CA Metz, ch. soc.-sect. 1, 26 novembre 2025, n° 22/02836
METZ
Arrêt
Autre
Arrêt n°25/00342
26 Novembre 2025
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N° RG 22/02836 - N° Portalis DBVS-V-B7G-F3YZ
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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ
29 Novembre 2022
21/00619
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
vingt six Novembre deux mille vingt cinq
APPELANT :
M. [A] [N]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Marion DESCAMPS, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
M. [G] [J] Monsieur [G] [J], Entrepreneur individuel exploitant le 'Tabac de [Localité 7]' inscrit sous le numéro SIRET 85090851800010 dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Hanane BEN CHIKH de la SELARL HAYA AVOCATS, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Janvier 2025, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY, Présidente de Chambre
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
M. François-Xavier KOEHL, Conseiller
Magistrats ayant participé au délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. Benoît DEVIGNOT, Conseiller, substituant la Présidente de chambre regulièrement empêchée et par Monsieur Alexandre VAZZANA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat à durée déterminée et à temps complet couvrant la période du 6 avril 2021 au 5 juin 2021, M. [A] [N] a été embauché par M. [G] [J] en qualité d'employé polyvalent dans un commerce tabac-presse à l'enseigne 'Le tabac de [Localité 7]' à [Localité 6].
La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 6 juin 2021 avec une rémunération mensuelle portée à un montant de 2 073,44 euros brut.
La convention collective nationale des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique était applicable à la relation de travail.
Du 16 juin 2021 au 20 juin 2021, puis du 22 juin 2021 jusqu'à la rupture du contrat, M. [N] a été placé en arrêt de travail pour maladie tenant à un "état anxieux aigu".
Le 30 août 2021, M. [J] a déposé plainte contre M. [N] pour des faits de vol et falsification d'une attestation ou d'un certificat commis le 27 août 2021 dans son commerce.
Par lettre du 17 septembre 2021, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 7 octobre 2021.
Par courrier du 20 octobre 2021, le salarié a été licencié pour faute grave, aux motifs d'une 'attitude malhonnête et déloyale met(tant) gravement en péril la bonne marche de l'entreprise' et constitutive d'une violation de l'obligation de loyauté.
Le 5 novembre 2021, M. [N] a déposé plainte contre M. [J] pour dénonciation calomnieuse et harcèlement sexuel commis entre le 6 avril 2021 et le 7 octobre 2021.
Estimant son licenciement infondé, M. [N] a saisi, le 30 novembre 2021, la juridiction prud'homale.
Par jugement contradictoire du 29 novembre 2022, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud'hommes de Metz a dit le licenciement pour faute grave fondé, rejeté les prétentions de M. [N], débouté M. [J] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [N] aux dépens.
Le 15 décembre 2022, M. [N] a interjeté appel par voie électronique.
Dans ses conclusions d'appel remises par voie électronique le 14 mars 2023, M. [N] requiert la cour :
- d'infirmer le jugement, en ce qu'il dit non fondée sa demande, en ce qu'il a déclaré fondé le licenciement pour faute grave, en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions et en ce qu'il l'a condamné aux "entiers frais et dépens de l'instance' ;
statuant à nouveau,
- de prononcer la nullité du licenciement ;
- de condamner M. [J] à lui payer les sommes suivantes :
* 12 440,64 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul (subsidiairement, 2 073,44 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse) ;
* 1 036,72 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 103,68 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;
* 6 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi ;
* 1 937,56 euros net à titre de rappel de maintien de salaire durant l'arrêt maladie ;
* 193,76 euros net à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;
- de condamner M. [J] à délivrer, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d'un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à intervenir, une fiche de salaire correspondant aux sommes allouées et en mentionnant le détail notamment les périodes concernées ;
- de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée ;
- de condamner M. [J] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner M. [J], sur l'ensemble des sommes, à lui payer les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 30 novembre 2021 ;
- de rejeter les demandes de M. [J].
A l'appui de ses prétentions, il expose :
- que son licenciement a été prononcé en raison de son refus de céder aux avances et au harcèlement tant moral que sexuel exercés M. [J] ;
- qu'il a été victime de contacts physiques non consentis ;
- que l'employeur lui a envoyé des photographies de lui, ainsi que des messages sans lien avec le travail ;
- que M. [J] faisait des allusions sexuelles ;
- qu'il n'a jamais donné une suite favorable ni encouragé ces agissements, demandant même à ce qu'ils cessent ;
- que ses conditions de travail ont conduit à une dégradation de son état de santé et à son placement en arrêt maladie ;
- que son licenciement est une mesure de rétorsion en réponse à son arrêt maladie.
Il ajoute :
- que la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse, puisque M. [J] avait déjà décidé de le licencier avant même d'entendre ses explications lors de l'entretien préalable ;
- que le seul grief exprimé dans la lettre de licenciement tient au fait qu'il a quitté le bureau de tabac avec des documents de l'entreprise ;
- que l'employeur n'a démontré ni la matérialité ni la véracité de ce fait ;
- que la plainte mentionnée dans le courrier de licenciement a été classée sans suite, les services enquêteurs ayant constaté la fausseté des accusations de l'employeur à son encontre ;
- que, lors de sa visite dans le bureau de tabac le 27 août 2021, il ne s'est rendu que dans des lieux accessibles au public ;
- que les premiers juges ont estimé qu'il était entré dans la réserve sans l'autorisation de l'employeur, alors qu'il n'y a, en réalité, pas de réserve dans le commerce de M. [J] ;
- que l'employeur ne justifie ni d'une atteinte à la bonne marche de l'entreprise ni d'un préjudice ;
- que le motif du licenciement est vague et purement hypothétique s'agissant notamment de la falsification de document ;
- qu'il y a une forte incohérence entre les compliments qui lui ont été faits par M. [J] tant par lettres que par sms et la teneur des témoignages produits par l'intimé.
Il souligne :
- qu'il était commis commercial, étant employé par une société commerciale en contact avec la clientèle, de sorte que, conformément au droit local, il devait bénéficier du maintien de son salaire à 100 % pendant une période de quarante deux jours ;
- que son salaire n'a pas été maintenu pendant les mois de juin et juillet 2021 ;
- que l'employeur a indûment conservé un montant de 1 937,56 euros d'indemnités journalières de sécurité sociale qu'il a perçues le 22 août 2021.
