia, déjà propriétaire d'un restaurant à [Localité 5].
6. M. [D] et la société Obocaux répondent que l'accord conclu entre les parties le 16 septembre 2020 stipule expressément que la cession de parts ne devait intervenir que sous la condition que les cessionnaires bénéficient d'un financement ; que ce compromis édicte par ailleurs une date limite au 12 octobre 2020 ; que la société Mugen est en peine de produire une quelconque preuve de l'obtention d'une autorisation de financement avant le 12 octobre 2020 ; elle ne démontre pas non plus qu'une telle offre ferme aurait été communiquée aux intimés ; que l'appelante échoue donc à apporter la preuve de la levée de la condition suspensive d'obtention de financement ; que M. [D] pouvait donc légitimement mettre fin aux négociations ; qu'il a prévenu les sociétés Mugen et NBAvenir de son intention de mettre fin aux pourparlers.
Les intimés ajoutent que, par ailleurs, l'appelante ne démontre toujours pas avoir réalisé des démarches utiles à l'acquisition des titres des associés de M. [D], dont les parts ne devaient être cédées que sous la condition de la vente de l'intégralité des actions de la société Obocaux ; que l'opération était donc loin d'aboutir, la société Mugen ne produisant aucun élément relatif à l'avancement des pourparlers avec les autres associés.
Réponse de la cour
7. L'article 1104 du code civil dispose :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public.»
L'article 1112 du code civil énonce :
« L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.»
8. Il est établi que les parties ont conclu un premier 'compromis de cession de parts sociales' le 20 juin 2020, qui a été complété par un avenant en date du 16 septembre 2020.
L'acte du 16 septembre 2020 stipule les conditions suivantes :
« Date de réalisation de la cession :
Notre objectif est de réaliser la cession d'ici au 31 (sic) septembre 2020. (...)
Conditions suspensives :
La présente promesse sera exécutée après réalisation des conditions suspensives suivantes :
- Agrément des cessionnaires par l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société conformément à la loi et aux dispositions des statuts.
- Octroi aux cessionnaires d'un crédit bancaire pour leur permettre de payer le prix indiqué ci-dessus. La réalisation de la cession sera soumise à la condition que nous obtenions les autorisations financières requises pour effectuer l'achat de l'intégralité des parts sociales de l'entreprise.
Les cessionnaires verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5.500 euros au cédant s'ils souhaitent sortir de la vente. Seul un justificatif de refus d'obtention de crédit permettra d'annuler cette clause. Néanmoins la loi prévoit de fournir trois refus d'obtention de crédit de banques différentes pour justifier de la bonne volonté des cessionnaires.
Étant un avenant à une première promesse de vente non tenue dans les délais, le cédant s'octroie le droit de sortir de la vente à partir du lundi 12 octobre 2020 si les cessionnaires n'ont pas eu de retour favorable concernant leurs demandes de crédit. Bien entendu aucune des deux parties ne sera alors sanctionnée.
Durée de validité de la promesse : la présente promesse est valable jusqu'au 31 (sic) septembre 2020.»
9. Il résulte de ces stipulations que les sociétés Mugen et NBAvenir devaient, notamment, obtenir un crédit avant le 12 octobre 2020, le droit de M. [D] de rompre les négociations à compter de cette date étant expressément et seulement subordonné à cette condition de l'obtention d'un concours bancaire.
La société Mugen verse à son dossier les messages électroniques échangés avec la Banque Populaire les 14 et 15 septembre 2020 et avec le CIC entre le 22 septembre et le 5 octobre 2020, ainsi qu'un message émanant du Crédit Agricole le 28 septembre 2020.
Aucun de ces écrits n'établit que la société Mugen aurait obtenu un concours bancaire dans les jours précédant la date limite des négociations. Le message de M. [Y], conseiller au Crédit Agricole, mentionne certes un accord de principe de la banque, avec toutefois la réserve suivante : « Il faudrait (...) me fournir la dernière comptabilité pour que je puisse vous confirmer cet accord de principe.»
Il n'apparaît pas que cette demande aurait été suivie d'effet, alors au contraire que les intimés versent à leur dossier les échanges relatifs à la transmission des éléments comptables nécessaires.
10. Par ailleurs, un échange par SMS du mercredi 7 octobre 2020 démontre que M. [D] a, alors, indiqué à M. [S] qu'il envisageait d'appliquer les termes de l'avenant du 16 septembre 2020. L'intimé écrit en effet : « OK bon [F] pour être très sincère si je n'ai pas de garantie vendredi on va s'arrêter là (...)»
