CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 26 novembre 2025, n° 23/16431
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16431 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CILAG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Septembre 2023 - tribunal de commerce de Paris 13ème chambre - RG n° 2021039803
APPELANTE
S.A.R.L. CONSEIL SOCIAL VOYAGE
[Adresse 2]
[Localité 3]
N°SIREN : 442 029 476
agissant pourusites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Cédric PUTIGNY-RAVET de la SELAS CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : K0019, avocat plaidant
INTIMÉE
Ste Coopérative banque Pop. CRÉDIT COOPÉRATIF
[Adresse 1]
[Localité 4]
N°SIREN : 349 974 931
agissant pourusites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Antoine BEAUQUIER de l'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : R191, substitué à l'audience par Me Fanny CAUNES de L'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : R191
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie CHAMP dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 7 mars 2002, le Crédit coopératif (la banque) et la société Conseil social voyage (la société CSV) ont conclu une convention de partenariat, aux termes de laquelle la seconde devait apporter à la première "les demandes de crédit formulées par sa clientèle de particuliers voire de professionnels, résidents en France métropolitaine, et destinés au financement d'acquisitions de véhicules neufs ou d'occasion ou de projets immobiliers".
Le 25 septembre 2006, la banque et la société CSV ont conclu une nouvelle convention de partenariat annulant et remplaçant la précédente dont l'objet stipulait que "la mission du mandataire est d'apporter les demandes de crédits formulées par sa clientèle de particuliers, résidant en France métropolitaine, et destinées au financement de l'acquisition de véhicules neufs ou d'occasion, de résidences mobiles ou de projets immobiliers.
Trois avenants à cette dernière convention ont été signés les 4 septembre 2007, 26 septembre 2016 et 29 mars 2018.
Le 20 mai 2015, la banque et la société CSV ont conclu un mandat d'intermédiaire en opérations de banque et/ou services de paiement (IOBSP), ainsi qu'un mandat d'intermédiaire d'assurance.
Le 14 mars 2019, la banque a demandé à la société CSV de produire des dossiers de prêts complets comprenant notamment les trois derniers relevés de comptes de l'emprunteur afin d'être en conformité avec la règlementation bancaire, puis, faute de régularisation en ce sens, a, le 10 avril 2019, notifié la résiliation à intervenir des conventions de partenariat, avenants et des mandats, après un préavis de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois.
Invoquant une rupture brutale des relations commerciales du fait de l'augmentation constante des exigences de la banque relatives aux conditions d'octroi des crédits pendant la période de préavis, ainsi qu'un manquement à l'obligation d'exécuter le préavis de bonne foi, par exploit du 6 août 2021, la société CSV a assigné la banque en indemnisation des préjudices subis pour la période allant d'avril 2019 à mars 2022, au titre des gains manqués, des licenciements prononcés, du préjudice d'image et de perte de clientèle en invoquant une rupture abusive des relations contractuelles.
Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de la société CSV, l'a condamnée à payer à la banque une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 6 octobre 2023, la société CSV a interjeté appel dudit jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 septembre 2025, la société CSV demande à la cour, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- juger que la banque a rompu brutalement les relations commerciales existantes, subsidiairement qu'elle a violé l'exigence de bonne foi lors de l'exécution des contrats,
- condamner la banque à lui payer une somme de 4 478 148, 25 euros au titre des gains manqués, 67 308 euros au titre des licenciements prononcés, 500 000 euros au titre du préjudice d'image et de la perte de clientèle,
En tout état de cause,
- condamner la banque à lui payer une somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la banque aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 septembre 2025, la banque demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société CSV à lui payer une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 septembre 2025 et l'affaire a été fixée à l'audience des plaidoiries du 13 octobre 2025.
MOTIFS
Sur la rupture brutale des relations commerciales
La société CSV souligne liminairement que la rupture du partenariat étant intervenue le 10 avril 2019, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 de laquelle est issue le nouvel article L. 442-1 du code de commerce, seul l'ancien article L. 442-6, I, 5° de ce code, est applicable.
Elle soutient ensuite rapporter la preuve d'une rupture brutale, telle que définie par cet article et la jurisprudence, en ce qu'alors qu'aucune modification substantielle ne peut être apportée à la relation commerciale pendant la durée du préavis, la banque en a modifié unilatéralement les conditions. Elle ajoute que le changement de politique d'octroi des crédits a entraîné une forte diminution du nombre de crédits accordés et par voie de conséquence une chute de ses commissions pendant Ia durée du préavis, de sorte que le préavis n'a pas été effectif caractérisant ainsi Ia brutalité de Ia rupture. Elle souligne en outre que la banque a entrepris de ne plus communiquer les motifs de refus des crédits à compter de mars 2019 et ce en violation des dispositions contractuelles.