Dans ses conclusions remises par voie électronique le 12 juin 2023, M. [J] sollicite :
- le rejet de toutes les demandes de M. [N] ;
- l'irrecevabilité de la demande de M. [N] pour préjudice moral comme étant présentée pour la première fois en cause d'appel ;
- la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande formulée in limine litis de sursis à statuer ;
- l'infirmation du jugement uniquement en ce qu'il l'a débouté de sa demande formulée in limine litis de sursis à statuer, et la correction de l'erreur matérielle y afférente ;
statuant à nouveau,
- in limine litis, le sursis à statuer de l'affaire, dans l'attente de connaître les suites pénales données à la plainte pour harcèlement sexuel que M. [N] a déposée le 5 novembre 2021 à son encontre ;
- la condamnation de M. [N] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir sur la demande de sursis à statuer :
- que les suites qui seront réservées à la plainte déposée le 5 novembre 2021 par M. [N] à son encontre sont fondamentales pour la solution du litige ;
- qu'il s'agit d'une dénonciation calomnieuse qui l'a beaucoup affecté ;
- que les premiers juges ont rejeté la demande de sursis à statuer, mais sans l'indiquer dans le dispositif de leur décision, ce qui constitue une erreur matérielle.
Il réplique sur le fond :
- que les griefs formulés à l'encontre de M. [N] peuvent être prouvés par l'exploitation des images de vidéosurveillance du bureau de tabac du 27 août 2021 ;
- que M. [N], qui était alors en arrêt maladie et n'avait aucune raison de se rendre sur son lieu de travail du fait de la suspension du contrat de travail, est venu malgré tout dans l'après-midi du 27 août 2021 en l'absence de l'employeur ;
- que M. [N] est entré dans la réserve pour fouiller les documents administratifs et comptables, puis a falsifié un document ;
- que l'attitude malhonnête et déloyale de M. [N] le 27 août 2021 justifie son licenciement pour faute grave.
Il soutient :
- qu'à aucun moment, il n'a manifesté la moindre attitude déplacée à l'égard de M. [N] ni ne lui a fait subir de harcèlement moral, la plainte pénale déposée par ce salarié le 5 novembre 2021 n'étant qu'un "tissu de mensonges" et une vengeance ;
- qu'une association avait même été envisagée mais qu'il y a finalement renoncé en raison du comportement de M. [N] ;
- que deux personnes embauchées en 'extra' durant la période de travail de M. [N] dans le tabac ont pu se rendre compte du caractère instable et colérique de celui-ci ;
- qu'il n'a fait paraître aucune offre d'emploi pour remplacer M. [N] avant le licenciement ;
- que le licenciement est justifié par les manquements graves du salarié, sans lien avec l'état de santé de l'appelant ;
- qu'il s'est trouvé sous l'influence de M. [N], ce qui ressort de témoignages qu'il verse aux débats ;
- que M. [N] ne produit aucune preuve d'un quelconque préjudice ni d'un harcèlement ;
- que la procédure prud'homale a été engagée par M. [N] en représailles à son refus de s'associer ;
- que la demande de dommages-intérêts, présentée pour la première fois en cause d'appel, est irrecevable car nouvelle.
Il ajoute que, lors de l'audience de conciliation qui s'est tenue le 31 janvier 2022 devant le conseil de prud'hommes de Metz, il a été remis au conseil de M. [A] un chèque d'un montant de 657 euros, ce qui aurait dû mettre fin à toute discussion s'agissant de la demande de reversement d'indemnités journalières de sécurité sociale.
Le 13 mars 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour observe que M. [N] fait valoir que son licenciement est en lien avec son arrêt maladie, mais ne développe aucun moyen à ce sujet ni ne sollicite la nullité du licenciement sur le fondement des articles L. 1132-1 et 4 du code du travail.
Il n'y a donc pas lieu de statuer sur une demande de nullité du licenciement pour discrimination tenant à l'état de santé.
Sur la demande de sursis à statuer
L'article 378 du code de procédure civile dispose que la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer.
L'article 4 du code de procédure pénale dispose que :
'L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.'
En l'espèce, M. [N] verse aux débats sa plainte du 5 novembre 2021 pour des faits de harcèlement sexuel et dénonciation calomnieuse commis entre le 6 avril 2021 et le 7 octobre 2021.
Une dénonciation ou plainte simple ne met pas en elle-même l'action publique en mouvement et la juridiction, devant laquelle il est fait état d'une plainte déposée, n'est pas tenue de rechercher d'office quelle suite y a été donnée. (jurisprudence : Cour de cassation 2è ch. civ., 30 avril 1970, pourvoi n° 69-10.383).
M. [J], qui sollicite le sursis à statuer, n'établit pas que l'action publique a été mise en mouvement à la suite de la plainte du 5 novembre 2021 de M. [N].
En conséquence, sa demande de sursis à statuer est rejetée.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code ajoute que :
"Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles."
Pour se prononcer sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est défini par trois éléments caractéristiques, conditionnels et cumulatifs, soit :
- des agissements répétés ;
- une dégradation des conditions de travail ;
- une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l'avenir professionnel du salarié.
Il se traduit par une conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne, mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail.
En l'espèce, M. [N] soutient avoir été victime de harcèlement moral et vise les articles L. 1152-1 et 2 du code du travail, sans toutefois l'étayer par aucun fait, l'ensemble des développements de ses conclusions portant en réalité sur des agissements de harcèlement sexuel.
En conséquence, il n'y a pas lieu de déclarer nul son licenciement pour harcèlement moral.
Sur le harcèlement sexuel
Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
L'article L. 1154-1 précité est applicable aussi en matière de harcèlement sexuel.
En l'espèce, dans sa plainte du 5 novembre 2021, M. [N] expose :
'(...) Celui-ci (l'employeur) a commencé à me tenir des propos déplacés très rapidement.
Il se renseignait sur ma vie sentimentale, il me complimentait beaucoup par sms.
Tous les matins II me narguait avec des DVD homosexuels.
Il m'a mis plusieurs fois la main aux fesses.
Il me faisait des "chats bites", il était très pervert.
C'est un prédateur.
J'avais beau lui dire que j'étais gêné et que je n'approuvais pas mais II continuait de plus belle.
Parfois en présence de clients mon employeur se frottait contre moi et je sentais des mains à travers mes vêtements.
Il était très tactile (...)
Il voulait tout le temps être avec moi, il me faisait du chantage pour que je reste avec lui le soir à boire dans la réserve.
Parfois j'acceptais pour lui faire plaisir mais au bout d'un moment j'en avais marre de sacrifier ma vie et je partais. (...)
Quand il s'est senti abandonné et que je prenais de la distance, mon employeur me faisait payer les boissons et me rendait responsable des erreurs de caisse.(...)
Mon employeur me harcelait par sms, il m'appelait souvent pour obtenir des informations personnelles, il m'envoyait des photos de lui en train de faire du sport ou autres.
Monsieur [J] rigolait quand je lui demandais d'arrêter de me toucher les parties intimes. (...)
Je tiens à signaler que mon employeur m'a proposé plusieurs sommes d'argent pour oublier cette histoire (5000 euros, 10000 euros et 25000 euros) ce que j'ai refusé (...)"
