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Décisions

CA Bordeaux, ch. soc. A, 25 novembre 2025, n° 25/02489

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 25/02489

25 novembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 25 NOVEMBRE 2025

PRUD'HOMMES

N° RG 25/02489 - N° Portalis DBVJ-V-B7J-OJH5

Madame [W] [C]

c/

S.A.R.L. [M]-LEBARGY

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 mai 2025 (R.G. n°F14/00166) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PERIGUEUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 15 mai 2025,

APPELANTE :

Madame [W] [C]

née le 19 Juin 1957 à [Localité 10] (24)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. [M]-LEBARGY prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 12]

N° SIRET : 435 30 3 1 93

représentée et assistée par Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 octobre 2025 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Laure Quinet, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

1- Madame [W] [C], née en 1957, a été engagée à compter du 2 janvier 1975 en qualité de conditionneuse, soumise à la convention collective des pharmacies d'officine, aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu avec la Pharmacie Suzanne Lebargy Dubreuilh devenue la Selarl [M]-Lebargy.

2- Par courrier du 6 mars 2014, Mme [C] a reçu notification d'un avertissement en raison de ventes non enregistrées alors que les stocks correspondant avaient été modifiés.

3- Par lettre du 18 avril 2014, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 28 avril 2014 en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 28 avril 2014, Mme [C] a contesté le caractère intentionnel des erreurs qui lui étaient reprochées, indiquant qu'il s'agissait d'un problème tenant à sa méthode de travail.

4- Mme [C] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre du 2 mai 2014, motifs pris de modifications des stocks concomitantes à des ventes qui n'avaient ni été validées ni donné lieu à encaissement.

À la date de son licenciement, Mme [C] justifiait d'une ancienneté de 34 ans et 4 mois et la société occupait habituellement moins de onze salariés.

5- Par requête reçue le 5 juin 2014, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Périgueux aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et solliciter diverses indemnités.

6- Le 3 octobre 2014, la société [M]-Lebargy a déposé plainte entre les mains du procureur de la République puis le 9 février 2015, auprès du doyen des juges d'instruction de [Localité 11] à l'encontre de Mme [C] pour abus de confiance et, subsidiairement, pour vol et escroquerie.

7- Par jugement rendu le 30 mars 2015, le conseil de prud'hommes a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

8- Par ordonnance du 3 août 2022, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Périgueux a prononcé un non-lieu, confirmé par arrêt rendu le 7 décembre 2023 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux.

9- Par requête du 23 mai 2024, Mme [C] a sollicité le rappel de l'affaire devant le conseil de prud'hommes qui dans un jugement rendu le 6 mai 2025, a :

- jugé le licenciement notifié à Mme [C] le 2 mai 2014 fondé sur une faute grave,

En conséquence,

- débouté Mme [C] de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes indemnitaires y afférentes,

- débouté Mme [C] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

- débouté Mme [C] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [C] aux dépens.

10- Par déclaration communiquée par voie électronique le 15 mai 2025, Mme [C] a relevé appel de cette décision.

11- Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 août 2025, Mme [C] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

* a jugé son licenciement fondé sur une faute grave,

En conséquence,

* l'a déboutée de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires afférentes,

* l'a déboutée de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

* l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau,

- juger qu'elle n'a commis aucune faute grave,

- requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- fixer le salaire de référence à la somme de 1 929,06 euros,

En conséquence,

- condamner la société [M]-Lebargy à lui régler les sommes suivantes :

* 70 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (36 mois de salaire),

* 3 858,12 euros brut au titre de l'indemnité de préavis,

* 385,81 euros brut au titre des congés payés afférents,

* 22 720,04 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Subsidiairement,

* 21 219,65 euros au titre de l'indemnité de licenciement (ancienneté au 1er mai 1977),

* 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- ordonner la remise, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document, d'une attestation France Travail et d'un certificat de travail rectifiés sur le motif du licenciement et la durée d'emploi,

- condamner la société [M]-Lebargy à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner que toutes les sommes allouées portent intérêts au taux légal à compter de la date de la demande en justice du 5 juin 2014 avec capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- condamner la société [M]-Lebargy aux dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir,

- débouter la société [M]-Lebargy de l'intégralité de ses demandes.

12- Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 septembre 2025, la société [M]-Lebargy demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

- condamner Mme [C] au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [C] aux dépens et aux frais d'exécution éventuels,

À titre infiniment subsidiaire, si la cour faisait droit aux demandes de Mme [C], fixer :

* le salaire de référence à 1 918,56 euros brut,

* le montant de l'indemnité compensatrice de préavis à 3 837,12 euros brut,

* le montant de l'indemnité de licenciement à 17 458,89 euros,

* les dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à hauteur de six mois, soit 11 511,36 euros,

Débouter Mme [C] pour le surplus.

13- L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2025 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 octobre 2025.

14- Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

15- La lettre de licenciement notifiée à Mme [C] le 2 mai 2014 est ainsi rédigée:

'...J'ai en effet découvert, après vérification des données informatiques par la société Pharmacom, qu'à de multiples reprises vous aviez modifié le stock produits à l'occasion des ventes, sans pour autant que les ventes en question soient validées et donnent lieu à encaissement.

Le code opérateur, comme la bande caisse qui mentionne l'heure de la délivrance des produits, établissent qu'il s'agit d'opérations traitées par vous exclusivement.

Or, aucun encaissement n'apparaît lors de ces ventes portant uniquement sur des produits codés 'N.R.', alors que les clients ont réglés en espèces.

Ces faits qui mettent directement en cause votre responsabilité, dans ce qui constitue des agissements répétés, commis au préjudice de l'Officine, rendent toute poursuite de votre contrat de travail impossible.

Votre licenciement interviendra par conséquent pour faute grave, dès l'envoi de cette lettre...'

16- Au soutien de son appel, Mme [C] expose en premier lieu que les faits reprochés ont déjà été sanctionnés à l'occasion de l'avertissement du 6 mars 2014 et tombent donc sous le coup de l'application de la régle 'non bis in idem'. Elle considère en second lieu, que les motifs invoqués sont totalement infondés.

17- En réponse, l'employeur objecte pour l'essentiel que si les faits sanctionnés par l'avertissement sont de même nature, en revanche le licenciement est la conséquence de leur réitération et de la découverte de faits nouveaux, le 11 mars 2014, de grande ampleur. Il considère que le licenciement pour faute grave est fondé.

Réponse de la cour

- Sur le principe " non bis in idem "

18- Le principe " non bis in idem " signifie qu'une même faute ne peut faire l'objet de deux sanctions successives.

Ainsi, un licenciement motivé par les seuls griefs déjà sanctionnés sur le plan disciplinaire est sans cause réelle et sérieuse car le prononcé de la première sanction "épuise " le pouvoir disciplinaire de l'employeur.

Cependant, lorsque des faits de même nature se reproduisent, l'employeur peut faire état des précédents, même s'ils ont été sanctionnés en leur temps, pour justifier une sanction aggravée.

De ce fait, il est constant que la poursuite par un salarié d'un fait fautif autorise l'employeur à se prévaloir de faits similaires, y compris ceux ayant été sanctionnés, pour caractériser une faute grave.

19- Il résulte de l'article L1331-1du code du travail que constitue une sanction toute mesure, autres que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

20- En l'espèce, l'avertissement délivré à la salariée le 6 mars 2014 est rédigé en ces termes :

' ...En effet, j'ai constaté des modifications de stock abusives et surtout des ventes non enregistrées alors que les stocks avaient été modifiés. De ce fait, le stock restait correct mais le produit paraissait comme non vendu alors que vous l'aviez vendu et encaissé.Vos explications lors de notre entretien ne me paraissent pas convaincantes au vu des recherches faites par la société informatique. Dorénavant, j'aimerais que vous respectiez une plus grande rigueur dans votre travail, que vous vous ressaissisiez et que vous soyez irréprochable tant au niveau de votre bonne foi que de votre honnêteté. Pour ces motifs, je vous adresse par la présente un avertissement ...'

