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Décisions

CA Paris, Pôle 5 - ch. 4, 26 novembre 2025, n° 23/13663

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/13663

26 novembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2025

(n° 141 , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/13663 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIDFF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2023-Tribunal de commerce de Paris- RG n° 2022003333

APPELANTS

Monsieur [K] [E], agissant poursuites et diligences, né le 07 Février 1988 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assisté de Me Victor Dotal de la SELARL PIPAT DE MENDITTE -DECAIRE-DOTAL, avocat au barreau de Périgueux

S.A.R.L. [E], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le numéo : 800 128 464

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée de Me Victor Dotal de la SELARL PIPAT DE MENDITTE -DECAIRE-DOTAL, avocat au barreau de Périgueux

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. FIDES, prise en la personne de Maître [U] [T], ès-qualité de Liquidateur judiciaire de la société CARTRIDGE WORLD FRANCE.

Suivant jugement du tribunal de commerce de Créteil en date 16 février 2022

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de Paris, toque : W09

Assistée de Me Olivier Tiquant de la SCP CANET ESQUAL, avocat au barreau de Paris, toque : P 166 et de Me Emmanuel Huet EH LEGALSELARL, avocat au barreau de Paris, toque : C 1645

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Octobre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

M. Bertrand Gouarin, président de chambre

M. [K] Richaud, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Bertrand Gouarin, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière , lors des débats : Mme Elisabeth Verbeke

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par Mme Elisabeth Verbeke, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS

La société [E], dont le gérant est M. [K] [E], a pour activité la vente et le recyclage de cartouches d'encre pour fax photocopieurs imprimantes à jet d'encre ou laser et la vente de périphériques pièces détachées informatiques

La société Cartridge World France a pour activité tous types de services et prestations à destination du commerce organisé et en particulier la franchise. Elle est le franchiseur d'un réseau d'affiliés indépendants ayant pour objet la commercialisation, sous l'enseigne « Cartridge world », de cartouches d'encre et de fournitures de bureau.

Le 20 décembre 2013, M. [E], agissant tant en son nom personnel que pour le compte de la société [E] en cours de formation, a conclu avec la société Cartridge World France deux contrats de franchise, portant sur deux commerces de fournitures de bureau situés à [Localité 8] et [Localité 7].

Les contrats ont été conclus pour une durée initiale de cinq ans. L'article 13 des contrats prévoit une tacite reconduction pour une période de 5 ans. Les contrats ont fait l'objet d'une tacite reconduction en décembre 2018.

Ces contrats prévoyaient au bénéfice du franchisé un droit exclusif d'utilisation de l'enseigne et du savoir-faire de la société Cartridge World France sur le territoire de [Localité 8] et [Localité 7].

Ces contrats énonçaient à la charge du franchisé une obligation de non-affiliation d'une durée d'un an suivant le terme des contrats ainsi qu'une obligation de non-concurrence d'une même durée à compter de leur résiliation anticipée.

Suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 avril 2020, distribuée le 16 avril suivant et ayant pour objet «'résiliation des contrats de franchise Cartridge World France'», M. [E] a informé la société Cartridge World France de sa volonté de résilier les contrats de franchise conclus avec cette dernière à effet au 15 mai 2020, faisant étatd'un «'défaut de prestation support'», de l'absence de «'visites d'animation/assistance'» et de la facturation du logiciel XPLOS au prix de 97,50 euros HT par mois et magasin au lieu de 65 euros HT par mois et magasin prévu à l'article 10.1 des contrats.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 juin 2020, M. [E] a indiqué à la société Cartridge World France séquestrer le montant des redevances mises à sa charge compte tenu de l'absence d'établissement par le franchiseur d'un plan de communication national.

Par courriel du 11 juin 2020, M. [E] a exprimé des critiques sur la nouvelle direction de la société Cartridge World France et les inquiétudes des membres du réseau de franchisés.

Suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 août 2020, M. [E] s'est plaint des dysfonctionnements affectant le support téléphonique du franchiseur et a indiqué suspendre le versement de ses redevances jusqu'au rétablissement de ce support.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 11 août 2021, l'avocat de M. [E] a notifié la résiliation des contrats de franchise à la société Cartridge World France, alléguant des manquements du franchiseur à ses obligations contractuelles.

Par courriel du 6 septembre 2021, le conseil de la société Cartridge World France a contesté les griefs formulés par le franchisé et l'a mis en demeure de respecter les contrats de franchise.

Le 11 janvier 2022, la société Cartridge World France a assigné la société [E] et M. [E] devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir l'exécution des contrats de franchise.

Par jugement en date du 16 février 2022, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Cartridge World France sans poursuite d'activité et désigné la société Fides liquidateur judiciaire.

Par jugement du 5 juillet 2023, le tribunal de commerce de Paris a :

- constaté l'intervention volontaire de la société Fides, ès qualités,

- condamné solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 20.000 euros TTC au titre des indemnités de résiliation des deux contrats de franchise en date du 20 décembre 2013,

- condamné solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, la somme de 4.982,22 euros TTC au titre des factures impayées,

- débouté la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamner M. [E] et la société [E] à payer la somme de 5.000 € à titre d'indemnités,

- débouté la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamner M. [E] et la société [E] à payer la somme de 12.000 euros en indemnisation de la violation des clauses de non-affiliation et de non-concurrence,

- débouté la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamner M. [E] et la société [E] à payer la somme de 10.000 euros pour résistance abusive,

- condamné solidairement M. [E] et la société [E] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 111,01 euros dont 18,29 euros de TVA,

- débouté la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamner M. [E] et la société [E] à payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

La société [E] et M. [E] ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 31 juillet 2023.