Dans ses conclusions d'appel, le salarié évoque aussi des 'tapes sur les fesses 'pour rire'. Il ajoute que son employeur lui a envoyé des photographies de lui en train de faire du sport et n'a cessé de faire des allusions sexuelles pendant le temps de travail.
Ces faits, contestés par M. [J], ne sont ni circonstanciés ni confirmés par des éléments du dossier autres que les seules déclarations du salarié.
Ils ne sont donc pas matériellement établis.
En revanche, il n'est pas contestable que M. [J] a adressé un courrier manuscrit non daté à M. [N] dans les termes suivants (pièce n° 7 de l'appelant) :
" Je me devais d'être honnête vis-à-vis de toi comme je le suis depuis toujours.
Le problème que je vais t'annoncer est aujourd'hui réglé mais nous allons devenir associé et si je n'étais pas transparent vis-à-vis de ce que je vais écrire ensuite j'y penserai toujours comme si je t'avais trahi. C'est la seule raison qui me pousse d'ailleurs à l'avouer.
Comme tu le sais j'ai traversé une période très dur ces deux derniers mois et cette période j'en sors grâce à mon entourage, [K] et surtout grâce à toi, c'est d'ailleurs impressionnant qu'un inconnu est pu faire autant pour moi (')
Bref, là ou j'ai eu honte pendant près de trois semaines récentes c'est que sans m'en rendre compte je tombais amoureux, chose inimaginable à mes yeux ! 42 ans ! tu n'es pas gay et ne le seras jamais heureusement.
Pendant ces trois semaines j'avais mes problèmes à régler, le commerce à tenir, j'étais certainement perdu.
Bref peu importe un fait était là je tombais amoureux d'une personne dont je savais que ce serait impossible car ma moral m'en en empêche !
Et jamais j'insiste je n'aurais tenté quoique ce soit, j'ai pris sur moi, j'en ai parlé à personne car je vivais très mal vis-à-vis de moi cette situation, j'avais même honte.
J'ai pris le temps d'analyser la situation, à ce jour le problème est réglé ! Il n'y a pas d'ambiguïté vis-à-vis de mes sentiments, je te vois un peu comme un frère, un ami très proche (')"
Et je n'ai à ce jour plus aucun sentiment amoureux. (...)
Je t'aime mais au sens noble du terme.'
La lecture de cette lettre ne fait pas ressortir de propos à connotation sexuelle portant atteinte à la dignité de M. [N] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant.
Cette correspondance n'a pas non plus été génératrice d'une situation intimidante, hostile ou offensante, le salarié ayant déclaré aux services de police lors de son dépôt de plainte le 5 novembre 2021 que, le 24 mai 2021, 'Je lui ai bien répondu que la lettre ne me dérangeait pas'.
En outre, les éléments du dossier ne font pas ressortir l'existence de pressions graves, même non répétées, exercées par M. [J] dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle.
M. [N] produit également des éléments médicaux, mais dont aucun ne permet d'établir un lien entre son état de santé et son activité professionnelle, à savoir :
- un certificat du 28 septembre 2021 de Dr [O] [L], psychiatre, qui atteste le suivre de manière régulière (pièce n° 9) ;
- des certificats d'arrêt maladie pour "syndrome anxio-dépressif" couvrant la période du 16 juin 2021 au 31 octobre 2021 (pièce n° 8).
En définitive, les éléments de fait ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement sexuel dont M. [N] aurait été victime.
En conséquence, la demande de nullité de licenciement pour harcèlement sexuel est rejetée.
Il s'ensuit que la demande subséquente de dommages-intérêts pour préjudice moral est rejetée sans qu'il soit nécessaire d'étudier la fin de non-recevoir opposée par M. [J] et tirée d'une prétendue irrecevabilité de cette demande.
Sur le licenciement pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Dans ce cas, la mise en 'uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués.
L'employeur qui invoque la faute grave doit établir à la fois la réalité et la gravité des manquements du salarié, et il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'article L. 1235-1 du code du travail prévoit que si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, par lettre du 20 octobre 2021 M. [J] a licencié M. [N] pour faute grave dans les termes suivants (pièce n° 3 de l'appelant) :
"(...) Je vous notifie par la présente votre licenciement sans préavis, ni indemnité pour faute grave et ceci pour les motifs suivants :
Le 27 août 2021, j'ai quitté le bureau de tabac aux alentours de 13H56 et j'ai laissé Monsieur [C] travailler seul au bureau de tabac, lequel outre le fait d'avoir été embauché sur vos recommandations est un bon ami à vous, puisqu'il s'agit du frère de votre meilleur ami.
Lorsque j'ai quitté les lieux pour le laisser travailler seul, Monsieur [C] s'est saisi de son téléphone pour échanger des SMS.
Quelques minutes plus tard, vous vous êtes rendu au bureau de tabac alors même que votre contrat de travail était suspendu du fait de votre arrêt de travail.
Vous avez alors échangé et plaisanté avec Monsieur [C] puis vous êtes entré dans la réserve derrière le comptoir pour fouiller avec celui-ci dans les documents administratifs de l'entreprise.
Vous vous êtes saisi d'un des dossiers administratifs de l'entreprise faisant apparaître votre nom.
En la présence de Monsieur [C], vous avez examiné les documents figurant dans cette pochette.
S'en est suivi une longue discussion avec Monsieur [C] et plusieurs allers-retours avec lui en réserve.
De plus, alors que vous n'aviez rien à faire sur votre lieu de travail du fait de votre arrêt maladie, vous êtes venu distraire Monsieur [C] durant son temps de travail en l'empêchant de porter toute son attention sur les clients qui rentraient dans le bureau de tabac ou en sortaient.
Vous avez par ailleurs quitté le bureau de tabac avec les documents de l'entreprise et sans autorisation et ce durant plusieurs dizaines de minutes, jusqu'à ce vous reveniez au bureau de tabac restituer la pochette.
S'en est suivi une discussion avec Monsieur [C] avant que vous retourniez à nouveau dans la réserve alors que vous n'aviez rien à faire au bureau de tabac.
Vous faisiez par la suite des vas et vient dans le bureau de tabac en présence des clients.
Monsieur [C] qui a souhaité couvrir vos agissements m'a menti en me disant que vous étiez juste passé pour demander de me transmette le message suivant :
" Document pour [A] qui peut récupérer "
Il me l'a d'ailleurs inscrit sur un petit mot laissé à mon attention.
Ne comprenant pas cette demande qui n'avait aucun sens et sa réaction non habituelle lors de mon appel téléphonique de l'après-midi, destinée à écourter notre discussion, j'ai procédé au visionnage de la vidéo surveillance du bureau de tabac qui atteste de tout ce qui vous est reproché.
Les faits se sont déroulés sur environ une heure de temps.
Du fait de la gravité de vos actes, j'ai été contraint de déposer une plainte pénale à votre encontre le 30 août 2021 et de recueillir les explications de Monsieur [C] pour finalement me séparer de lui du fait des agissements graves dont il s'est rendu complice à vos côtés.