Elle avance subsidiairement pouvoir invoquer un manquement de la banque sur le fondement du droit commun au titre d'une violation de l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat, si sa responsabilité n'était pas retenue sur le fondement du texte spécial.
Sur les préjudices allégués, elle expose que la victime d'une rupture brutale des relations commerciales peut demander réparation au titre du gain manqué correspondant à la marge qu'elle pouvait escompter tirer de ses relations commerciales pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté, ainsi qu'au titre de tout préjudice résultant de cette brutalité et que cela vaut tant sur le fondement du droit spécial que du droit commun. Elle souligne enfin que la banque est seule responsable de son état de dépendance économique, dès lors qu'elle lui a demandé d'être son seul partenaire.
La banque conteste avoir rompu abusivement les relations contractuelles, en ce que le préavis accordé de vingt-neuf mois et vingt-deux jours, prorogé de six mois était suffisant au regard de la durée des relations contractuelles de 17 années et que le mandat IOBSP conclu ne créait aucune exclusivité au bénéfice de l'une ou l'autre des parties. Elle indique ainsi qu'aucune faute ne peut lui être imputée au visa de l'article L. 442-1, II du code de commerce.
Elle soutient ensuite n'avoir pas manqué de bonne foi dans l'exécution du contrat, en ce qu'elle ne s'était pas engagée à accepter un certain taux de dossiers de crédits apportés par la société CSV et pouvait les refuser, dès lors qu'ils ne satisfaisaient pas aux exigences de la règlementation bancaire et financière. Elle ajoute que si le renforcement de l'exigence de conformité des demandes de prêts à ladite règlementation a entraîné une diminution de la quantité de prêts octroyés pendant la durée du préavis, cette exigence n'est pas constitutive d'une exécution de mauvaise foi du préavis, dès lors qu'elle ne faisait qu'appliquer la règlementation. Elle souligne que la société CSV ne rapporte pas la preuve d'un tel manquement, pas plus que celle de son assertion selon laquelle des refus seraient intervenus avant examen des pièces justificatives, de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée.
S'agissant du préjudice allégué, elle rappelle que le préjudice indemnisable au visa de l'article L. 442-1, II du code de commerce est celui résultant de la brutalité de rupture et non de la rupture elle-même, que le préjudice indemnisable sur le fondement de l'obligation d'exécuter le préavis de bonne foi doit être distinct de celui évoqué précédemment, qu'enfin les différents préjudices allégués ne lui sont pas imputables.
La société CSV soutenant que la rupture intervenue est soumise à l'application de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce et la banque invoquant l'application du nouvel article L. 442-2-1, II, du même code, il sera rappelé que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées ne prévoit aucune disposition transitoire s'agissant de l'application dans le temps du nouvel article L. 442-1, II du code de commerce, qu'en application de l'article 2 du code civil et du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, la rupture brutale d'une relation commerciale établie, qui s'analyse en un fait juridique qui engage la responsabilité délictuelle de son auteur, est soumise au droit applicable au moment de la rupture litigieuse et que l'ordonnance étant entrée en vigueur, conformément à l'article 1er du code civil, le lendemain de sa publication au journal officiel, soit le 26 avril 2019, seules les ruptures intervenues à compter de cette date sont soumises au nouvel article L. 442-1, II du code de commerce . Les ruptures consommées avant le 26 avril 2019 restent donc soumises à l'ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
En l'espèce, il est constant que la rupture des relations commerciales a été notifiée par la banque par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2019 mentionnant une résiliation effective au 1er octobre 2021, la durée du préavis ayant été par suite prorogée au 1er avril 2022. Il s'ensuit que seul l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance précitée est applicable.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, énonce :
"I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
[...]
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas."
Il sera observé à titre liminaire qu'en dépit des développements de la société CSV dans ses conclusions, ce n'est pas tant la durée suffisante du préavis, qui est discutée, que son effectivité. Il sera toutefois observé que les premiers juges ont exactement retenu que la relation contractuelle ayant duré 17 ans, le préavis notifié de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois, était suffisant.
S'agissant de l'effectivité du préavis, il est jugé de manière constante que, sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures (Com. 10 février 2015, Bull.IV, n° 19, pourvoi n° 13-26.414 ; Com., 1er mars 2017, pourvoi n° 15-20.848, inédit ; Com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-23.579, inédit), étant précisé que l'effectivité du préavis est appréciée souverainement par les juges du fond.