Par dernières conclusions du 23 septembre 2025 la société [E] et M. [E] demandent à la cour de :

A titre principal,

Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 05 juillet 2023 (RG n° 2022003333), en toutes ses dispositions critiquées suivant déclaration d'appel en date du 31 Juillet 2023 ;

Statuant à nouveau ;

Juger parfaitement fondée la résolution des deux contrats de franchise pour les magasins de [Localité 7] et de [Localité 8], tel que notifiée suivant courrier LRAR en date du 11 Août 2021 par la société [E] à la société Cartridge World France en application de l'article 1226 du code civil ;

Juger réputé non écrit l'article 17 du contrat de franchise portant sur une indemnité de résiliation anticipée du contrat ;

Par conséquent,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions formulées par la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités;

A titre subsidiaire et en cas de confirmation de la résolution fautive des contrats de franchise par la société [E] et M. [E],

Confirmer le quantum de l'indemnité de résiliation retenu par le tribunal de commerce de Paris aux dépens de la sdociété [E] et de M. [E] ;

En tout état de cause,

Condamner la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, à payer à la société [E] la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions du 16 septembre 2025, la société Fides, ès qualités, demande à la cour de :

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il constate l'intervention volontaire de la société Fides, ès qualités,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il condamne solidairement Monsieur [K] [E] et la société [E] à payer à la société Fides la somme de 4.982,22 euros TTC au titre de factures impayées,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il condamne solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Fides, ès qualités, la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il qualifie de fautive la résiliation des contrats de franchise par la société [E] et M. [E],

Réformer ledit jugement en ce qu'il qualifie de clause pénale la clause desdits contrats relative aux indemnités de résiliation,

Réformer en conséquence ledit jugement quant au montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la société [E] et de M. [E] au titre des indemnités des résiliation dues,

Réformer la condamnation à ce titre à l'encontre de [E] et de M. [E] pour la fixer à un montant de 66.484 euros TTC (et non de 20.,000 euros),

Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il déboute la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamnation solidaire de M. [E] et la société [E] à les indemniser au titre de la violation des clauses de non-affiliation et de non-concurrence,

Réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2023 en ce qu'il déboute les sociétés Cartridge World France Fides, ès qualités, de leur demande de condamner solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la somme de 10.000 euros pour résistance abusive,

Juger qu'il y a eu non-déclaration des montants de chiffre d'affaires réalisés par la société [E] auprès de la société Cartridge World France depuis le mois d'août 2021,

Juger que la société [E] a rejoint les réseaux Comlandi et Global Buro et violé la clause de non-concurrence de l'article 8.11 des contrats de franchise,

En conséquence, statuant à nouveau,

Rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions de M. [E] et de la société [E] ;

Juger que la résiliation par la société [E] et M. [E] des contrats de franchise en date du 30 décembre 2013 est fautive ;

Condamner solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 66.484 euros TTC au titre des indemnités de résiliation anticipée prévues par les deux contrats de franchise en date du 20 décembre 2013 tels que renouvelés (et non un paiement de 20.000 euros TTC à titre forfaitaire tel que décidé par le jugement du 5 juillet 2024) ;

Condamner solidairement les appelants à payer à leur payer la somme de 4.982,22 euros TTC au titre des factures impayées ;

Condamner solidairement les appelants la somme de 27.498 euros (soit 12 mois x 2 291,5 euros) à titre de dommages et intérêts correspondant au manque à gagner lié au non-respect de la clause de non-concurrence et de non-affiliation à un réseau concurrent prévues par les articles 8.11 et 16.3 des contrats de franchise du 20 décembre 2013 tels que renouvelés, pendant la période de 12 mois contractuellement prévue ;

Condamner solidairement les appelants la somme de 10.000 euros pour résistance abusive;

Condamner solidairement les appelants la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 septembre 2025.

Il est renvoyé à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1. Sur la résiliation des contrats de franchise

La société [E] et M. [E] soutiennent que la résiliation anticipée des contrats de franchise est régulière et fondée.

En réponse, le franchiseur fait valoir que la résiliation anticipée des contrats de franchise est fautive car non précédée d'une mise en demeure régulière et mal fondée.

1.1. Sur la mise en demeure

Moyens des parties

La société [E] et M. [E] soutiennent qu'ils ont valablement mis en demeure la société Cartridge World France au regard des articles 1224, 1226 et 1344 du code civil.

Ils exposent avoir adressé en 2020 plusieurs courriers et courriels à la société Cartridge World France, que ceux-ci étaient clairs et non équivoques, traduisaient leur volonté de résilier les contrats en cas de non-respect de ses engagements par le franchiseur et qu'en particulier le courrier du 14 avril 2020 met « en exergue des dysfonctionnements affectant la franchise », une « menace de rupture du contrat » et fixe un délai pour permettre à l'autre partie de s'exécute, de sorte que le caractère suffisant de l'interpellation ainsi faite est démontré.