En détournant et en retenant même durant un temps limité des documents comptables et administratifs confidentiels appartenant à l'entreprise, vous avez gravement manqué à votre obligation de loyauté, laquelle perdurait même durant la suspension de votre contrat de travail.
Une telle attitude ne saurait être tolérée par l'entreprise d'autant que vous avez parfaitement pu falsifier certains documents originaux contenus dans le dossier dont vous vous êtes emparé sans mon accord et ce au préjudice de l'entreprise.
Votre attitude malhonnête et déloyale met gravement en péril la bonne marche de l'entreprise.
L'entreprise ne saurait tolérer de tels agissements qui sont une grave violation de votre obligation de loyauté.
Lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le 17 septembre 2021 et durant lequel vous avez fait le choix d'être assisté, vous avez nié les faits qui vous étaient reprochés en vous contentant de
m'indiquant que vous les contestiez, ce qui atteste de votre mauvaise foi.
Aussi, votre licenciement pour faute grave prend effet immédiatement. (...)"
Le salarié affirme d'abord que son licenciement était décidé avant même la tenue de l'entretien préalable le 7 septembre 2021. Néanmoins, l'offre d'emploi sur Facebook qu'il produit (sa pièce n° 11) et qui concerne un poste de vendeur n'est pas datée.
M. [N] soutient aussi que la plainte pénale évoquée par l'employeur dans la lettre de licenciement a fait l'objet d'un classement sans suite. A supposer cette affirmation exacte, il y a lieu de rappeler qu'une décision rendue par le juge pénal ne s'impose au juge civil que si elle revêt l'autorité de la chose jugée, ce qui ne peut pas être le cas d'un classement sans suite par le procureur de la République.
S'agissant du grief tiré de la falsification d'un document, l'employeur produit un formulaire relatif au 'régime collectif et obligatoire frais de santé' (pièce n° 10). Cette pièce ne permet pas de prouver l'existence d'une falsification que M. [N] n'avait aucun intérêt à commettre, les deux cases cochées (dont l'une finalement rayée) aboutissant toutes deux à le dispenser de l'adhésion à la complémentaire collective.
Ensuite, la lettre de licenciement fait grief au salarié de s'être présenté sur son lieu de travail durant la suspension du contrat pour prendre, dans la réserve du bureau de tabac-presse, des documents administratifs sans autorisation, à l'insu de l'employeur et avec la complicité d'un collègue.
M. [J] produit pour démontrer la réalité de ces faits un procès-verbal de constat qui a été dressé par un commissaire de justice le 3 février 2022 et qui contient des photographies de captures d'écran de la vidéosurveillance du 27 août 2021.(pièce n° 6 de l'employeur)
Il en ressort qu'un coin bureau a été aménagé dans le commerce ainsi qu'un espace de stockage de marchandise. La séparation de cet espace avec le reste de la boutique accessible aux clients est matérialisée par un rideau noir. Les captures d'écran du procès-verbal de constat démontrent que M. [N] s'est bien rendu derrière ce rideau et qu'il a, en présence de son collègue, saisi des documents qu'il a ensuite emportés avec lui.
Le commissaire de justice constate à ce sujet :
"J'effectue des captures d'écran des enregistrements de la caméra 'caisse' et de la caméra 'entrée' des moments où l'on voit Monsieur [A] [N] entrer dans le local, interagir avec Monsieur [C] puis se diriger vers le coin bureau.
J'effectue également des captures d'écran lorsqu'on les voit prendre des documents dans le coin bureau, lorsque l'on voit Monsieur [N] partir avec les documents puis revenir dans le bureau de tabac plus d'une demi-heure plus tard avec les documents".
Dans son dépôt de plainte du 5 novembre 2021, M. [N] a au demeurant déclaré :
"(...) Le 27/08/2021 je suis allé au Bureau de Tabac sur demande de mon avocat pour récupérer des documents manquants.
J'ai trouvé une pochette contenant des papiers m'appartenant.
En sortant du tabac, j'ai constaté que je m'étais trompé de pochette.
Je suis revenu sur mes pas et j'ai redonné celle-ci à un autre employé prénommé [I] en lui demandant de dire à [G] que j'étais venu et qu'il me fallait des documents. (...)"
Ainsi, il est établi que M. [N] s'est rendu le 27 août 2021, alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, dans le commerce de M. [J] et y a pris des documents administratifs sans autorisation et à l'insu de celui-ci.
Le fait d'avoir restitué les documents n'amoindrit pas la gravité des agissements de M. [N].
Ce défaut de loyauté de M. [N] ne pouvait qu'entamer la confiance de M. [J] en son salarié et empêchait la poursuite du contrat de travail, fût-ce pendant la durée d'un préavis.
En conséquence, le licenciement pour faute grave de M. [N] est fondé, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur le maintien de salaire pendant la maladie
L'article L. 1226-24 du code du travail applicable en Alsace-Moselle prévoit que :
"Le commis commercial qui, par suite d'un accident dont il n'est pas fautif, est dans l'impossibilité d'exécuter son contrat de travail a droit à son salaire pour une durée maximale de six semaines."
En l'espèce, il n'est pas contesté par l'employeur que M. [N] avait le statut de commis commercial.
L'employeur reconnaît (page 42 de ses conclusions) que ce salarié devait bénéficier d'un maintien de salaire à 100 % par application du droit local pendant une période allant jusqu'au 2 août 2021, étant rappelé que, par avenant du 12 mai 2021, la rémunération mensuelle de M. [N] avait été portée à 2 073,44 euros brut à compter du 6 juin 2021.
Pour la période allant du 16 juin 2021 au 20 juin 2021, puis du 22 juin 2021 au 2 août 2021, M. [N] aurait dû percevoir un total de 3 174,81 euros brut de salaire se décomposant comme suit :
- juin : 2 073,44 x 14/30 j = 967,60 euros
- juillet : 2 073,44 euros
- août : 2 073,44 x 2/31 j = 133,77 euros
Il ressort des fiches de salaire qu'il a perçu au titre de la même période un total de 3 349,03 euros brut, à savoir :
- juin : 706,64 euros ;
- juillet : 1 354,02 euros
- s'y ajoutent, sur le bulletin de paie du mois d'août 2021, un montant de 1 288,37 euros de maintien de salaire, y compris des rappels concernant les deux mois précédents.
Il s'ensuit que l'employeur a assuré le maintien de salaire, de sorte que la demande à ce titre et celle au titre des congés payés y afférents sont rejetées, le jugement étant confirmé sur ces points.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens sont confirmées.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
M. [N] est condamné aux dépens d'appel en application de l'article 696 du même code.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette la demande de M. [G] [J] de sursis à statuer ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [A] [N] aux dépens d'appel.