M. [S] lui a répondu : « (...) Comme noté dans l'avenant, tu pourras trouver un autre acheteur à partir du 12 octobre et je le comprendrais sans problème.»
M. [D] : « (...) Je suis désolé mais là je peux plus rester dans cette situation.»
M. [S] : « Je comprends c'est frustrant pour nous aussi (...) Mais il faut respecter les termes de l'avenant que tu nous a demandé de formaliser.»
M. [D] : « Oui bien sûr mais là je ne vois pas comment vous aurez un accord de financement avant lundi...»
L'intimé a donc avisé les cessionnaires de ce qu'il envisageait de prendre acte de ce que la condition suspensive de l'octroi de prêt n'était pas levée. Il doit être observé, de plus, que M. [D] et la société Obocaux n'ont pas adressé immédiatement le courrier officiel de cessation des pourparlers puisque ce courrier a été envoyé le 20 octobre 2020.
11. Le tribunal de commerce a, de plus, rappelé avec pertinence que la société Mugen ne démontrait pas qu'elle avait, par ailleurs, engagé les démarches nécessaires à l'acquisition des actions détenues par les autres associés de la société Obocaux alors que la lettre d'intention du 20 juin 2020 et l'avenant du 16 septembre suivant mentionnent expressément la cession de la totalité du capital social.
12. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Mugen de sa demande en dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers.
Sur la demande au titre de l'enrichissement sans cause
Moyens des parties
13. Au visa des articles 1303 et suivants du code civil, la société Mugen fait grief au tribunal de commerce d'avoir rejeté sa demande en indemnisation de l'enrichissement injustifié des intimés à son détriment.
L'appelante fait valoir que M. [D] a tiré profit des études et analyses réalisées M. [Z] et M. [S] dans le cadre des pourparlers ; qu'il a profité de leurs suggestions d'amélioration pour développer de façon croissante la société Obocaux dont le chiffre d'affaires avait chuté en raison de la crise sanitaire, mais ne leur a rien versé en contrepartie ; qu'ils ont investi des moyens financiers et humains sans en retirer le moindre bénéfice ; qu'ils disposaient de compétences et d'un savoir-faire dans le domaine de la gestion d'établissements alimentaires, lesquels manquaient cruellement à M. [D], ce qui lui a permis de redresser son activité alors que celle-ci était sur le point de s'effondrer et de revendre son fonds de commerce le 10 janvier 2023 à la société Casa Gaïa pour un montant de 44.000 euros.
14. M. [D] et la société Obocaux répondent que l'appelante excipe des compétences personnelles de Messieurs [Z] et [S], qui ne sont pourtant pas parties à la procédure ; que l'appelante ne démontre pas son appauvrissement, sauf à supposer que les préjudices formulés au titre de la rupture abusive des pourparlers doivent aussi servir à justifier l'enrichissement sans cause ; qu'elle ne démontre pas davantage l'enrichissement personnel de M. [D] qui, au contraire, a été contraint de s'investir à perte dans les pourparlers, au point de ne pas être en mesure de se verser de rémunération ; qu'en tout état de cause, à les supposer démontrés, l'enrichissement et l'appauvrissement corrélatif seraient évidemment causés par les pourparlers, auxquels M. [D] restait en droit de mettre fin.
Réponse de la cour
15. L'article 1303 du code civil dispose :
« En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.»
En vertu de l'article 1303-1 du code civil, l'enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale.
16. Au soutien de sa demande au titre de ces textes, la société Mugen évoque l'activité déployée par deux personnes physiques, M. [Z] et M. [S], mais non sa propre implication. Il apparaît d'ailleurs que les pièces produites à cet égard concernent M. [Z] (par exemple l'acquisition d'un ordinateur) ou sont des notes de restaurant, dont il n'est pas établi qu'ils auraient été pris en charge par la société Mugen, de sorte que la preuve de l'appauvrissement de l'appelante n'est pas rapportée.
17. Par ailleurs, il est invoqué le fait que la société Obocaux aurait nettement amélioré sa situation économique grâce aux conseils de M. [S] et de M. [Z], dont au demeurant aucune pièce ne démontre quelle en aurait été la teneur.