En tout état de cause, les intimés soutiennent qu'en application des articles 1224 et 1226 du code civil tels qu'interprétés par la Cour de cassation (Com. 18 octobre 2023, n°20-21.579), la mise en demeure n'est pas nécessaire lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est vaine, qu'en l'occurrence la société Cartridge World France conteste « le bien-fondé des inexécutions relevées par M. [E], faisant fi de la recevabilité des sommations adressées préalablement » auxquelles elle n'a pas répondu, que cette attitude démontre que la société Cartridge World France n'avait aucune intention de répondre favorablement sur les difficultés afférentes au respect par la franchise de ses obligations, si bien qu'une mise en demeure était vaine et n'était donc pas nécessaire.

En réponse, le franchiseur fait valoir que l'article 15 des contrats de franchise impose que la résiliation soit précédée d'une mise en demeure, qu'en droit, la mise en demeure doit contenir la mention « mise en demeure », exprimer la volonté du contractant de résilier le contrat et laisser un délai à l'autre partie pour s'exécuter, qu'en l'espèce les différents courriers, notamment celui du 14 avril 2020, produits par les intimés ne contiennent aucun de ces éléments et ne sauraient constituer une mise en demeure valable, de sorte que la résiliation des contrats litigieux est fautive.

Réponse de la cour

Selon l'article 1217 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance no 2016-131 du 10 févr. 2016, applicable aux contrats en cause reconduits tacitement en décembre 2018, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut:

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

L'article 1224 énonce que'la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

L'article 1225 dispose que la clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat et que la résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire.

Suivant l'article 1226, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.

Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.

Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.

Il résulte de ces dispositions que la mise en demeure préalable prévue à cet article n'a pas à être délivrée lorsqu'il résulte des circonstances qu'elle est vaine, notamment lorsque le comportement de l'une des parties était d'une gravité telle qu'il avait rendu matériellement impossible la poursuite des relations contractuelles (Com., 18 octobre 2023, n°20-21.579'; Civ. 3, 25 janvier 2024, n°22-16.583).

Selon l'article 1344, le débiteur est mis en demeure de payer soit par une sommation ou un acte portant interpellation suffisante, soit, si le contrat le prévoit, par la seule exigibilité de l'obligation.

Il résulte de ces dispositions qu'une partie peut résilier unilatéralement le contrat, à ses risques et périls, en cas de manquement grave de l'autre partie, même en présence de modalités formelles de résiliation contractuelle qui n'auraient pas été respectées (Civ. 1, 28 octobre 2003, n°01-03.662'; Com., 20 octobre 2015, n°14-20.416).

En l'espèce, l'article 15 des contrats de franchise en cause, intitulé «'résiliation anticipée du contrat'», prévoit':

«'Le présent contrat pourra être résilié par anticipation, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et/ou de l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée.

La résiliation anticipée interviendra automatiquement un mois après une mise en demeure signifiée par lettre recommandée avec accusé de réception à la partie défaillante, indiquant l'intention de faire application de la présente clause résolutoire expresse, restée sans effet.'»

Suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 avril 2020 distribuée le 16 avril suivant, ayant pour objet «'résiliation des contrats de franchise Cartridge World France'», M. [E] a informé la société Cartridge World France de son «'désir'» de résilier les contrats de franchise conclus avec cette dernière à effet au 15 mai 2020, reprochant au franchiseur un «'défaut de prestation support'», l'absence de «'visites d'animation/assistance'» et la facturation du logiciel XPLOS au prix de 97,50 euros HT par mois et magasin au lieu de 65 euros HT par mois et magasin prévu à l'article 10.1 des contrats (pièce 36 intimés).

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 2 juin 2020, M. [E] a indiqué à la société Cartridge World France séquestrer le montant des redevances relatives à la communication nationale mises à sa charge compte tenu de l'absence d'établissement par le franchiseur d'un plan de communication national, et ce, jusqu'au «'retour de la situation à la normale'» (pièce 4 intimés).

Par courriel du 11 juin 2020, M. [E] a exprimé des critiques sur la nouvelle direction de la société Cartridge World France, mentionnant l'absence de calendrier marketing, et les inquiétudes sur l'avenir du réseau en France de quinze franchisés souhaitant le quitter dans l'année suivante (pièce 5 intimés).

Suivant lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 août 2020, M. [E] s'est plaint des dysfonctionnements affectant le support téléphonique du siège du franchiseur et a indiqué suspendre le versement de ses redevances relatives à ce support jusqu'au rétablissement de celui-ci (pièce 7 intimés).

Par lettre recommandée avec avis de réception du 11 août 2021, l'avocat de M. [E] a notifié la résiliation des contrats de franchise à la société Cartridge World France, alléguant des manquements du franchiseur à ses obligations contractuelles.

Le 6 septembre 2021, le conseil de la société Cartridge World France a contesté les griefs formulés par le franchisé et a mis en demeure ce dernier de respecter ses obligations résultant des contrats de franchise (pièce 6 appelants).