Le greffier P/ La Présidente régulièrement empêchée
Le Conseiller
26 Novembre 2025
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N° RG 22/02836 - N° Portalis DBVS-V-B7G-F3YZ
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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ
29 Novembre 2022
21/00619
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
vingt six Novembre deux mille vingt cinq
APPELANT :
M. [A] [N]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Marion DESCAMPS, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
M. [G] [J] Monsieur [G] [J], Entrepreneur individuel exploitant le 'Tabac de [Localité 7]' inscrit sous le numéro SIRET 85090851800010 dont le siège social est sis [Adresse 2]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Hanane BEN CHIKH de la SELARL HAYA AVOCATS, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Janvier 2025, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY, Présidente de Chambre
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
M. François-Xavier KOEHL, Conseiller
Magistrats ayant participé au délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE, Greffier
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. Benoît DEVIGNOT, Conseiller, substituant la Présidente de chambre regulièrement empêchée et par Monsieur Alexandre VAZZANA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat à durée déterminée et à temps complet couvrant la période du 6 avril 2021 au 5 juin 2021, M. [A] [N] a été embauché par M. [G] [J] en qualité d'employé polyvalent dans un commerce tabac-presse à l'enseigne 'Le tabac de [Localité 7]' à [Localité 6].
La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 6 juin 2021 avec une rémunération mensuelle portée à un montant de 2 073,44 euros brut.
La convention collective nationale des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique était applicable à la relation de travail.
Du 16 juin 2021 au 20 juin 2021, puis du 22 juin 2021 jusqu'à la rupture du contrat, M. [N] a été placé en arrêt de travail pour maladie tenant à un "état anxieux aigu".
Le 30 août 2021, M. [J] a déposé plainte contre M. [N] pour des faits de vol et falsification d'une attestation ou d'un certificat commis le 27 août 2021 dans son commerce.
Par lettre du 17 septembre 2021, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 7 octobre 2021.
Par courrier du 20 octobre 2021, le salarié a été licencié pour faute grave, aux motifs d'une 'attitude malhonnête et déloyale met(tant) gravement en péril la bonne marche de l'entreprise' et constitutive d'une violation de l'obligation de loyauté.
Le 5 novembre 2021, M. [N] a déposé plainte contre M. [J] pour dénonciation calomnieuse et harcèlement sexuel commis entre le 6 avril 2021 et le 7 octobre 2021.
Estimant son licenciement infondé, M. [N] a saisi, le 30 novembre 2021, la juridiction prud'homale.
Par jugement contradictoire du 29 novembre 2022, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud'hommes de Metz a dit le licenciement pour faute grave fondé, rejeté les prétentions de M. [N], débouté M. [J] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [N] aux dépens.
Le 15 décembre 2022, M. [N] a interjeté appel par voie électronique.
Dans ses conclusions d'appel remises par voie électronique le 14 mars 2023, M. [N] requiert la cour :
- d'infirmer le jugement, en ce qu'il dit non fondée sa demande, en ce qu'il a déclaré fondé le licenciement pour faute grave, en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions et en ce qu'il l'a condamné aux "entiers frais et dépens de l'instance' ;
statuant à nouveau,
- de prononcer la nullité du licenciement ;
- de condamner M. [J] à lui payer les sommes suivantes :
* 12 440,64 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul (subsidiairement, 2 073,44 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse) ;
* 1 036,72 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 103,68 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;
* 6 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi ;
* 1 937,56 euros net à titre de rappel de maintien de salaire durant l'arrêt maladie ;
* 193,76 euros net à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;
- de condamner M. [J] à délivrer, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d'un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à intervenir, une fiche de salaire correspondant aux sommes allouées et en mentionnant le détail notamment les périodes concernées ;
- de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée ;
- de condamner M. [J] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner M. [J], sur l'ensemble des sommes, à lui payer les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 30 novembre 2021 ;
- de rejeter les demandes de M. [J].
A l'appui de ses prétentions, il expose :
- que son licenciement a été prononcé en raison de son refus de céder aux avances et au harcèlement tant moral que sexuel exercés M. [J] ;
- qu'il a été victime de contacts physiques non consentis ;
- que l'employeur lui a envoyé des photographies de lui, ainsi que des messages sans lien avec le travail ;
- que M. [J] faisait des allusions sexuelles ;
- qu'il n'a jamais donné une suite favorable ni encouragé ces agissements, demandant même à ce qu'ils cessent ;
- que ses conditions de travail ont conduit à une dégradation de son état de santé et à son placement en arrêt maladie ;
- que son licenciement est une mesure de rétorsion en réponse à son arrêt maladie.
Il ajoute :
- que la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse, puisque M. [J] avait déjà décidé de le licencier avant même d'entendre ses explications lors de l'entretien préalable ;
- que le seul grief exprimé dans la lettre de licenciement tient au fait qu'il a quitté le bureau de tabac avec des documents de l'entreprise ;
- que l'employeur n'a démontré ni la matérialité ni la véracité de ce fait ;
- que la plainte mentionnée dans le courrier de licenciement a été classée sans suite, les services enquêteurs ayant constaté la fausseté des accusations de l'employeur à son encontre ;
- que, lors de sa visite dans le bureau de tabac le 27 août 2021, il ne s'est rendu que dans des lieux accessibles au public ;
- que les premiers juges ont estimé qu'il était entré dans la réserve sans l'autorisation de l'employeur, alors qu'il n'y a, en réalité, pas de réserve dans le commerce de M. [J] ;
- que l'employeur ne justifie ni d'une atteinte à la bonne marche de l'entreprise ni d'un préjudice ;
- que le motif du licenciement est vague et purement hypothétique s'agissant notamment de la falsification de document ;
- qu'il y a une forte incohérence entre les compliments qui lui ont été faits par M. [J] tant par lettres que par sms et la teneur des témoignages produits par l'intimé.
Il souligne :
- qu'il était commis commercial, étant employé par une société commerciale en contact avec la clientèle, de sorte que, conformément au droit local, il devait bénéficier du maintien de son salaire à 100 % pendant une période de quarante deux jours ;
- que son salaire n'a pas été maintenu pendant les mois de juin et juillet 2021 ;
- que l'employeur a indûment conservé un montant de 1 937,56 euros d'indemnités journalières de sécurité sociale qu'il a perçues le 22 août 2021.