Il doit toutefois être observé que le fonds de commerce de la société Obocaux a été cédé au prix de 45.308 euros le 10 janvier 2023, tandis que le prix d'achat proposé par les sociétés Mugen et NBAvenir était de 55.000 euros, de sorte que l'enrichissement de la société, ou en tout cas le profit bénéficiant au fond de commerce exploité par cette société, n'est pas démontré.
18. Enfin, il faut relever que la demande en paiement n'est pas présentée contre la société elle-même mais contre M. [D]. Il peut en être déduit que c'est en sa qualité d'associé, mais il doit être rappelé que s'il était détenteur de 70 % du capital social, cinq autres associés sont susceptibles d'avoir bénéficié de l'enrichissement injustifié allégué. Or l'appelante n'explicite pas en quelle mesure la somme réclamée -d'ailleurs du même montant que celle qui est sollicitée au titre du préjudice résultant de la rupture abusive des pourparlers- ne concernerait que l'enrichissement injustifié du seul M. [D].
19. Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Mugen de sa demande en paiement au titre de son appauvrissement résultant de l'enrichissement injustifié de M. [D].
Sur les demandes présentées par la société Obocaux
I. Sur la recevabilité des demandes
Moyens des parties
20. Au visa des articles 1844-7 et 1844-8 du code civil, la société Mugen tend à l'irrecevabilité des demandes présentées par la société Obocaux au motif que celle-ci a fait l'objet d'une liquidation amiable le 11 janvier 2024, de sorte qu'elle est dissoute et ne peut agir en justice.
Par application des dispositions de l'article 325 du code de procédure civile, l'appelante soutient également l'irrecevabilité des demandes de l'intimée en ce qu'elles ne présentent pas de lien suffisant avec les prétentions de la société Mugen relatives aux fautes commises par le seul M. [D] dans le cadre des pourparlers litigieux.
21. Au visa de l'article L.237-2 du code de commerce, M. [D] et la société Obocaux répondent que la personnalité morale de la société Obocaux subsiste puisque la liquidation n'a pas été clôturée, de sorte qu'elle est recevable à agir, désormais représentée par son liquidateur amiable, M. [D].
Réponse de la cour
22. En vertu des articles L.237-1 et L.237-2 du code de commerce, la liquidation des sociétés est régie par les dispositions contenues dans les statuts et la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci.
23. Les statuts de la société Obocaux prévoient expressément, à l'article 24, une procédure de liquidation amiable, conforme aux articles L.237-1 et suivants du code de commerce.
M. [D] a été nommé en qualité de liquidateur amiable par l'assemblée générale extraordinaire des associés convoquée le 11 janvier 2024 et est ainsi désigné dans les dernières conclusions notifiées le 13 mars 2025 par la société Obocaux, qui conserve la personnalité morale pour les besoins de sa liquidation, en particulier pour soutenir en appel les demandes en dommages et intérêts présentées antérieurement à sa dissolution. Il n'apparaît d'ailleurs pas que les opérations de liquidation de cette société seraient clôturées.
24. Les prétentions de la société Obocaux sont relatives aux préjudices qu'elle affirme avoir subis en conséquence des fautes commises par l'appelante au cours de la période des négociations. Elles présentent donc un lien, au sens de l'article 325 du code de procédure civile, avec les propres demandes de la société Mugen qui soutient de son côté avoir subi un préjudice en conséquence des fautes commises par M. [D] au cours de la même période.
25. Dès lors, la fin de non recevoir opposée en cause d'appel par la société Mugen aux demandes de la société Obocaux doit être rejetée.
II. Sur la demande au titre de l'occupation des locaux
Moyens des parties
26. La société Obocaux soutient que, lors des pourparlers, les sociétés Mugen et NBAvenir ont profité des négociations et tiré avantage de la situation pour établir leur propre salle de préparation dans les locaux de la société Obocaux ; que celles-ci ont utilisé les locaux pour leur activité sans autre objectif que de profiter des négociations en cours, négociations dont elles savaient qu'elles ne pourraient aboutir en raison de leurs propres défaillances ; qu'il en résulte un préjudice pouvant être évalué en fonction du montant du loyer versé pour le compte des sociétés Mugen et NBAvenir par la société Obocaux.