21- Si en effet, ainsi que le soutient la salariée, les termes de la lettre de licenciement correspondent aux griefs formulés dans l'avertissement du 6 mars 2014, à savoir la modification des stocks et des ventes ainsi que des encaissements non enregistrés, la lettre de licenciement précise qu'il s'agit d'agissements répétés qui préjudicient à l'officine de sorte que même si les griefs sont imprécis, il s'en déduit qu'il s'agit de griefs réitérés au regard de la survenance de nouveaux faits de cette nature postérieurement à la notification de l'avertissement; en témoigne la pièce n°10 versée par l'employeur, éditée par ses soins le 26 mars 2014, constituée d'une ordonnance enregistrée par Mme [C] le 11 mars 2014 et des copies d'écran des manipulations qu'elle a effectuées le même jour.

Certes, la lettre de licenciement ne mentionne pas cet incident en date du 11 mars 2014 ; cependant cette absence de mention de la date ne permet pas de disqualifier celui-ci dès lors qu'il est vérifiable, ce qui est le cas en l'espèce.

22- Ce moyen sera donc rejeté.

- Sur le bien-fondé du licenciement

23- Pour contester son licenciement, Mme [C] fait valoir qu'engagée en qualité de conditionneuse, elle n'avait pas à effectuer des ventes pour lesquelles elle a pu commettre des erreurs de manipulation sans toutefois avoir encaissé à son profit des sommes revenant à la société, qu'elle n'a pas bénéficié d'une formation adaptée au logiciel utilisé, que ses codes d'accès pouvaient être utilisés par les autres employés, que les données communiquées par l'employeur ne sont pas fiables et que la procédure pénale diligentée n'a permis de caractériser aucun détournement de sa part.

24- L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

25- En l'espèce, la société considère qu'en manipulant les stocks uniquement pour les produits non remboursés, lesquels ont été systématiquement réglés en numéraire sans être encaissés par la société, la salariée, forte d'une ancienneté de 37 années, a contrevenu à ses obligations contractuelles et a ainsi adopté un comportement constitutif d'une faute grave rendant impossible la poursuite de la collaboration pendant la durée d'un préavis, justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.

26- Elle explique que les faits en cause ont été révélés le 28 février 2014 après la visite d'une cliente, venue le lendemain d'une première visite afin de récupérer un médicament manquant la veille. A cette occasion, la cliente a indiqué que Mme [N] ([C]) lui avait vendu le grand modèle du même médicament un peu cher. Vérifiant que la salariée n'avait pas commis d'erreur, l'employeur s'est aperçu que la vente n'apparaissait ni dans l'informatique ni dans la bande de caisse alors que la cliente lui précisait avoir réglé en espèces. Elle ajoute qu'une vérification plus approfondie a permis de constater que la boîte de médicament avait été retirée manuellement du stock tandis que le prix n'avait pas été encaissé.

27- L'employeur verse aux débats notamment:

- sa pièce 18, constituée d'une part, d'une ordonnance du 27 février 2014, prescrivant notamment le produit 'Bi-Cirkan' et sur laquelle est portée la mention manuscrite 'j'ai payé en espèce le 28 février 2014", d'une autre part, du compte de la cliente faisant apparaître les médicaments vendus par Mme [N] le 28 février 2014 correspondant à l'ordonnance, le 'Bi-cirkan' n'y figurant pas, d'une autre part encore, d'une copie du stock qui fait état le même jour d'une sortie d'une boîte de ce produit et d'une dernière part, d'une copie d'un réglement de 13,05 euros en espèces au même moment enregistré sur l'informatique par Mme [C] mais qui ne correspond pas au paiement de ce médicament ;