Dans ses conclusions remises par voie électronique le 12 juin 2023, M. [J] sollicite :
- le rejet de toutes les demandes de M. [N] ;
- l'irrecevabilité de la demande de M. [N] pour préjudice moral comme étant présentée pour la première fois en cause d'appel ;
- la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande formulée in limine litis de sursis à statuer ;
- l'infirmation du jugement uniquement en ce qu'il l'a débouté de sa demande formulée in limine litis de sursis à statuer, et la correction de l'erreur matérielle y afférente ;
statuant à nouveau,
- in limine litis, le sursis à statuer de l'affaire, dans l'attente de connaître les suites pénales données à la plainte pour harcèlement sexuel que M. [N] a déposée le 5 novembre 2021 à son encontre ;
- la condamnation de M. [N] à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir sur la demande de sursis à statuer :
- que les suites qui seront réservées à la plainte déposée le 5 novembre 2021 par M. [N] à son encontre sont fondamentales pour la solution du litige ;
- qu'il s'agit d'une dénonciation calomnieuse qui l'a beaucoup affecté ;
- que les premiers juges ont rejeté la demande de sursis à statuer, mais sans l'indiquer dans le dispositif de leur décision, ce qui constitue une erreur matérielle.
Il réplique sur le fond :
- que les griefs formulés à l'encontre de M. [N] peuvent être prouvés par l'exploitation des images de vidéosurveillance du bureau de tabac du 27 août 2021 ;
- que M. [N], qui était alors en arrêt maladie et n'avait aucune raison de se rendre sur son lieu de travail du fait de la suspension du contrat de travail, est venu malgré tout dans l'après-midi du 27 août 2021 en l'absence de l'employeur ;
- que M. [N] est entré dans la réserve pour fouiller les documents administratifs et comptables, puis a falsifié un document ;
- que l'attitude malhonnête et déloyale de M. [N] le 27 août 2021 justifie son licenciement pour faute grave.
Il soutient :
- qu'à aucun moment, il n'a manifesté la moindre attitude déplacée à l'égard de M. [N] ni ne lui a fait subir de harcèlement moral, la plainte pénale déposée par ce salarié le 5 novembre 2021 n'étant qu'un "tissu de mensonges" et une vengeance ;
- qu'une association avait même été envisagée mais qu'il y a finalement renoncé en raison du comportement de M. [N] ;
- que deux personnes embauchées en 'extra' durant la période de travail de M. [N] dans le tabac ont pu se rendre compte du caractère instable et colérique de celui-ci ;
- qu'il n'a fait paraître aucune offre d'emploi pour remplacer M. [N] avant le licenciement ;
- que le licenciement est justifié par les manquements graves du salarié, sans lien avec l'état de santé de l'appelant ;
- qu'il s'est trouvé sous l'influence de M. [N], ce qui ressort de témoignages qu'il verse aux débats ;
- que M. [N] ne produit aucune preuve d'un quelconque préjudice ni d'un harcèlement ;
- que la procédure prud'homale a été engagée par M. [N] en représailles à son refus de s'associer ;
- que la demande de dommages-intérêts, présentée pour la première fois en cause d'appel, est irrecevable car nouvelle.
Il ajoute que, lors de l'audience de conciliation qui s'est tenue le 31 janvier 2022 devant le conseil de prud'hommes de Metz, il a été remis au conseil de M. [A] un chèque d'un montant de 657 euros, ce qui aurait dû mettre fin à toute discussion s'agissant de la demande de reversement d'indemnités journalières de sécurité sociale.
Le 13 mars 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour observe que M. [N] fait valoir que son licenciement est en lien avec son arrêt maladie, mais ne développe aucun moyen à ce sujet ni ne sollicite la nullité du licenciement sur le fondement des articles L. 1132-1 et 4 du code du travail.
Il n'y a donc pas lieu de statuer sur une demande de nullité du licenciement pour discrimination tenant à l'état de santé.
Sur la demande de sursis à statuer
L'article 378 du code de procédure civile dispose que la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer.
L'article 4 du code de procédure pénale dispose que :
'L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.'
En l'espèce, M. [N] verse aux débats sa plainte du 5 novembre 2021 pour des faits de harcèlement sexuel et dénonciation calomnieuse commis entre le 6 avril 2021 et le 7 octobre 2021.
Une dénonciation ou plainte simple ne met pas en elle-même l'action publique en mouvement et la juridiction, devant laquelle il est fait état d'une plainte déposée, n'est pas tenue de rechercher d'office quelle suite y a été donnée. (jurisprudence : Cour de cassation 2è ch. civ., 30 avril 1970, pourvoi n° 69-10.383).
M. [J], qui sollicite le sursis à statuer, n'établit pas que l'action publique a été mise en mouvement à la suite de la plainte du 5 novembre 2021 de M. [N].
En conséquence, sa demande de sursis à statuer est rejetée.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code ajoute que :
"Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles."
Pour se prononcer sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est défini par trois éléments caractéristiques, conditionnels et cumulatifs, soit :
- des agissements répétés ;
- une dégradation des conditions de travail ;
- une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l'avenir professionnel du salarié.
Il se traduit par une conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne, mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail.
En l'espèce, M. [N] soutient avoir été victime de harcèlement moral et vise les articles L. 1152-1 et 2 du code du travail, sans toutefois l'étayer par aucun fait, l'ensemble des développements de ses conclusions portant en réalité sur des agissements de harcèlement sexuel.
En conséquence, il n'y a pas lieu de déclarer nul son licenciement pour harcèlement moral.
Sur le harcèlement sexuel
Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
L'article L. 1154-1 précité est applicable aussi en matière de harcèlement sexuel.
En l'espèce, dans sa plainte du 5 novembre 2021, M. [N] expose :
'(...) Celui-ci (l'employeur) a commencé à me tenir des propos déplacés très rapidement.
Il se renseignait sur ma vie sentimentale, il me complimentait beaucoup par sms.
Tous les matins II me narguait avec des DVD homosexuels.
Il m'a mis plusieurs fois la main aux fesses.
Il me faisait des "chats bites", il était très pervert.
C'est un prédateur.
J'avais beau lui dire que j'étais gêné et que je n'approuvais pas mais II continuait de plus belle.
Parfois en présence de clients mon employeur se frottait contre moi et je sentais des mains à travers mes vêtements.
Il était très tactile (...)
Il voulait tout le temps être avec moi, il me faisait du chantage pour que je reste avec lui le soir à boire dans la réserve.
Parfois j'acceptais pour lui faire plaisir mais au bout d'un moment j'en avais marre de sacrifier ma vie et je partais. (...)
Quand il s'est senti abandonné et que je prenais de la distance, mon employeur me faisait payer les boissons et me rendait responsable des erreurs de caisse.(...)
Mon employeur me harcelait par sms, il m'appelait souvent pour obtenir des informations personnelles, il m'envoyait des photos de lui en train de faire du sport ou autres.
Monsieur [J] rigolait quand je lui demandais d'arrêter de me toucher les parties intimes. (...)
Je tiens à signaler que mon employeur m'a proposé plusieurs sommes d'argent pour oublier cette histoire (5000 euros, 10000 euros et 25000 euros) ce que j'ai refusé (...)"
Dans ses conclusions d'appel, le salarié évoque aussi des 'tapes sur les fesses 'pour rire'. Il ajoute que son employeur lui a envoyé des photographies de lui en train de faire du sport et n'a cessé de faire des allusions sexuelles pendant le temps de travail.