Il convient de relever que les conventions de partenariat de 2002 et 2006 stipulent une exigence du respect des règles légales de la demande de prêt présentée à la banque et en particulier des règles du code de la consommation et du code monétaire et financier, que les documents indispensables sont listés de façon non limitative et incluent en particulier une copie de la carte nationale d'identité en cours de validité, les justificatifs de revenus et l'autorisation de prélèvement automatique sur un compte de l'emprunteur au profit de la banque, signée et accompagnée d'un relevé d'identité bancaire, qu'il est précisé que tous justificatifs complémentaires pourront être réclamés par la banque avant d'accorder ou de refuser le financement sollicité et que conformément à la loi bancaire, la décision d'accorder ou de refuser le crédit demandé appartient discrétionnairement à la banque, le courtier ne pouvant prétendre à aucune délégation à cet égard. Il sera souligné que les avenants signés postérieurement ne remettent pas en cause cette exigence (pièces n° 2 à 8 de l'appelant).
Il résulte ensuite du mandat IOSBP conclu le 25 mai 2015, qui régissait avec la convention de 2006 et ses avenants les relations contractuelles des parties, que si celui-ci comportait en annexe la liste des éléments nécessaires à l'analyse des demandes de financement transmises à la banque aux fins d'étude et de décision, il n'était pas stipulé que ces annexes remettaient en cause l'exigence contractuelle précitée du respect des règles légales de la demande de prêt présentée à la banque et en particulier des règles du code de la consommation et du code monétaire et financier. Il était par ailleurs stipulé à l'article 4.2 relatif aux obligations de la banque que celle-ci restait libre d'émettre ou non une proposition de financement et qu'elle indiquerait pour les besoins des procédures de gestion au mandataire, dans la mesure permise par la règlementation applicable, le motif de tout refus.
Il ressort de l'extrait de l'audit produit par la société CSV, initialement communiqué par la banque, effectué à sa demande sur le partenariat avec la société CSV, dont le dépôt est intervenu le 26 novembre 2018, notamment qu'aucun des dossiers testés n'était complet à 100 %, que pour les prêts à la consommation, aucune des pièces listées n'était présente dans 100 % des cas, que conformément au mandat d'IOBSP, dans le cadre des prêts à la consommation, l'emprunteur devait fournir une attestation d'assurance du véhicule au nom du ou des emprunteurs, qu'au terme des tests aucun des dossiers ne comportait d'attestation concernant le véhicule financé, que le RIB d'un compte courant ouvert au nom de l'emprunteur et/ou du co-emprunteur dans une banque domicilée en France n'était pas systématiquement présent et que le relevé de compte des trois derniers mois ne figurait dans aucun des dossiers de prêt à la consommation.
Il résulte ensuite du courriel du 14 mars 2019 que par suite de cet audit, la banque a informé la société CSV de l'évolution de ses procédures pour les dossiers consommation et immobilier, ainsi que pour les opérations de remboursement anticipés et de sa demande de production des trois derniers relevés de compte des emprunteurs et de tous éléments permettant de justifier les apports, que la société CSV lui a répliqué par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 mars 2019 être choquée par cette demande venant modifier une pratique encadrée par le mandat IOBSP assortie d'une application immédiate et sans préavis, ne pas comprendre l'origine de cette demande et l'urgence de sa mise en oeuvre, que sa clientèle avait besoin d'un dispositif aménagé compatible avec sa situation et son mode de vie et que la mission d'audit qui s'était déroulée en 2018 n'avait émis aucune remarque sur la constitution des dossiers.
Il est admis par les parties, indépendamment du retrait de la pièce du dossier de l'appelant, que le 10 avril 2019, la banque a notifié à la société CSV la résiliation à intervenir des conventions de partenariat, avenants et mandats, après un préavis de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois.
Il ressort en outre de la lettre recommandée adressée par la banque le 28 mai 2019 à la société CSV que deux réunions ont eu lieu à la suite des réclamations de celle-ci et que la banque a rappelé son assujettissement au dispositif de lutte anti-blanchiment justifiant le maintien de ses exigences quant aux pièces justificatives.
Il a été exactement rappelé par les premiers juges que les dispositions des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier (CMF) relatifs à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont d'ordre public, que l'article 1 de l'arrêté du 2 septembre 2009 pris en application de l'article R. 561-12 du CMF et définissant des éléments d'information liés à la connaissance du client et de la relation d'affaires aux fins d'évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme énonce :
"En application de l'article R. 561-12, les éléments d'information susceptibles d'être recueillis pendant toute la durée de la relation d'affaires aux fins d'évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme peuvent être :
1° Au titre de la connaissance de la relation d'affaires :
- le montant et la nature des opérations envisagées ;
- la provenance des fonds ;
- la destination des fonds ;
- la justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte.