- sa pièce 7, constituée d'une ordonnance enregistrée à l'officine le 28 février 2014 avec le code de Mme [C], du dossier de la cliente concernée avec la vente des médicaments correspondant à l'ordonnance à l'exception de l'adartrek ; la bande de caisse qui atteste que ce produit n'a fait l'objet d'aucun encaissement cette journée; une copie écran du stock dont le produit a été supprimé avec les codes de Mme [C] aussitôt après l'enregistrement informatique du dossier, nécessitant une intervention manuelle pour effacer la ligne et ne pas générer d'encaissement; une mention manuscrite précisant que la cliente certifie avoir réglé le produit en numéraire;

- une copie écran des encaissements le 27 février 2014, sur laquelle ne figure pas de vente d'une boîte de 'Bion énergie plus' que l'employeur atteste avoir vu vendue à 9h30 par Mme [C]; une copie d'écran du stock modifié avec le code de Mme [C] à 9h32 pour ce même produit, supprimé du stock;

- le courrier de la société Pharmacom adressé à l'employeur le 16 avril 2014 attestant que: 'le 28/02/2014 à 17h52, le stock du produit 3918402 a été modifié sans validation de la vente,

le 27/02/2014 à 9h32 le stock du produit 4088397 a été modifié sans validation de la vente.

Ces modifications ont été faites par le code opérateur 3. Toutes ces informations sont enregistrées dans l'onglet historique de votre fichier produit.

A la suite de ces constats vous nous avez demandé de mettre en place la gestion des opérateurs (mot de passe) pour le contrôle de stock. Deux personnes seulement autorisées à modifier les stocks, les deux pharmaciens, à savoir Mme [M] et M. [O] (codes confidentiels remis par nos soins fin février) .

Courant mars 2014, vous nous avez contactés en nous précisant que malgré la mise en place de cette sécurité, vous aviez constaté sur une ordonnance du 11 mars 2014 une vente non faite et une boîte manquante.

Suite à cet événement du 11 mars, vous nous avez soumis les dossiers ci-dessous pour traitement:

81 526 [Numéro identifiant 8] [Numéro identifiant 3] [Numéro identifiant 6] [Numéro identifiant 7] [Numéro identifiant 9] [Numéro identifiant 4] [Numéro identifiant 2] [Numéro identifiant 5] 78752 80883 et 53907.

Et également après vérification de vos données informatiques, nous avons pu constater les mêmes anomalies en précisant que:

- les modifications de stocks effectuées sur ces dossiers ne concernent que des produits codés 'NR',

- ces modifications ont été faites par le code opérateur 3....

'facture nouvelle modif produit en ligne' signifie bien que le changement de stock a eu lieu au moment de la vente, 'vente simple' signifie bien qu'il y a eu encaissement sans changement de stock, lorsque le stock a été modifié au moment de la vente, une intervention manuelle est nécessaire pour effacer la ligne.

Nous vous avons également confirmé que les changements de stock ne pouvaient pas se faire par inadvertance dans la mesure où à chaque demande, un tableau apparaît et demande la raison du changement (ajustement inventaire, périmés, casse,...)...' ;

- ses pièces 18 à 43, 56 et 57 correspondant aux dossiers visés par le courrier de la société Pharmacom et dont il résulte que des ventes de produits enregistrés par le code opérateur 3 (Mme [C]) ont fait l'objet d'un retrait systématique des stocks et ne sont pas enregistrés dans la bande de caisse; certains de ses dossiers comportent l'attestation des clients indiquant avoir réglé en numéraire ;

- sa pièce 11 constituée d'une attestation du président de la chambre syndicale des pharmaciens de la Dordogne certifiant l'authenticité des données extraites à l'aide du système informatique, dont les ordonnances fournies à l'appui de chaque dossier ;

- sa pièce 12 qui liste les ajustements de stocks opérés avec le code de Mme [C] entre le 1er août 2013 et le 1er juillet 2014, ce qui représente 580 modifications dont un peu plus de 300 en février 2014 alors que ses collègues n'en enregistrent que 3 à 15 (pièce 14) ;