Au regard des motifs de résolution anticipée invoqués, par le franchisé, celui-ci n'établit pas que le comportement du franchiseur était d'une gravité telle qu'il avait rendu matériellement impossible la poursuite des relations contractuelles et, partant, qu'une mise en demeure préalable aurait été vaine au sens de l'article 1226 du code civil, peu important à cet égard que le franchiseur n'ait répondu que le 6 septembre 2021 aux griefs invoqués.

À l'inverse des courriels et de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception des 2, 11 juin et 4 août 2020, la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 avril 2020 s'analyse en une mise en demeure au sens des dispositions précitées en ce qu'elle respecte la forme prévue à l'article 15 des contrats litigieux, qu'elle énonce de manière détaillée les griefs adressés au franchiseur et qu'elle impartit à ce dernier un délai d'un mois au terme duquel le franchisé déclare vouloir résilier lesdits contrats, peu important à cet égard que cette lettre ne comprenne pas expressément la mention «'mise en demeure'» dès lors qu'il en ressort une interpellation suffisante.

La mise en demeure adressée par le franchisé est donc régulière.

1.2. Sur les manquements invoqués pour justifier la résiliation

Moyens des parties

La société [E] et M. [E] soutiennent que des manquements graves et répétés au contrat de franchise sont de nature à justifier la résiliation des contrats aux torts de la société, aux motifs que :

- il résulte de l'article 5 des contrats litigieux que le franchiseur s'engage à développer le savoir-faire de la marque et à mettre régulièrement à jour le manuel technique auprès des franchisés'; qu'en l'espèce, le manuel de la société Cartridge World France n'a pas été mis à jour depuis 2014'; que le franchiseur n'a pas organisé de nouvelle formation interne depuis plusieurs années et qu'elle n'a pas fait évoluer techniquement son concept';

- il résulte de l'article 9.3 des contrats en cause que la société Cartridge World France s'engage à organiser des formations mais qu'en l'espèce, le franchiseur n'a pas organisé de formation interne depuis 2019';

- il résulte de l'article 7.5 des contrats litigieux que la société Cartridge World France s'engage à organiser des rencontres avec les franchisés et des visites d'animation afin de personnaliser les services offerts'; qu'en l'espèce, l'assistance au niveau national était quasi-existante, que le seul document produit par le franchiseur est un calendrier social média ; que ceci démontre l'absence d'assistance technique de la société Cartridge World France'; qu'aucune rencontre n'a été organisée entre la société Cartridge World France et ses franchiseurs depuis septembre 2019'; que la dernière visite d'animation réalisée par le franchiseur date de 2017'; qu'entre septembre 2017 et août 2020, la société Cartridge World France n'employait qu'un animateur réseau, puis plus aucun et que les simples visites de courtoisie de M. [N] [S], directeur de la société Cartridge World France à l'été 2020 et en juillet 2021 ne peuvent être qualifiées de visite d'animation.

En réponse, la société Cartridge World France fait valoir que la résiliation des contrats est fautive, aux motifs que':

- s'agissant de la mise à jour du manuel des normes techniques, la société Cartridge World France explique que celui-ci concernait « en grande partie les méthodes de remplissage des cartouches d'encre recyclées lors de leur arrivée dans le réseau en 2013 »'; que les cartouches sont désormais remplies par les fournisseurs'; que « il n'est pas douteux que s'ils n'avaient retiré aucune utilité de leur adhésion au réseau Cartridge World depuis leur entrée en 2013, ils auraient résilié les contrats de franchise dès 2018 comme ils en avaient contractuellement la possibilité'»';

- s'agissant de l'évolution technique, la société Cartridge World France explique avoir mis en place un intranet de réseau performant et accessible à tous les franchisés, un Marketing Ressources Center et un Espace Franchise';

- s'agissant de la formation des franchisés et des visites d'animation, la société Cartridge World France a organisé pendant la période de la crise du Covid des formations par téléconférence'; que la société [E] et M. [E] n'ont pas souhaité participer à certaines d'entre elles'; qu'une tournée de visites des franchisés et une revue globale de l'activité de chaque magasin ont été réalisées à l'été 2020'; qu'en juillet 2021, M. [E] a refusé la visite d'animation de la société Cartridge World France';

- s'agissant des compagnes d'animation publicitaire, tous les supports publicitaires étaient accessibles sur l'intranet depuis l'Espace Franchisé et, tous les trimestres, une opération promotionnelle nationale était organisée à la charge de la société Cartridge World France et qu'en octobre 2020, la société Cartridge World France a offert 1.000 euros pour chaque magasin aux franchisés pour financer une publicité.

Réponse de la cour

L'article 5 « savoir-faire » des contrats de franchise stipule : «'Le savoir-faire du franchiseur, qui représente un ensemble d'informations pratiques résultant de son expérience et qui ont été testées dans les magasins pilotes, est essentiellement caractérisé par : l'agencement du magasin Cartridge World, la gamme de produits, les techniques et méthodes de gestion ou d'organisation, les méthodes commerciales, les procédés de gestion de stock, la mise à disposition d'un site web et d'un intranet, des méthodes, services, outils etc... constituant un savoir-faire technique généralement lié à l'impression de documents et notamment celui permettant la recharge et la réutilisation de cartouches d'encre usagées. [...]