2° Au titre de la connaissance de la situation professionnelle, économique et financière du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif :
a) Pour les personnes physiques :
- la justification de l'adresse du domicile à jour au moment où les éléments sont recueillis;
- les activités professionnelles actuellement exercées ;
- les revenus ou tout élément permettant d'estimer les autres ressources ;
- tout élément permettant d'apprécier le patrimoine ;
- s'agissant des personnes mentionnées aux I, II et III de l'article R. 561-18, les fonctions ou tout élément permettant d'apprécier la nature des liens existants entre ces personnes;"
que ces dispositions s'imposent aux établissements de crédit sous peine de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et que si cette règlementation ne liste pas les éléments d'information devant être impérativement demandés, les personnes soumises à cette règlementation conservent le soin d'apprécier les informations à solliciter pour être en conformité.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la banque a renforcé ses exigences quant aux justificatifs à produire au soutien des demandes de prêts en se fondant sur des raisons objectives tirées de la faiblesse des justificatifs produits mise en exergue par l'audit réalisé en 2018 et de la nécessité de respecter le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, de sorte que cette modification de la pratique de la relation commerciale annoncée le 14 mars 2019, puis mise en oeuvre au cours du préavis, qui a eu pour conséquence une baisse significative des crédits accordés, était fondée et n'était pas de nature à remettre en cause l'effectivité du préavis.
Il s'ensuit que la responsabilité de la banque pour rupture abusive des relations commerciales n'a pas lieu d'être retenue.
Sur la violation de l'exigence de bonne foi pendant la durée du préavis
Il est constant que les conventions doivent être exécutées de bonne foi et que l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle peut être sanctionnée ( Com., 24 novembre 1998, pourvoi n° 96-18.357, Bulletin civil 1998, IV, n° 277 ; Com., 7 octobre 2014, pourvoi n° 13-21.086, Bull. 2014, IV, n° 143 ), ce dernier arrêt soulignant que la mauvaise foi peut résulter d'une diminution significative du volume des affaires, lorsqu'elle intervient sans motif valable.
Aux termes de l'article 3.2 de la convention du 25 septembre 2006, il est stipulé que :
"Conformément à la règlementation bancaire, la décision d'accorder ou de refuser le crédit demandé appartient discrétionnairement à la banque, le mandataire ne pouvant prétendre à aucune délégation à cet égard".
Aux termes de l'article 4.2 du mandat IOBSP, il est prévu que :
"la banque est libre d'émettre ou non une proposition de financement la connaissance du client, le montage et l'analyse du dossier, le choix des garanties et la décision d'octroi ou de refus de crédit sont du ressort exclusif de la banque. (') de façon générale, la banque dispose d'un droit discrétionnaire de donner suite ou non à toute demande émanant des clients envoyés par le mandataire. Pour les besoins des procédures de gestion, la Banque indiquera toutefois au Mandataire, dans la mesure permise par la réglementation qui lui est applicable, le motif de tout refus ; étant précisé que le mandataire s'interdit de contester le motif invoqué."
Il résulte des constatations précitées que la banque n'a pas fait preuve de mauvaise foi lors de l'exécution du préavis en exigeant des éléments d'information supplémentaires dans les dossiers de demandes de prêt transmis par la société CSV, indépendamment de la difficulté de ses clients à les produire et de la réduction significative consécutive des crédits accordés et des commissions perçues par la société CSV, dès lors que ces exigences étaient fondées sur le respect d'un dispositif légal d'ordre public.
Il sera, en outre, relevé que, contrairement aux affirmations de la société CSV, aucune pièce n'établit qu'au fil des années et à la demande de la banque, la société CSV soit devenue son partenaire exclusif, avec laquelle elle réalisait l'intégralité de son chiffre d'affaires, dès lors qu'aucune clause contractuelle d'exclusivité ne liait les parties. Il n'est pas plus démontré que la banque se soit engagée à accepter un certain taux de dossiers de crédit proposés par la société CSV, ni l'assertion selon laquelle la diminution des crédits accordés n'était pas justifiée par le défaut de conformité des dossiers présentés, dès lors que certains refus n'étaient pas motivés et que certains d'entre eux seraient intervenus avant examen des pièces justificatives.
Il se déduit de ces constatations qu'aucune mauvaise foi ne peut être imputée à la banque à l'occasion de l'exécution du préavis, de sorte que sa responsabilité ne sera pas plus retenue sur ce fondement.
Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera donc confirmé, en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CSV.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. La société CSV sera condamnée à payer à la banque la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Conseil social voyage aux dépens,
CONDAMNE la société Conseil social voyage à payer au Crédit coopératif une somme de 5 000 euros de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
Le greffier Le président
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16431 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CILAG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Septembre 2023 - tribunal de commerce de Paris 13ème chambre - RG n° 2021039803
APPELANTE
S.A.R.L. CONSEIL SOCIAL VOYAGE
[Adresse 2]
[Localité 3]
N°SIREN : 442 029 476
agissant pourusites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Cédric PUTIGNY-RAVET de la SELAS CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : K0019, avocat plaidant
INTIMÉE
Ste Coopérative banque Pop. CRÉDIT COOPÉRATIF
[Adresse 1]
[Localité 4]
N°SIREN : 349 974 931
agissant pourusites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Antoine BEAUQUIER de l'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : R191, substitué à l'audience par Me Fanny CAUNES de L'AARPI BCTG AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : R191
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2025, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Vincent BRAUD, président de chambre
Mme Valérie CHAMP, présidente de chambre
Mme Anne BAMBERGER, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Valérie CHAMP dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Vincent BRAUD, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 7 mars 2002, le Crédit coopératif (la banque) et la société Conseil social voyage (la société CSV) ont conclu une convention de partenariat, aux termes de laquelle la seconde devait apporter à la première "les demandes de crédit formulées par sa clientèle de particuliers voire de professionnels, résidents en France métropolitaine, et destinés au financement d'acquisitions de véhicules neufs ou d'occasion ou de projets immobiliers".
Le 25 septembre 2006, la banque et la société CSV ont conclu une nouvelle convention de partenariat annulant et remplaçant la précédente dont l'objet stipulait que "la mission du mandataire est d'apporter les demandes de crédits formulées par sa clientèle de particuliers, résidant en France métropolitaine, et destinées au financement de l'acquisition de véhicules neufs ou d'occasion, de résidences mobiles ou de projets immobiliers.
Trois avenants à cette dernière convention ont été signés les 4 septembre 2007, 26 septembre 2016 et 29 mars 2018.
Le 20 mai 2015, la banque et la société CSV ont conclu un mandat d'intermédiaire en opérations de banque et/ou services de paiement (IOBSP), ainsi qu'un mandat d'intermédiaire d'assurance.
Le 14 mars 2019, la banque a demandé à la société CSV de produire des dossiers de prêts complets comprenant notamment les trois derniers relevés de comptes de l'emprunteur afin d'être en conformité avec la règlementation bancaire, puis, faute de régularisation en ce sens, a, le 10 avril 2019, notifié la résiliation à intervenir des conventions de partenariat, avenants et des mandats, après un préavis de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois.
Invoquant une rupture brutale des relations commerciales du fait de l'augmentation constante des exigences de la banque relatives aux conditions d'octroi des crédits pendant la période de préavis, ainsi qu'un manquement à l'obligation d'exécuter le préavis de bonne foi, par exploit du 6 août 2021, la société CSV a assigné la banque en indemnisation des préjudices subis pour la période allant d'avril 2019 à mars 2022, au titre des gains manqués, des licenciements prononcés, du préjudice d'image et de perte de clientèle en invoquant une rupture abusive des relations contractuelles.
Par jugement du 11 septembre 2023, le tribunal de commerce de Paris a rejeté les demandes de la société CSV, l'a condamnée à payer à la banque une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par déclaration du 6 octobre 2023, la société CSV a interjeté appel dudit jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 septembre 2025, la société CSV demande à la cour, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- juger que la banque a rompu brutalement les relations commerciales existantes, subsidiairement qu'elle a violé l'exigence de bonne foi lors de l'exécution des contrats,
- condamner la banque à lui payer une somme de 4 478 148, 25 euros au titre des gains manqués, 67 308 euros au titre des licenciements prononcés, 500 000 euros au titre du préjudice d'image et de la perte de clientèle,
En tout état de cause,
- condamner la banque à lui payer une somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la banque aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 septembre 2025, la banque demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société CSV à lui payer une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 septembre 2025 et l'affaire a été fixée à l'audience des plaidoiries du 13 octobre 2025.
MOTIFS
Sur la rupture brutale des relations commerciales
La société CSV souligne liminairement que la rupture du partenariat étant intervenue le 10 avril 2019, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 de laquelle est issue le nouvel article L. 442-1 du code de commerce, seul l'ancien article L. 442-6, I, 5° de ce code, est applicable.
Elle soutient ensuite rapporter la preuve d'une rupture brutale, telle que définie par cet article et la jurisprudence, en ce qu'alors qu'aucune modification substantielle ne peut être apportée à la relation commerciale pendant la durée du préavis, la banque en a modifié unilatéralement les conditions. Elle ajoute que le changement de politique d'octroi des crédits a entraîné une forte diminution du nombre de crédits accordés et par voie de conséquence une chute de ses commissions pendant Ia durée du préavis, de sorte que le préavis n'a pas été effectif caractérisant ainsi Ia brutalité de Ia rupture. Elle souligne en outre que la banque a entrepris de ne plus communiquer les motifs de refus des crédits à compter de mars 2019 et ce en violation des dispositions contractuelles.