Ces faits, contestés par M. [J], ne sont ni circonstanciés ni confirmés par des éléments du dossier autres que les seules déclarations du salarié.
Ils ne sont donc pas matériellement établis.
En revanche, il n'est pas contestable que M. [J] a adressé un courrier manuscrit non daté à M. [N] dans les termes suivants (pièce n° 7 de l'appelant) :
" Je me devais d'être honnête vis-à-vis de toi comme je le suis depuis toujours.
Le problème que je vais t'annoncer est aujourd'hui réglé mais nous allons devenir associé et si je n'étais pas transparent vis-à-vis de ce que je vais écrire ensuite j'y penserai toujours comme si je t'avais trahi. C'est la seule raison qui me pousse d'ailleurs à l'avouer.
Comme tu le sais j'ai traversé une période très dur ces deux derniers mois et cette période j'en sors grâce à mon entourage, [K] et surtout grâce à toi, c'est d'ailleurs impressionnant qu'un inconnu est pu faire autant pour moi (')
Bref, là ou j'ai eu honte pendant près de trois semaines récentes c'est que sans m'en rendre compte je tombais amoureux, chose inimaginable à mes yeux ! 42 ans ! tu n'es pas gay et ne le seras jamais heureusement.
Pendant ces trois semaines j'avais mes problèmes à régler, le commerce à tenir, j'étais certainement perdu.
Bref peu importe un fait était là je tombais amoureux d'une personne dont je savais que ce serait impossible car ma moral m'en en empêche !
Et jamais j'insiste je n'aurais tenté quoique ce soit, j'ai pris sur moi, j'en ai parlé à personne car je vivais très mal vis-à-vis de moi cette situation, j'avais même honte.
J'ai pris le temps d'analyser la situation, à ce jour le problème est réglé ! Il n'y a pas d'ambiguïté vis-à-vis de mes sentiments, je te vois un peu comme un frère, un ami très proche (')"
Et je n'ai à ce jour plus aucun sentiment amoureux. (...)
Je t'aime mais au sens noble du terme.'
La lecture de cette lettre ne fait pas ressortir de propos à connotation sexuelle portant atteinte à la dignité de M. [N] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant.
Cette correspondance n'a pas non plus été génératrice d'une situation intimidante, hostile ou offensante, le salarié ayant déclaré aux services de police lors de son dépôt de plainte le 5 novembre 2021 que, le 24 mai 2021, 'Je lui ai bien répondu que la lettre ne me dérangeait pas'.
En outre, les éléments du dossier ne font pas ressortir l'existence de pressions graves, même non répétées, exercées par M. [J] dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle.
M. [N] produit également des éléments médicaux, mais dont aucun ne permet d'établir un lien entre son état de santé et son activité professionnelle, à savoir :
- un certificat du 28 septembre 2021 de Dr [O] [L], psychiatre, qui atteste le suivre de manière régulière (pièce n° 9) ;
- des certificats d'arrêt maladie pour "syndrome anxio-dépressif" couvrant la période du 16 juin 2021 au 31 octobre 2021 (pièce n° 8).
En définitive, les éléments de fait ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement sexuel dont M. [N] aurait été victime.
En conséquence, la demande de nullité de licenciement pour harcèlement sexuel est rejetée.
Il s'ensuit que la demande subséquente de dommages-intérêts pour préjudice moral est rejetée sans qu'il soit nécessaire d'étudier la fin de non-recevoir opposée par M. [J] et tirée d'une prétendue irrecevabilité de cette demande.
Sur le licenciement pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Dans ce cas, la mise en 'uvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués.
L'employeur qui invoque la faute grave doit établir à la fois la réalité et la gravité des manquements du salarié, et il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'article L. 1235-1 du code du travail prévoit que si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, par lettre du 20 octobre 2021 M. [J] a licencié M. [N] pour faute grave dans les termes suivants (pièce n° 3 de l'appelant) :
"(...) Je vous notifie par la présente votre licenciement sans préavis, ni indemnité pour faute grave et ceci pour les motifs suivants :
Le 27 août 2021, j'ai quitté le bureau de tabac aux alentours de 13H56 et j'ai laissé Monsieur [C] travailler seul au bureau de tabac, lequel outre le fait d'avoir été embauché sur vos recommandations est un bon ami à vous, puisqu'il s'agit du frère de votre meilleur ami.
Lorsque j'ai quitté les lieux pour le laisser travailler seul, Monsieur [C] s'est saisi de son téléphone pour échanger des SMS.
Quelques minutes plus tard, vous vous êtes rendu au bureau de tabac alors même que votre contrat de travail était suspendu du fait de votre arrêt de travail.
Vous avez alors échangé et plaisanté avec Monsieur [C] puis vous êtes entré dans la réserve derrière le comptoir pour fouiller avec celui-ci dans les documents administratifs de l'entreprise.
Vous vous êtes saisi d'un des dossiers administratifs de l'entreprise faisant apparaître votre nom.
En la présence de Monsieur [C], vous avez examiné les documents figurant dans cette pochette.
S'en est suivi une longue discussion avec Monsieur [C] et plusieurs allers-retours avec lui en réserve.
De plus, alors que vous n'aviez rien à faire sur votre lieu de travail du fait de votre arrêt maladie, vous êtes venu distraire Monsieur [C] durant son temps de travail en l'empêchant de porter toute son attention sur les clients qui rentraient dans le bureau de tabac ou en sortaient.
Vous avez par ailleurs quitté le bureau de tabac avec les documents de l'entreprise et sans autorisation et ce durant plusieurs dizaines de minutes, jusqu'à ce vous reveniez au bureau de tabac restituer la pochette.
S'en est suivi une discussion avec Monsieur [C] avant que vous retourniez à nouveau dans la réserve alors que vous n'aviez rien à faire au bureau de tabac.
Vous faisiez par la suite des vas et vient dans le bureau de tabac en présence des clients.
Monsieur [C] qui a souhaité couvrir vos agissements m'a menti en me disant que vous étiez juste passé pour demander de me transmette le message suivant :
" Document pour [A] qui peut récupérer "
Il me l'a d'ailleurs inscrit sur un petit mot laissé à mon attention.
Ne comprenant pas cette demande qui n'avait aucun sens et sa réaction non habituelle lors de mon appel téléphonique de l'après-midi, destinée à écourter notre discussion, j'ai procédé au visionnage de la vidéo surveillance du bureau de tabac qui atteste de tout ce qui vous est reproché.
Les faits se sont déroulés sur environ une heure de temps.
Du fait de la gravité de vos actes, j'ai été contraint de déposer une plainte pénale à votre encontre le 30 août 2021 et de recueillir les explications de Monsieur [C] pour finalement me séparer de lui du fait des agissements graves dont il s'est rendu complice à vos côtés.