Pour permettre l'identification et la transmission au franchisé de ce savoir-faire, le franchiseur a mis au point un manuel des normes techniques, commerciales et de gestion régulièrement actualisé. [']

Le franchiseur procédera aux adaptations du savoir-faire nécessitées par l'évolution de l'environnement économique et révélé à travers son expérimentation permanente des éléments constituant l'objet de la franchise dans ses magasins.

Le franchiseur transmettra alors au franchisé la version actualisée du manuel dans le plus bref délai. Il organisera à cette occasion, si nécessaire, une formation du franchisé ainsi que de son personnel. »

Le préambule des contrats en cause précise que la société Cartridge World a créé un système pour le rechargement des cartouches d'encre et de produits utilisés dans l'impression informatique ainsi que pour la vente de produits associés, que les caractéristiques essentielles de ce système comprennent l'enseigne Cartridge World, un savoir-faire technique, des concepts marketing, un manuel d'exploitation, un assortiment de couleurs caractéristiques, des uniformes portant le logo Cartridge World, un accès réservé à un site internet professionnel développé par un fournisseur d'encre permettant un référencement croisé, l'intranet obtenu par l'utilisation du site internet, les noms de domaine www.cartridgeworld.com, www.cartridgeworld.org et www.cartridgeworld.fr, les méthodes de gestion comprenant l'approvisionnement et l'achat de produits.

Ainsi, le concept objet des contrats en cause ne se réduit pas au procédé de rechargement de cartouches usagées.

La dernière version manuel technique élaboré par le franchiseur date de 2014.

Cependant, l'absence de mise à jour récente de ce manuel est justifiée par l'évolution du marché de l'impression numérique caractérisée par la disparition des cartouches rechargeables au profit de la vente de cartouches préremplies par les fournisseurs, laquelle ne nécessite pas l'élaboration d'un manuel technique.

Le franchiseur justifie avoir adapté son savoir-faire à cette évolution en créant un site internet de fourniture de cartouches d'encre confiée à la société de droit anglais Badger, référencée comme fournisseur sur l'intranet du réseau.

Outre qu'elle n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, l'attestation établie par M. [R] [W] (pièce 25 intimés) ne présente pas une valeur probante suffisante dès lors qu'elle émane d'un ancien animateur franchisé entre 2015 et 2016 puis 2017 et 2020 ayant quitté la société Cartridge World France sur un désaccord avec son employeur.

Le moyen n'est donc pas fondé.

L'article 9.3 « formation permanente » stipule : « Le franchiseur organisera des séminaires de formation permanente pour tenir compte notamment de l'évolution des techniques et des besoins de la clientèle. Afin de maintenir l'identité du réseau, le franchisé s'engage à participer aux séminaires qui seront organisés sur le territoire français, seuls les frais de séjour et de transports restant à sa charge ».

Le franchisé justifie de l'élaboration d'un calendrier des animations et formations 2021 (pièce 15 appelantes), de deux formations organisées en juillet 2021, dont l'une concernant les produits HP (pièces 19, 20 appelantes) ainsi que d'une formation aux produits Lexmark en mai 2021 à laquelle M. [E] n'a pas souhaité assister parce que sa s'ur l'avait déjà suivie en 2019.

Faute de fréquence minimale de la formation prévue au contrat, ces actions de formation et d'animation du réseau doivent être considérées comme suffisantes.

Le moyen sera donc écarté.

L'article 7.5 « assistance » stipule : « Le franchiseur assistera le franchisé dès la conclusion du contrat en matière promotionnelle, en matière technique, commerciale et de gestion, et en communiquant une information régulière concernant les produits, les équipements et services nouveaux ainsi que le marché et, dans la mesure du possible, la concurrence.

Le franchiseur s'engage à faire visiter le magasin du franchisé par toute personne dûment mandatée au moins deux fois par an afin de conseiller le franchisé sur les mesures souhaitables quant à la gestion de son magasin, de ses employés, sa politique commerciale, sa politique de réassortiment des produits, toute en laissant au franchisé sa pleine indépendance. ['] ».

Le franchiseur produit un calendrier des animations et formations 2021 se bornant à proposer un choix de quelques tutoriels (pièce 15 appelantes) et justifie d'une visite d'animation du réseau par le dirigeant de la société Cartridge World France durant l'été 2020 ainsi que d'une proposition de visite d'animation à l'été 2021 restée sans réponse de la part de M. [E] (pièce 21 appelantes).

Il n'est pas discuté que le franchiseur mettait à disposition du franchisé des supports publicitaires accessibles sur l'intranet du réseau, organisait une opération promotionnelle chaque trimestre et avait alloué au franchisé en 2020 un budget de 1.000 euros afin de mener une action publicitaire de son choix.

Aucune visite des magasins exploités par la société [E] au cours des années 2018 et 2019 n'est établie et une seule visite annuelle est justifiée pour les années 2020 et 2021, alors que les stipulations contractuelles imposaient deux visites annuelles.

Ainsi, le franchiseur a manqué à ses obligations d'assistance envers le franchisé.