Elle avance subsidiairement pouvoir invoquer un manquement de la banque sur le fondement du droit commun au titre d'une violation de l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat, si sa responsabilité n'était pas retenue sur le fondement du texte spécial.
Sur les préjudices allégués, elle expose que la victime d'une rupture brutale des relations commerciales peut demander réparation au titre du gain manqué correspondant à la marge qu'elle pouvait escompter tirer de ses relations commerciales pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté, ainsi qu'au titre de tout préjudice résultant de cette brutalité et que cela vaut tant sur le fondement du droit spécial que du droit commun. Elle souligne enfin que la banque est seule responsable de son état de dépendance économique, dès lors qu'elle lui a demandé d'être son seul partenaire.
La banque conteste avoir rompu abusivement les relations contractuelles, en ce que le préavis accordé de vingt-neuf mois et vingt-deux jours, prorogé de six mois était suffisant au regard de la durée des relations contractuelles de 17 années et que le mandat IOBSP conclu ne créait aucune exclusivité au bénéfice de l'une ou l'autre des parties. Elle indique ainsi qu'aucune faute ne peut lui être imputée au visa de l'article L. 442-1, II du code de commerce.
Elle soutient ensuite n'avoir pas manqué de bonne foi dans l'exécution du contrat, en ce qu'elle ne s'était pas engagée à accepter un certain taux de dossiers de crédits apportés par la société CSV et pouvait les refuser, dès lors qu'ils ne satisfaisaient pas aux exigences de la règlementation bancaire et financière. Elle ajoute que si le renforcement de l'exigence de conformité des demandes de prêts à ladite règlementation a entraîné une diminution de la quantité de prêts octroyés pendant la durée du préavis, cette exigence n'est pas constitutive d'une exécution de mauvaise foi du préavis, dès lors qu'elle ne faisait qu'appliquer la règlementation. Elle souligne que la société CSV ne rapporte pas la preuve d'un tel manquement, pas plus que celle de son assertion selon laquelle des refus seraient intervenus avant examen des pièces justificatives, de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée.
S'agissant du préjudice allégué, elle rappelle que le préjudice indemnisable au visa de l'article L. 442-1, II du code de commerce est celui résultant de la brutalité de rupture et non de la rupture elle-même, que le préjudice indemnisable sur le fondement de l'obligation d'exécuter le préavis de bonne foi doit être distinct de celui évoqué précédemment, qu'enfin les différents préjudices allégués ne lui sont pas imputables.
La société CSV soutenant que la rupture intervenue est soumise à l'application de l'article L. 442-6, I, 5 du code de commerce et la banque invoquant l'application du nouvel article L. 442-2-1, II, du même code, il sera rappelé que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées ne prévoit aucune disposition transitoire s'agissant de l'application dans le temps du nouvel article L. 442-1, II du code de commerce, qu'en application de l'article 2 du code civil et du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, la rupture brutale d'une relation commerciale établie, qui s'analyse en un fait juridique qui engage la responsabilité délictuelle de son auteur, est soumise au droit applicable au moment de la rupture litigieuse et que l'ordonnance étant entrée en vigueur, conformément à l'article 1er du code civil, le lendemain de sa publication au journal officiel, soit le 26 avril 2019, seules les ruptures intervenues à compter de cette date sont soumises au nouvel article L. 442-1, II du code de commerce . Les ruptures consommées avant le 26 avril 2019 restent donc soumises à l'ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
En l'espèce, il est constant que la rupture des relations commerciales a été notifiée par la banque par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2019 mentionnant une résiliation effective au 1er octobre 2021, la durée du préavis ayant été par suite prorogée au 1er avril 2022. Il s'ensuit que seul l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance précitée est applicable.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, énonce :
"I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
[...]
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas."
Il sera observé à titre liminaire qu'en dépit des développements de la société CSV dans ses conclusions, ce n'est pas tant la durée suffisante du préavis, qui est discutée, que son effectivité. Il sera toutefois observé que les premiers juges ont exactement retenu que la relation contractuelle ayant duré 17 ans, le préavis notifié de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois, était suffisant.
S'agissant de l'effectivité du préavis, il est jugé de manière constante que, sauf circonstances particulières, l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures (Com. 10 février 2015, Bull.IV, n° 19, pourvoi n° 13-26.414 ; Com., 1er mars 2017, pourvoi n° 15-20.848, inédit ; Com., 29 mars 2017, pourvoi n° 15-23.579, inédit), étant précisé que l'effectivité du préavis est appréciée souverainement par les juges du fond.