En détournant et en retenant même durant un temps limité des documents comptables et administratifs confidentiels appartenant à l'entreprise, vous avez gravement manqué à votre obligation de loyauté, laquelle perdurait même durant la suspension de votre contrat de travail.
Une telle attitude ne saurait être tolérée par l'entreprise d'autant que vous avez parfaitement pu falsifier certains documents originaux contenus dans le dossier dont vous vous êtes emparé sans mon accord et ce au préjudice de l'entreprise.
Votre attitude malhonnête et déloyale met gravement en péril la bonne marche de l'entreprise.
L'entreprise ne saurait tolérer de tels agissements qui sont une grave violation de votre obligation de loyauté.
Lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le 17 septembre 2021 et durant lequel vous avez fait le choix d'être assisté, vous avez nié les faits qui vous étaient reprochés en vous contentant de
m'indiquant que vous les contestiez, ce qui atteste de votre mauvaise foi.
Aussi, votre licenciement pour faute grave prend effet immédiatement. (...)"
Le salarié affirme d'abord que son licenciement était décidé avant même la tenue de l'entretien préalable le 7 septembre 2021. Néanmoins, l'offre d'emploi sur Facebook qu'il produit (sa pièce n° 11) et qui concerne un poste de vendeur n'est pas datée.
M. [N] soutient aussi que la plainte pénale évoquée par l'employeur dans la lettre de licenciement a fait l'objet d'un classement sans suite. A supposer cette affirmation exacte, il y a lieu de rappeler qu'une décision rendue par le juge pénal ne s'impose au juge civil que si elle revêt l'autorité de la chose jugée, ce qui ne peut pas être le cas d'un classement sans suite par le procureur de la République.
S'agissant du grief tiré de la falsification d'un document, l'employeur produit un formulaire relatif au 'régime collectif et obligatoire frais de santé' (pièce n° 10). Cette pièce ne permet pas de prouver l'existence d'une falsification que M. [N] n'avait aucun intérêt à commettre, les deux cases cochées (dont l'une finalement rayée) aboutissant toutes deux à le dispenser de l'adhésion à la complémentaire collective.
Ensuite, la lettre de licenciement fait grief au salarié de s'être présenté sur son lieu de travail durant la suspension du contrat pour prendre, dans la réserve du bureau de tabac-presse, des documents administratifs sans autorisation, à l'insu de l'employeur et avec la complicité d'un collègue.
M. [J] produit pour démontrer la réalité de ces faits un procès-verbal de constat qui a été dressé par un commissaire de justice le 3 février 2022 et qui contient des photographies de captures d'écran de la vidéosurveillance du 27 août 2021.(pièce n° 6 de l'employeur)
Il en ressort qu'un coin bureau a été aménagé dans le commerce ainsi qu'un espace de stockage de marchandise. La séparation de cet espace avec le reste de la boutique accessible aux clients est matérialisée par un rideau noir. Les captures d'écran du procès-verbal de constat démontrent que M. [N] s'est bien rendu derrière ce rideau et qu'il a, en présence de son collègue, saisi des documents qu'il a ensuite emportés avec lui.
Le commissaire de justice constate à ce sujet :
"J'effectue des captures d'écran des enregistrements de la caméra 'caisse' et de la caméra 'entrée' des moments où l'on voit Monsieur [A] [N] entrer dans le local, interagir avec Monsieur [C] puis se diriger vers le coin bureau.
J'effectue également des captures d'écran lorsqu'on les voit prendre des documents dans le coin bureau, lorsque l'on voit Monsieur [N] partir avec les documents puis revenir dans le bureau de tabac plus d'une demi-heure plus tard avec les documents".
Dans son dépôt de plainte du 5 novembre 2021, M. [N] a au demeurant déclaré :
"(...) Le 27/08/2021 je suis allé au Bureau de Tabac sur demande de mon avocat pour récupérer des documents manquants.
J'ai trouvé une pochette contenant des papiers m'appartenant.
En sortant du tabac, j'ai constaté que je m'étais trompé de pochette.
Je suis revenu sur mes pas et j'ai redonné celle-ci à un autre employé prénommé [I] en lui demandant de dire à [G] que j'étais venu et qu'il me fallait des documents. (...)"
Ainsi, il est établi que M. [N] s'est rendu le 27 août 2021, alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, dans le commerce de M. [J] et y a pris des documents administratifs sans autorisation et à l'insu de celui-ci.
Le fait d'avoir restitué les documents n'amoindrit pas la gravité des agissements de M. [N].
Ce défaut de loyauté de M. [N] ne pouvait qu'entamer la confiance de M. [J] en son salarié et empêchait la poursuite du contrat de travail, fût-ce pendant la durée d'un préavis.
En conséquence, le licenciement pour faute grave de M. [N] est fondé, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur le maintien de salaire pendant la maladie
L'article L. 1226-24 du code du travail applicable en Alsace-Moselle prévoit que :
"Le commis commercial qui, par suite d'un accident dont il n'est pas fautif, est dans l'impossibilité d'exécuter son contrat de travail a droit à son salaire pour une durée maximale de six semaines."
En l'espèce, il n'est pas contesté par l'employeur que M. [N] avait le statut de commis commercial.
L'employeur reconnaît (page 42 de ses conclusions) que ce salarié devait bénéficier d'un maintien de salaire à 100 % par application du droit local pendant une période allant jusqu'au 2 août 2021, étant rappelé que, par avenant du 12 mai 2021, la rémunération mensuelle de M. [N] avait été portée à 2 073,44 euros brut à compter du 6 juin 2021.
Pour la période allant du 16 juin 2021 au 20 juin 2021, puis du 22 juin 2021 au 2 août 2021, M. [N] aurait dû percevoir un total de 3 174,81 euros brut de salaire se décomposant comme suit :
- juin : 2 073,44 x 14/30 j = 967,60 euros
- juillet : 2 073,44 euros
- août : 2 073,44 x 2/31 j = 133,77 euros
Il ressort des fiches de salaire qu'il a perçu au titre de la même période un total de 3 349,03 euros brut, à savoir :
- juin : 706,64 euros ;
- juillet : 1 354,02 euros
- s'y ajoutent, sur le bulletin de paie du mois d'août 2021, un montant de 1 288,37 euros de maintien de salaire, y compris des rappels concernant les deux mois précédents.
Il s'ensuit que l'employeur a assuré le maintien de salaire, de sorte que la demande à ce titre et celle au titre des congés payés y afférents sont rejetées, le jugement étant confirmé sur ces points.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens sont confirmées.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
M. [N] est condamné aux dépens d'appel en application de l'article 696 du même code.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette la demande de M. [G] [J] de sursis à statuer ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne M. [A] [N] aux dépens d'appel.
Le greffier P/ La Présidente régulièrement empêchée
Le Conseiller