Au regard de l'économie des contrats de franchise en cause et de l'importance de l'assistance du franchisé afin de l'aider à adapter sa stratégie, à réaménager son magasin et à engager une diversification dans un contexte d'évolution du marché de la distribution de cartouches d'encre marquée par l'abandon du système de recharge, élément déterminant du concept, le manquement de la société Cartridge World France à ses obligations contractuelles doit être considéré comme suffisamment grave pour justifier la résiliation des contrats litigieux par le franchisé au sens des dispositions de l'article 1226 du code civil, laquelle ne saurait être déclarée fautive.

À cet égard, sont indifférentes les inexécutions contractuelles imputées au franchisé par le franchiseur et consistant en l'absence de communication des relevés mensuels de chiffre d'affaires pour les mois de juillet et août 2021, qui sont sans conséquence sur le caractère fautif ou non de la résiliation anticipée du contrat initiée par le franchisé le 11 août 2021, étant relevé que le franchiseur n'en tire pas de conséquence juridique faute pour lui de solliciter le bénéfice de la clause résolutoire prévue aux contrats ou encore l'allocation de dommages-intérêts.

1.3. Sur les conséquences de la résiliation anticipée

Moyens des parties

La société [E] et M. [E] soutiennent que la résiliation des contrats étant fondée, aucune indemnité de résiliation n'est due.

Par ailleurs, ils soutiennent que la deuxième phrase de l'article 17 des contrats litigieux doit être réputée non écrite sur le fondement de l'article 1171 du code civil, dès lors que cette clause ne s'applique qu'à l'encontre des franchisés et crée un déséquilibre dans la relation contractuelle.

Subsidiairement, les appelants exposent que le placement en liquidation judiciaire de la société Cartridge World France, en février 2022, a eu pour effet de résilier de plein droit les contrats, en application de l'article 15 du contrat. Ainsi, la société Cartridge World France a « survécu » 7 mois après la résiliation. Or la moyenne des redevances mensuelles est de 2.291,50 euros, si bien que la somme de 20.000 euros allouée par le tribunal est raisonnable, la clause litigieuse devant être qualifiée de clause pénale.

S'agissant des factures pour la période postérieure à la résiliation, la société [E] et M. [E] soutiennent que, la résiliation unilatérale n'étant pas fautive, les factures invoquées par le franchiseur ne sont plus exigibles car postérieures au courrier de résiliation d'août 2021.

La société Cartridge World France répond que l'article 17 des contrats de franchise prévoit le paiement d'une indemnité en cas de résiliation anticipée, qu'elle soit fautive ou non et que cette indemnité correspond aux redevances dues jusqu'au terme du contrat, de sorte que la société [E] et M. [E] doivent lui payer les redevances dues du 1er août 2021 au 20 décembre 2023, soit la somme de 66.484 euros TTC.

S'agissant de l'application de l'article 1171 du code civil, la société Cartridge World France soutient qu'il ne s'applique qu'aux contrats conclus postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2018, qu'en l'espèce, les contrats datent de 2013, si bien que l'article 1171 du code civil ne s'applique pas. A supposer que cette disposition s'applique, l'intimée affirme que les appelants ne démontrent pas que la clause litigieuse présente un caractère déséquilibré et qu'elle n'a pas fait l'objet de négociations entre les parties et que l'article 17 des contrats doit être déclaré valable.

Concernant les factures impayées, la société Cartridge World France indique que les factures litigieuses correspondent à du matériel commandé et livré avant le courrier d'août 2021, que ce matériel n'a pas été payé. La société Cartridge World France sollicite à ce titre la somme de 4.982,22 euros TTC.

Réponse de la cour

* Sur la demande tendant à voir réputer non écrite la clause prévoyant une indemnité de résiliation en cas de résiliation anticipée

Selon l'article 1171 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 en vigueur au 1er octobre suivant et applicable aux contrats de franchise en cause tacitement reconduits pour une nouvelle période de cinq ans le 20 décembre 2018, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.

L'article 1171 du code civil, interprété à la lumière des travaux parlementaires, s'applique aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu'ils ne relèvent pas de l'article L. 442-6 I 2° ancien du code de commerce, selon lequel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (Com., 26 janvier 2022, n°20-16.782).

En l'espèce, l'article 17 des contrats de franchise prévoit :

« Les dispositions de l'article 16 ci avant [suppression de tout signe distinctif, restitutions, clause de non-affiliation] sont intégralement applicables dans l'hypothèse d'une résiliation anticipée.

En outre et uniquement dans le cas d'une résiliation anticipée, le franchiseur aura droit à un versement forfaitaire par le franchisé des redevances qu'il aurait normalement perçues jusqu'au terme du contrat ».

La société [E] et M. [E] se bornent à affirmer que la deuxième partie de cette clause est «'potestative car elle vise à s'appliquer à l'encontre des seuls franchisés'» et qu'elle «'crée par suite un déséquilibre dans la relation contractuelle'» (page 32 dernières conclusions appelants) et échouent à rapporter la preuve, dont la charge leur incombe, tant de l'absence de négociation effective ou de l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation de la clause litigieuse que du caractère significatif du déséquilibre créé par la clause critiquée.

La demande tendant à voire réputer non écrite ladite clause sera donc rejetée.

* Sur l'indemnité de résiliation anticipée

Aux termes de l'article 1231-5 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable aux contrats en cause reconduits tacitement le 20 décembre 2018, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.