- sa pièce 16 qui liste les produits les plus régulièrement modifiés avec le code de Mme [C] qui sont des produits exclusivement 'NR' (non remboursés) ;

- sa pièce 10 relative au dossier 81526, constitué par le code opérateur 3 à partir de l'ordonnance du 11 mars 2014 ; on y constate le non encaissement du prix du produit 'carbosylane' et, en raison de la mise en place d'un mot de passe pour la modification du stock, le manque d'une boîte de ce produit;

- sa pièce 15 qui est une synthèse du nombre de produits supprimés des stocks par le code opérateur 3, soit 1093 produits correpondant à une moyenne mensuelle de 182 produits supprimés entre septembre 2013 et février 2014, alors que cette moyenne est de 15,23 pour le reste de l'équipe; le préjudice mensuel est évalué à la somme de 1244,69 euros;

- une attestation de la société Pharmacom précisant avoir dispensé à la pharmacie des formations les 3, 15, 16 et 22 septembre 2010 ainsi que les attestations des salariés confirmant leur participation et celle de Mme [C], la formation portant notamment sur la gestion de la caisse et des éléments utilisés pour la tarification ainsi que l'optimisation des stocks;

- ses pièces 58 et 59 qui démontrent que le code opérateur 3 est utilisé par Mme [C] pour la modification des stocks, ses collègues étant par ailleurs occupés sur le même temps en caisse avec leur propres codes; d'ailleurs les jours où elle ne travaillait pas, ses codes n'étaient pas utilisés (notamment du 6 au 13 décembre 2013 et du 15 au 22 janvier 2014).

28- Pour s'y opposer, Mme [C] soutient que:

- conditionneuse, elle n'était pas habilitée à la vente ; or ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, si ses bulletins de salaire font figurer la qualité de conditionneuse en revanche sa rémunération correspondait à celle de vendeuse, ce qu'elle n'avait jamais remis en cause;

- elle n'était pas formée, ce que contredisent les attestations produites par l'employeur;

- il s'agit d'erreurs de manipulation; cet argument n'est toutefois pas recevable au regard d'une part de son ancienneté, d'une autre part, du courrier de la société Pharmacom qui précise que les manipulations reprochées ne pouvaient se faire par inadvertance dans la mesure où à chaque demande, un tableau apparaît et demande la raison du changement (ajustement inventaire, périmés, casse,...) et d'une dernière part, de l'absence de contestation de l'avertissement qui lui a été délivré pour des faits de même nature;

- ses collègues ont pu utiliser ses codes, ce que la lecture des tableaux fournis par l'employeur ne permet pas de corroborer, pas plus que l'attestation de M. [Y];

- de nombreux clients ont attesté que les produits qu'elle délivrait n'étaient pas vérifiés par un pharmacien alors qu'elle n'était pas habilitée à effectuer des ventes de médicaments; cependant cela n'a aucune incidence sur les faits en cause, la délivrance de médicaments devant se faire sous la reponsabilité d'un pharmacien en application des dispositions de l'article L.5125-1 du code de la santé publique, ce qui était le cas en l'espèce, dans la mesure où il n'est pas démontré que Mme [C] se trouvait seule, sans la présence d'un pharmacien lors des opérations critiquées;

- de nombreux clients ont attesté avoir parfois réglé en espèces et l'avoir vue déposer l'argent dans la caisse, ce qui n'est pas incompatible avec les faits reprochés portant sur une trentaine de dossiers sur la période considérée;

- la bande de caisse comporte des irrégularités et des mentions erronées, relevant des retraits effectués en espèces par l'employeur, ou les bons de caisse des 16 octobre et 10 décembre 2013 qui comportent des erreurs; à l'instar de l'employeur, la cour constate qu'il s'agit de différence entre les sommes encaissées le jour de l'établissement de ces bons de caisse et des différés, ce que confirme la société Pharmacom à la pièce 83 avec la balance des différés à ces dates;