Il convient de relever que les conventions de partenariat de 2002 et 2006 stipulent une exigence du respect des règles légales de la demande de prêt présentée à la banque et en particulier des règles du code de la consommation et du code monétaire et financier, que les documents indispensables sont listés de façon non limitative et incluent en particulier une copie de la carte nationale d'identité en cours de validité, les justificatifs de revenus et l'autorisation de prélèvement automatique sur un compte de l'emprunteur au profit de la banque, signée et accompagnée d'un relevé d'identité bancaire, qu'il est précisé que tous justificatifs complémentaires pourront être réclamés par la banque avant d'accorder ou de refuser le financement sollicité et que conformément à la loi bancaire, la décision d'accorder ou de refuser le crédit demandé appartient discrétionnairement à la banque, le courtier ne pouvant prétendre à aucune délégation à cet égard. Il sera souligné que les avenants signés postérieurement ne remettent pas en cause cette exigence (pièces n° 2 à 8 de l'appelant).
Il résulte ensuite du mandat IOSBP conclu le 25 mai 2015, qui régissait avec la convention de 2006 et ses avenants les relations contractuelles des parties, que si celui-ci comportait en annexe la liste des éléments nécessaires à l'analyse des demandes de financement transmises à la banque aux fins d'étude et de décision, il n'était pas stipulé que ces annexes remettaient en cause l'exigence contractuelle précitée du respect des règles légales de la demande de prêt présentée à la banque et en particulier des règles du code de la consommation et du code monétaire et financier. Il était par ailleurs stipulé à l'article 4.2 relatif aux obligations de la banque que celle-ci restait libre d'émettre ou non une proposition de financement et qu'elle indiquerait pour les besoins des procédures de gestion au mandataire, dans la mesure permise par la règlementation applicable, le motif de tout refus.
Il ressort de l'extrait de l'audit produit par la société CSV, initialement communiqué par la banque, effectué à sa demande sur le partenariat avec la société CSV, dont le dépôt est intervenu le 26 novembre 2018, notamment qu'aucun des dossiers testés n'était complet à 100 %, que pour les prêts à la consommation, aucune des pièces listées n'était présente dans 100 % des cas, que conformément au mandat d'IOBSP, dans le cadre des prêts à la consommation, l'emprunteur devait fournir une attestation d'assurance du véhicule au nom du ou des emprunteurs, qu'au terme des tests aucun des dossiers ne comportait d'attestation concernant le véhicule financé, que le RIB d'un compte courant ouvert au nom de l'emprunteur et/ou du co-emprunteur dans une banque domicilée en France n'était pas systématiquement présent et que le relevé de compte des trois derniers mois ne figurait dans aucun des dossiers de prêt à la consommation.
Il résulte ensuite du courriel du 14 mars 2019 que par suite de cet audit, la banque a informé la société CSV de l'évolution de ses procédures pour les dossiers consommation et immobilier, ainsi que pour les opérations de remboursement anticipés et de sa demande de production des trois derniers relevés de compte des emprunteurs et de tous éléments permettant de justifier les apports, que la société CSV lui a répliqué par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 mars 2019 être choquée par cette demande venant modifier une pratique encadrée par le mandat IOBSP assortie d'une application immédiate et sans préavis, ne pas comprendre l'origine de cette demande et l'urgence de sa mise en oeuvre, que sa clientèle avait besoin d'un dispositif aménagé compatible avec sa situation et son mode de vie et que la mission d'audit qui s'était déroulée en 2018 n'avait émis aucune remarque sur la constitution des dossiers.
Il est admis par les parties, indépendamment du retrait de la pièce du dossier de l'appelant, que le 10 avril 2019, la banque a notifié à la société CSV la résiliation à intervenir des conventions de partenariat, avenants et mandats, après un préavis de vingt-neuf mois et vingt jours, prorogé de six mois.
Il ressort en outre de la lettre recommandée adressée par la banque le 28 mai 2019 à la société CSV que deux réunions ont eu lieu à la suite des réclamations de celle-ci et que la banque a rappelé son assujettissement au dispositif de lutte anti-blanchiment justifiant le maintien de ses exigences quant aux pièces justificatives.
Il a été exactement rappelé par les premiers juges que les dispositions des articles L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier (CMF) relatifs à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme sont d'ordre public, que l'article 1 de l'arrêté du 2 septembre 2009 pris en application de l'article R. 561-12 du CMF et définissant des éléments d'information liés à la connaissance du client et de la relation d'affaires aux fins d'évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme énonce :
"En application de l'article R. 561-12, les éléments d'information susceptibles d'être recueillis pendant toute la durée de la relation d'affaires aux fins d'évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme peuvent être :
1° Au titre de la connaissance de la relation d'affaires :
- le montant et la nature des opérations envisagées ;
- la provenance des fonds ;
- la destination des fonds ;
- la justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte.