En l'espèce, l'article 15 des contrats de franchise en cause, intitulé «'résiliation anticipée du contrat'», prévoit':

«'Le présent contrat pourra être résilié par anticipation, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et/ou de l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée.

La résiliation anticipée interviendra automatiquement un mois après une mise en demeure signifiée par lettre recommandée avec accusé de réception à la partie défaillante, indiquant l'intention de faire application de la présente clause résolutoire expresse, restée sans effet.'

Le présent contrat pourra également être résilié par anticipation en cas de liquidation ou de redressement judiciaire de l'une ou l'autre dans les conditions légales et réglementaires en vigueur et sous réserve, le cas échéant, des dispositions d'ordre public applicables'».

L'article 17 des contrats de franchise prévoit :

« Les dispositions de l'article 16 ci avant [suppression de tout signe distinctif, restitutions, clause de non-affiliation] sont intégralement applicables dans l'hypothèse d'une résiliation anticipée.

En outre et uniquement dans le cas d'une résiliation anticipée, le franchiseur aura droit à un versement forfaitaire par le franchisé des redevances qu'il aurait normalement perçues jusqu'au terme du contrat ».

Ainsi, la faculté de résiliation anticipée des contrats en cause, conclus pour une durée déterminée, appartient à toutes les parties et peut être fondée soit sur l'inexécution de ses obligations contractuelles par l'une d'entre elles, soit sur l'impossibilité de poursuivre l'exécution des contrats en raison de l'ouverture d'une procédure collective.

Aussi la clause par laquelle, uniquement dans le cas d'une résiliation anticipée, le franchiseur aura droit à un versement forfaitaire par le franchisé des redevances qu'il aurait normalement perçues jusqu'au terme du contrat présente-t-elle un caractère à la fois indemnitaire, puisqu'elle constitue une évaluation forfaitaire du dommage subi par le franchiseur la suite de la résiliation anticipée du contrat, et un caractère comminatoire, son montant élevé ayant pour but de contraindre le franchisé à exécuter le contrat jusqu'à son terme, de sorte qu'elle constitue une clause pénale et non une clause de dédit.

La résiliation anticipée des contrats en cause par la société [E] et M. [E] ayant été déclarée justifiée par des manquements de la société Cartridge World France à ses obligations contractuelles, aucune indemnité de résiliation anticipée n'est due par le franchisé au franchiseur.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 20.000 euros TTC au titre des indemnités de résiliation des deux contrats de franchise en date du 20 décembre 2013 et, la cour statuant à nouveau de ce chef, les demandes formées à ce titre par la société Fides, ès qualités, seront rejetées.

* Sur les factures impayées

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, les factures dont les intimées sollicitent le paiement sont relatives à des produits commandés et livrés par le franchiseur au franchisé avant la résiliation des contrats en cause le 11 août 2021, de sorte qu'elles demeurent dues par ce dernier.

Il ressort des pièces produites (pièces 11 intimées) que la somme restant due au titre des factures impayées s'élève à 4.454,62 euros TTC, somme retenue par le tribunal dans ses motifs mais portée de manière erronée à 4.982,22 euros dans son dispositif.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

2. Sur les demandes indemnitaires du franchiseur

2.1. Sur les manquements à l'obligation de non-affiliation

Moyens des parties

La société Cartridge World France soutient que la société [E] et M. [E] ont violé l'obligation de non-affiliation à un réseau concurrence prévue aux articles 16.3 et 17 du contrat de franchise. Elle explique que ces derniers sont en relation depuis décembre 2020 avec le réseau Comlandi, lequel est à la fois fournisseur de papeterie et agrégateur d'un réseau de revendeurs et que la société [E] et M. [E] ont développé avec la société Comlandi un site internet. En outre, la société [E] et M. [E] se seraient rapprochés du réseau « Global Buro » et exploitent une activité identique ou similaire à l'exploitation d'un magasin Cartridge World dans leurs deux boutiques à [Localité 8] et [Localité 7]'». S'agissant du préjudice, il correspond, selon les intimées, au « manque à gagner au titre des redevances impayées » et s'élève à la somme de 27.498 euros.

La société [E] et M. [E] font valoir que le site internet en question est indépendant et n'est pas affilié à une autre marque que celle créée par M. [E], « Globalburo24 », qu'en tout état de cause, le réseau Comlandi n'est pas un concurrent de la société Cartridge World France car il a pour objet la fourniture de bureaux et non de cartouches d'encre, que « s'agissant de la marque Global bureau, aucun partenariat n'a été signé'» et que «'la ressemblance de sémantique entre Global bureau et globalburo24 est tout à fait fortuite ». Les appelants affirment qu'aucun accord de franchise n'a été conclu avec ces réseaux, si bien que la société Cartridge World France doit être déboutée de ses demandes indemnitaires. En outre, la société [E] et M. [E] critiquent le mode de calcul du préjudice.

Réponse de la cour

Il est rappelé que la société Cartridge World France a pour activité la commercialisation de cartouches d'encre et de fournitures de bureau.