- l'employeur a fondé son licenciement sur des faits d'abus de confiance, ayant fait l'objet d'une information judiciaire qui s'est soldée par un non-lieu, confirmé par la chambre de l'instruction près la cour d'appel de Bordeaux de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre; s'il a été retenu que Mme [C] n'avait pas commis d'infration pénale et s'il est exact que l'abus de confiance n'est pas nommément indiqué dans la lettre de licenciement alors que celle-ci reproche très clairement à la salariée d'avoir encaissé à son profit des paiements en numéraire destinés à la société, il revient néanmoins à la juridiction de céans de vérifier si ces mêmes faits, indépendamment de leur qualification pénale, ont constitué une faute justifiant la rupture du contrat de travail dans la mesure où une ordonnance de non-lieu, fût-elle confirmée par une chambre de l'instruction, n'a qu'un caractère provisoire, est révocable en cas de survenance de charge nouvelle et n'a pas autorité de la chose jugée au pénal sur le civil de sorte qu'elle ne s'impose pas à la juridiction prud'homale.

29- En considération de ces éléments, la cour retient que l'ensemble de ces faits, matériellement vérifiables et imputables à Mme [C], démontrés par la société, caractérisent un manquement aux obligations contractuelles constitutif d'une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat sans exécution du préavis, nonobstant l'ancienneté de la salariée dans ses fonctions. La décision entreprise sera dès lors confirmée et Mme [C] sera déboutée de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

30- Au soutien de l'infirmation de la décision entreprise sur ce point et au visa des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail, Mme [C] affirme que la société a refusé de la faire progresser, lui a fait délivrer des médicaments alors qu'elle n'était pas habilitée à le faire, ne lui a dispensé aucune formation, lui a demandé d'effectuer des gardes de nuit, l'a menacée de déposer plainte contre elle si elle maintenait sa procédure devant le juridiction prud'homale et lui a fait subir une longue procédure pénale humiliante pendant 9 ans.

31- L'employeur objecte qu'il avait le droit de déposer une plainte pénale et que la salariée ne justifie d'aucun des griefs allégués.

Réponse de la cour

32- S'agissant du refus de la faire progresser, la salariée ne produit aucun élément au soutien de cette affirmation. Ce grief ne saurait donc être établi.

33- S'agissant des gardes que Mme [C] aurait effectuées la nuit, cette affirmation n'est étayée par aucun élément de sorte que ce grief n'est pas caractérisé.

34- S'agissant du défaut de formation, il a été retenu plus avant que la société avait dispensé des formations à Mme [C]. Ce grief n'est pas établi.

35- Sur la délivrance des médicaments, il a été retenu que la salariée échouait à démontrer qu'elle exerçait ses fonctions sans supervision d'un pharmacien, ce que contredit d'ailleurs un examen attentif des tableaux produits par l'employeur, un pharmacien étant toujours présent. Ce grief ne saurait prospérer.

36- S'agissant du chantage exercé sur la salariée, cette dernière ne produit aucun élément. Ce grief ne peut donc être retenu.

37- Enfin, concernant la longueur de la procédure pénale et son caractère humiliant, la cour constate que celle-ci est intervenue après le licenciement et qu'au surplus, il appartenait à la salariée de se saisir des possibilités offertes par la juridiction pénale pour obtenir d'éventuelles réparations d'une procédure qu'elle considère comme infamante (dénonciation calomnieuse), ce qu'elle s'est abstenue de faire. Ce grief n'est pas en l'état caractérisé.

38- En conséquence, par confirmation de la décision entreprise, Mme [C] sera déboutée de ses demandes à ce titre.

Sur les autres demandes

39- Mme [C], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à payer à la société la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme la décision entreprise en toute ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [C] à verser à la Selarl [M]-Lebargy la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne Mme [C] aux dépens de la procédure d'appel.

Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu

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