2° Au titre de la connaissance de la situation professionnelle, économique et financière du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif :
a) Pour les personnes physiques :
- la justification de l'adresse du domicile à jour au moment où les éléments sont recueillis;
- les activités professionnelles actuellement exercées ;
- les revenus ou tout élément permettant d'estimer les autres ressources ;
- tout élément permettant d'apprécier le patrimoine ;
- s'agissant des personnes mentionnées aux I, II et III de l'article R. 561-18, les fonctions ou tout élément permettant d'apprécier la nature des liens existants entre ces personnes;"
que ces dispositions s'imposent aux établissements de crédit sous peine de sanction de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et que si cette règlementation ne liste pas les éléments d'information devant être impérativement demandés, les personnes soumises à cette règlementation conservent le soin d'apprécier les informations à solliciter pour être en conformité.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la banque a renforcé ses exigences quant aux justificatifs à produire au soutien des demandes de prêts en se fondant sur des raisons objectives tirées de la faiblesse des justificatifs produits mise en exergue par l'audit réalisé en 2018 et de la nécessité de respecter le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, de sorte que cette modification de la pratique de la relation commerciale annoncée le 14 mars 2019, puis mise en oeuvre au cours du préavis, qui a eu pour conséquence une baisse significative des crédits accordés, était fondée et n'était pas de nature à remettre en cause l'effectivité du préavis.
Il s'ensuit que la responsabilité de la banque pour rupture abusive des relations commerciales n'a pas lieu d'être retenue.
Sur la violation de l'exigence de bonne foi pendant la durée du préavis
Il est constant que les conventions doivent être exécutées de bonne foi et que l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle peut être sanctionnée ( Com., 24 novembre 1998, pourvoi n° 96-18.357, Bulletin civil 1998, IV, n° 277 ; Com., 7 octobre 2014, pourvoi n° 13-21.086, Bull. 2014, IV, n° 143 ), ce dernier arrêt soulignant que la mauvaise foi peut résulter d'une diminution significative du volume des affaires, lorsqu'elle intervient sans motif valable.
Aux termes de l'article 3.2 de la convention du 25 septembre 2006, il est stipulé que :
"Conformément à la règlementation bancaire, la décision d'accorder ou de refuser le crédit demandé appartient discrétionnairement à la banque, le mandataire ne pouvant prétendre à aucune délégation à cet égard".
Aux termes de l'article 4.2 du mandat IOBSP, il est prévu que :
"la banque est libre d'émettre ou non une proposition de financement la connaissance du client, le montage et l'analyse du dossier, le choix des garanties et la décision d'octroi ou de refus de crédit sont du ressort exclusif de la banque. (') de façon générale, la banque dispose d'un droit discrétionnaire de donner suite ou non à toute demande émanant des clients envoyés par le mandataire. Pour les besoins des procédures de gestion, la Banque indiquera toutefois au Mandataire, dans la mesure permise par la réglementation qui lui est applicable, le motif de tout refus ; étant précisé que le mandataire s'interdit de contester le motif invoqué."
Il résulte des constatations précitées que la banque n'a pas fait preuve de mauvaise foi lors de l'exécution du préavis en exigeant des éléments d'information supplémentaires dans les dossiers de demandes de prêt transmis par la société CSV, indépendamment de la difficulté de ses clients à les produire et de la réduction significative consécutive des crédits accordés et des commissions perçues par la société CSV, dès lors que ces exigences étaient fondées sur le respect d'un dispositif légal d'ordre public.
Il sera, en outre, relevé que, contrairement aux affirmations de la société CSV, aucune pièce n'établit qu'au fil des années et à la demande de la banque, la société CSV soit devenue son partenaire exclusif, avec laquelle elle réalisait l'intégralité de son chiffre d'affaires, dès lors qu'aucune clause contractuelle d'exclusivité ne liait les parties. Il n'est pas plus démontré que la banque se soit engagée à accepter un certain taux de dossiers de crédit proposés par la société CSV, ni l'assertion selon laquelle la diminution des crédits accordés n'était pas justifiée par le défaut de conformité des dossiers présentés, dès lors que certains refus n'étaient pas motivés et que certains d'entre eux seraient intervenus avant examen des pièces justificatives.
Il se déduit de ces constatations qu'aucune mauvaise foi ne peut être imputée à la banque à l'occasion de l'exécution du préavis, de sorte que sa responsabilité ne sera pas plus retenue sur ce fondement.
Le jugement du tribunal de commerce de Paris sera donc confirmé, en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CSV.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. La société CSV sera condamnée à payer à la banque la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 septembre 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Conseil social voyage aux dépens,
CONDAMNE la société Conseil social voyage à payer au Crédit coopératif une somme de 5 000 euros de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
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Le greffier Le président