L'article 16.3 des contrats en cause, intitulée «'Clause de non-affiliation'», prévoit':

«'Le franchisé qui pendant la durée du présent contrat, a bénéficié d'un savoir-faire et d'une assistance de la part de son franchiseur, s'interdit, pendant une durée d'un an, sur la France métropolitaine, à compter de l'échéance du présent contrat quelle qu'en soit la cause, de conclure tout contrat de franchise, convention ou accord, de s'affilier, d'adhérer, de participer directement ou indirectement, à une organisation, un groupement, une association, un réseau ou autre structure de coopération comparable au réseau Cartridge World.

Par ailleurs, le franchisé s'interdit, sur la France métropolitaine, et pendant un délai d'un an à compter de l'échéance du présent contrat pour quelque cause que ce soit, de créer un réseau concurrent du réseau Cartridge World.'»

Le troisième paragraphe de l'article 17 des contrats de franchise stipule :

« A la cessation du contrat pour résiliation anticipée, le franchisé s'interdit d'exploiter ou de participer, d'une quelconque manière, directement ou par personne interposée, à l'exploitation, la gestion, l'administration, le contrôle d'un fonds de commerce ou d'une entreprise ayant une activité identique ou similaire à l'exploitation d'un magasin Cartridge World pendant un délai d'une année ».

Il ressort des pièces produites que M. [E] a déposé auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle, le 20 octobre 2021, la marque «'Global Buro 24'» sous laquelle il exploite ses deux magasins à [Localité 8] et [Localité 7] et a créé un site internet «'www.fournituresbureau24.fr'» (pièces 18 et 24 appelants).

Les intimées échouent à établir que M. [E] et la société [E] se sont affiliés aux réseaux Comlandi ou GlobalBuro, dès lors, d'une part, que la simple mention de Global Buro 24 sur le site de Comlandi dans la rubrique «'petites fournitures et tampons de sécurité'» ne démontre l'existence que d'une relation de fournisseur à distributeur et non l'affiliation à un réseau, d'autre part, que la simple présence du logo de Global bureau sur le site internet créé par M. [E] ne suffit pas à démontrer l'existence d'un réseau à ce nom et l'adhésion à ce réseau du franchisé (copie d'écran du 30 septembre 2021 pièce 3 intimées, pièce 24 appelants).

Cependant, ces pièces établissent à suffisance l'exploitation par la société [E] et M. [E] dans leurs magasins de [Localité 8] et [Localité 7], moins d'un an après la résiliation des contrats en cause, de deux fonds de commerce ayant pour activité la vente de fournitures de bureau, notamment de cartouches d'encre pour imprimantes en violation des clauses de non-concurrence prévues à leur article 17.

Le préjudice qui s'infère du non-respect d'une clause de non-concurrence correspond au gain manqué par celui qui en est la victime.

Ce préjudice subi par la société Cartridge World France doit être évalué sur les mois d'août et septembre 2021, dès lors qu'aucune des pièces produites n'est de nature à démontrer un principe de préjudice au-delà de cette période, et sur la base de la moyenne des redevances mensuelles versées par le franchisé entre 2014 et 2021, soit la somme non discutée de 2.291,50 euros.

Il s'ensuit que le préjudice résultant pour la société Cartridge World France du non-respect par la société [E] et M. [E] de leur obligation de non-concurrence sera fixé à la somme de 4.583 euros (2.291,50 euros x 2 mois).

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

2.2. Sur la résistance abusive

Moyens des parties

La société Cartridge World France sollicite la condamnation de la société [E] et de Monsieur [K] [E] à 10.000 euros « pour résistance abusive dans son inexécution des contrats de franchise'».

La société [E] et de M. [E] font leur la motivation du tribunal ayant rejeté cette demande.

Réponse de la cour

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le tribunal, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties, de sorte la décision déférée sera confirmée sur ce point.

3. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.

La société [E] et M. [K] [E], qui succombent, seront condamnés aux dépens

d'appel, déboutés de leur demande d'indemnité de procédure et condamnés in solidum à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, unis d'intérêts, la somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement M. [K] [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 20.000 euros TTC au titre des indemnités de résiliation des deux contrats de franchise en date du 20 décembre 2013';

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement M. [E] et la société [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 4.982,22 euros TTC au titre des factures impayées';

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Cartridge World France et la société Fides, ès qualités, de leur demande de condamner M. [E] et la société [E] à payer la somme de 12.000 euros en indemnisation de la violation des clauses de non-affiliation et de non-concurrence';

Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour';

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare non fautive la résiliation anticipée des contrats de franchise du 20 décembre 2013 par la société [E] et M. [K] [E] le 11 août 2021';

Rejette la demande formée par la société [E] et M. [K] [E] tendant à voir réputer non écrite la clause figurant au deuxième alinéa de l'article 17 des contrats de franchise du 20 décembre 2013';

Rejette les demandes formées par les sociétés Cartridge World France et Fides, ès qualités, tendant à voir condamner la société [E] et M. [K] [E] au paiement d'une indemnité de résiliation anticipée';

Condamne solidairement la société [E] et M. [K] [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, lasomme de 4.454,62 euros TTC au titre des factures impayées';

Rejette toute autre demande';

Condamne solidairement la société [E] et M. [K] [E] à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, lasomme de 4.583 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence';

Condamne in solidum la société [E] et M. [K] [E] aux dépens d'appel et à payer à la société Cartridge World France et à la société Fides, ès qualités, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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