27. La société Mugen répond que la société Obocaux ne prouve pas l'existence et la réalité de cette prétendue occupation ; qu'il est particulièrement déloyal de sa part de prétendre que la société Mugen a investi ses locaux pour exercer sa propre activité à son détriment alors que l'appelante a détaché son représentant légal pendant quatre mois pour auditer l'activité, les contrats et les comptes mais également pour préparer les commandes, effectuer les livraisons, gérer les fournisseurs et approvisionner les stocks, cela dans l'intérêt exclusif de la société Obocaux qui est l'unique personne morale à en avoir tiré profit ; que la société NBAvenir n'a jamais eu d'activité propre puisqu'elle n'a été constituée que dans le but de l'opération et ne pouvait donc pas occuper les locaux de la société
Obocaux pour une autre raison ; que la société Mugen a une activité de traiteur de mariage qui était en pause à l'été 2020 en raison de la crise sanitaire et de l'interdiction des rassemblements.
Réponse de la cour
28. En application de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à la société Obocaux de rapporter la preuve de ce que la société Mugen a exploité ses locaux à son seul profit.
29. Il résulte de l'étude des pièces produites à son dossier que les représentants légaux des sociétés Mugen et NBAvenir ont, dès le mois de juillet, été présents [Adresse 7] à [Localité 5].
Toutefois, les attestations de deux voisins de la société concernant le dépôt du matériel professionnel de la société Mugen sont contrebattues par les propres commentaires de M. [D] relatifs aux SMS échangés avec M. [S] et M. [Z] pendant la période des pourparlers. En effet, ces commentaires indiquent que ces messages sont en réalité relatifs à la formation de MM. [Z] et [S] aux spécificités de l'exploitation du fonds de commerce, qu'il s'agisse des questions administratives et financières ou des questions de production. De plus, les termes de l'attestation de Mme [W], cliente de la société Obocaux, démontrent que M. [D] lui a présenté les cessionnaires et a précisé qu'il les formerait.
Par ailleurs, aucun élément ne démontre que l'appelante aurait réalisé une production pour son propre compte au sein des locaux.
30. Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.
II. Sur la demande au titre de la perte de chiffre d'affaires
31. La société Obocaux expose qu'elle a été frappée brutalement par la crise sanitaire et a été contrainte de souscrire un prêt d'un montant de 25.000 euros pour y faire face ; qu'elle a dû au surplus supporter dans ses locaux les activités des société Mugen et NBAvenir et ainsi réduire sa production et son propre chiffre d'affaires ; qu'elle n'a donc en rien profité de la situation ; que la perspective de la cession permettait d'envisager une fusion des activités mais que les société Mugen et NBAvenir entendaient seulement profiter des locaux et du matériel de l'intimée pour finalement ne pas poursuivre la vente ; que cette situation s'est traduite par une perte importante de chiffre d'affaires pour la société Obocaux sur la période considérée.
32. La société Mugen répond que l'occupation reprochée a été effectuée dans l'intérêt de la société Obocaux et finalement au détriment de l'appelante, privée de l'activité de son représentant légal pendant 4 mois ; qu'il convient de mettre en lumière l'incohérence des chiffres produits par l'intimée en regard du chiffre d'affaires comptabilisé in situ par les sociétés Mugen et NBAvenir dans le cadre des audits effectués pendant la phase des pourparlers ; que face à ces incohérences et au refus de la société Obocaux de communiquer ses bilans et comptes de résultats certifiés au titre des exercices clos les 31 juillet 2020 et 31 juillet 2021, l'évolution de son chiffre d'affaires ne peut pas être établi de sorte qu'aucune demande d'indemnisation sur ce fondement ne saurait prospérer.
Réponse de la cour
33. Pour appuyer sa demande, la société Obocaux produit une attestation de son expert comptable qui indique que le montant du chiffre d'affaires hors taxes de la société s'est élevé à 48.412,03 euros entre juin et septembre 2019 et à 16.348,04 euros entre juin et septembre 2020.
34. Toutefois, ainsi que le rappelle le tribunal de commerce, les activités économiques ont été bouleversées en France par l'effet des mesures gouvernementales liées à la pandémie. Il ne peut donc être tenu compte utilement de ce chiffre d'affaires qui, en l'absence d'autres éléments, n'est pas suffisant à démontrer la relation alléguée entre l'activité de la société Mugen au sein des locaux sociaux et la perte économique subie par l'intimée.
35. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes présentées par M. [D]
I. Sur la demande au titre du préjudice économique de M. [D]
36. Monsieur [D] fait grief au premier juge d'avoir rejeté sa demande en indemnisation de son préjudice économique ; il fait valoir que, dans la perspective de la cession, il investi un temps considérable dans l'information des acquéreurs sur le matériel, son savoir-faire, les fournisseurs, la clientèle et les autres aspects de l'activité ; que ce temps passé l'a contraint à ne pas se verser de rémunération et à ne pas pouvoir s'investir pleinement dans les mesures nécessaires pour faire face à la crise sanitaire entre les mois de juin 2020 et septembre 2020 ; qu'il a ainsi du, dans un premier temps, vendre une partie de ses parts sociales à son frère pour assurer sa subsistance ; que la société Mugen devra réparer le préjudice consécutif à la perte de salaire sur la base d'une rémunération mensuelle de 1200 euros.
37. La société Mugen répond que les représentants légaux des sociétés Mugen et NBAvenir ont travaillé au quotidien pour la société Obocaux pendant 4 mois ; que, par leur force de travail, ils ont permis à M. [D] d'économiser sur l'embauche de salariés ; que l'intimé a perçu des aides publiques de 1500 euros par mois pendant cette période et réalisé un chiffre d'affaires supérieur à celui qui est attesté par son expert-comptable ; qu'aucun fait direct imputable à la société Mugen au cours de cette période ne peut justifier sa condamnation à des dommages-intérêts pour préjudice économique.
Réponse de la cour
38. Aucun élément n'établit l'étendue de la perte de temps alléguée par l'intimé en ce qui concerne la formation des représentants légaux des sociétés cessionnaires, les échanges de SMS n'étant pas pertinents à cet égard puisque leur lecture démontre que l'activité de M. [D] se poursuivait.
39. Par ailleurs, les faits détaillés par l'intimé concernent en réalité M. [Z], non la société Mugen.
40. Faute pour M. [D] de faire la preuve de la cause du préjudice allégué, il y a lieu de confirmer le jugement déféré de ce chef.
II. Sur la demande au titre de la clause pénale
41. M. [D] indique que la promesse du 16 septembre 2020 stipule que les cessionnaires lui verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5500 euros s'ils souhaitent sortir de la vente.
L'appelant reproche au tribunal de commerce d'avoir rejeté sa demande à ce titre ; il soutient qu'en l'absence de précisions des parties, le souhait de sortir de la vente peut être soit explicite par le résultat d'actes positifs, soit implicite par le résultat d'abstentions ; qu'il ressort des démonstrations précédentes que les sociétés Mugen et NBAvenir ont, du fait de leur passivité, laissé s'écouler les délais sur lesquels elles s'étaient engagées.
42. La société Mugen répond qu'il est indiscutable que les candidats acquéreurs n'ont pas souhaité sortir de cette vente ; qu'elles ont au contraire tout mis en place pour assurer sa réalisation, ce qui ressort de l'ensemble des diligences effectuées au cours des quatre mois de négociations et des demandes de prêts et de financements conformes aux caractéristiques convenues et effectuées auprès de plusieurs établissements bancaires ; que l'échec de la vente litigieuse résulte exclusivement de la volonté de M. [D] puisque celui-ci n'a pas communiqué le document réclamé par les cessionnaires et nécessaire à l'octroi définitif d'un prêt puis a ensuite brutalement et abusivement rompu les pourparlers.
Réponse de la cour
43. L'acte de cession des actions de la société Obocaux stipule la clause suivante :
« Les cessionnaires verseront une somme correspondant à 10 % du montant de la vente totale soit 5.500 euros au cédant s'ils souhaitent sortir de la vente.»
44. Aucun élément ne démontre que la société Mugen a renoncé à poursuivre la vente.
45. Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de ce chef, ainsi qu'en ce qu'il a rejeté la demande de celui-ci en indemnisation de son préjudice moral, dont le principe n'est pas établi.
46. Les chefs de dispositif de ce jugement relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens de première instance seront également confirmés.
Partie tenue au paiement des dépens de l'appel, la société Mugen sera condamnée à verser à M. [D] la somme de 3.000 euros en indemnisation des frais irrépétibles de celui-ci. La société Obocaux sera déboutée de sa demande de ce chef en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Le cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Dans les limites de sa saisine,
Rejette la fin de non recevoir opposée en cause d'appel par la société Mugen aux demandes de la société Obocaux.
Confirme le jugement prononcé le 3 janvier 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Mugen à payer à Monsieur [J] [D] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Obocaux de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Mugen à payer les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président